Les instruments utilisés lors des enquêtes de santé mentale.

Revue critique par V. Kovess , M. Tousignant.

Il existe dans les pays nordiques (Essen Môller 1947), aux États Unis (Srole 1953) et au Canada (Leighton 1952) une tradition d’épidémiologie psychiatrique qui tente, par des méthodes diverses, d’évaluer quantitativement l’importance des maladies mentales dans une population.

Les méthodes utilisées dans ces contextes ont varié avec le temps pour aboutir à la création « d’instruments ». Ces « instruments » sont en fait des questionnaires qui peuvent être appliqués directement à la personne concernée ou à quelqu’un de son entourage, par un interviewer ou par un psychiatre dans le but d’obtenir des informations sur la santé mentale d’un sujet. Ces recherches s’adressent souvent à un échantillon, numériquement important, afin d’établir des taux de problèmes psychiatriques pour une population donnée.

En France cette tendance est peu développée. Il existe, bien entendu, des statistiques hospitalières, permettant d’évaluer la population des patients hospitalisés en psychiatrie, mais l’état de santé mentale de la population dite « générale » n’a pas été évalué. Brunetti (1964) a réalisé une enquête sur la population d’un petit village du Vaucluse mais les données recueillies ne peuvent être extrapolées facilement. Aussi, nous a t il paru intéressant d’exposer ici les « instruments » généralement utilisés pour réaliser de telles enquêtes.

Avant de présenter les instruments utilisés, il parait important de rappeler que les premières enquêtes de santé mentale tiraient leurs renseignements d’informateurs clé et de dossiers médicaux dans le but d’obtenir des informations sur la fréquence des maladies mentales. La Deuxième Guerre mondiale bouleversera ces procédés, du moins aux États Unis, quand on s’aperçut du pourcentage important de jeunes gens inaptes au service pour des raisons psychiatriques. C’est dans ces circonstances que furent créées les premières « check lists », listes de symptômes administrées au sujet lui même en vue d’écarter ceux dont les problèmes les empêcheraient de faire le service dans l’armée.

Depuis la guerre, ces « check lists » ont donné naissance à de nombreuses échelles destinées à la population générale. La facilité d’utilisation de ces échelles courtes, économiques et bien acceptées par la population a suscité de nombreuses enquêtes. Ces échelles ne permettent pas cependant d’établir de diagnostic précis. Jusqu’à très récemment, ceci ne semblait pas poser de problèmes, du moins aux Etats Unis, car la plupart des auteurs semblaient s’intéresser plus à l’origine sociale des troubles mentaux qu’aux syndromes. Dans ces conditions, le diagnostic précis avait peu d’importance et une appréciation globale du stress suffisait. Cette tendance est actuellement remise en cause car il apparait nécessaire d’établir un diagnostic fiable et précis (Weissman, Klerman, 1978 ; Eaton et coil. 1981).

Cependant, tous les auteurs ne sont pas d’accord sur la nécessité d’obtenir des diagnostics ni même sur la possibilité d’une telle entreprise. H.B.M. Murphy a proposé récemment (1982) de séparer « les enquêtes de santé mentale » qui doivent évaluer l’état de santé des populations et par conséquent les troubles qui y sont le plus fréquemment rencontrés de « l’épidémiologie psychiatrique ». Cette dernière se réfère à la distribution de maladies spécifiques, contrairement aux enquêtes de santé mentale qui, si on suit la définition O.M.S. de la santé, couvrent des domaines beaucoup plus étendus. L’épidémiologie psychiatrique peut certes tirer des renseignements des enquêtes de santé mentale, mais elle peut aussi en tirer de l’analyse des cas traités, et d’autres sources où les cas sont identifiés. H.B.M. Murphy suggère que le problème serait peut être de garder à chacune de ces disciplines leur but et de ne pas prendre l’une pour exécuter l’autre.

1. LES INTERVIEWS

Une enquête épidémiomlogique de type psychiatrique doit être à même de fournir des diagnostics à la fois fiables et valides. Or, la stabilité des diagnostics en milieu clinique pose elle même un problème. Weissman et Klerman (1978) présentent cinq raisons qui peuvent amener des variations dans les estimations des diagnostics :

1 ) le sujet : le patient peut souffrir de différentes maladies à des périodes différentes ;

2) les circonstances : le patient peut être vu à des stades différents de la même maladie ;

3) l’information : les cliniciens ne disposent pas toujours de sources d’informations identiques ;

4) l’observation : les cliniciens ne font pas la même observation lorsque confrontés aux mêmes stimuli ;

5) les critères : les cliniciens n’utilisent pas les mêmes critères d’inclusion et d’exclusion pour faire leur diagnostic.

C’est en partie pour lutter contre ces difficultés que des interviews standardisés ont été proposes.

1. Le P.S.E. (« Present State Examination »)

Il s’agit d’un instrument anglais créé en 1974 dans le but de classifier et de mesurer les symptômes psychiatriques. Au départ, il a été utilisé dans une enquête de l’O.M.S. destinée à trouver des critères diagnostics permettant ci comparer la symptomatologie des patients e les incidences des maladies dans différent pays (Wing et coll., 1974). Il a donc été utilise essentiellement par des psychiatres. Sa forme complète comprend 140 profils de symptômes. Les questions sont ouvertes et l’item suivant donne un exemple :

Avez vous déjà pensé que la vie ne valait pas la peine d’être vécue ?

A l’aide de cette question, l’examinateur doit juger lui même si le sujet a été suicidaire, et le côté de son jugement à partir d’une échelle de trois points. Pour repérer les idées délirantes, on fait appel au tact de l’interviewer et plusieurs formulations sont proposées. Par exemple, la question :

- Pouvez vous penser clairement ou y a t il de interférences avec votre pensée ?

Cet item peut être remplacé par des questions du type :

- Sentez vous quelque chose de l’ordre de l’hypnotisme ou de la télépathie agir sur vous ?

Le questionnaire comprend des « cut off » qu sont des endroits où les questions ne sont posées que si l’interviewer estime que la répons à la première question est positive. Cette procédure permet de gagner du temps et d’obtenir en même temps des détails approfondis. Le système de cotation indique des seuils permettant de définir des cas probables et peu utiliser un système de diagnostic informatique le CATEGO qui est basé sur I.C.D. 9 (international Classification of Diseases 9 version).

Sous cette forme, l’interview est tout à fait adaptée à l’examen de patients psychiatriques. Une autre version a été adaptée spécifiquement pour les enquêtes de populations générales : la version courte. Elle comprend les 40 premiers profils de symptômes de la série névrotique. Ses auteurs estiment que l’incidence de la psychose est faible dans la communauté et qu’il suffit de dépister les cas latents de névrose qui y sont les plus répandus (Wing, 1980). Reste à prouver que cette interview peut être utilisée par des interviewers non spécialisés. Il semble en effet (Sturt, 1981 ; Wing, 1980) que cela pose un certain nombre de problèmes malgré les efforts de formation des interviewers. Il est à noter que le P.S.E. dans sa forme courte avait servi à Brown et Harris (1980) dans leur recherche sur les origines sociales de la dépression. Ils avaient cependant eu des liens très étroits avec des psychiatres et leurs interviewers étaient très entraînés. Il semble donc qu’il s’agisse d’un bon instrument clinique mais qui requiert des jugements de la part des interviewers. Cette exigence peut poser des problèmes pour son utilisation sur une vaste échelle.

2. Le P.S.S. ( Psychiatric Status Schedule »)

Cet instrument a été développé à New York par Spitzer et Endicott (1970). Il a été construit à partir d’un autre instrument le M.S.S. (« Mental Status Scheduie »). Cet instrument ressemble au précédent en ce sens qu’il esttrès « clinique ». Il a été utilisé sur des patients psychiatriques et représente en sorte l’équivalent américain du P.S.E. créé par Wing.

La première édition comprend 500 items, mais il existe une version plus courte. Voici un échantillon des questions posées :

- Quelle a été la tonalité de votre humeur récemment ?

Parlez moi de ce qui s’est passé d’étrange.

- Est ce que les gens parlent beaucoup de vous ou vous remarquent particulièrement ?

L’interviewer doit coter la présence ou non d’idées délirantes et il peut avoir recours à des questions optionnelles pour faire préciser les symptômes quand ils sont présents. Les items couvrent tout le champ de la psychiatrie, les problèmes de toxicomanie, de drogues, de comportement et quelques aspects du fonctionnement de la personne dans différents rôles. Dohrenwend et coll. (1978) ont essayé d’utiliser cet instrument sur une population générale et ils concluent qu’il existe deux obstacles majeurs à son emploi : il est trop orienté vers les symptomatologies extrêmes, plus rares dans les populations générales ; il laisse une trop large part au jugement des interviewers.

3. Le S.A. D.S. (« Schedule for Affective Disorders »)

Le S.A.O.S. est en quelque sorte la forme évaluée du P.S.S. Il a été construit par le même groupe de chercheurs (Endicott, Spitzer, 1978). Le S.A.D.S. permet d’organiser les données en fonction des systèmes nosographiques courants dont le D.S.M. Ill.

Contrairement au P.S.E. qui vise les névroses et les psychoses, le S.A.D.S. a une couverture plus large : psychopathie, toxicomanie, etc. Le S.A.O.S. a lui aussi été très utilisé. Le principe est le même que pour les deux instruments précédemment décrits : des questions obligatoires et des questions facultatives que l’interviewer pose ou non suivant sa propre évaluation. L’interviewer est donc amené à poser des jugements et à décider si une réponse est vraie, fausse ou ambiguë. Le S.A.D.S. possède une version courte le S.A.D.S. L qui a été utilisé sur des populations générales.

4. Le D.I.S. (« Diagnostic Interview Schedule »)

Le D.I.S. est un instrument récent (1981) créé pour le N.I.M.H. par Robins afin de régler les problèmes du recours au jugement de l’interviewer, en minimisant toute décision de sa part. Le D.I.S. permet une classification informatisée en fonction des différents critères nosographiques du D.S.M. 111, en particulier, et du R.D.C. ( Research Diagnostic Criteria »).

L’idée de base est de regrouper des symptômes en diagnostics positifs ; le diagnostic nécessite qu’un nombre minimum de symptômes soit présent, que ces symptômes soient d’une certaine sévérité, qu’ils ne soient pas attribuables à un état physique ou à une autre maladie psychiatrique.

Toutes les évaluations peuvent être faites par un interviewer qui n’a pas de formation psychiatrique, dans la mesure où elles s’articulent autour d’un modèle de décision « en arbre ». Par exemple, l’enquêteur doit demander :

– Avez vous déjà eu une crise de panique ? ensuite juger si cette crise est assez sévère pour être cotée positivement, et si elle n’est pas due à d’autres causes : alcool, drogues, maladies physiques, accidents. Il doit pour cela poser des questions subsidiaires. La sévérité est jugée à partir d’une réponse positive à quatre sous questions :

– En a t il parlé au docteur ?

– En a t il parlé à un autre professionnel ?

– A t il pris un médicament pour cette raison plus d’une fois ?

– Est ce que cela l’a réellement gêné dans sa vie ou dans ses activités ?

Si le sujet répond non à toutes ces questions, la crise est cotée « non cliniquement significative ». Si le docteur a dit que la crise était due à Il ses nerfs », ou à une maladie psychiatrique, ou si cette crise n’était pas attribuable à d’autres causes (alcool, maladie physique, etc.) elle est considérée comme « cliniquement significative ». Les questions sont pré codées, et le diagnostic fait par informatique. Voici quelques exemples d’autres questions :

« Maintenant je vais vous poser des questions sur des idées que vous pourriez avoir concernant les autres :

– Avez vous jamais pensé que quelqu’un vous surveillait, vous espionnait ?

- Avez vous jamais pensé que quelqu’un conspirait contre vous ou voulait vous empoisonner ?

– Avez vous jamais cru que quelqu’un pouvait lire votre pensée ?

– Quel âge aviez vous quand vous avez eu ces idées pour la première fois ? »

L’instrument lui même comprend 259 questions et 4 questions sont posées à l’interviewer sur ses impressions.

Le D.I.S. est en cours de validation. Une publication récente (Robins et coli., 1981) suggère que si on compare des interviewers non psychiatres à des psychiatres, les résultats à 7 des 52 échelles diagnostiques sont très différents, particulièrement celles sur les somatisations : les interviewers non psychiatres sous estiment l’origine psychiatrique des troubles physiques. Les auteurs remarquent dans leur conclusion qu’on peut se demander si ce type de comparaison constitue une étude de validité ou de fidélité. Ils notent que pour étudier la validité d’un diagnostic, il faudrait un critère indépendant ; or, c’est le psychiatre qui est la mesure de référence du diagnostic, et ce pose un problème théorique. De toutes façon cet instrument doit continuer à être modifié il est peut être trop tôt pour pouvoir juger so intérêt (Leighton 1981). Il est à noter que 1 D.I.S. a été traduit en français pour être utilis par l’O.M.S.

Dohrenwend et Shrout (1980) émettent de doutes sérieux quant à l’utilisation possible des instruments que nous venons de décrire pour recueillir des diagnostics par des interviewers sans formation dans des popuIations générales :

1) ayant utilisé eux mêmes les P.S.S. dans des populations générales, ils affirment que cet instrument est valable pour une population de patients mais qu’il ne peut convenir à de, populations générales en raison de l’erreur due au jugement des interviewers et du fait que cette erreur porte sur une petite quantite de personnes puisque les troubles graves sont rares dans la population ;

2) mais surtout, il semble que les instruments dont nous avons parié ne mesurent pas la même chose sur des populations de patients où ils ont été calibrés au départ et sur des populations générales. Wing et coil., (1978′ rapportent que les personnes identifiées comme déprimées avec le P.S.E. dans la population générale suivant des critères utilisée avec des patients, ne l’étaient plus quand elles étaient examinées par un psychiatre. De même, Dohrenwend et Shrout (1980) rapportent que l’application des normes du P.S.S. à la population générale mène à l’identification d’un plus grand nombre de schizophrènes qu’il n’en existe en réalité.

Il semble donc que la pathologie des personnes qui sont des patients identifiés soit différente de celles des « cas » détectés dans la population générale.

Il serait donc difficile d’utiliser dans des populations générales des instruments qui, au départ, partent de questions formulées sur la base d’observations de patients ; de fait, il semble logique de penser que ceux qui ne sont pas des patients identifiés diffèrent en beaucoup de points de ceux qui le sont, soit dans leur pathologie, soit dans leur recherche d’aide ou soit par rapport à beaucoup d’autres facteurs.

Il. LES CHECK LISTS

A côté de ces instruments de type diagnostic destinés à couvrir plus ou moins toute la pathologie mentale, il existe une autre série d’instruments qui ont été largement utilisés pour mesurer des dimensions plus globales. Ce sont des échelles, brèves, pouvant être auto administrées, dont les items sont simples et faciles à comprendre. Jane Murphy (1981) dans sa revue des sept principaux instruments de ce type, à savoir :

- Corneil Médical Index (C.M.1.) ;

- Hopkins Symptom Checklist (H.S.C.) ;

- Heaith Opinion Survey (H.O.S.) ;

- Twenty two item Scale (22 I.S.) ;

- Beck Dépression lnventory (B.D.I.) ;

- Generai Heaith Questionnaire (G.H.Q.) ;
- Center for Epidemioiogic Studies Dépression Scaie (C.E.S.D.) ;

formule ainsi leur but : « Tous ces instruments recherchent des informations sur la présence ou l’absence de sentiments, de sensations et de comportements qui devraient amener à définir une maladie psychiatrique ». Le plus souvent, ces instruments sont utilisés dans un premier temps pour sélectionner des patients potentiels, destinés à être examinés plus en détail par un professionnel de la santé mentale dans un deuxième temps.

Voici leurs principaux avantages :

- ils donnent une information sur ce que ressent le patient et peuvent permettre de déterminer ses besoins ;

- ils permettent une économie considérable car ils ne nécessitent pas de personnel entraîné ;

- ils peuvent aider des non spécialistes à diriger des patients vers une consultation en santé mentale.

Les principaux inconvénients sont les suivants :

– les faux négatifs : dans une enquête sur des Populations générales, les faux positifs (ceux qui ont des scores élevés, et ne sont pas des cas »), ne posent pas de problèmes, dans la mesure où ils vont être réexaminés et seront correctement classés, mais les faux négatifs (ceux qui ont un score bas et présentent une Pathologie mentale) échappent au deuxième examen. Le problème du faux négatif n’est pas exclusif aux auto questionnaires et il existe lors des interviews, mais il risque d’être encore Plus élevé dans un premier temps.

- les problèmes d’interprétation : dans l’optique européenne des sciences sociales, une recherche doit au préalable définir les concepts théoriques qui donnent lieu à des instruments de mesure. Les Américains procèdent le plus souvent à l’inverse. Ils mettent ensemble une série d’items qui sont reliés à un construit théorique, et ils cherchent par la suite, de manière empirique, la véritable nature de l’instrument qu’ils ont en main. C’est de cette façon qu’ont été élaborés les instruments dont nous parlons. Utilisés au départ pour faire de la sélection, ils ont été jugés en fonction de ce but.

Certains ont prétendu avec une certaine logique qu’ils mesuraient les états névrotiques ou les réactions psycho physioiogiques puisque les individus ainsi classifiés obtenaient les scores les plus élevés. Des chercheurs expérimentés comme Dohrenwend (1980) pensent qu’il s’agit plutôt d’un indice de « démoralisation » que d’un véritable indicateur d’états névrotiques. D’autres chercheurs préfèrent considérer ces instruments comme de bons indices de stress vécu mais hésitent à leur attribuer des propriétés plus précises ; (Tousignant et al., 1974). Et c’est en général l’emploi qu’on en a fait dans la plupart des recherches récentes.

Plusieurs recherches ont utilisé l’analyse factorielle pour dégager les principales dimensions de ces mesures. Les facteurs les plus souvent trouvés sont la dépression, l’anxiété et les réactions psycho physioiogiques. Ces facteurs sont retrouvés à peu près constamment pour tous les instruments et ceci s’ajoute à l’argumentation de ceux qui affirment que ces échelles mesurent la dépression et l’anxiété. Le problème est de savoir si un score élevé à une échelle de ce type peut se traduire en diagnostic psychiatrique fondé sur le D.S.M. 111 ou le I.C.D. 9.

Si les troubles ainsi décelés sont de type névrotique, on devrait pouvoir les classer dans les troubles psycho névrotiques ; or il n’est pas certain que cela soit possible. Ce n’est pas parce qu’un individu a un score élevé qu’il présente une maladie classifiable et ces échelles ont même été accusées de mesurer des difficultés existentielles et non des problèmes psychiatriques (Dohrenwend et Shrout, 1980). De plus, il semble qu’il existe des styles de réponses différentes. H.B.M. Murphy (1978), lors d’une étude faite à Montréal, a montré que paraxodalement les femmes des quartiers les plus pauvres « scoraient » (1) plus bas que celles des quartiers plus favorisés. Il attribue ce résultat au niveau d’aspiration plus élevé des femmes de classes moyennes qui se sentiraient plus frustrées que les moins favorisées.

Frank (1973) avait, d’une certaine manière, résolu le problème de cette indifférenciation des diagnostics en utilisant le concept de « démoralisation » : état dans lequel les possibilités psychiques des individus sont dépassées, que ce soit pour une raison extérieure (stress) ou pour une raison intérieure (névrose). Il se basait en fait sur une réalité clinique. La démoralisation était l’état dans lequel les patients sont quand ils viennent consulter, et à ce stade, le diagnostic exact a peu d’importance ; il faut leur proposer de l’aide.

Dans une enquête qui se soucierait d’améliorer la planification des soins, il semble justifié d’utiliser un instrument qui détecterait la « démoralisation » même si on ne peut affirmer qu’il s’agit de quelque chose de classable dan une nosographie. D’ailleurs, malgré tout tes les critiques et toutes les questions que i’o se pose à leur propos, les échelles de santé mentale continuent à être utilisées pour évaluer l’état psychologique des populations e pour tester des hypothèses sur le rôle ci, stress, ou les mécanismes d’adaptation.

Une utilisation fréquente des check list es celle du dépistage. Duncan, Jones et Hender son (1978) ont utilisé le G.H.Q. pour sélection ner les « cas » probables dans un échantillon of populations. Ces cas étaient ensuite réexaminés par des cliniciens utilisant le P.S.E. ils esti ment ainsi avoir obtenu des taux de morbidité rigoureux et comparables à l’échelle internationale. Dohrenwend et coli. (1981) défendenavec vigueur la stratégie en deux temps pou les enquêtes de santé mentale. Ils proposend’utiliser pour le dépistage un instrument qu’ils ont créé, le P.E.R.I.

III LE P.E.R.11. (« PSYCHIATRIC EPIDEMIOLOGY RESEARCH INTERVIEW »)

Une des bases du P.E.R.I. a été le S.I.S. (« Structurai Interview Scheduie ») qui ressemble beaucoup aux instruments classiques (H.O.S., etc.). On y a ajouté sept autres échelles, plus spécifiques, mesurant les idées délirantes, la personnalité schizoïde, les toxicomanies et la psychose maniaco dépressive. L’instrument comprend en tout vingt cinq échelles dont les huit premières mesurent une entité similaire à « la démoralisation ». L’instrument utilise des questions fermées et peut être administré sous forme d’auto questionnaire ou d’interview. C’est en quelque sorte un mélange d’échelles de détresse « non spécifique » et d’items plus psychiatriques, ce qui en fait une catégorie à part.

Le P.E.R.1. possède des inconvénients : il n’amène pas, d’après ses auteurs, à une classification diagnostique tout en comprenant des items très orientés vers la psychiatrie et qui risquent, à ce titre, d’indisposer les répondants. Des items du type :

- Depuis un an, combien de fois avez vous pensé être possédé par un esprit ou le diable ?

- Depuis un an, avez vous senti que vous n’existiez pas ou que vous étiez mort ou dissous ?

sont trop difficilement acceptables, du moins dans notre culture, et peuvent être mai perçus dans une enquête sur une population gêne raie. Les items du S.I.S. n’apportent pas grand chose de plus que les check list. Le problème de l’acceptabilité de l’instrument risque de faire augmenter les faux négatifs et les non réponses. Les auteurs pensent, quant à eux que cette façon de procéder permet d’élargir le champ de dépistage.

Quelle conclusion pouvons nous tirer de cette énumération d’instruments et sur quels critères peut on baser un choix ?

Il semble difficile d’affirmer qu’il existe des instruments valables pour détecter toute la pathologie psychiatrique dans la population. Pour H.B.M. Murphy (1982) toutes les méthodes basées sur des interviews ou des questionnaires de type auto administrés impliquent une participation de la part du sujet et exigent par conséquent que celui ci ait conscience de ses troubles, qu’il soit prêt à les admettre, et qu’il soit capable de les communiquer. Par conséquent, les catégories des désordres de type paranoïa, psychopathie, maladie d’Alzheimer échappent probablement à des enquêtes de ce type. Il est à noter que ces enquêtes sont basées sur la libre acceptation de l’interview et comportent toujours un pourcentage variable 00 à 20 %) de refus. Plus le thème abordé est gênant, plus les refus sont importants et plus le déni augmente (Tousignant et Kovess). Un paranoîaque a peu de chances d’accepter une interview comprenant deux cents questions sur sa vie intérieure et, s’il est réellement persuadé que les gens complotent contre lui, l’interviewer ne peut espérer gagner sa confiance. Seuls des psychotiques traités et qui critiquent leur délire en sont éventuellement capables. De même, un psychopathe aura tendance à échapper aux interviews au à mentir.

Ce sont ces raisons qui amènent les défenseurs des check lists à estimer que le pourcentage de ces troubles étant relativement faible dans la communauté, on peut renoncer à les identifier vu le coût additionnel considérable que cela amène en comparaison des résultats obtenus. Une approche de ces troubles par d’autres modes serait peut être plus adaptée (informateur, tiers répondant, etc.).

Si l’on veut identifier les troubles psychoaffectifs dans la population, et que l’on estime comme Leighton (1981), que les check lists soient des instruments valables pour cette tâche, il faut choisir une échelle qui ait les caractéristiques suivantes :

a) Elle doit être facile à administrer et à scorer ;

b) Ses items ne doivent demander aucun jugement clinique de l’interviewer ou de celui qui analyse les données ;

c) Elle doit faire référence à une période de temps précise afin de permettre des comparaisons, et différencier les réactions aiguës des traits plus persistants de la personnalité (Murphy, 1981) ;

d) Elle doit inclure plusieurs facteurs validés plutôt qu’un simple score total (Murphy, 1981) ;

e) L’échelle de mesure doit être sensible, C’est à dire qu’elle doit reposer sur une échelle avec un gradient de réponses suffisamment large (de 1 à 4) au lieu d’une réponse par oui ou par non ;

Absence d’item qui réfère à des états ambigus ou d’origine somatique.

Ce sont des critères qui ont présidé au choix de l’instrument que nous allons décrire.

Par exemple, si on veut éviter les items qui Peuvent nommer des troubles dont l’origine physique ou psychique n’est pas évidente, on doit éliminer tous les instruments qui comprennent des items pouvant prêter à confusion (Langner 22 I.S., H.O.S.). Le G.H.Q. est un instrument qui, malgré de nombreux avantages, peut poser des problèmes car il réfère à des états passagers plus qu’à des états stables, et les réponses varient pour un même sujet sur une longue periode. Nous avons nous mêmes choisi dans le cadre d’une enquête pour la province de Québec une adaptation du « Hopkins Symptoms Distress Checklist , le « Psychiatric Symptom Index » (P.S.I.) créé en 1976 par Lifeid pour une enquête auprès de 2.299 habitants d’une région de Chicago et nous allons en exposer les avantages.

D’après Lifeld (1976) la conception de cet instrument repose sur les objectifs suivants :

– Classer les répondants en fonction du nombre de leurs symptômes sans vouloir necessairement identifier des cas présentants des maladies. lifeld rappelle les opinions de Dohrenwend et de beaucoup d’autres chercheurs sur le danger de vouloir identifier dans la population générale des cas semblables à ceux des patients

– Inclure les symptômes les plus fréquents dans une population générale, c’est à dire des troubles psycho névrotiques, des problèmes de la personnalité, et des syndromes psychophysiologiques, en opposition aux troubles plus rares (socio pathie, déficience mentale et psychose) (A. Leighton, 1963) ; de plus, l’instrument répond à d’autres exigences

– Le format est court

– Le langage est clair, non ambigu, facile à comprendre ;

– L’instrument permet la distinction entre la pathologie récente et la pathologie chronique ; le biais dû à l’acceptation sociale des troubles a été minimisé autant que faire se peut ;

– L’échelle provient d’une échelle développée antérieurement et validée sur un grand échantillon.

Le P.S.I. permet également de différencier quatre facteurs : dépression, anxiété, agressivité et problèmes cognitifs, ce qui semble particulièrement bien adapté au problème de l’évaluation de l’état psychologique d’une population. La validité de l’instrument a été testée par Lifeld sur trois critères : avoir cherché de l’aide pour des problèmes émotionnels, avoir utilisé récemment des médicaments psycho actifs, et une mesure faite par l’interviewer du degré d’anxiété du répondant.

Dans cet instrument, tous les symptômes se rapportent à la semaine précédente ; il existe quatre types de réponses possibles : « très souvent, souvent, rarement et jamais ». La méthode pour scorer est facile à utiliser et Ilfeld a publié ses déciles et ses critères pour classer en fonction des catégories suivantes : symptomatologie haute, moyenne et basse. Cet instrument nous a paru, malgré certaines limites (il ne couvre pas toute la pathologie), pouvoir correspondre aux besoins de l’enquête que nous avons à planifier, d’autant qu’il est complété par d’autres mesures « objectives » faites par des tiers ou par des membres de la famille, qui permettront d’évaluer la pathologie plus grave. Comme on peut le voir, les instruments utilisés ses dans les enquêtes de santé mentale sont nombreux et variés et, ceci pose le probIème de leur choix. Il est certain que les buts poursuivis par une enquête doivent peser sur le choix de telle ou telle technique, et que le choix variera suivant qu’il s’agit de planification de soins ou de recherche épidémiologique, ces objectifs n’étaient pas d’ailleurs forcément contradictoires. Nous avons voulu illustrer cette description par l’exemple d’un choix dans une situation concrète devant amener à la réalisation d’une enquête sur la province de Québec.

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