Le national – populisme en Roumanie après 1989.

Paru dans  » Les Cahiers du CEVIPOL [Centre d’étude de la vie politique], par Sorina SOAR.

1. INTRODUCTION.

L’année 1989 semblait annoncer la victoire totale et définitive de la démocratie sur les régimes communistes de l’Europe de l’Est, achevant en quelque sorte « l’évolution » de ces sociétés politiques.

Pourtant, cette troisième vague de démocratisation1 dont les débuts sont accompagnés d’une véritable acclamation populaire s’essouffle rapidement. Les difficultés que rencontre l’installation de la démocratie sur le sol des anciennes démocraties populaires n’entraînent pas pour autant une résurrection du communisme mais favorisent plutôt l’épanouissement d’un discours national-populiste (voir éthnopopuliste dans le cas serbe lors du conflit de Kosovo), un discours fondé sur des thèmes à forte connotation corporatiste. Le paysage postcommuniste s’avère être un terrain propice pour les passions, les peurs, les illusions et les désillusions collectives, permettant la (re)naissance2 d’une forme de populisme nouvelle aux accents nationalistes. Le populisme en Europe Centrale n’est pas une donnée récente ; la création étatique dans cette partie de l’Europe fut accompagnée dès son début par un discours politique passionnel, souvent nationaliste, un discours centré sur le peuple comme source et gardien de l’esprit national. Aujourd’hui, le populisme renaît sur les cendres du communisme – qui à son tour avait récupéré des éléments du discours populiste d’avant la Seconde Guerre Mondiale.

Les changements intervenus entre 1989 et 1991 ont produit des basculements importants dans la vie des anciens pays communistes. Célébrées initialement comme le triomphe de la démocratie contre les régimes communistes, ces forces révolutionnaires embrassent deux niveaux différents d’évolution. La première phase de leur développement coïncide avec l stade civique de la révolte du citoyen3 (caractérisé par la prééminence d’un discours subordonné aux thèmes universalistes des Droits de l’Homme).

La deuxième phase correspond à l’avènement de mouvements national-populistes ou ethno-populistes4 dont le discours se caractérise par la haine et le désaccord envers l’économie de marché et la démocratie, perçues comme les instruments de la domination impérialiste internationale. Sur le terrain de la confusion et de la perte des repères, le populisme apparaît non pas uniquement comme une technique de discours, un type de langage ayant comme but de capter l’attention d’un électorat confus mais aussi comme une action politique qui, par le biais légitimant des masses, tend à gangrener la structure démocratique. Le registre populiste se retrouve dans tous les discours politiques – la ligne de démarcation entre démagogie et populisme s’efface parfois – mais certains partis politiques adoptent la logique populiste au-delà du registre du discours électoral.

Le populisme devient ainsi une stratégie politique, une forme de gestion du politique qui propose une régénération fondamentale à plusieurs niveaux ceux de la vie politique, la vie économique, la vie culturale et du social. Cette incorporation de tous les aspects de la vie de l’individu favorise des solutions très peu démocratiques ; le populisme tend à embrasser la forme d’un nouvel organicisme national voir tribal qui réconforte des communautés désemparées par les changements de 1989-1991. Il remplace la dimension messianique du communisme avec une autre Promesse qui unit à la fois les thèmes radicaux de la droite avec la socialisation de la gauche.

A partir de l’analyse des difficultés que les nouvelles démocraties rencontrent en Europe Centrale, nous allons essayer d’esquisser la problématique du populisme avec l’étude de cas de trois formes de populismes dans la Roumanie d’aujourd’hui. Il s’agit premièrement du populisme incarné par Ion Iliescu dont l’évolution est passée de l’agressivité nationaliste à un discours systémique, soit un populisme qui prend de plus en plus la forme d’un discours populiste intégrateur d’opposition. Le cas roumain est très riche du point de vue empirique par la présence de deux cas extrêmes en Europe Centrale – un populisme anti-système emblématique : le Parti de la Grande Roumanie (PRM) et le cas du mouvement anarchique des mineurs qui culmina avec les événements de janvier 1999. Dans une première partie de notre article nous allons essayer d’analyser le lien entre les effets pervers de la démocratisation en Europe Centrale et la renaissance du populisme pour nous pencher ensuite sur une conceptualisation de celui-ci. Pour rendre plus explicite notre analyse, nous avons choisi de présenter le cas roumain comme étant représentatif à ce niveau par les trois types de populismes que nous y avons décelés. Nous ne traiterons pas le cas du populisme de gouvernement ou du populisme électoral qui son surtout des techniques de discours et moins des modes de gestion du politique.

2. LE POLITIQUE ET L’ECONOMIQUE – SOURCES DE DESILLUSIONS.

L’enthousiasme des premiers jours ayant suivi le remplacement des régimes communistes fait vite place à la désillusion. Si 1989 était annus mirabilis, 1990 devient annus miserabilis et 1991 annus horibilis5. La société politique apparaît comme la première source de désillusion : la population découvre que les nouveaux hommes politiques qu’elle a investis avec enthousiasme ne sont pas conformes à ses attentes. La plupart d’entre eux sont démagogues, animés par des ambitions médiocres, souvent corrompus. La corruption des nouveaux leaders politiques et leur incapacité à satisfaire les promesses électorales accentuent le sentiment de manque de confiance dans la nouvelle élite politique. On assiste ainsi à l’apparition d’une lousing touch6, d’une distance de plus en plus grande entre l’élite politique et la masse des citoyens. Les masses en Europe de l’Est rêvent encore d’une démocratie d la ressemblance à l’antique – une démocratie qui ne soit plus source d’une séparation entre masses et élites. La démocratie en tant que pratique moderne de gestion du pouvoir exige pourtant une haute professionnalisation, ce qui ne fait qu’accentuer le sentiment d’exclusion des citoyens du politique. Cette ressemblance manquée entre les gouvernés et les gouvernants dans les nouvelles démocraties alimente le discours populiste qui prêche le retour aux sources, à la Gemeinschaft d’origine

En même temps, l’apathie politique s’installe parmi les électeurs. Ce sentiment conduit à progression de l’absentéisme lors des élections7 ; le danger ne réside pourtant pas dans une participation de plus en plus réduite aux élections mais dans la diminution du degré de légitimité du gouvernement qui peut facilement succomber à des revendications contestataires de type populiste. La traduction de cette apathie au niveau des chiffres correspond à un bas niveau de satisfaction par rapport au fonctionnement du système et surtout vis-à-vis du Parlement, en tant qu’institution de base8. Un autre élément important réside dans le fait que la nouvelle élite politique en Europe de l’Est est de moins en moins perçue comme nationale. Le rôle des organismes internationaux dans la gestion des nouvelles démocraties (le Fond Monétaire International, la Banque Mondiale, Union Européenne etc.) devient en effet une source principale de mécontentement. Guy Hermet9 explique cette situation par le fait que l’Etat « perd son attribut indispensable, qui est le contrôle exclusif sur un espace ». Cette situation alimente d’autant plus le discours populiste que l’Etat perd aussi sa substance territoriale notamment dans l’ex-Yougoslavie ou dans l’ex-URSS. Le discours populiste fait appel à des slogans protectionnistes, de fermeture, d’identification avec les intérêts de la nation (identification qui est déniée à l’élite au pouvoir perçue comme vendue » aux intérêts des étrangers qui veulent exploiter les nouvelles démocraties). Alain Touraine considère ainsi que « dans les pays où la modernisation est en grande partie importée, naît le désir d’un développement qui serait le contraire d’une modernisation dépendante qui préserverait ou même rétablirait les aspects fondamentaux de l’identité nationale (…) le populisme est cette réaction de type national à une modernisation qui est dirigée du dehors »10. C’est donc une double contestation de la démocratie qui touche à la fois le fonctionnement des mécanismes de gestion du politique et les gouvernants mais aussi la modernisation du politique, de la société en général.

La société politique n’est pourtant pas la seule source de mécontentement, mais la nouvelle société économique qui s’impose dans la perspective de l’installation de l’économie de marché. Avant d’être institutionnellement fonctionnelle, la démocratie doit être capable de garantir un bien-être : la pauvreté est cause de déséquilibres sociaux et de conflits sociaux, de corruption. Cette situation offre des éléments articulés par le discours populiste. L’installation de l’économie de marché en tant que corollaire de la démocratie est l’une des sources principales de mécontentement.

Le chômage (avant 1989, le taux de chômage était insignifiant) atteint des taux de 11 à 13%, touchant surtout les ouvriers peu qualifiés des grands colosses industriels qui ne retrouvent plus leur place sur le marché concurrentiel. Le boum inflationniste11 du début de l’année 1989 anéantit en quelques mois les économies d’une vie de toute une population – les retraités surtout se retrouvent alors dans une situation très précaire. Ces victimes des transformations économiques deviennent des perdants de la modernité – facilement attirés par les théories messianiques des populistes. L’économie trace ainsi une ligne de démarcation très visible entre ceux qui se déclarent satisfaits par rapport aux transformations d’après 1989 et ceux qui connaissent une mobilité sociale descendante et se déclarent nostalgiques par rapport au passé. Le positionnement du passé opère d’ailleurs à son tour une nouvelle distinction – ceux favorables à la rupture, sont également partisans de la démocratisation et de la modernisation tandis que ceux qui s’identifient au passé (aux privilèges perdus du passé) son plus attachés un contrat social sublimé. Au nom de la démocratie de la ressemblance, les populistes assument un pouvoir élargi en promettant la sécurité matérielle et physique.

3. LE BESOIN DE NOUVELLES FORMES DE SOLIDARITE.

La démocratisation suppose un changement à la fois politique, économique et social. La culture égalitariste de l’ancien régime subsiste pourtant. « La chute du communisme a déchiré ce voile de ressemblance et le monde assoupi fut réveillé par l’explosion des différences insoupçonnées qu’il dissimulait et dont chacune si longtemps rejetée dans l’ombre ressentait le besoin naturel d’attirer l’attention et de souligner son originalité par rapport aux autres »12. Cette perte de l’identité définie par la collectivité et l’affirmation de l’individualisme sont ressenties comme des menaces pour l’identité fragile des masses accoutumées à vivre dans une société atomisée, uniforme et égalitariste. Les masses sont hantées par le paradoxe de leur situation par rapport au passé : d’un côté, le communisme est l’incarnation du mal et de l’autre côté, la sécurité et l’égalitarisme qu’il générait sont leurs revendications principales (revendications parfaitement décelables dans « les programmes » populistes). La reconstruction de l’Etat va de pair avec la perte temporaire de la sécurité e c’est surtout sur ce versant sécurisant que le populisme fleurit.

4. LE NATIONAL POPULISME – EFFET PERVERS DE LA CONSOLIDATION DEMOCRATIQUE.

Son aspect multiforme rend malaisée une définition du populisme, en général, le terme est conçu comme péjoratif. Le populisme est associé surtout à sa ferme dénonciation de la plupart des acteurs politiques. Le plus souvent, le terme de populisme renvoie à ce que Pierre André Taguieff appelle une « corruption de l’idée démocratique »13.

L’imprécision qui caractérise les tentatives de définition de ce mot dérive ainsi du fait que le populisme revêt plusieurs habits. Le populisme en Europe Centrale apparaît comme une émanation de ce processus de démocratisation, comme un effet pervers de celui-ci – amplifié par les difficultés que rencontre la démocratie à s’installer sur les ruines du communisme. Le populisme est le substitut d’une forme de socialisation que la démocratie ne peut plus offrir ; son anti-élitisme est donc une conséquence de la frustration politique, sociale et économique. Il adopte un discours simpliste et simplificateur à travers lequel il prône le retour à une communauté idyllique, rassurante par la certitude des liens, par l’ordre et la sécurité qui la caractérisent.

Le populisme s’inscrit dans la logique de la continuation d’une pratique du pouvoir qui remonte au début de la modernisation des Etats de cette partie de l’Europe. Le populisme s’inscrit ainsi dans une dynamique de continuité par rapport au passé qui ne puise pas ses origines dans l’époque de l’instauration des régimes communistes au début des années 1945. Il représente une constante dans le discours politique central et est européen depuis la construction étatique tardive, à la fin du XIXe siècle. De nos jours, les mouvements populistes peuvent être décrits comme des « challengers » qui « essayent d’attirer ceux qui ne sont pas contents de l’activité du gouvernement, soit parce qu’ils sont explicitement anti-système, soit parce qu’ils ne sont pas considérés suitable par les partis politiques déjà existants14 ».

La réduction des mouvements populistes à leur leader Le populisme devient un domaine où cohabitent un leader charismatique aux attitudes paternalistes, incarnant à lui seul les intérêts de la masse, et des masses prêtes à la soumission afin de voir leur sécurité garantie. Les mouvements populistes procèdent à une incorporation verticale des masses sous la direction d’un leader charismatique. Deux cultes se développent en effet au sein des mouvements populistes : le culte du peuple dans un discours mono identitaire et le culte du leader charismatique , du Sauveur15). Le populisme en Europe Centrale devient ainsi un mouvement de mobilisation, sous le contrôle d’un chef charismatique des secteurs les plus défavorisés par les changements de 1989-1991 contre les institutions politiques en place (considérés illégitimes ou au moins différents par rapport aux intérêts nationaux). Il prêche une certaine image de la réalité qui offre des solutions relevant d’un manichéisme simplificateur. Le plus souvent, ces solutions consistent dans les retrouvailles avec les racines et les traditions perdues dans la modernité. L’accent principal est mis sur l’émotionnel et le passionnel. Le populisme accorde une place particulière au leader qui s’adresse en particulier aux dépossédés et aux marginalisés « au nom d’une égalité qui suppose la suspension des libertés civiles et l’instauration d’un régime dictatorial »16. Cette place accordée au Sauveur s’enchaîne comme une continuation du besoin de protection, protection qui exige à la fois la crainte de celui qui la demande et la croyance dans la force de celui qui l’accorde. La protection du Sauveur (figure paternelle) fait appel à l’obéissance qui délivre l’homme de l’inquiétude et le réconforte en lui montrant que les autres font de même ; c’est la satisfaction du besoin d’égalité. Protection, égalité, soumission, obéissance – les éléments qui permettent l’édification d’un véritable culte du chef.

Les décombres du communisme, la démocratie à du mal fonctionner comme sur le terrain de l’Occident façonné par le temps. Au-delà des difficultés que la population éprouve afin de s’adapter à la modernité, nous pouvons trouver dès lors en Europe de l’Est moins une démocratie représentative qu’une « démocratie délégatrice »17. Celle-ci suppose que celui qui gagne les élections présidentielles sera en situation de gouverner comme il veut sans être limité par les rapports de pouvoirs (cela s’applique surtout au cas de la Roumanie, de la Croatie, de la Serbie, de l’Albanie – des régimes présidentiels).

Le président s’impose comme étant la personnification de la nation, donc le meilleur connaisseur de ses besoins. « La démocratie délégatrice n’est pas étrangère à la tradition démocratique. Elle est plus démocratique que la démocratie représentative mais moins libérale que celle-là. La démocratie délégatrice est fortement marquée par le règne de la majorité (…) la démocratie délégatrice est plus individualiste mais dans un sens plutôt hobbsien que lockien »18. Ce type de démocratie, très passionnelle et émotionnelle, favorise le développement du populisme -c’est par son discours unificateur et par l’emprise sur la société par un leader charismatique que le populisme utilise le système pour consolider son pouvoir.

Le registre nationaliste

Pour légitimer son discours, le populisme fait appel en Europe Centrale à l rhétorique nationaliste19. Le nationalisme a toujours été une donnée de base du discours politique dans cette partie de l’Europe ; la référence à l’histoire pour des nations issues des débris des grands empires à la fin du XIXe et au début du XXe siècles est une constante. Les moments clés de l’histoire sont fortement politisés. Il y a une évidente affinité élective entre le nationalisme et le populisme en Europe de l’Est ; leurs références sont communes : l’âge d’or, la victimisation d peuple, les martyrs du peuple, la grande trahison des élites cosmopolites, le mythe de la conspiration, le mythe de l’absolution – le leader populiste en tant que nouveau Messie20. C’est autour de cette mythologie construite premièrement comme structure d’un discours nationaliste mono identitaire que le populisme s’enracine

Le nationalisme est une constante dans le discours politique mais c’est seulement dans les mouvements populistes qu’il reçoi la force d’une doctrine guide. Le national populisme contemporain devient ainsi, au moins partiellement, l’héritier du discours national communiste. C’est dans cette perspective que la continuité du discours populiste regroupe à la fois des éléments du versant gauche et du versant droit du champ politique. Cela rend difficile la définition du national populisme comme mouvement de gauche ou de droite. Le choix de la légitimation par rapport à une image du passé provient du fait que les traditions offrent des certitudes tandis que le futur (référence qui se retrouve davantage parmi les thèmes du discours modernisateur) est toujours incertain. Parce que l’avenir est sombre, les seules certitudes disponibles sont l’enracinement ethnique et la religion -les deux éléments de base de la continuité21.

Le national populisme est non seulement un discours mais aussi un positionnement par rapport au politique sur des aspects différents en fonction de chaque mouvement. Plusieurs clivages qui peuvent être décelés dans l’essai de caractériser un type de mouvement populiste :

- Le clivage urbain et rural.

Le national populisme peut trouver ses bases électorales avec prédilection dans le milieu urbain ou dans le milieu rural. Les nouveaux types de nationalpopulismes en Europe Centrale font surtout appel à une population urbaine22 même si les références restent ancrées dans un discours qui fait référence à une Gemeinschaft idéalisée des populistes ruraux du début du siècle.

- Le clivage Anciens et Modernes.

Le populisme des anciens fait appel à une mobilisation épisodique des masses les plus déshéritées contre les couches privilégiées accusées d’être à l’origine de leur mal-être et d’en tirer profit. Le populisme des Modernes répond à la menace que les demi-nantis des classes moyennes ou salariés ressentent face aux concessions inacceptables qui sont faites aux plus démunis ou aux nécessités de l’avenir23.

Il est intéressant de souligner à ce sujet que malgré le poids important de populations paysannes en Europe Centrale, le message du nouveau populisme est davantage reçu par la classe urbaine. Cette classe urbaine est pourtant majoritairement d’origine rurale. Claude Karnoouh parlait à ce propos d’une « ruralisation des villes en extension urbaine rapide ». Ces anciens paysans venus de la campagne à la ville apportent avec eux un système de solidarité qui n’est plus retrouvable dans le nouveau monde.

- Le clivage gauche et droite.

Ce clivage est le plus difficile à tracer car le mouvement populiste se trouve le plus souvent à l’un des deux extrêmes tout en embrassant des éléments du discours contraire. Inglehart propose comme critère de caractérisation des mouvements populistes et des Verts (des mouvements plus modernes) le clivage gagnants et perdants de la modernité, les populistes étant plutôt les perdants de l modernité tandis que les Verts apparaissent comme les gagnants de celle-ci.

- Le clivage intellectuels et masse.

Ce clivage se superpose aussi à une logique Anciens – Modernes dans le sens où les mouvements populistes du début du siècle étaient dynamisés par des intellectuels et rassembler surtout des intellectuels conservateurs tandis que le populisme moderne s’inscrit dans la logique de la consommation étant une manifestation de la culture de masse.

A coté de ces clivages, nous pouvons construire cinq catégories de populisme en Europe Centrale pour nous guider dans notre analyse. Il y a ainsi :

- Un populisme du discours électoral qui, apparenté à la démagogie, essaie de mobiliser les masses afin de s’assurer une maximisation des scores électoraux ; il est perceptible chez une grande partie des partis présents sur l’échiquier politique de la région. Il est significatif de rappeler ici le cas de S. Timinsky en Pologne – un homme d’affaires qui possédait les citoyennetés canadienne, péruvienne et polonaise et qui propose que chaque Polonais imite son enrichissement personnel24.

- Un populisme de gouvernement – un populisme comme marque de l’usure politique – voir par exemple le cas du FIDESZ en Hongrie qui d’un parti des jeunes, libéral s’est transformé en un parti conservateur populiste.

- Un populisme d’opposition d’intégration – qui s’apparente au discours électoral, étant porteur d’une stratégie qui vise surtout le remplacement du pouvoir en place et non pas des changements par rapport à l’adhésion au modèle procédural démocratique.

- Un populisme d’opposition anti-système – dont le discours politique renvoie à une action politique déstabilisatrice à l’égard du système actuel, agressive, souvent xénophobe raciste et antisémite – voir le cas du PRM.

- Un populisme anarchique – de type ancien, « révolutionnaire » – voir le cas de Miron Cosma en Roumanie. Les mouvements populistes, tout comme les partis politiques, n’apparaissent pas sur un seul versant mais en combinent plusieurs. Les cinq types de populisme revêtent aussi des caractéristiques différentes d’un parti à l’autre. Ce nombre de combinaisons différentes qui peuvent être à la base des mouvements populistes rend intéressante l’analyse du cas roumain.

5. LE POPULISME ROUMAIN – RESURRECTION APRES 1989.

Après 1989, sur les décombres du communisme la Roumanie voit le discours populiste prendre un nouvel essor. Mû par une nostalgie de la sécurité et par des mythologies de disculpation, le champ politique roumain a trouvé dans le langage populiste un échafaudage structuré pour ses projets politiques. Le populisme offre au citoyen une identité palpable, facilement reconnaissable et assure la liaison avec le passé – le succès du populisme roumain s’explique aussi par le fait qu’il es une constante dans le paysage politique roumain depuis plus d’un siècle. La continuité avec les populismes anciens est un renfor pour sa base doctrinale.

Le populisme en Roumanie est une donnée qui puise ses origines loin dans le passé. Il commence sous la forme d’un populisme intellectuel, à la fin du XIXe siècle (un populisme idéaliste) – visant à conserver les valeurs locales, autochtones, le culte de la paysannerie comme source et gardienne des véritables valeurs du peuple. Une des premières manifestations du populisme se consolide autour de la révolte des paysans de 1907 sans que ceux ci aien des leaders marquants au niveau politique mais surtout au niveau littéraire. Il s’agit du groupe qui fonctionne autour de la revue « Samanatorul » – le poète George Cosbuc ( nomme l’aède de la paysannerie) en est la figure emblématique.

Ces manifestations ont une portée politique restreinte, émises par des intellectuels elles restent circonscrites à un cercle élitiste. Elles seront pourtant amplement utilisées par la propagande communiste dans son discours populiste.

Pourtant après la fin de la Première Guerre Mondiale, l’entrée du populisme dans la sphère politique se fait avec éclat dans la personne du Maréchal Averescu25 (Premier ministre en 1920-1921 et en 1926-1927). Son populisme ressemble a boulangisme français – c’est surtout sa popularité (dans un régime des notables), popularité due à la fois à son rôle dans la résistance contre l’armée allemande en 1916 et au fait que la loi agricole est adoptée dans sa forme finale sous son gouvernement qui lui offrira une aura populiste. Pourtant son succès est limité dans le temps, il va disparaître en silence de la scène politique roumaine.

Son apparition n’est pourtant pas due au hasard, elle correspond au moment où la Roumanie se consolide en tant que forme territoriale par la grande unification de 1918 . La période qui suit garde au niveau du politique un langage nationaliste avec de forts accents populistes (les tribuns principaux étant comme leurs appellation le montre le Parti National Démocrate mené par l’historien Nicolae Iorga, le parti National Chrétien mené par Octavian Goga – un poète transylvain dans la lignée de George Cosbuc- et Alexandru C. Cuza). Ces partis restent inscrits dans la logique des notables, offrant des discours intellectuels et réformateurs avec des forts accents nationalistes.

Une mutation importante qui s’opère avec le parti de A. C. Cuza – c’est l’apparition d’un antisémitisme et d’une xénophobie de plus en plus aiguë25 Premier ministre de la Roumanie en tant que représentant d Parti du Peuple, Averescu est un personnage controversé dans l’histoire du populisme – en tant que général, il participe activement aux actions contre la révolte des paysans de 1907 mais en même temps c’est lui qui se révèle pendant les dures épreuves de l’armée roumaine en 1916 (trois quarts du pays sous occupation allemande). Sa popularité naît avec la campagne victorieuse de résistance et puis de rejet des armées allemandes – il va créer d’ailleurs, pour l’utiliser comme capital politique – le Parti Populaire.

C’est dans ce contexte que fait son apparition Corneliu Zelea Codreanu, un des étudiants admirateurs de A. C Cuza. Le considérant trop modéré, Corneliu Zelea Codreanu va mettre sur pied une organisation populiste, d’extrême droite, xénophobe, anticapitaliste, antisémite, antidémocrate26 -La Ligue de l’Archange Mihail. Le discours de Codreanu, repris à sa mort par Horia Sima, était un discours populiste anti-système, rural (au centre de son discours trône le peuple, on assiste d’ailleurs en ce cas à des mises en scènes formidables – Codreanu habillé en paysan roumain, habit blanc, chevauchant un cheval blanc, allant de village en village, prêchant en véritable Sauveur du Peuple Roumain), de type ancien, d’extrême droite, xénophobe et antisémite -avec des accents très durs de violence (ce qui contredit tout esprit démocratique – les assassinats des premiers ministres I G Duca et Armand Calinescu ou de l’historien Nicole Iorga).

Arrivée au pouvoir sous le gouvernement autoritaire du maréchal Antonescu, la Ligue sera vite éloignée par le maréchal qui rejetait ses pratiques violentes. Il est intéressant de signaler que la Ligue était aussi un mouvement populiste très intellectuel (parmi ses adeptes plus ou moins déclarés, rappelons les noms de Nae Ionescu, le jeune Cioran, Mircea Eliade, Nichifor Crainc). Paradoxalement, l’héritier le plus fidèle du filon populiste légué par Codreanu et ses disciples est Nicolae Ceausescu qui reprend les grands mythes du peuple roumain – les Daces et les Romains, des princes mythiques de l’histoire roumaine (avec un accent particulier sur la figure de Michel le Brave, premier unificateur au XVII-e siècle des provinces roumaines), l’éloge du paysan roumain gardien des valeurs traditionnelles. L’adoption d’un nationalisme très aigu par Ceausescu s’inscrit dans la continuation de l’acte de 1968 quand il essaie de forger sa légitimité en tant que leader national communisme roumain.

Mais c’est à ce niveau que se produit la transformation essentielle pour l’évolution présente du populisme roumain ; i cesse d’être un populisme d’émanation intellectuelle, il est mené par des chefs mais il n’y a plus aucun lien entre cette élite (plutôt définie par rapport à des principes hiérarchiques et l’élite  » Au tournant des années 1930, la Roumanie n’est pas le seul pays d’Europe Orientale dont la majorité des citoyens rejettent le institutions empruntées à la tradition parlementaire occidentale. Ces formes politiques s’étaient en effet avérées impuissantes à résoudre des tensions sociales sans révolution économique et incapable de surmonter, dans le cadre d’un Etat tirant sa légitimité d’une version mono-ethniste de l’histoire, le contradictions entre légitimité et souveraineté engendrées par les conflits des nationalités ».

Il propose une homogénéisation sociale dans laquelle les différences verticales sont anéanties sous les coups de la terreur pour les remplacer par une organisation horizontale de la société – c’est dans cet égalitarisme promu en politique d’Etat que le populisme post-communiste va puiser sa force d’encadrement en manipulant cet acquis de la propagande communiste.

Pour utiliser une métaphore, nous pouvons affirmer que le populisme est descendu dans la rue, il n’est plus une émanation intellectuelle. Il garde ses éléments de continuation par rapport aux différentes formes de populisme que nous avons essayé d’esquisser brièvement tout en se déplaçant sur un autre registre – moins métaphysique et plus tellurique.

Les trois formes de populismes dans le paysage politique roumain post-décembriste

Le message populiste est présent dans tous les discours des partis politiques roumains après 1990, et ce pour des raisons électorales. C’est ce que nous avons appelé un populisme du discours électoral. Il y a également un discours populiste propre aux partis au pouvoir qui se décrivent comme réformateurs et démocrates. Il s’agit plutôt dans ces cas d’une « technique de séduction » 27 ou du symptôme d’une véritable usure du politique qui se veut surtout être une stratégie électorale28. Le nationalisme aussi est omniprésent dans le discours politique. Nous pouvons pourtant observer trois formations politiques qui pourraient davantage être encadrées dans un schéma populiste. Il s’agit du parti de Ion Iliescu (PDSR), le Parti de la Grande Roumanie (PRM) qui semble reprendre la doctrine de l’autoritarisme de type populiste d’entre les deux guerres mondiales et aussi le Parti de l’Union Nationale des Roumains (PUNR) qui a perdu sa figure emblématique Gheorghe Funar, maire de Cluj, victime des luttes internes du parti, exclu du parti en 1998 et intégrant ultérieurement les rangs du PRM. Ave l’éviction de Gh. Funar, le PUNR perd pas à pas de son emprise. Un quatrième mouvement, cette fois-ci non-institutionnalisé, qui a reçu de fortes connotations populistes , doit attirer notre attention

Il s’agit de la révolte des mineurs de janvier-février 1999 et leurs revendications populistes. Dans les trois cas étudiés, nous pouvons observer l’existence d’un fort message nationaliste que Alina Mungiu synthétise autour de quatre points essentiels. Premièrement, les Roumains sont un peuple de gens exceptionnellement doués qui ont survécu à une histoire dure sans l’aide de personne. Ensuite c’est à cause de cette survie qu’ils n’acceptent des leçons de personne quant à la construction de leur démocratie et de leur sort. Troisièmement, les organismes européens sont obligés d’intégrer la Roumanie car ce pays est d’essence européenne (« Par notre ancêtre Trajan nous sommes les ancêtres de l’Europe » affirmait avec un humour involontaire le dramaturge communiste et le directeur de la Télévision Roumaine, Paul Everac) sans que la Roumanie fasse le moindre effort pour aligner ses valeurs sur la civilisation européenne29. Enfin, tous ceux qui contestent les trois points sont vendus » aux étrangers et boycottent l’unité nationale de l’Etat roumain.

Les termes de ce nationalisme simplificateur et naïf ne s’inscrivent pas dans une continuité directe avec le nationalisme d’entre les deux guerres. Dans le deuxième cas, il s’agissait d’un nationalisme justifié par le fait que la Roumanie essayait de refaire une unité territoriale. Avant 1918 (l’unification avec la Bessarabie et la Transylvanie), la Roumanie était un pays homogène du point de vue ethnique et l’intégration deux territoires en 1918 avec de fortes minorités hongroises e russophones a transformé pas à pas le nationalisme romantique de la fin du XIX-e siècle en une forme plus brutale. Le nationalisme d’origine romantique disparaît avec le mouvement de la Garde de Fer et quitte définitivement la scène politique roumaine avec l’apparition du national communisme roumain.

C’est plutôt dans cette nouvelle direction que se situe le nationalisme contemporain des mouvements populistes roumains. C’est un nationalisme agressif et plus fermé, moins basé sur un débat intellectuel et plus ancré au niveau des masses. La « descente » du populisme du niveau des élites vers les masses fut accompagnée du même déplacement au niveau du nationalisme. Le nationalisme clamé par les élites politiques au début du siècle était une démarche stratégique qui se proposait par le biais des thèmes nationalistes de créer une identité roumaine. Le nationalisme actuel tient davantage d’une perception émotionnelle / passionnelle du politique – le mythe de la conspiration et surtout la manipulation d’une éventuelle perte de la Transylvanie sont des stratégies politiques qui se fondent sur un registre différent – plus agressif, plus fermé sur soi-même, plus populiste, plus anarchique et surtout moins constructif.

Le national populisme de Ion Iliescu – d’un populisme agressif à un populisme d’opposition intégrateur Président de la Roumanie après 1989 jusqu’en 1996, Ion Iliescu puise sa légitimité dans la Révolution – il est oint par la Révolution. Ancien membre du Parti Communiste, dans les années 1970 l’héritier présupposé de Ceausescu, dès son premier discours, Ion Iliescu refuse de condamner d’une manière ouverte le communisme. Si l’on essaye d’analyser son discours politique, son mode de gestion du politique, on y décèle des éléments de continuité par rapport au passé – d’ailleurs le passé représente une clé d’interprétation de son message. Il prêche ainsi la réconciliation nationale par le biais d’une revalorisation positive du communisme (« les bons côtés » du régime passé) et par l’oubli des points noirs de celui-ci. C’est ce message de déresponsabilisation par rapport au passé qui lui donne l’appui d’un électorat formé par les quelques 3 millions membres du PC et de leurs familles qui se voient ainsi rassurés. Un véritable marché politique s’établit – le refus de la condamnation ouverte du passé, l’institutionnalisation d’une non-culpabilité collective libèrent des angoisses une partie de la population en lui apportant, en échange, le renforcement de sa position dans les préférences de l’électorat.

La sympathie qu’il fait naître parmi les électeurs est renforcée par son aspect jovial, le sourire qu’il affiche régulièrement, sa manière très populaire de se vêtir (à la différence de Ion Ratiu30 qui apparaît toujours habillé en costume de très bonne qualité et avec nœud papillon). Il cultive ainsi au-delà de son image révolutionnaire, une image très familière, très protectrice qui ressemble au père – le paternalisme est une constante dans le paysage politique moderne de la Roumanie. Il mélange ainsi une attitude populiste (identification complète avec les intérêts du peuple et don le seul représentant légitime de celui-ci) avec la déresponsabilisation qui va de pair avec le paternalisme. Ce mélange aboutit au remplacement du mauvais père -Ceausescu avec le bon père – Ion Iliescu31.

Malgré l’institutionnalisation des pratiques de gestion démocratique du pouvoir (annonce des élections libres, organisation des partis politiques, premiers procès des leaders communistes etc.), au niveau pratique, le groupe qui se forme autour de Ion Iliescu applique, jusqu’en 1992, une gestion du politique avec des forts accents autoritaires – et cela surtout dans les rapports avec l’opposition et avec la minorité magyare. Le recours à un discours nationaliste se fait dans un contexte encore très proche temporellement et mentalement de la révolte de Timisoara de décembre 1989 qui avait été au contraire l’exemple d’une coopération interethnique. L’incident lié initialement au pasteur Tokes est le catalyseur d’une véritable fraternité anticommuniste entre la population roumaine et les minorités serbes et hongroises de Timisoara. L’explication de ce changement de positions est offerte par la contestation de la légitimité révolutionnaire du leader du Conseil Pour l’Union Nationale – dans cette situation il régit en attaquant ceux qui l’accusaient d’avoir organisé en décembre un coup d’Etat et le moyen utilisé est la théorie de la conspiration.

Comme Ceausescu autrefois, Ion Iliescu condamne l’irrédentisme hongrois qui désire la séparation de la Transylvanie. Il offre ainsi aux Roumains une nouvelle occasion de cohésion pour défendre le pays. Au centre de cet appel qu’il lance en intensifiant l’ampleur du conflit se trouve la tentative d’imposer une identification entre les intérêts des Roumains et sa personne, garante de ces intérêts. Suite aux appels de Ion Iliescu et, comme ce sera prouvé plus tard, l’immixtion des services de sécurité, c’est une véritable guerre civile qui est ainsi mise en scène à Targu Mures32. Cette mise en scène est structurée par un message qui regroupe à la fois la haine anti-hongroise et le recours à la violence non punie, mais même acclamée. Lors des événements de Targu Mures le pouvoir de Bucarest alimente ainsi les tensions ethniques existant entre une population roumaine

Alina Mungiu trouve sa traduction concrète en 1996 quand Emil Constantinescu gagne les élections en abandonnant le discours élitiste pour un discours aux inflexions populistes et en posant en père du peuple. D’ailleurs, l’image utilisée dans sa campagne électorale en 1996 jouait sur une ressemblance avec le prince Alexandru Ioan Cuza (un des personnages de référence dans l’histoire du populisme et de paternalisme roumain amplement, utilisé par la propagande communiste).32

Une ville de Transylvanie à population majoritairement hongroise, qui en mars 1990 a été la scène d’un conflit ouvert entre les Roumains et la minorité hongroise (majoritaire dans cette région), a été alimenté par la télévision roumaine, par des messages populistes de type alarmiste qui annonçaient une éventuelle perte de la Transylvanie. Cet épisode annonçait indirectement la campagne électorale de mai 1990 où va résonner le même type de slogans nationalistes et populistes minoritaire dans une région peuplée à parfois plus de 90% par la minorité hongroise. Ce que l’on présente à la télévision nationale, c’est l’image d’une guerre violente (images des Roumains battus avec violence par des membres de la minorité hongroise alimentée par l’opposition manichéenne typique des discours autoritaires nous (les Roumains) – les bons contre eux (les Hongrois) – les mauvais.

Suite à ce conflit, Iliescu sort couronné comme protecteur des intérêts des Roumains et sa légitimité partiellement froissée par des informations sur un coup d’Etat qui avait eu lieu en décembre se renforce ainsi par le biais de ce message nationaliste, très virulent et violent à la fois. A l’issu de ce conflit manipulé par les services secrets roumains, le régime de Ion Iliescu réussit à remplacer la solidarité nationale anticommuniste par une solidarité roumaine anti hongroise et la valorisation du thème de l’unité nationale, du consensus national. Après 1990 et surtout lors des élections de 1992, le monopole de la question nationale sera partagé également avec des partis plus extrémistes comme le PRM et le PUNR

Le succès lors des élections de mai 1990 du groupe de Ion Iliescu s’explique par l’adoption d’un discours qui renforce le sentiment de sécurité des gens en promettant une stratégie de réforme lente et en garantissant le maintien des anciens privilèges (subventions des prix énergétiques, des prix alimentaires, le maintien du taux de chômage dans des limites très basses etc.). Ce message a davantage été reçu par les électeurs vu les différences qui le distingue des messages des partis historiques, plus attachés à l’idée de justice morale et donc de condamnation du communisme, favorables à la rétrocession des propriétés nationalisées par le régime communiste, à une thérapie de choc etc.

Après les élections de mai 1990, confrontée à une contestation ouverte de la part de l’opposition, l’agressivité du pouvoir élu se déplace du niveau verbal au niveau pratique. C’est le début d’une continuité évidente par rapport au passé, articulée autour d’une répression violente de la contestation, de l’utilisation d’un langage agressif à l’adresse des protestataires, de la critique de toute légitimité d’une contestation calme de la légitimité du pouvoir en place, de l’appel aux classes ouvrières contre les intellectuels protestataires.

La gestion de la manifestation protestataire dont l’enjeu principal était la légitimité de Ion Iliescu lui-même, manifestation qui secoue la capitale pour plusieurs mois, prouve plutôt une continuation par rapport à l’ancien régime qu’un avancement vers ce que l’on clamait en utilisant une nouvelle langue de bois – la démocratisation, l’économie de marché, les libertés individuelles. Ion Iliescu dans un discours télévisé condamne cette manifestation, selon lui menée par des golani (vagabonds). Il utilise aussi l’image, déjà utilisée par les communistes, d’une rébellion de la Garde de Fer qui risque de détruire l’Etat. Le choc provoqué par cette déclaration télévisée s’explique par le fait que la même affirmation avait été utilisée par Ceausescu pour condamner le soulèvement de Timisoara – le mot utilisé était hooligans mais la signification était la même. En plus, les journaux du pouvoir lancent les mêmes imprécations sur l’implication des irrédentistes magyars et des services d’espionnage étrangers dans cette manifestation. Il se crée ainsi un au sein de la population sentiment de mépris et de haine envers ces jeunes manifestants (en grande partie des étudiants).

La venue des mineurs « restauratrice d’ordre » (telle qu’elle es annoncée par le président Iliescu) le 13 et le 14 juin 1990 est ainsi accompagnée par les applaudissements de la part de la population bucarestoise. Il ne s’agit donc pas donc pas uniquement d’une continuation des pratiques de gestion violentes dirigées vers l’opposition de la part du pouvoir mais surtout de l’instauration d’un équilibre entre les valeurs des émetteurs de ce type de politique et la population qui les accepte et comme légitimes et comme justes.

Le mois de septembre 1991 va fournir un autre exemple qui plaide en faveur d’une utilisation consciente de la violence pour anéantir toute forme d’opposition par le pouvoir en place. Cette fois-ci la violence est réorientée vers l’intérieur même du FSN ; il s ‘agit du fait que les luttes internes à l’intérieur du FSN sont résolues par la force comme jadis au temps des épurations politiques. Devenu une menace pour Ion Iliescu à cause de sa popularité croissante et surtout à cause de ses bonnes relations à l’étranger, Petre Roman connaît la disgrâce lors de la deuxième invasion de Bucarest par les mineurs en septembre 1992. Cette fois-ci, leur arrivée dans la capitale est due à la hausse des pris et la recherche d’un bouc émissaire. Petre Roman sera donc celui-ci ! Sa démission lui est a lieu lors le siège du gouvernement par les mineurs et est sur le champ acceptée Ion Iliescu malgré les protestations ultérieures de Petre Roman. La violence et les pratiques non- démocratiques sont rencontrées ainsi non pas seulement contre l’opposition mais aussi contre les pôles trop indépendantistes de l’intérieur du parti, comme c’était le cas de Petre Roman.

Le mouvement national – populiste de Ion Iliescu se construit sur un versant urbain et à la fois rural33, c’est un populisme de gauche, c’est un populisme des Anciens, plutôt plébéien qu’intellectuel Le national -populisme de Ion Iliescu commence sous la forme d’un populisme agressif qui sans être anti-système se déclarait pour une troisième voie de la démocratie adaptée aux conditions spécifiques de la Roumanie. Il évolue pourtant vers un populisme d’intégration – l’exemple le plus clair étant l’acceptation de l’alternance en 1996. Malgré sa transformation partielle, il garde des éléments de discours contestataires face au fonctionnement de la démocratie et propose des solutions de troisième voie sous la forme « démocratie participative (…) le déplacement du centre d’activité vers le citoyen (…)le contrôle citoyen sur les institutions et les élus (…) le citoyen non pas seulement comme un objet mais surtout comme sujet de la vie politique « 34.

Le discours de Ion Iliescu reste marqué par une forte logique de collectivité », il critique l’individualisme « agressif d’aujourd’hui qui avec les phénomènes de frustration, d’aliénation et de marginalisation (…) alimentent la difficulté de la construction sociale »35. Ion Iliescu appuie ainsi son discours sur le combat contre la pauvreté « l’arrêt du processus de paupérisation de la population par la hausse des revenus et du pouvoir d’achat, la réduction des impôts et des taxes payées par le citoyen »36. Prolongeant la logique populiste, l discours de Ion Iliescu apparaît comme une présentation détaillée appuyée par des arguments statistiques très bien documentés des défauts des gouvernements d’après 1996 en proposant comme solution « la relance de l’économie sur une base moderne et efficace (…) Cela ne peut pourtant pas être obtenu par la liquidation sans raisonnement de la base productive. Ce n’est pas de cette manière que l’on peut promouvoir la restructuration et la modernisation de l’industrie et de l’économie nationale dans son ensemble »37. Le caractère des solutions proposées est simpliste et simplificateur – des solutions avec accomplissement rapide e surtout garantissant une amélioration complète de la situation.

Le caractère nationaliste continue de représenter une constante dans le sens que le PDSR et Ion Iliescu critiquent à chaque reprise l’association au gouvernement de l’UDMR (le parti de la minorité magyare) – « la coalition gouvernementale et le gouvernement ont fait une erreur tragique en cédant à des revendications irrationnelles et même aberrantes de la direction de l’UDMR (…) personnellement j’ai averti (…) qu’il ne faut pa jouer à ce jeu-là et il ne faut pas accepter des transactions politiciennes sur des questions qui touchent l’intérêt national »38. Le nationalisme de Ion Iliescu s’inscrit dans la même logique de simplification car en réalité, le gouvernement en place a montré peu d’ouverture pour les revendications essentielles de l’UDMR – la loi de l’enseignement dans la langue maternelle et surtout la recréation de l’Université Magyare.

Le discours de Ion Iliescu continue à faire appel à une idée de rassemblement autour de la réconciliation nationale – il affirme « que l’on ne peut pas gouverner au no d’une minorité qui revendique 50 ha de terres ou de forêts ou bien l’autonomie sur des critères ethniques, ou la restauration de la monarchie, en dédaignant les besoins et les nécessités de la grande majorité des Roumains »39. Par ces affirmations, la tonalité du discours populiste de Ion Iliescu revient sur le principe de l’identification à la grande majorité de la population, avec ses intérêts et condamne un gouvernement élitiste qui ignore les véritables problèmes de la société. Il opère ainsi une schématisation de la société politique. D’un côté, un groupe de type clan qui représente les intérêts d’une minorité qui rappelle l’exploitation de la société paysanne et ouvrière par la classe bourgeoise et aristocratique qui avait caractérisé la Roumanie d’avant 1945 dans le discours communiste. De l’autre côté, la volonté générale -les intérêts de la population. Iliescu apparaît ainsi comme l défenseur de la grande majorité contre l’élitisme inégalitaire, possible restaurateur des anciens privilèges (voir surtout la monarchie).

La politique de l’actuel exécutif est considérée « anti-populaire et antinationale », elle a mené au « sabotage de l’économie nationale et à la paupérisation dramatique de la population en facilitant l’enrichissement frauduleux d’une minorité politique, clientèle politique des forces au pouvoir »40. Son discours s’articule donc autour d’une thématique qui rassemble la critique de l’actuelle corruption politique41, la critique du caractère antinational et anti-populaire de l’actuelle politique, des éléments nationalistes. On y retrouve les caractéristiques du populisme que nous avons décrites dans la première partie – le registre nationaliste, les solutions simplistes, la critique du fonctionnement des institutions de l’Etat trop lointaines du citoyen ordinaire.

Il faut pourtant souligner l’attachement de Ion Iliescu et de son parti à la démocratie comme modèle procédural de gestion de la vie politique. Tenant compte de cela, le populisme qui le caractérise apparaît donc davantage comme un populisme social42 – la mobilité sociale descendante favorisée par les hésitations de la réforme économique est le noyau de son discours.

Ce qui transforme le populisme de Ion Iliescu en populisme social intégrateur c’est surtout l’abandon de la perception de la politique comme une guerre, l’opposant n’est plus l’ennemi privé43. En même temps, il a refusé toute collaboration après 1996 avec le PRM et il a récemment été accepté comme membre à part entière du Groupe Socialiste de l’assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe. Son populisme n’est donc plus une entrave à l’établissement de contacts avec le monde socialiste européen (toutes les demandes de collaboration avec l’Internationale Socialiste antérieures à 1999 avaient été refusées).

Le national populisme de Corneliu Vadim Tudor Comme dans le cas du national populisme de Ion Iliescu, Corneliu Vadim Tudor est le leader unificateur de son mouvement – le Parti de la Grande Roumanie (PRM) n’est que l’image institutionnalisée du grand gourou qui est C V Tudor. Bien qu’associé au gouvernement dans les dernières années du gouvernement de Nicolae Vacaroiu – PDSR, le PRM et son leaders restent des exemples classiques d’un mouvement populiste antisystème – Vadim Tudor reprend la rhétorique classique de Corneliu Codreanu et du maréchal Antonescu. Il opère un mélange entre un culte des dictateurs Ceausescu, le national communisme et une sympathie manifeste pour le populisme autoritaire d’avant 1945.

Sa base électorale est plutôt formée de classes moyennes, d’anciens membres de parti (CV Tudor étant un des aèdes de la cour de Ceausescu) ; son mouvement est plutôt urbain e plébéien. Il adopte pourtant le plus souvent un langage xénophobe avec un fort accen raciste et antisémite récupéré directement du programme de la Ligue sous Horia Sima (chef du mouvement au moment de sa radicalisation et de son rapprochement effectif de Hitler), d’où la difficulté de classement dans un champ gauche ou droit de la politique.

Le mythe de la conspiration juive et capitaliste occupe une place importante dans le discours souvent vulgaire adopté par CV Tudor dans les pages de son hebdomadaire, « Romania Mare ».

Dans cette période de crise économique qui touche la Roumanie depuis plusieurs mois, les sondages accordent à Vadim Tudor entre 8% et 15% aux présidentielles (la troisième, quatrième position) et un score de 7% à son parti. Son gain électoral s’explique par l’agressivité de son discours, la brutalité de son langage, les solutions simplistes et autoritaires qu’il propose, le côté sécurisant d’un régime autoritaire qu’il envisage Son soutien électoral a augmenté par l’approbation explicite accordée aux manifestations des mineurs du début de l’an 1999 – la presse roumaine a considéré que les mineurs ont changé de maître, de Ion Iliescu à Vadim Tudor.

Apparu sur la scène politique roumaine en 1991, le parti PRM s’est fait remarquer par les positions radicales adoptées par son leader dans les pages de l’hebdomadaire « Romania Mare ». Le caractère radical et accusateur de ce journal atteint son apogée en 1998 quand l’on assiste à une véritable offensive contre le pouvoir en place – la dénigration fait la une de l’hebdomadaire. Ainsi, une première victime est le présiden Constantinescu qui est accusé d’avoir une relation avec une jeune actrice roumaine Rona Hartner – la base des accusations est un prétendu journal de la jeune actrice qui s’avère être faux. Le point culminant est pourtant touché par le leader du PRM quand il s’implique directement dans les contestations des mineurs de janvier – février 1999 -cette fois-ci, Vadim Tudor adopte ouvertement un discours qui suppose l’anéantissement de l’ordre de l’Etat essayant avec l’aide de la masse des mineurs de s’emparer du pouvoir Son discours regroupe à la fois prétendue grande moralité e aussi une grande immoralité verbale quant à ses opposants (décrits comme ennemis mortels et non pas comme concurrents). C’est à partir des événements ci-dessus mentionnés que commence la mise à l’écart dans le paysage politique roumain du PRM et de son leader. Le PRM est menacé d’une mise hors la loi et déjà l’immunité parlementaire de C V Tudor a été levée et plusieurs procès de diffamation se déroulent en ce moment ayant comme principal accusé – C V Tudor.

Le populisme de C V Tudor opère la même identification avec les intérêts du peuple contre la clique élitiste au pouvoir, il se veut le chantre de la Roumanité du pays en proposant la protection des intérêts économiques et politiques de la Roumanie. Dans les papiers du parti, les mots pays e patrie sont écrits avec des majuscules. Un des objectifs majeurs dans cette logique est de refaire la grande Roumanie (avec la Bucovine et la Bessarabie) condamnant ainsi les traités de bon voisinage conclus avec la Hongrie, la Moldavie et l’Ukraine – les territoires abandonnés par le régime Constantinescu sont ainsi plaints.

Corneliu Vadim Tudor critique la collaboration avec l’UDMR qui selon ses propos devrait être mise hors la loi à cause de son discours ségrégationniste. Ce ne sont pas seulement les Hongrois qui sont identifiés comme les Ennemis mais aussi les Gitans et les Juifs. Le PRM a proposé à plusieurs reprises la création d’un Comité National pour la Recherche des Activités Antiroumaines. Tout son nationalisme aux accents racistes évidents est doublé en intensité par l’appui ouvert à un discours de type autoritaire qui est justifié par l’arrêt du chaos Les maladies du peuple roumain, qui doivent être éradiquées, sont la corruption et l’anarchie. Ce sont des thèmes de base d’un discours socialisant e sécurisant de type populiste qui suppose le recours à la force comme garant de l’ordre.

Le populisme de Vadim Tudor apparaît ainsi comme étant un populisme qui adopte un discours très violent. Il clame proclame son identification aux intérêts du peuple roumain, les autres sont les agents de l’Etranger qui visent l’anéantissement du peuple roumain. La théorie de la conspiration internationale et la victimisation de la Roumanie sont des éléments structurants de son discours politique. Par opposition à Ion Iliescu, le populisme de Vadim Tudor est nettement anti-système – il prêche une troisième voix qui est surtout celle d’un autoritarisme xénophobe, raciste et antisémite.

C’est un populisme qui reprend le côté communautaire de la gauche en y ajoutant le discours classique de l’extrême droite – la xénophobie, le racisme, l’antisémitisme, la violence. Il s’agit donc d’un populisme anti-système, de masse. C’est un populisme qui s’inscrit dans la continuation du populisme autoritaire de la Garde de Fer d’entre les deux guerres mondiales. Sa violence, son caractère antidémocratique l’isole dans le paysage politique roumain malgré le fait que le PRM pourrait occuper une confortable quatrième place aux prochaines élections tant au niveau législatif qu’aux présidentielles. Il représente une véritable menace pour la démocratie roumaine et la rupture par rapport au passé confirmée par l’alternance de 1996 pourrait devenir caduque.

L’anarchismedes mineurs.

Nous avons essayé de montrer que le populisme connaît une grande ampleur dans toute l’Europe de l’Est à cause de la généralisation de la pauvreté, de l’augmentation du chômage, à cause de la perte de la sécurité. La réforme économique fait des victimes qui sont une proie facile pour des leaders charismatiques comme c’est le cas de Miron Cosma. Leader syndical des mineurs de Valea Jiului, Miron Cosma a conduit les mineurs à Bucarest en 1990 et 1991 – pour le deuxième cas il est condamné actuellement à 19 ans de prison. Il est l’exemple typique du meneur -utilisant son charisme il mobilise en janvier 1999 ses mineurs dans une marche destructrice vers la capitale pour arrêter la fermeture des mines (donc le chômage pour des ouvriers faiblement qualifiés et avec peu de chance de reconversion).

La venue des mineurs à Bucarest rappelle les violences de Piata Universitatii (les victimes étudiantes de la « zone libre de communisme ») et celles de 1991 qui ont fait tomber le gouvernement Roman. Leurs demandes s’inscrivent dans la logique simplificatrice « d’arrêter la destruction du pays par la réforme », d’arrêter de suivre la politique du FMI e de suivre les intérêts du pays (point commun avec le PDSR et avec le PRM).

Ce type de populisme est un populisme anarchique, plébéien, moins national et plus classiste, ayant des revendications de gauche, ayant recours à des pratiques violentes et rejetant la pratique du compris pacifique. Il est le produit de la quête de sécurité d’une classe sociale anciennement privilégiée qui tend à perdre sa position. Il apparaît ainsi comme une volonté de revenir en arrière vers un état de sécurité et de confort matériel – c’est en profitant de ces idées, que la marche des mineurs est reprise en main par C.V. Tudor qui profitant de la faiblesse de l’Etat envisage un coup d’Etat.

Le contexte qui alimente ce type de populisme est celui de la résistance aux efforts du gouvernement d’accélérer la réforme économique et le moyen utilisé est la violence, l’agression à la fois physique et verbale. Ce populisme ne reste pas limité au niveau du discours mais contribue ouvertement à l’accentuation de la faiblesse de l’Etat et alimente la crise de celui-ci. Ils sont des éléments anarchiques et agressifs qui visent un retour à des formes de gestion autoritaires du pouvoir.

6. CONCLUSIONS.

Dans les trois cas présentés, c’est la consolidation démocratique qui alimente indirectement le discours Ces types de discours populiste offrent de nouvelles formes de socialisation et font appel à une simplification des solutions envisageables pour atténuer la crise économique et diminuer ses effets pervers C’est cet aspect de socialisation qui justifie leur emprise sur le public. Mais ce sont des mouvements très vulnérables à la disparition de leur leader – leur existence sur la scène politique est due à ces personnages charismatiques (voir le calme des mineurs chaque fois que Miron Cosma est en prison et leur violence une fois qu’il est libre de mener ses discours enflammés).

Les trois mouvements adoptent des positions différentes par rapport aux discours populistes classiques – le discours nationaliste de Ceausescu est pourtant un point commun (surtout en ce qui concerne l’aspect égalitariste et sécurisant) et pour le reste ils opèrent des mélanges entre des thèmes du populisme intellectuel de la fin du siècle passé et un populisme plébéien de souche communiste.

Le caractère plébéien de ces mouvements est accentué par le fait que « paradoxalement, ce ne sont pas les anciennes élites communistes qui ont adhéré à cette idéologie populiste mais un segment important des masses (35%) qui bénéficient de ressources insuffisantes pour faire face à la transition.44 » Nous pouvons ainsi conclure que plus la gravité des problèmes sociaux locaux est aiguë, plus l’adoption d’une attitude conservatrice par rapport à la réforme est envisageable – rejet des changements liés à l’économie de marché et à la démocratie. Ce public est davantage un auditoire favorable aux mouvements populistes s’il est localisé dans des petites et moyennes villes que dans les grandes villes. Il est donc plus probable que les femmes et les vieux seraient plus ouverts à une position conservatrice et adopteraient un langage populiste45.

Ces trois types de populisme se construisent autour de leaders charismatiques, censés être les porteurs d’un certain caractère thaumaturge qui ne s’exerce plus comme dans les analyses de Marc Bloch sur des hommes mais surtout sur des choses impersonnelles – ils sont les possesseurs d’un talent de guérison de la société en crise. Les formules qu’ils proposent sont très simplistes car ils prétendent possèder le don de trouver la Solution. La simplicité de leurs solutions est un attribut qui apparaît comme une conséquence de la complexité de leurs pouvoirs. Pour renforcer leur légitimité, ces leaders font appel au registre nationaliste. Le nationalisme n’est plus utilisé comme au début du siècle comme une base (créant l’unité) pour ériger la construction de la modernité mais se justifie afin de contourner la transformation – changer afin que rien ne change. Le mélange de nationalisme et de populisme intègre deux discours conservateurs, réactionnaires même qui sont alimentés par la crise engendrée par les réformes.

Produit de la crise, le national populisme devient une véritable menace pour la consolidation démocratique des pays en Europe de l’Est – le cas de la Roumanie présente beaucoup d’intérêt par la diversité des mouvements populistes et aussi le fait que ces mouvements enregistrent une progression spectaculaire dans les derniers sondages d’opinion. Le national populisme est surtout un short-cut qui se propose d’éviter des transformations politiques, économiques et sociales radicales, il est un spéculateur des effets pervers que la démocratisation implique. Il y a ainsi un populisme qui bien qu’alimenté par les difficultés que la transition économique engendre, a tendance à intégrer le système comme c’est le cas du parti de Ion Iliescu46. Ce type de populisme tout comme le populisme électoral ou celui de gouvernement ne porte aucun danger à la consolidation démocratique à l’Est. Les populismes de types anti-système déclarés, tels ceux du PRM qui est un des populismes institutionnalisés sous la forme d’un parti ou le populisme non institutionnalisé du mouvement anarchique de Miron Cosma, représentent en revanche des menaces pour la stabilité démocratique par leur penchant pour la violence et l’agressivité.

Notes :

1. Samuel Huntington – « The Third wave. Democratization in the Late Twentieth Century », University of Oklahoma Press, Norman, 1991 -inclut la situation la chute du communisme en Europe de l’Est dans ce qu’il appelle la troisième vague de démocratisation dont le début est marqué par la Révolution de Oeillets de Portugal en 1974.

2. Il y a une longue tradition du national populisme en Europe Centrale qui remonte à la fin du XIX-e siècle. Par exemple en Pologne avec Jan Stapinski, il y avait aussi J. Pilsudski etc. On retrouve ensuite des éléments de populisme dans le discours de S. Timinsky et de Lech Walesa de nos jours.

3. Vladimir Tismaneanu, Reinventarea politicului. Europa Rasariteana de la Stalin la Havel », Polirom, Iasi, 1997, p. -18.

4. Idem, p. 18

5. Attila Agh, The Politics of Central Europe », Sage Publications, London, Thousand Oaks – New Delhi, 1998, p. 7 6R. E. Lane, Losing touch in a Democracy/ Demands versus Needs, in « Elitism, Populism and Europen Politics », Jack Hayward (ed), Clarendon Oxford Press, Oxford, 1996, p. 33-66.

7. Le cas de la Pologne est très significatif à cet égard – le taux d’absentéisme est passé de 37,68% en 1989 à 56, 80% lors des premières élections complètement libres de 1991 et ensuite une baisse jusqu’à 47,49% en 1993 touche en 1997 les 52,1%. Données citées par Attila Agh, op.cit., p. 103

8. Diane Ethier, Le paradoxe est-européen. Attachement et insatisfaction envers la démocratie, in Transitions – Ex-Revue des Pays de l’Est », vol. XXXIX, 2/1998, p. 5-27. La conclusion de l’analyse à laquelle Diane Ethier procède en suivant les données des Eurobaromètres de l’Europe Centrale et Orientale est que  » l’indice de satisfaction par rapport à la démocratie est resté négatif ou très négatif dans tous les pays ce qui signifie qu’une majorité plus ou moins importante des citoyens s’est montrée relativement ou très insatisfaite du fonctionnement de la démocratie pendant les six ans qui ont succédé à la chute des régimes communistes ».

9. Guy Hermet, Le passage à la démocratie », Presses de la Fondation Nationale de Sciences Politiques, Paris, 1996, p. 10

10. Alain Touraine, La parole et le sang. Politique et société en Amérique Latine », Editions Odile Jacob, Paris, 1988, p. 16

11. Le taux annuel de l’inflation en Roumanie par exemple passe ainsi de 5,1% en 1990 à 170,2% en 1991 à 256% en 1993 tandis que le taux de croissance du PIB est de – 5,6 en 1990 à -12,9% en 1991 à – 8,8% en 1993. Le taux du chômage passe de 3% en 1990 à 10,9% en 1994 11,5% en 1999. (données disponibles dans la Stratégie Nationale de Développement de la Roumanie – données BNR)

12. Vaclav Havel , Conférence du 22 avril 1993 à l’Université George Washington, in Vaclav Havel & Joseph Brodsky, « Le cauchemar du monde post-communiste », Anatolia, Paris, 1994, p. 1

13. P. A. Taguieff, Le populisme et la science politique, in Le Vingtième Siècle », nr. 56, octobre-décembre 1997, p. 4-34.

14. Tom Mackie, Parties and Election. , in « Governing the New Europe », Jack Hayward and Edward Page (eds), Oxford Polity Press, 1995 cité par Jack Hayward, The Populist challange to Elitist Democracy in Europ, in Elitism,« Populism and European Politics », Clarendon Press, Oxford, 1996, p. 2

15. Serge Moscovici ,« L’Age des Foules : un traité historique de la psychologie des masses », Editions Complexes, Paris, 1991

16. Daniel Barbu, Sapte teme de politica romaneasca », Antet, Bucuresti,1997, p. 94

17. G. O’Donnell ,Democratia delegativa, in « Polis », nr. 3, 1994, p. 76-77.

18. Idem, p. 77

19. Istvan Bibo ,« La misère des petits Etats de l’Europe de l’Est », Bibliothèque Albin Michel -Idées, Paris, 1993, p33-34 :  » Dans ces pays, la constitution d cadre national moderne n’exigeait pas seulement la naissance de mouvements politiques et de démocratisation interne, elle aurait aussi exigé des remaniements territoriaux ». C’est un des facteurs qui permet de comprendre la diminution du contenu démocratique qui est éclipsé par la clause du cadre national. Tout fait références aux blessures de l’histoire.

20. Raul Girardet, « Mituri si mitologii politice », Institutul European, 199

21. Georges Balandier Georges, Tradition et continuité, in « Sociologie », vol XLIV -1968, p. 1-12 22

24. J-M De Waele, L’émergence des partis politiques en Europe Centrale », Institut de Sociologie, Histoire, économie, société – Editions de l’Université de Bruxelles, Bruxelles, 199

26. A ce propos, Claude Karnoouh affirmait (Claude Karnoouh, Esquisse d’une histoire sociale, politique et culturelle de la Roumanie moderne, in « Transitions. Ex-revue des pays de l’Est », p. 5 -42, vol. XXXVI, nr 1&2, 1995, p. 19) :

27. Guy Hermet ,« La trahison démocratique. Populistes, républicains et démocrates », Flammarion, Paris, 1998, p. 2

28. Minimiser les effets négatifs de la réforme par un discours intégrateur et mobilisateur de type populiste.

29. Alina Mungiu , « Romanii dupa 89, istoria unei neintelegeri », Humanitas, Bucuresti, 1995, p. 4

30. Candidat à présidence en 1990 de la part du Parti National Paysan Chrétien Démocrate- PNTCD.

31. Gallagher Tom,« Romania after Ceausescu », Edinburgh University Press, 1995, p. 101. A ce propos, Alina Mungiu (op.cit., p. 142) considère qu’une des préoccupations constantes de l’opposition sera d’essayer de trouver un contre candidat pour cette image de président – père de Ion Iliescu. L’affirmation de Référence : SOARE, Sorina, « Le national-populisme en Roumanie après 1989 », Les Cahiers du Cevipol, Vol. 2000, n°2, 26 p.

33. Avec la baisse du niveau de vie dans les dernières années, l’électorat de Ion Iliescu retrouve le côté urbain qui avait voté pour le changement en 1996 Il y a donc des allés et des retours entre les deux versants de ce clivage.

34. Ion Iliescu, Partidul Democratiei Sociale din Romania – promotor al democratiei participative, le 25 février 2000 – texte présenté sur www.pdsr.ro.

35. Idem

36. Strategia PDSR privind dezvoltarea economica-sociala a Romaniei pe termen mediu, www.pdsr.ro

37. La déclaration politique de M. Ion Iliescu, Président d Part de la Démocratie Sociale de Roumanie, au Sénat de la Roumanie, le 22 septembre 1997, in Optiunea PDSR, « Schimbarea Schimbarii », septembre 1997, p.

38. Idem, p.

39. Idem, p.3

40. Ion Iliescu, Cuvant inainte, Democratia Sociala nr. 3/ 1999

41. D’autant plus significative que le PDSR et Ion Iliescu sont actuellement accusés de s’être soustraits au paiement de taxes douanières pour des affiches électorales en 1996 et en même temps, la presse a longuement débattu de l’intention du président Iliescu d’établir un fil rouge avec le Kremlin – en ironisant ainsi sur son attachement pour les intérêts nationaux de Ion Iliescu.

42. Atilla Agh, op.cit., p. 66-69

43. Carl Schmitt, La notion de politique. Théorie du partisan », Calmann Lévy, Paris, 1989, p. 67-68

44. Dumitru Sandru , « Sociologia tranzitiei », Staff, Bucuresti, p. 2

45. idem, p. 37

46. Il n’est plus isolé sur la scène politique roumaine, par contre il y a un véritable cordon sanitaire qui fut dressé contre le PRM.

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