Voici deux livres, sortis à six mois d’intervalle, consacrés au Paris des Africains et s’adressant à ce qu’il est convenu d’appeler le « grand public ».
Le Paris noir, édité chez Hazan, est un album photographique agrémenté de courts textes de présentation, de ces livres-cadeaux que l’on offre à ses proches pour leur anniversaire lorsque l’on est à court d’idées.
Très beau, donc, Le Paris noir dresse un tableau historique de la « capitale africaine » au XX, siècle, depuis les zoos humains jusqu’à Lilian Thuram, héros antillais de la Coupe du monde de football en 1998, en passant par les tirailleurs sénégalais, le bal nègre de la rue Blomet et le mouvement de la négritude. L’iconographie de ce livre n’omet rien, ni les placards de propagande coloniale, ni les publicités tout au long du siècle, ni les affiches politiques de solidarité avec les immigrés dans les dernières décennies. Car on y retrouve également, et fort heureusement, le versant fraternel et égalitaire de cette histoire : le « Paris noir’ sous l’Occupation, la participation des tirailleurs à la Libération, les mouvements de grève du prolétariat africain durant les Trente glorieuses, les luttes des sans-papiers…
Les aspects politiques et sociaux de cette présence dans la capitale française font ainsi l’objet de plusieurs chapitres, illustrés par des images émouvantes et toujours de très belle qualité : des étudiants des années soixante, des foyers des armées soixante-dix , des balayeurs municipaux, des jeunes français issus des immigrations africaines (la France « black-blanc-beur’), des squatts… De même, on découvre, ou on redécouvre, la richesse culturelle apportée dans leurs bagages par les « Blacks » du monde entier. L’art nègre y a donc sa place, ainsi que le jazz des années trente et quarante, -Présence africaine et les étudiants du Quartier latin dans les années cinquante, ou les musiques du monde des armées quatre-vingt.
Toutefois, il me semble dommage que cet album des très riches heures du « Paris gallo- nègre » se soit laissé aller à quelques complaisances. Par exemple, on y retrouve, en quantité non négligeable, les images et les exhibitions odieusement racistes de début du siècle, ou encore les photos affriolantes de Joséphine Baker, en tenue d’Eve ou attifée d’une simple ceinture de banane. Que ces témoignages d’une certaine France, arrogante, vulgaire et raciste, ne soient pas passés sous silence dans un tel livre, rien que de très normal, mais c’est l’insistance avec laquelle reviennent ces images et ces chapitres (« La sauvagerie noire inventée », « Bêtes de scène », « Premiers frissons » « Noir désir », « Déshabillez-moi ») qui, en transformant le lecteur es voyeur involontaire, finit par poser problème. Car si la plupart de ces images – aussi bien les réclames racistes que les mises en scène que l’on disait « coquines » – ont déjà été montrées, publiées, longuement décrites et analysées (cf « Négripub », H&M, n°1162 – 1163, février-mars 1993), il y a une différence de nature entre un ouvrage de recherche universitaire qui est là pour décrypter, décortiquer l’iconographie, les représentations et les fantasmes, et un « beau livre », comme on dit dans les rayonnages des libraires, destiné au grand public et au simple « plaisir des yeux ».
Mais soyons juste, Le Paris noir est loin d’être uniquement constitué de ces images sexistes ou racistes, et celles-ci ne doivent pas masquer la qualité globale de l’entreprise, aussi bien en matière de recherche iconographique qu’en terme de présentation.