Le rêve de l’oncle …

Par Andrea JÁNOSI

…C’est dans ce passage que Freud définit le rêve comme un rébus, et, qu’il faut apprendre à déchiffrer. Le rêve est une activité psychique, organisée, différente de celle de la veille, qui fonctionne selon ses propres lois, déforme la réalité de jour, bien que ceux soient ses éléments de départ…

Introduction

Freud médecin neurologue, invente une nouvelle discipline, la psychanalyse. Il met en place le système de l’appareil psychique, radicalement différent de celui des philosophes et des psychologues du 19e siècle, au long de son travail théorique, en deux topiques. Je souhaite m’arrêter au moment de l’établissement de la première : trois parties le conscient, le pré conscient, l’inconscient. L’intention de Freud est de mettre en place une science des rêves : le rêve cesse donc être une expérience privilégié pour devenir un instrument.

C’est dans cette période 1896-1899 (mort de son père) que Freud se sert de son auto analyse pour approfondir les rapports entre souvenirs d’enfance, rêves et troubles névrotiques, c’est la naissance de la psychanalyse. A partir de son observation systématique du rêve et du rêveur, Freud essaie également d’expliquer le fonctionnement de l’âme, de la « psyché » humaine. Il se lance alors dans la description d’appareil psychique qui par son fonctionnement, peut rendre compte de ces faits : partage entre la sphère d’événements inconscients et conscients, avec une interface le « préconscient », ceci permet aux événements de venir à la conscience – par le travail thérapeutique, mais pas seulement – ou être refoulés dans l’inconscient, et produire des effets à longs termes parfois. Le rêve a une signification, il ne peut rien dire. Le but de Freud est de parvenir à parler le langage de l’inconscient. Le rêve est le produit d’un inconscient individuel. Un même rêve peut donc avoir une signification différent selon l’individu qui le produit. Il introduit donc la notion de l’inconscient sous la forme que la psychanalyse l’entend. Il décrit trois familles de processus correspondant à trois « lieux » : l’inconscient, largement majoritaire, où se retrouvent notamment toutes les idées refoulées, le préconscient, intermédiaire, zone de passage, jouant un rôle d’articulation dans les deux sens, et le conscient, très minoritaire, lieu de la pensée rationnelle et de l’adaptation à la réalité.

C’est ce livre de “L’Interprétation des rêves” qui met en lumière une des principales découvertes freudiennes : le scénario du rêve a un sens caché. Sa signification secrète est déguisée par des processus liés à la censure (morale et esthétique, sociale, familiale et personnelle). Il représente une de ses oeuvres les plus importantes, un de ses deux ouvrages au sujet du rêve (Sur le rêve), où il donne son avis sur le rêve, son rôle dans la continuité au fonctionnement normal et pathologique de l’appareil psychique de l’individu. C’est un travail transversal entretien d’orientation clinique, approprié à ce d’aujourd’hui. Freud est lui même son propre matériel d’analyse. Il y figure un grand nombre de ses propres rêves (173), ainsi que de ses amis et patients.

Pour Freud, la figuration transforme les pensées du rêve en images, elle met également en images les ressentis de plaisir/déplaisir. Par exemple, le départ en voyage d’une personne chère peut figurer sa mort (« elle est partie »). Pour lui, le déplacement représente un lieu, une idée, une personne par un(e) autre : il remplace un désir explicite, interdit ou refusé, par un souhait acceptable, inoffensif ou absurde. Dans le rêve de l’oncle à la barbe jaune, par exemple, l’intensité très forte des sentiments agressifs de Freud envers l’oncle ou l’ami qu’il représente, est déplacée sur un menu détail : la couleur de la barbe. La notion de condensation agglutine plusieurs éléments en un seul, d’apparence anodine ; l’amalgame peut concerner des réalités, des époques ou des espaces différents. Par exemple, un visage peut faire référence à plusieurs personnes distinctes. Dans le cas du rêve de l’oncle, le visage est à la fois celui d’un oncle de Freud, Joseph et d’un de ses amis R.

Au fond, chaque rêve exprime un vœu, voire un désir, plus ou moins avouable, plus ou moins facile à reconnaître, donc plus ou moins conscient. Ce vœu, ou souhait, concerne le passé ou le présent. L’auteur parle la première fois du travail du rêve, qui est l’activité inconsciente de création du rêve à travers les processus de condensation, de déplacement et de figuration (définis plus haut).

L’interprétation du rêve, selon Freud, n’est possible qu’à partir du récit du rêve suivi des associations libres du rêveur. C’est à dire ce à quoi ce rêve lui fait penser, même si cela lui semble parfois éloigné de son récit. Son sens est personnel et singulier, lié à l’histoire du rêveur. Il n’est ni possible ni honnête d’interpréter un rêve à partir de symboles préfabriqués ou préétablis. L’ombilic du rêve désigne un point aveugle, un aspect essentiel qui échappe à l’interprétation.

Dans le chapitre VI, intitulé Le travail du rêve, Freud écrit : « Toutes les tentatives faites jusqu’à présent (avant lui) pour élucider les problèmes du rêve s’attachaient à son contenu manifeste, tel que nous le livre le souvenir, et s’efforçaient d’interpréter ce contenu manifeste. » Les rêves obéissent donc à une logique rigoureuse, celle de l’inconscient. Nous sommes seuls à avoir tenu compte de quelque chose d’autre : pour nous, entre le contenu du rêve et les résultats auxquels parvient notre étude, il faut insérer un nouveau matériau psychique, le contenu latent ou les pensées du rêve, que met en évidence notre procédé d’analyse. C’est à partir de ces pensées latentes et non à partir du contenu manifeste que nous cherchons la solution.

De là, un nouveau travail s’impose à celui qui a fait le rêve. Nous devons rechercher quelles sont les relations entre le contenu manifeste du rêve – le rêve tel qu’il est raconté – et les pensées latentes et examiner le processus par lequel celles-ci ont produit celui-là. Les pensées et le contenu du rêve nous apparaissent comme deux exposés des mêmes faits en deux langues différentes ; ou mieux le contenu du rêve nous apparaît comme une transcription (Übertragung) des pensées du rêve dans un autre mode d’expression, dont nous ne pourrons connaître les signes et les règles que quand nous aurons comparé la traduction et l’original. Le contenu du rêve nous est donné sous forme de hiéroglyphes, dont les signes doivent être successivement traduits dans la langue des pensées du rêve » : matériaux individuels, reste diurnes, matériel somatique, matériaux ancien, traces mnésiques, souvenirs écran, ensemble de symboles.

Freud s’est occupé du phénomène du rêve d’une façon nouvelle, qui était étrange à son époque. Contrairement aux « clés des songes », il considère que le rêve représente individuellement à chacun des choses propres. Pour lui, le rêve est « la voie royale » vers l’inconscient. Cette instance psychique a des moyens de s’exprimer : on peut d’une certaine manière y accéder, lapsus, actes manquées, mais là où l’inconscient se manifeste le plus, c’est la nuit pendant le sommeil. Alors, la censure laisse se manifester les contenus inconscients, qui font surface dans les rêves.

Je voudrais reprendre dans ce passage de Freud, concernant le contenu manifeste et le contenu latent, l’ombilic du rêve, le terme de transfert qui est utilisé à la fois pour décrire le mode de fabrication du rêve, sa transcription d’une langue dans une autre, donc la façon dont le sujet exprimera dans la langue du rêve ses pensées latentes, avec l’aide de hiéroglyphes, mais aussi pour effectuer le mouvement inverse, soit l’interprétation du rêve, sa « traduction ».

Donc en français deux mots différents indiquent le double sens entre le contenu manifeste et le contenu latent du rêve. L’Ubertragung, le transfert est le terme même que Freud choisit pour rendre compte du mode de fabrication du rêve et de son interprétation possible, du coup cette approche nous invite à remettre en cause ce qu’on appelle communément dans l’analyse, l’amour de transfert.

Le rêve de l’oncle à la barbe jaune

C’est dans ce passage que Freud définit le rêve comme un rébus, et, qu’il faut apprendre à déchiffrer. Le rêve est une activité psychique, organisée, différente de celle de la veille, qui fonctionne selon ses propres lois, déforme la réalité de jour, bien que ceux soient ses éléments de départ.

Tout au long du chapitre IV, Freud propose un cadrage à partir duquel se trouvent étroitement entrelacées la dimension intime et singulière, ainsi que la dimension sociale. La découverte de la « déformation » à l’oeuvre dans le rêve nous conduit ici dans un mode judiciaire, politique : procès de l’oncle, rencontres avec les représentants des ministères. C’est à l’intersection du juridico- social et du familial que Freud est amené à faire état de la place du juif qui est tenu pour un étranger. Place rencontrée comme solidaire d’un effet de césure puisqu’elle est alléguée pour rendre compte d’un arrêt dans le processus de nomination. L’auteur vient juste d’être proposé pour être nommé professor extraordinarius, proposition risquant d’être arrêtée dans le cours qui la reconvertirait en nomination effective. Une telle paralysie est peut-être, attribuable à des « motifs confessionnels », affectant également la carrière de collègues juifs L’interrogation est d’abord conduite par Freud par semblable interposé, Freud faisant état d’une rencontre avec un collègue qui se trouve dans la même situation que lui et qui s’est adressé aux « bureaux du ministère » pour obtenir la confirmation de ce qu’il redoute. (Annexe1) Freud a ainsi recours à une stratégie de détour pour présenter d’abord la situation de l’ami se heurtant aux mesures d’exclusion inhérentes à l’antisémitisme et pour dévoiler ensuite sa position, comme s’il devait préalablement se dissimuler derrière un semblable. Un semblable moins prisonnier d’une position d’effacement et décidé à recourir à la dimension de la parole, de la remise en question.

Après le récit du rêve de l’oncle, reposant d’ailleurs sur un processus de dissimulation des visages, l’un étant caché derrière l’autre, Freud se heurte à nouveau à ces « motifs confessionnels », motifs venant encadrer et entraver la perspective de la nomination. La démarche est de nouveau indirecte, comme si Freud laissait à l’interlocuteur l’initiative consistant à aborder une question intouchable. Un ami, se trouvant lui aussi dans une situation analogue à celle de Freud, le félicite pour sa nomination. Félicitations auxquelles Freud réplique ainsi : « Vous, précisément, vous ne devriez pas vous livrer à cette plaisanterie, car vous êtes bien placé pour savoir quelle valeur accorder à la proposition. » (Freud, 1900, 1967, 127)

J’ai pris l’exemple de rêve de Freud, sur l’oncle à la barbe jaune. Voici le texte du rêve de Freud composé selon son dire, de deux images et de deux pensées.« I. Mon ami R… est mon oncle. – J’ai pour lui une grande tendresse. II. Je vois son visage devant moi un peu changé. Il paraît allongé, on voit très nettement une barbe jaune qui l’encadre. »

Freud commence par trouver ce rêve complètement absurde et se sent pourtant accaparé par lui tout le long du jour. Il y a une résistance à l’interprétation. C’est une résistance à l’inconscience. Le rêve lui même est une censure, qui laisse passer le désire refoulé, caché profondément, de façon déguisée. Il finit par se décider à l’interpréter. « R… est mon oncle. […] Je n’ai eu qu’un oncle, l’oncle Joseph. C’est une triste histoire. Il s’était laissé entraîner, il y a trente ans à des spéculations qui le menèrent trop loin. »

C’est donc la honte de la famille et c’est à lui que Freud compare son ami R … « La figure que je vois en rêve est à la fois celle de mon ami R. et celle de mon oncle, c’est une image générique à la manière des Galton… » (en photographie). Il n’y a pas de doute, son ami est donc une « tête faible » tout comme son oncle Joseph. Il y a un travail d’élaboration du rêve, autre manière de dire que l’inconscient travaille, a des lois de fonctionnement propres. Ceci est le passage du contenu latent au contenu manifeste ; c’est un travail d’encodage, de déformation, puisque ces idées latentes du rêve sont toujours des désirs inconscients, selon l’auteur. Le désire se produit sous l’influence de la censure moins sévère qu’à l’état de veille. Ce qui est notable c’est que l’inconscient fait tout pour ne pas se faire reconnaître, sinon, ça ne passerait pas la censure. Mais l’auteur s’intéresse également à la profonde tendresse qu’il semble éprouver aussi bien pour son ami que pour son oncle. Elle lui paraît fausse et exagérée, elle n’est là que pour masquer le vrai sens de ce rêve. La résistance à cet affect de tendresse refoulée veut dire que son vrai sentiment envers son l’oncle, est remplacé par l’opposé.

Quelles pensées latentes avaient, en réalité, présidé à sa fabrication ? Freud souhaitait beaucoup être nommé, par le pouvoir en place, Professeur extraordinaire. Son ami R. également, mais des proches du pouvoir l’avaient découragé, en lui expliquant que pour des raisons confessionnelles, cette nomination se ferait attendre. En démontrant dans son rêve que son ami était une tête faible et qu’il ne pourrait pour cette raison obtenir ce titre, il se laissait toutes les chances de l’obtenir. De par l’effet de la censure, il essaie de se ratrapper par rapport à cette médisance et éprouve pour cet ami une tendresse hors de propos. Il y a ici, un acte psychique de déformation, dissimulation, c’est à dire que Freud se met derrière de la politesse de la vie sociale.

Ce qui est peut-être le plus important à retenir dans ce rêve, c’est le contenu de cet affect, cette grande tendresse. Ce n’est, en effet, pas à cette tendresse, que Freud s’intéresse, c’est aux représentations qui l’accompagnent. Le transfert c’est à dire, la projection de sentiment qu’il éprouvait pour son père vers son oncle, et ce dernier lui sert de substitution, de remplacement, ne se déploie que dans l’attente de l’interprétation qui motive, donne un autre sens à l’affect, en le rattachant à la représentation refoulée.

Il semble qu’il devrait en être chaque fois de même avec l’amour ou la haine éprouvé par l’analysant à l’égard de l’analyste dans la situation de psychanalyse, – ou pourquoi pas, quand bien même dans la relation enseignant-élève.

On retrouve donc là, ce que Freud appelle « la mésalliance » de l’affect qui vient se fixer sur une représentation substitutive qui concerne l’analyste, mais qui doit être à nouveau reliée, alliée à sa représentation première, qui a été refoulée.

Conclusions

Dans son ouvrage « L’interprétation des rêves », Freud indique quelles sont les méthodes d’interprétation des rêves qui existent avant lui. Il dit qu’il y en a deux, l’interprétation symbolique qui est de prendre un rêve en masse, par ex. le rêve du roi d’Égypte dans la Bible, sept vaches maigres dévorant sept vaches grasses, s’interprète comme sept années de famine, de mauvaises récoltes qui vont dévorer toutes les réserves faites dans les sept années précédentes ; ou songe d’Ulysse à l’odyssée. Et il y a l’interprétation de déchiffrage qui consiste à prendre chacun des éléments du rêve et de les confronter à une clé des songes. Rêver de mariage veut dire qu’il va y avoir un enterrement, etc.

La méthode de Freud part de ce constat, c’est toujours l’interprète qui sait, ce n’est jamais le rêveur. Le rêveur vient apporter son rêve à quelqu’un qui lui dit : voilà, ton rêve veut dire ceci. La méthode de Freud consiste justement à demander au rêveur ce qu’il sait. Le pas de découverte de l’analyse, c’est franchir ce pas de savoir. Moi, je ne sais pas, mais c’est toi, le rêveur qui sait. L’expérience onirique est une production propre du rêveur, elle ne lui est pas imposée de l’extérieur.

On pourrait soupçonner que depuis Freud, l’étude et la compréhension des rêves a beaucoup changé. Même si, aujourd’hui, les techniques et les apports des expériences sont largement augmentés, depuis les théories freudiennes, on n’en sait pas abondamment plus sur les mécanismes de sommeil et du rêve, du point de vue clinique, il n’y a pas de nouvelle théorie psychanalytique de substitution aux théories freudiennes, ou de travail fondamentale en interprétation de rêve. Au contraire, on peut se poser la question, pourquoi alors, la psychanalyse, les thérapeutiques de la psychologie clinique, continuent de combler les besoins des patients :

« Le rêve, enfin, peut-il révéler l’avenir ?

Il n’en peut être question. Il faudrait dire bien plutôt : le rêve révèle le passé. Car c’est dans le passé qu’il a toutes ses racines.

Certes, l’antique croyance aux rêves prophétiques n’est pas fausse en tout points. Le rêve nous mène dans l’avenir puisqu’il nous montre nos désirs réalisés ; mais cet avenir, présente pour le rêveur, est modelé, par le désir indestructible, à l’image du passé. » (p. 527)

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