Le Passage à l’Acte

Le lacanisme spécifie la logique inconsciente des actes du sujet en distinguant trois sortes d’actes. 1° L' »acte manqué », foncièrement lié à l’inconscient, procède d’un retour du refoulé : il est message et langage. 2° L' »acting out » paraît directement lié à l’objet ‘a’ mis en scène et, par cette présence matérielle du désir, témoigne d’une absence de parole. Confronté à l’impasse d’un « choix forcé »(ou bien… ou bien…, « la bourse ou la vie »), le sujet surgit et agit dans le réel, non sans livrer son désir à l’interprétation de l’Autre (c’est un appel, qui tient compte encore de l’inconscient). 3° Le « passage à l’acte » est pure jouissance, par identification à l’objet, et procède donc d’un impossible à dire. Il relève de la logique (désespérante) du choix exclu (ni… ni…) et donc se montre plus destructeur, plus annihilant. Il conviendrait d’ajouter une quatrième espèce d’acte, l’acte vrai, dont l’acte analytique est l’emblème en tant que signifiant et inscription dans le réel. Mais, en vérité, tout acte ou passage à l’acte change un sujet, parce que celui-ci disparaît sous son acte avant de réapparaître, différemment, dans le symbolique (pour le meilleur ou pour le pire). On pourrait penser que la structure perverse concerne surtout le passage à l’acte en tant que mode avéré de jouissance. Or il n’en est rien, malgré le vieux credo analytique selon lequel le pervers « réalise » ce que le névrosé se contente de fantasmer. Certains fantasmes de névrosés ne sont pas sources de symptômes mais bien de passages à l’acte, comme Freud l’avait déjà observé. Il y a donc une confusion théorique entre « acte » et « passage à l’acte ». Il faut comprendre ce dernier comme un précipité de jouissance, en l’absence de tout Autre symbolique, un véritable coup de folie ponctuel ne relevant d’aucune structure spécifique. L’acting-out également, à sa manière, constitue un rapport inopiné à la jouissance, cette fois dans la reconnaissance de l’inconscient. Tandis que l’acte proprement dit, au sens de l’acte pervers, n’a rien d’exceptionnel : il est une manière d’être dans la jouissance et dans l’imaginaire, médiatisée par l’érection du fétiche, et consiste en l’usage de ce dernier. On comprend mieux pourquoi l’acte pervers est le pendant du symptôme névrotique, même si ce n’est pas l’acte qui fait la perversion, pas plus qu’un symptôme ne prouve l’existence d’une névrose. Cet acte est plus précisément une mise en acte de la réalité sexuelle du pervers, ou selon le pervers, soit la croyance en un rapport sexuel où un petit ‘a’ pourrait combler la béance d’un grand A. Ce n’est donc pas un « passage à l’acte », qui impliquerait la disparition du sujet, même si par ailleurs un pervers n’est jamais à l’abri de passages à l’acte (criminels ou autres), dans certaines circonstances bien précises (lorsque la crédibilité du fétiche est en cause). On ne comprend rien à l’acte pervers si l’on en fait simplement l’expression de la pulsion, alors qu’il constitue plutôt une mise-en-scène du fantasme. En effet, la pulsion n’a pas de « sujet » en tant que pervers, puisque celui-ci n’apparaît, éventuellement, qu’une fois le bouclage de la pulsion effectué, en fonction du lieu où il va se constituer. Dans le cas du pervers, il s’agit de l’objet. La finalité de l’acte pervers apparaît donc bien différente de celle de la pulsion : si celle-ci vise la satisfaction immédiate du sujet, celle-là entreprends de faire jouir l’Autre. La fonction de l’acte pervers est de montrer l’Autre comme incomplet (alors qu’il n’est qu’inconsistant, du point de vue symbolique) pour obturer « lui-même » ce trou imaginaire. Le paradoxe insoutenable du pervers, sa division interne, est de devoir initier et soutenir une action qui le destine à une pure fonction de complément, d’être à la fois le réalisateur de la pièce et une pièce du décor où il s’annule. Or cette subjectivité divisée n’est-elle pas le fantasme partagé du pervers et de la psychanalyse, véritables démiurges d’une réalité somme toute imaginaire ? Non que l’acte pervers, en tant que mise en acte du fantasme inconscient, ne soit celui d’un sujet dont la structure ne puisse être désignée, en l’occasion, comme perverse ; mais « il » ne peut le commettre que parce qu’il est déjà « agi » (et non seulement agité), déjà fétichisé (et non fétiche), perverti (et non pervers)… non en tant que sujet ou structure psychique (puisque ceci est la raison dont il faut précisément rendre compte), mais bien sûr en tant qu’homme réel, ce réel-en-cause dont le fétiche et l’objet en général ne sont que des figures grimaçantes. L' »Agi » comme cause de dernière instance, cette sorte de participation « au passé » de l’acte, est elle-même sans cause (pas même cause d’elle-même),

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