L’emploi des immigrés en 1999.

Par Suzanne Thave, Cellule Statistiques et études sur l’immigration, Insee

Paru dans : Insee première, n° 717, mai 2000

En janvier 1999, on comptait 2,1 millions d’actifs immigrés, soit 8,1 % de la population active. Ils appartiennent davantage aux catégories socio professionnelles non qualifiées d’employés et d’ouvriers que les autres actifs. Les hommes sont surreprésentés dans la construction et l’automobile, les femmes dans les services aux particuliers. Les immigrés occupent plus fréquemment que les autres des emplois temporaires ou à temps partiel. Le niveau des salaires perçus est donc bas, mais le fait d’être immigré ne joue pas négativement sur le salaire mensuel à caractéristiques d’emploi identiques. En revanche, à âge, sexe et diplôme égaux le risque de chômage est plus important pour les immi-grés. L’insertion des femmes sur le marché du travail reste difficile.

Est considérée comme immigrée toute personne résidant en France née à l’étranger et se déclarant de nationalité étrangère ou française par acquisition. En 1999, la population immigrée de 15 ans ou plus vivant dans des ménages s’établit à 3,8 millions de personnes d’après l’enquête sur l’emploi, avec des effectifs d’hommes et de femmes très proches. Près de 30 % d’entre eux ont pris la nationalité française.

La politique d’immigration des dernières décennies, du fait de la maîtrise des flux, a eu pour conséquence un vieillissement de la population immigrée. Depuis 1995, la part des moins de 30 ans a légèrement diminué et celle des 45 ans ou plus a augmenté, plus particulièrement pour les hommes. La pyramide des âges des immigrés a une forme différente de celle de la population totale : les hommes immigrés sont relativement plus nombreux entre 30 et 60 ans ; la part des femmes immigrées de 25 à 50 ans est bien supérieure à la moyenne nationale. La différence de comportement entre les hommes et les femmes vis-à-vis du marché du travail s’atténue d’année en année mais reste très marquée chez les immigrés. Si le taux d’activité des immigrés de 54,7 % est le même que celui de l’ensemble de la population, celui des hommes immigrés est supérieur au taux national de 3,7 points, et celui des femmes immigrées inférieur de 4,5 points à celui de l’ensemble des femmes. Entre 25 et 29 ans, le taux d’activité des hommes immigrés est relativement faible car de nombreux étrangers viennent en France pour leurs études. Celui des femmes immigrées reste très inférieur à celui de l’ensemble des femmes quelle que soit la tranche d’âge. Aux âges de plus forte activité, environ 60 % des femmes immigrées sont sur le marché du travail, alors que la moyenne nationale approche 80 % . En 1999, on compte 2,1 millions d’actifs immigrés, dont un peu moins de 40 % de femmes. Cette population représente 8,1 % de l’ensemble des actifs, soit 9 % des hommes actifs et 7 % des femmes actives.

La plupart des immigrés actifs sont entrés en France dans le cadre d’une immigration de main-d’œuvre ou du regroupement familial. Leur surreprésentation est toujours très forte parmi les ouvriers : 44 % des immigrés sont ouvriers, alors que globalement seulement 26 % des actifs ont cette pro-fession. Depuis 1995, elle a diminué parmi les hommes ouvriers qualifiés, mais elle a beaucoup augmenté pour les femmes surtout parmi les ouvrières qualifiées : les immigrées forment 15,1 % des ouvrières non qualifiées et 11,2 % des qualifiées. La part des immigrés parmi les employés s’est rapprochée de la part moyenne des immigrés dans la population active, en particulier pour les femmes : on trouve 7,1 % de femmes immigrées parmi les employées. A l’intérieur de cette catégorie, les personnels des services directs aux particuliers contiennent de fortes proportions d’immigrés, 16,6 % des hommes et 14,4 % des femmes. Si l’on rassemble les catégories socio professionnelles non qualifiées d’employés et d’ouvriers, 40 % des immigrés actifs se trouvent dans cette catégorie, mais seulement 26 % de l’ensemble des actifs. Plus de la moitié des femmes immigrées appartiennent à ce groupe contre une sur trois pour l’ensemble des femmes actives. La plupart des originaires de Turquie, plus de la moitié des immigrés du Portugal et du Maroc, près de la moitié de ceux d’Algérie et de Tunisie sont ouvriers. Une part importante des immi-grés d’Afrique noire, du Portugal, d’Espagne et d’Asie du Sud-Est sont employés. La libre circulation à l’intérieur de l’Union européenne favorise l’installation des professions intermédiaires et des cadres des pays membres. Les originaires d’Italie sont 14,2 % à appartenir à la catégorie des artisans, commerçants et chefs d’entreprise, contre 6,9 % pour l’ensemble des actifs occupés. La plupart des immigrés, 71 %, ont conservé leur nationalité étrangère, et la fonction publique ne leur est ouverte que pour certains emplois, comme l’enseignement supérieur et la recherche, ou s’ils sont ressortissants communautaires. Aussi, en 1999, 78 % des immigrés ayant un emploi (hors emplois temporaires) sont salariés du secteur privé contre seulement 63 % pour l’ensemble. 18 % de ceux qui ont acquis la nationalité fran-çaise sont salariés de l’État et des collectivités locales ; au total, 9 % des contrat à durée limitée. Les immigrés sont aussi moins souvent non salariés, c’est-à-dire indépendants, employeurs ou aides familiaux, surtout les femmes.

Dans le secteur de la construction, plus d’un homme sur six est un immigré.

Certains secteurs emploient une proportion élevée d’immigrés : alors que la part des hommes immigrés dans la population active occupée n’est que de 8 %, la construction emploie 17,4 % d’hommes immigrés et l’industrie auto-mobile 12,8 %. Ces deux secteurs regroupent 45 % de l’ensemble des hommes immigrés. 19,2 % de femmes immigrées, soit 13 points de plus que la moyenne, sont employées dans le secteur des activités immobilières, essentiellement pour le nettoyage des surfaces. Dans le secteur des services aux particuliers, 13,7 % des hommes ou des femmes sont immigrés. En revanche, les secteurs de l’énergie, des activités financières et l’administration n’emploient chacun que 3 % d’immigrés. En termes d’effectifs, deux immigrés sur trois travaillent dans le secteur tertiaire contre près de trois sur quatre pour l’ensemble des actifs ayant un emploi. 84 % des femmes immigrées sont employées dans ce secteur. Alors que l’ensemble des femmes exercent plutôt dans le secteur de l’éducation, de la santé et de l’action sociale, plus d’une immigrée sur quatre travaille dans les services aux particuliers qui regroupent en particulier les services personnels et domestiques, et les hôtels et restaurants.

Des emplois à statut temporaire.

Les immigrés occupent un peu plus souvent que les autres actifs des emplois temporaires, plus particulièrement des emplois d’intérimaires ou sous contrat à durée déterminée (CDD) : les hommes immigrés représentent 13 % des titulaires de CDD, et 11 % d’intérimaires, alors que leur part dans la population masculine salariée s’élève à 8 %. Ils paraissent donc plus vulnérables sur le marché du travail. Les femmes immigrées occupent un peu moins souvent que leurs homologues masculins des emplois temporaires. Les immigrés sont aussi plus fréquemment employés à temps partiel, notamment les femmes : 31,7 % de l’ensemble des femmes actives sont occupées à temps partiel, et 42,3 % des femmes immigrées. Parmi celles qui ont une nationalité étrangère, 46,1 % sont à temps partiel. La durée habituelle moyenne de travail des immigrés à temps partiel est inférieure de 2,6 heures par semaine à celle de la population totale à temps partiel ; l’écart est de 3,4 heures pour les femmes immigrées, et de 4,1 heures pour les immigrées étrangères.

Des salaires faibles dus àla structure des emplois occupés.

La concentration des immigrés dans les catégories d’ouvriers et d’employés se répercute sur le niveau des salaires perçus. Parmi les temps complets, les immigrés se situent dans la partie basse de la distribution des salaires : la part des immigrés parmi les 20 % des salariés les moins bien payés est de 10 % ; parmi les 20 % des salariés les mieux payés, les immigrés ne sont que 4,7 %. Le salaire moyen des hommes immigrés à temps complet représente 89,9 % du salaire de l’ensemble des hommes à temps complet ; pour les femmes, cette proportion est de 87,3 %. Le salaire moyen des femmes immigrées à temps partiel, dont le nombre moyen d’heures travaillées est faible, ne représente plus que 76 % de celui de l’ensemble des femmes à temps partiel. Toutefois, ces inégalités de salaire résultent principalement de la surreprésentation des immigrés dans les emplois mal payés et non d’écarts de salaire à caractéristiques identiques du travailleur et du type d’emploi. Parmi les effectifs de salariés immigrés à temps complet suffisamment représentés dans l’enquête, les originaires d’Algérie, du Maroc et du Portugal ont les salaires moyens les plus bas. Les originaires de l’Espagne, de l’Italie et des autres pays de l’Union européenne sont à l’autre extrémité de l’échelle.

Un risque de chômage plus élevé pour les immigrés.

La concentration des immigrés dans le bas de l’échelle sociale a pour second effet une fragilité de leur emploi. Les employés et les ouvriers sont les catégories socio professionnelles les plus touchées par le chômage. En 1999, les taux de chômage de ces catégories sont supérieurs à 14 % ; pour les immigrés, ils sont supérieurs à 21 %. Ainsi, les hommes immigrés représentent 13 % des ouvriers, mais ils constituent 20 % des ouvriers à la recherche d’un emploi. De plus, quels que soient la catégorie socio-professionnelle et le sexe, les immigrés sont plus exposés au chômage. En janvier 1999, en données brutes, 441 000 immigrés étaient au chômage. La population immigrée représente 8,1 % de la population active, mais les chômeurs immigrés représentent 14,4 % des chômeurs. Tous âges confondus, le taux de chômage de 19,7 % des hommes immigrés est supérieur de 9,5 points à celui de l’ensemble des hommes. Le même écart caractérise le taux de chômage des femmes, taux qui atteint 23,1 % pour les immigrées. Les immigrés au chômage, les femmes en particulier, le restent plus longtemps que l’ensemble de la population. L’ancienneté moyenne de chômage des femmes immigrées est proche de 18 mois, soit 3,5 mois de plus que l’ensemble des femmes. Celle des hommes immigrés est légèrement inférieure à celle des femmes, 17,3 mois. La proportion d’immigrés en chômage de longue durée est élevée : 47,1 % des femmes immigrées et 45,1 % des hommes sont au chômage depuis un an ou plus. L’amélioration de l’emploi est sensible aussi pour les immigrés : leurs taux de chômage en 1999 sont en baisse par rapport à 1998 et sont les plus faibles depuis 1996. L’ancienneté moyenne de chômage s’est raccourcie de 1,5 mois entre mars 1998 et janvier 1999.

Pour tout le monde, la principale circonstance de recherche d’un emploi reste la fin de contrats courts, et sa part dans les motifs de recherche s’est accrue depuis mars 1998 : pour les hommes immigrés, cette part est passée de 34,4 % à 40,5 % en janvier 1999. Parmi les hommes qui ont subi un licenciement collectif, 23 % sont des immigrés. Si le diplôme constitue le meilleur rempart contre le chômage, il protège assez peu les immigrés qui ont peut-être du mal à faire reconnaître leur diplôme étranger : 6,3 % des possesseurs d’un diplôme supérieur sont chômeurs mais 13,5 % quand ils sont immigrés ; pour ceux qui possèdent un diplôme de niveau bac+2, le taux passe de 7,1 % à 21,4 % pour les immigrés. Les taux de chômage les moins élevés s’observent chez les originaires de l’Union européenne ; ils sont inférieurs à la moyenne nationale sauf pour les originaires d’Italie. À l’opposé, le chômage touche très fortement les originaires du Maroc, d’Algérie, de l’Afrique hors Maghreb et de Turquie. Parmi les femmes immigrées actives de ces pays, plus d’une sur trois recherche un emploi. Parmi la population immigrée, le chômage affecte beaucoup plus ceux qui ont gardé leur nationalité d’origine que ceux qui sont devenus français : 21,3 % des hommes immigrés étrangers et 25,4 % des femmes étaient chômeurs en 1999, et 14,7 % des hommes devenus français et 18 % des femmes. La nationalité française s’acquiert après une durée de séjour minimum et traduit une certaine intégration ; de plus, un certain nombre de postes non ouverts aux étrangers deviennent accessibles aux nou-veaux Français. A âge, sexe, diplôme égaux, les immigrés ont significativement plus de risque d’être au chômage que le reste de la population, et ce risque est plus fort pour ceux qui ont gardé leur nationalité étrangère. La sortie du chômage est aussi plus diffi-cile pour les immigrés. En 1999, parmi ceux qui étaient au chômage dix mois avant, un homme sur trois a retrouvé un emploi, mais seulement un immigré sur quatre.

Une insertion difficile des femmes immigrées sur le marché du travail

Les femmes immigrées suivent avec retard le modèle français d’activité féminine. Leur nombre d’enfants souvent élevé induit un taux d’emploi très faible : il est inférieur à 20 % pour les originaires du Maroc, d’Italie et de Turquie. Parmi les chômeuses, 25 % des immigrées, mais seulement 12 % de l’ensemble des femmes, n’ont jamais travaillé ou ont cessé leur activité depuis au moins trois ans. Plus précisément, 17 % des femmes immigrées qui recherchent un emploi n’avaient jamais travaillé en France, contre 4,5 % de l’ensemble des femmes. Leur sortie du chômage s’avère encore plus difficile que pour les hommes : près de la moitié (47,1 %) des chômeuses recherchent un emploi depuis au moins un an, et certaines abandonnent leur recherche ; 7 % de l’ensemble des chômeuses de 1998 se sont déclarées femmes au foyer en 1999, mais 12 % des femmes immigrées. Cette relative distance face au marché du travail fait que, parmi les catégories non qualifiées d’employés ou d’ouvriers, les femmes immigrées sont moins souvent au chômage que les hommes.

Pour comprendre ces résultats

Un immigré est une personne résidant en France née à l’étranger et s’étant déclarée de nationalité étrangère ou française par acquisition. Après plusieurs années de séjour en France, un immigré peut demander la nationalité française : devenu français, il fait toujours partie de la population immigrée. La population active comprend les personnes ayant un emploi ou qui sont à la recherche d’un emploi, ainsi que les militaires du contingent. Le taux de chômage est la proportion de chômeurs par rapport à la population active (il s’agit ici du chômage au sens du BIT). Le taux d’emploi est la part d’actifs occupés sur l’ensemble de la population. L’enquête sur l’emploi a eu lieu en janvier 1999 au lieu de mars en raison du recensement. A cette date, environ 75 000 ménages ont répondu à l’enquête, soit quelque 150 000 personnes âgées de 15 ans ou plus. Cette enquête exclut les personnes vivant en foyer, dont la plupart sont immigrées, car elle couvre les seuls “ ménages ordinaires ”.

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