La Régie Nationale des Usines Renault constitue certainement dans le secteur industriel le premier employeur d’ouvriers maghrébins en France. En mai 1984, 10 300 Algériens, Marocains et Tunisiens travaillent dans les établissements de la RNUR en France où ils représentent plus de la moitié des immigrés employés par cette firme. Ils jouent un rôle particulièrement actif dans la production et la vie sociale des deux grands établissements de l’agglomération parisienne, à Boulogne Billancourt dans la proche banlieue sud ouest de Paris et à Flins dans la grande banlieue nord ouest.
L’équipe MIGRINTER de l’Université de Poitiers a réalisé une étude sur « les relations des travailleurs maghrébins de la RNUR avec leur pays et leur région d’origine », dans le cadre du contrat de connaissances signé entre la Régie Renault et le CNRS et portant sur « les OS immigrés dans l’industrie automobile »( ?). Notre recherche visait à éclairer le fonctionnement interne des communautés maghrébines et à situer les relations humaines au sein de l’entreprise dans leur environnement international.
Environnement lointain par la distance, certes, mais extrêmement proche dans l’esprit et le vécu des intéressés, qui retentit constamment dans leurs comportements. s’imprime dans leurs projets et s’exprime en partie dans leurs réalisations. Derrière l’analyse des relations avec l’espace social du pays d’origine, se profilent des points importants qui intéressent la vie de l’entreprise et ses différents services : la solidarité et les affinités à l’intérieur des groupes travaillant dans le même établissement, les congés et les retours annuels au pan les projets professionnels et l’intérêt pour la formation, les salaires et les transferts financiers. la venue ou non des familles, les projets éventuels de réinsertion, le recours aux prêts immobiliers de l’entreprise ou l’investissement au pays, l’achat de matériel Renault, etc…
Il est important aussi de connaître les implications à l’autre extrémité de la chaîne… migratoire dans les régions d’origine au Maghreb. L’appartenance de l’UA MIGRINTER à la discipline géographique a amené à privilégier les références des individus et des groupes à l’espace, à rechercher les conséquences des flux financiers et des retours annuels ou définitifs sur l’évolution des campagne, des villes sans préjuger, pour autant, de la réalité et de l’importance des autres aspects (sociologiques, culturels) de la relation migratoire.
L’analyse menée combine les données du fichier d’entreprise (sous forme anonyme), des entretiens avec des « observateurs privilégiés » et une centaine d’entretiens directs avec des migrants, soit sur les lieux de travail à Paris, soit dans les deux principaux pôles de départ : le Sud marocain et la Grande Kabylie.
APPAREIL STATISTIQUE
Sources utilisées pour la réalisation de cette étude :
1. Détermination des lieux de naissance et analyse des retours annuels
– fichier de la RNUR : 10 338 Maghrébins dont 3 631 Algériens, 5 871 Marocains, 836 Tunisiens ;
– fichier CAT Voyage : 3 313 Maghrébins dont 1 330 Algériens, 1 729 Marocains, 254 Tunisiens.
2. Transferts financiers dans le Sud Marocain :
45 entretiens réalisés dans les usines Renault, 25 enquêtes sur le terrain.
3. Réinsertion en Grande Kabylie :
80 dossiers instruits par le Service de la Réinsertion de Boulogne Billancourt ; 34 enquêtes sur le terrain auprès de travailleurs rentrés.
UN ENRACINEMENT TRES SOLIDE DANS LA TRAME RURALE DU PAYS D’ORIGINE. LE LIEU D’ORIGINE : CONCEPT ET APPLICATION
Le lieu d’origine, c’est celui où le migrant a et garde ses racines familiales mais cette définition est souvent ambiguë et bien difficile à appliquer. Ce peut être le lieu de naissance de l’individu mais également dans ces pays de longue tradition, celui des ancêtres familiaux. C’est aussi le lieu de résidence où l’on est venu très jeune et où on a laissé totalité ou partie de sa famille, le lieu où l’on investit ses économies dans l’achat d’une maison ou la préparation d’un projet professionnel. En pratique, le fichier du personnel de la RNUR, qui a constitué notre principale source statistique, ne permet pas ces distinctions subtiles que seule une enquête réalisée auprès d’un très vaste échantillon de travailleurs maghrébins de la Régie (TMR) aurait permis d’établir, car cette question relève en fait. d’un problème de perception et de représentation. Seul, l’intéressé peut déterminer avec précision son appartenance et localiser le lieu où il estime avoir ses racines. La source statistique RNUR a fourni dans la très grande majorité des cas le lieu de naissance au Maghreb mais non le lieu de résidence. Il n’a donc pas été possible de reconstituer l’itinéraire migratoire de chaque personne avant son entrée à la Régie, Cette lacune, impossible à contourner, parait grave a priori, en raison de la forte mobilité interne qui a brassé les populations maghrébines avant et surtout depuis les indépendances, qu’il s’agisse de l’exode rural et des migrations interurbaines. Dans la réalité, la référence au lieu de naissance s’est avérée (par chance !) être fondamentale, ainsi que l’ont prouvé ultérieurement les enquêtes directes en France et au Maghreb, l’étude des dossiers de réinsertion et la carte des retours annuels au moment des congés. C’est donc cette donnée qui a fondé l’assise socio géographique de l’analyse relationnelle.
Cependant, l’exploitation de cette source a présenté bien des difficultés en raison de lacunes diverses : variations de l’orthographe des lieux dits, changement administratif des noms de lieux après les indépendances (surtout en Algérie), difficultés de repérage des douars (groupement rural de petite dimension) qui n’apparaissent pas toujours sur les cartes utilisées (échelle Il 50 000) Nous avons réussi à localiser 70 % des lieux de naissance au Maroc, 86 % en Algérie et 80 %en Tunisie. Le coefficient de perte, plus élevé au Maroc, ne semble pas obérer les résultats qui s’y rapportent, car plusieurs chercheurs connaissant bien ce pays ont estimé, en se fondant sur la toponymie berbère des lieux « introuvables », que la majorité devait se situer essentiellement dans le Sud ou dans les montagnes du Rif au Nord du pays, ce qui coincide effectivement avec la répartition connue des travailleurs marocains de la Régie. Les lieux de naissance, regroupés par unité administrative de taille comparable (wilaya en Algérie, province au Maroc et gouvernorat en Tunisie), ont été croisés avec les données les plus pertinentes du fichier en fonction du thème relationnel de la présente étude : âge, dates d’entrées en France et à la Régie, qualification et présence d’allocataires à l’étranger, (employés de la Régie, dont tout ou partie de la famille restée à l’étranger, y perçoit des allocations familiales).
COMMUNAUTES MONTAGNARDES ET VIEUX FOYERS MIGRATOIRES
La carte des lieux de naissance à Flins et à Boulogne Billancourt (carte 1) révèle, dès la première lecture, la prépondérance du.fait régional dans le recrutement des TMR. Trois régions fournissent à elles seules la majorité des effectifs présents en mai 1984 dans les établissements de la région parisienne :
le Sud marocain (provinces d’Agadir et d’Ouazzazate) : 60 % des 5 871 Marocains ;
le massif kabyle et ses bordures : 69 % des 3 631 Algériens,
le Sud tunisien (gouvernorats de Gabès et de Medenine) : 40 % des 836 Tunisiens
Ces trois régions correspondent à des milieux souvent rudes (montagnes et régions arides) où se sont fixées depuis des siècles de vieilles paysanneries sédentaires. à majorité berbérophones, très attachées à leur sol natal et à leurs traditions. Ces vieilles communautés rurales, très souvent groupées en gros villages parfois perchés au sommet des crêtes, comme en Grande Kabylie ou dans le sud tunisien, ont une longue pratique de la migration temporaire interne (dans le pays d’origine) et ont joué dans les trois espaces nationaux le rôle de foyer initiateur de l’émigration en France.
La concentration régionale est très supérieure à celle de la migration maghrébine en France au cours des vingt dernières années en France. Ainsi, les originaires du Sud marocain à la Régie représentent 60 % des effectifs de ce pays alors que cette région n’a envoyé que 20 % des travailleurs permanents en France (Source ONI). De même les Kabyles et 4, assimilés » représentent les deux tiers des TMR contre 20 % des Algériens émigrés en France (recensement algérien de 1966). La lecture de ces deux cartes 1 et 2 renvoie à la photographie des migrations maghrébines en France à leurs débuts, à une image profondément modifiée par rapport à l’évolution intervenue au début des années 70, avec l’extension de l’onde migratoire à l’ensemble des régions maghrébines et en particulier aux villes. Manifestement, le jeu des solidarités locales et régionales si fortes dans ces régions à forte tradition communautaire, le fonctionnement de filières au départ, les processus d’appel dans les établissements, l’action aussi des missions de recrutement, se sont combinés pour expliquer ces regroupements régionaux et locaux dans les deux établissements parisiens. Ainsi, à 1 intérieur même de la Grande Kabylie, un seul secteur rural de 25 km de long, celui de Draa el Mizan, Boghni, Tizi Gheniff, fournit le quart des Algériens de la Régie. Un seul gros village, Tizi Gheniff, envoie 313 ouvriers à la Régie, dont 305 travaillent à Boulogne Billancourt (soit 11,5 % des effectifs algériens). Tous les ressortissants de Boghni, à une exception près, se retrouvent à Boulogne Billancourt : on pourrait donner d’autres exemples chez les Marocains et les Tunisiens du Sud.
Cependant ces caractères communs ne doivent pas occulter la personnalité, les comportements migratoires et les composantes socio professionnelles ; de chacun de ces groupes ruraux. Nous avons distingué deux groupes régionaux prépondérants ou « dominants », les Kabyles et les Chleuhs (Marocains du Sud Ouest) et deux groupes minoritaires, les Rifains et les Tunisiens du Sud.
Deux groupes dominants : les Kabyles et les Chleuhs
– Les Kabyles constituent le groupe algérien le plus nombreux mais également le plus anciennement implanté à la Régie. Cette antériorité est conforme à la fonction d’initiation tenue dans la migration algérienne par cette région de départ, où la dureté du milieu montagnard hyper humide, la pauvreté de l’agriculture, les traumatismes des répressions coloniales (J 871, 1945) et surtout de la guerre d’indépendance, (1954 62) la surcharge démographique (de 50 à 300 habitants au km2) ont incité les familles à rechercher à l’extérieur des revenus indispensables à la survie et à leur maintien dans les villages, auxquels ils restent très attachés malgré la proximité d’Alger. La spécificité kabyle à la RNUR se marque par le choix préférentiel de Boulogne Billancourt, un àge sensiblement plus élevé que la moyenne algérienne (48.5 % ont plus de 40 ans contre 43,5 % des Algériens) et une nette tendance au maintien des familles dans la région d’origine ainsi que le montre clairement la carte des allocataires : 51,5 % des Kabyles perçoivent des allocations familiales au pays contre 39 % des Algériens. Le maintien plus fréquent des familles au pays est un indice du fort attachement de ce groupe à sa région d’origine, que nous retrouvons aussi dans le Sud marocain.
– Les Chleuhs (Marocains du Sud Ouest) constituent tout à la fois le premier groupe marocain et maghrébin de la Régie (60 % des effectifs nationaux). Issu ! d’une région où les conditions sont tout aussi difficiles qu’en Kabylie, car placée ici sous la dure contrainte de l’aridité, ces émigrés à la Régie ont dans leur « capital social » une très vieille tradition de migration commerçante, bien connue au Maroc ou le Soussi est synonyme d’épicier et qui joue maintenant un rôle important, dans le commerce alimentaire de la région parisienne où les Soussis tiennent près di 500 établissements (3). Entrés à la Régie dans une période nettement circonscrite dans le temps (entre 1965 et 1975), les Chleuhs sont constitués d’hommes moins âgés en moyenne et donc moins proches de la retraite que les Ka es (40 ans et plus). Nettement majoritaires à Fliris, ces ruraux figurent parmi les moins qualifiés de tous les groupes maghrébins : le pourcentage d’agents de production, à faible niveau de qualification est de 32 % dans la province d’Agadir. de 30 % chez les Marocains et de 27 % pour l’ensemble des TMR. Celui des ouvriers très qualifiés n’est que de 1,3 % contre 5,5 % pour la totalité des Maghrébins. Ici comme en Kabylie, l’attachement familial se révèle par un taux d’allocataires (54 17(‘) supérieur à la moyenne des Marocains de la Régie (46 %).
Deux groupes minoritaires : les Rifains et les Tunisiens du Sud
– Les Rifains (16,5 % des Marocains) sont originaires des provinces il Nador dans le Rif oriental et d’Oujda dans le Maroc Oriental, à la frontière d l’Algérie. Cette région est également un vieux foyer migratoire marocain, mais le migrants se dirigent plus souvent que les Soussis vers la Belgique, les Pays Bas et la RFA. Ils se distinguent par une entrée plus ancienne en France et dans les usines Renault. Ainsi 13,5 % d’entre eux sont arrivés en France avant 1955 contre 6 % seulement des Soussis (province d’Agadir). Ce groupe qui est aussi le plus âgé des groupes régionaux marocains (20,5 % des plus de 45 ans à Nador contre 14.5 % pour l’ensemble marocain) présente un niveau de qualification légèrement supérieur à la moyenne nationale marocaine.
– les Tunisiens du Sud natifs des gouvernorats de Gabès et de Medenine viennent également d’un très vieux foyer migratoire, interne et externe (1). Habitants des oasis côtières et continentales, ou montagnards de la région du Dahar (Tataouine), ces ouvriers sont arrivés plus tardivement que les groupes précédents à la Régie, mais à la différence des Algériens et des Marocains, leur embauche à la Régie a été presqu’immédiate par rapport à leur arrivée en France. Comme ils viennent d’une région sans industrie, peu urbanisée et sous alphabétisée, leur niveau de qualification est très faible à la grande différence des autres Tunisiens originaires des villes et des régions les plus développées de la façade littorale : 7 % de qualifiés contre 1.1 % pour l’ensemble des Tunisiens et 18 % dans la région de Sousse. De même, constate t on sans surprise que ce groupe présente le taux le plus élevé d’allocataires (60 % des cas). Le départ du chef de ménage. la volonté de maintenir la famille en pays sont bien conformes à l’image classique, traditionnelle, de l’émigration dans le Sud tunisien.
En dehors de ces quatre groupes, d’autres TMR sont originaires des campagnes maghrébines mais il s’agit dans leur ensemble d’isolés ou de petites cellules qui n’ont ni l’importance, ni la cohésion des Rifains, des Chleuhs, des Kabyles et des Tunisiens du Sud.
LES CITADINS : UN MONDE A PART
Les TMR originaires, ou du moins natifs des milieux urbains maghrébins sont très minoritaires et ceci constitue une autre surprise. On pouvait, en effet, présupposer que les villes maghrébines et spécialement les grandes métropoles nationales avaient constitué les milieux privilégiés pour le recrutement d’une main doeuvre formée ou habituée au travail industriel et plus sensible à l’attraction de ]Industrie automobile et au renom de la marque « Renault ». Il n’en est rien. La part des citadins parmi les TMR ne dépasse pas 15 % alors qu’elle est comprise entre 30 % et 50 % pour la migration maghrébine en France et que dans les trois pays d’Afrique du Nord les taux d’urbanisation approchent ou dépassent aujourd’hui la moitié de la population totale :49 % en 1984 au Maroc, 50 % en Algérie, 52 % en Tunisie. Bien plus, à Boulogne Billancourt, on ne dénombre que huit personnes nées à Alger pour une capitale qui compte plus de deux millions d’habitants, cinq à Constantine (400 OW habitants), deux à Oran (400 000) alors que le seul village de Tizi Gheniff en Kabylie envoie à lui seul plus de trois cents personnes. Même constatation au Maroc où Casablanca (trois millions d’habitants) ne fournit que cinquante personnes, le binôme Rabat Salé (plus d’un million d’habitants) dix neuf, Fès (400 000 habitants) huit, Meknès douze, Marrakech vingt sept, etc…
Il est significatif d’observer la même absence du milieu urbain à l’intérieur des grandes régions de l’émigration rurale pour Renault. Ainsi Tizi Ouzou, principale ville de la Grande Kabylie, n’a que trente et un représentants à la RNUR ; Agadir, la capitale régionale du Sud Ouest marocain (120 000 habitants), soixante ouvriers.
Seule, la Tunisie fait exception à cette règle. La sous représentation urbaine y est encore très sensible (10,5 % des TMR viennent du gouvernorat de Tunis contre 28 % dans la migration tunisienne à Paris), mais la part des urbains remonte grâce à la participation des travailleurs issus des villes et des vieilles régions côtières peuplées et urbanisées des gouvernorats de Bizerte, Sousse et Sfax (37,9 % des Tunisiens de la RNUR). On notera en particulier la forte représentation de la région de Sousse Monastir (28,7 %), qui s’explique par la présence dans la banlieue sud de Sousse d’une usine de la STIA (Société tunisienne d’industrie automobiles) où s’effectue le montage de véhicules Renault (tourisme et véhicules industriels). Dans la période 1968 70, les relations de la Régie avec cet établissement tunisien étaient très intenses, et la Régie a effectué à plusieurs reprises des recrutements directs de main d’oeuvre dans cette région.
Cette main doeuvre citadine se distingue des gros bataillons issus des campagnes. En premier lieu, son âge est moins élevé : 29 % des Tunisiens, 33 % des Casablancais ont moins de 30 ans alors que cette classe d’âge ne groupe que 14 % des Marocains, 10 % des Chleuhs et 6,5 % seulement des Kabyles. Son niveau de qualification, à l’inverse. est supérieur : moins d’agents de production (20,5 % parmi les Casablancais contre 32 % pour les ressortissants de la province d’Agadir), plus d’ouvriers qualifiés (7 % à Casablanca contre 1,3 %) et d’employés. Cette surqualification est part iculièrernent nette chez les urbains de Tunisie qui influencent fortement les caractères professionnels de tout le groupe national, Ainsi le gouvernorat de Sousse compte 16 ai, d’agents de production contre 31,5 % à Gabès dans le Sud. 18 % de qualifiés contre 7 %, à Gabès et 13 % pour la Tunisie entière.
Cette sur représentation des populations citadines parmi les strates les plus 1 fiées des TMR est ici tout à fait conforme au schéma global de la migrations maghrébine en France.
De même, peut on mettre en relief la spécificité du comportement fami 1 intérieur de cette catégorie très particulière des TMR. D’après le taux d’allocataires à l’étranger, très peu de migrants d’origine urbaine laissent leur famille leur pays d’origine :5.5 % seulement à Tunis, 9 % dans le Sahel de Sousswe, 1 à Casablanca contre 51 % en Kabylie, 54 % dans le Sud marocain et 60 % d Sud tunisien, À travers cet indicateur familial, on perçoit au delà des différences comportement régional et migratoire l’ampleur de la mutation sociale qui accomplie depuis 20 ans dans les villes et les grandes agglomérations urbaines d’Afrique du Nord. La place manque ici pour analyser en détail cette mut importante et ses implications sur le plan de la migration internationale. On peut voir, tout à la fois, l’expression en milieu urbain de l’évolution du modèle
(de la grande famille à la cellule conjugale) (5), la crainte de laisser la femme loin de la surveillance de la grande famille, le relâchement du contrôle social groupe et la percée de l’individualisme. Car cette population très diversifiée, « agglomérat » de citadins, ne constitue pas un groupe au sens sociologique terme, mais un ensemble de personnes dans lequel les comportements et les considérations individuels l’emportent largement sur l’esprit de groupe. tel qu’il exister dans les quatre communautés rurales précédemment décrites.
LES RETOURS ANNUELS AU PAYS
La localisation, l’origine des principaux groupes régionaux travaillant Régie, le maintien des familles au pays attesté par le taux élevé d’allocataires permettent d’affirmer que les relations à base familiale sont certainement très fiers et très solides de part et d’autre de la Méditerranée, avec sans aucun doute variations importantes selon les régions et les milieux de départ : intenses da Sud marocain, le Rif oriental et le Sud tunisien, plus lâches très certainement les migrants d’origine citadine. Les retours annuels sont un indicateur pertinent l’intensité de la relation. Malheureusement, faute d’avoir effectué une enquête directe auprès d’un échantillon représentatif de toute la main d’oeuvre maghrébine à la Régie, il nous est impossible de présenter ici une analyse détaillée des flux retours annuels, de montrer leur importance, leur périodicité. leurs variations régionales et locales.
Cependant grâce à l’amabilité de la CAT Voyages, filiale de la Régie, r avons pu avoir accès aux informations sur les retours des Maghrébins vers le pays d’origine au cours de l’année 1985 ou tout au moins sur une partie de voyages, puisque cette agence n’est pas la seule à gérer leurs déplacements, que les tarifs préférentiels ne s’appliquent qu’une fois l’an (ce qui exclut les tri pluriannuels) et qu’enfin un grand nombre de travailleurs rentrent chez eux en voiture. Ceci étant dit. le nombre de voyageurs utilisant les services de la CAT n’est pas négligeable : en 1985, 1729 Marocains sur 5871 soit 29.4 %, 1330 3631 Algériens (36,6 %) et 254 Tunisiens sur 836 (30,3 %).
Casablanca, qui est pourtant le premier aéroport marocain et la tête de tout le réseau intérieur de transports, ne reçoit pas plus de passagers qu’Oujda, cependant que Fès ne voit passer que quatorze personnes, ce qui correspond bien au faible nombre de Fassi à la RNUR. En Algérie, la Capitale tient une place prédominante dans le trafic avec 80,6 %r des retours annuels, ce qui est conforme à son rôle de premier port et aéroport du pays mais qui s’explique surtout par la proximité de la Grande Kabylie, comme principal foyer des Algériens de la Régie. La faiblesse des arrivées en Oranie et dans le Constantinois renforce notre hypothèse de la priorité des lieux de naissance comme lieu de référence principal des TMR.
Le cas tunisien est encore une fois un peu différent. La priorité de Tunis (72,4 %) n’est pas due uniquement à sa fonction de tête de réseau et à une représentation plus forte des Tunisois et des Tunisiens du Nord ; elle s’explique aussi par l’histoire des migrations internes dans ce pays. Les relations entre Tunis et les principaux foyers de la migration tunisienne à la RNUR sont traditionnellement très fortes (6), surtout chez les gens du Sud dont une partie des familles sont installées depuis des générations dans la capitale tunisienne. Il est tout à fait normal pour un Tunisien du Sud de descendre à Tunis, plutôt que de prendre un billet directement pour Djerba, et ceci en dépit de la proximité de cet aéroport très pratiqué, par contre, par les touristes venus d’Europe.
En conclusion, le sur recrutement régional, la solidarité qu’il laisse supposer son origine rurale donnent en définitive à la population maghrébine de la Régie une tonalité bien particulière à l’intérieur de la population maghrébine en France. Il projette l’image de sociétés migrantes encore fortement enracinées, très attachées à leur région d’origine, et à leurs valeurs morales, plus portées à l’épargne qu’à la consommation immédiate mais où le sens de la tradition n’empêche pas le réalisme et l’adaptation aux pratiques économiques, les plus efficaces. Le poids des urbains à la Régie n’est pas suffisant pour modifier en profondeur la marque imprimée par les communautés rurales d’origine.
TRANSFERTS FINANCIERS ET IMPLICATIONS SPATIALE DANS LE SUD MAROCAIN
Les travailleurs du Sud marocain constituent aujourd’hui le groupe régional plus représenté à la RNUR. Regroupée en grande majorité à Flins. Cette communauté est très attachée à sa région d’origine, vieux foyer d’émigration, auquel elle manifeste son attachement par des transferts financiers et des investissement importants, dont la localisation obéit tout à la fois aux impératifs de la tradition aux tendances nouvelles de l’organisation urbaine régionale.
L’ENVIRONNEMENT REGIONAL
La grande majorité de ces ouvriers de la Régie sont originaires de la fa atlantique formée de la plaine de l’Oued Souss au débouché duquel se trouve Agadir, la capitale régionale et de son encadrement montagneux : le Haut occidental au Nord, et l’Anti Atlas occidental au Sud. Très peu d immigrés tient des montagnes et des oasis de l’intérieur, de la région d’Ouarzazate Zagora.
Une analyse plus serrée, menée au niveau des cercles, montre que le recrutement RNUR s’est opéré essentiellement dans le secteur situé dans l’arrière 1 immédiat d’Agadir (cercle d’Inezgane : 19,0 % des effectifs du Sud) et surtout le piémont situé au Sud de cette ville dans les cercles de Tiznit (25,9 %) Ie Goulimine (35,9 %), ce qui justifie notre choix du secteur de Tiznit comme lieu privilégié des enquêtes directes ; celui de Goulimine a été écarté pour des rai militaires et policières se rapportant à l’actuel conflit du Sahara. On souligne l’inverse, la sous représentation des secteurs plus peuplés, en amont de l’oued (Cercle de Taroudant 14,4 %), et surtout d’Agadir. la capitale régionale
Malgré la proximité de l’océan. l’ensemble de cette façade souffre d’une aridité rarement démentie. Sur les terroirs des versants, on pratique une polycultures très extensive, complétée par les maigres ressources de l’arganier, arbre nourri et d’un élevage tout aussi peu rentable ; les terres de plaine, où existent des possibilités d’irrigation le long des oueds permanents (oued Souss et oued Massa) écl petit en partie aux vieilles communautés sédentaires pour tomber dans le giron des grands propriétaires urbains qui ont effectué des plantations d’agrumes et de meurs. L’habitat de ce monde rural se distribue en petits villages et en douars oi maisons se serrent les unes contre les autres. L’analyse spatiale du recruter RNUR, réalisée à une échelle encore plus fine, montre effectivement un phénomène de saupoudrage, un dispositif en nébuleuse de ces émigrés : on a relevé prés de 500 lieux dits, soit une moyenne de quatre personnes par lieu dit ; la différence flagrante avec les grosses concentrations villageoises de la Kabylie et du Sud tunisien.
L’activité régionale s’organise de plus en plus en fonction du réseau urbain constitué de petites villes anciennes. telles Taroudant, Tiznit, qui vivaient autant en symbiose avec les campagnes avoisinantes. La dégradation du mode de vie et la fascination de la ville ont développé de forts mouvements de population. Les centres urbains sont les mieux dotés en services et tout particulièrement vers Alger, la capitale régionale (250 000 ha). Cette ville neuve, reconstruite après le séisme de 1960, a vu son importance et son rôle régional s’accroître avec la création de la plus grande station balnéaire du Maroc, le développement des activités agro alimentaires liées à la pêche, la promotion administrative et surtout le désenclavement de la province provoqué par la marche verte et la prise de possession des territoires du Sud. Les villes de Goulimine et Tiznit, situées sur l’axe routier du Sahara, ont également tiré profit de ce désenclavement et l’on comprend l’intérêt que leur portent aujourd’hui les nombreux travailleurs émigrés de cette région, commerçants de Paris, mineurs des Houillères du Nord, ouvriers de la RNUR.
Une forte solidarité unit les travailleurs de la Régie à leurs communautés d’origine qui abritent les familles, surtout celles des migrants les plus âgés (72.2 % d’allocataires parmi les hommes de 45 à 50 ans, 38,8 %, de 30 à 35 ans) ; les taux de retour pour les congés annuels sont également très élevés (90 % selon lenquête). Les flux monétaires, le rapatriement de l’épargne constituent aussi un indicateur très pertinent de l’intensité de cette relation entre la RNUR et le Sud : les enquêtes f indiquent tout aussi clairement que le regard posé sur un style de vie encore empreint de rigueur.
TRANSFERTS FINANCIERS ET STRATEGIES FAMILIALES
L’importance des sommes transférées est une caractéristique très affirmée du Sud Ouest marocain dont on ne retrouve guère d’équivalent au Maghreb que dans le Sud tunisien.
Estimation des revenus transférés
Les procédures d’évaluation des flux monétaires reposent sur trois approches complémentaires : 45 entretiens réalisés dans les usines Renault, les enquêtes effectuées au Maroc et l’analyse des transferts réalisés par la Société Financière et Foncière (SFF) ou « banque Renault ».
Aux 5 279 F (salaire mensuel imposable des ouvriers Pl en 1984) viennent parfois s’ajouter des revenus complémentaires. Parmi les personnes enquêtées, citons un épicier qui aidait son frère, un coiffeur dans un foyer SONACOTRA et un vendeur de montres ambulant. Sans pouvoir véritablement chiffrer le revenu de base réel, on comprend mieux l’importance de certains transferts monétaires qui correspondent à la totalité de la rémunération perçue à la Régie.
Le dépouillement des questionnaires permet d’évaluer la part du salaire qui est injectée dans l’économie du Sud Ouest marocain : entre 40 % et 60 % du traitement de base pour les 213 de l’échantillon. Cette valeur centrale ne doit pas gommer les extrémités de la courbe : certains expédient jusqu’à 80 % de leur salaire perçu à la RNUR (sur tout lorsqu’il v a une activité complémentaire), tandis que d’autres déclarent ne rien transférer. Ce « rien » correspond souvent à des envois modestes ; pour une fiche de l’enquête, il s’agissait de 5 000 F par an, pour une autre de 1 500 F. Le plus souvent. les remises sont mensuelles ; l’afflux lors de la paye. le 7 de chaque mois, le montre bien, les files d’attente devant la Banque Populaire de la place Clichy aussi. Ce comportement financier est sans doute l’un des plus tranchés à l’échelle du Maghreb.
Les enquêtes faites auprès de la SFF permettent d’estimer à 25 000 F au moins la moyenne des sommes transférées annuellement par les ouvriers de la Régie, originaires du Sud marocain, soit le double de la moyenne actuelle des remises effectuées en 1984 par les émigrés marocains à l’étranger (12 000 dirhams, soit 13 200 F environ), Le personnel de la RNUR se situe dans une position économique intermédiaire entre les ouvriers et les commerçants dont les revenus et les transferts sont nettement plus élevés, Cette importance des remises est fonction des salaires et des primes perçues au sein de l’entreprise, supérieurs à la moyenne des Marocains en France : c’est le fruit de l’ancienneté acquise par les TM R et de la politique sociale de la Régie. Mais ce revenu supérieur n’explique pas tout, car l’ampleur des sommes est aussi l’indice d’une forte propension au transfert qui sont dus à un comportement traditionnel d’épargne, à la rigueur du mode de vie pratiqué par ces immigrés en France mais aussi à un sens aigu de leurs obligations morales vis à vis des familles qui sont restées au pays (54 % d’allocataires) et à un attachement très puissant à leur région natale. Ce type de comportement est très vif chez les ruraux, il tend à s’atténuer, à s’émousser chez les migrants d’origine citadine qui sont beaucoup plus enclins à l’utilisation et à la consommation de leurs revenus en France (8),
Un rôle prioritaire du système bancaire
Comme la très grande majorité des travailleurs marocains à l’étranger, les ouvriers de la Régie utilisent le canal bancaire pour rapatrier leurs économies. La Banque Populaire ou Banque Chaabi monopolise ces opérations. 90 % des Marocains enquêtés ont ouvert un compte dans cet organisme qui a su voir tout le profit qu’il pouvait tirer de cette circulation financière considérable de France vers le Maroc, (4 milliards de francs par an), et qui a ouvert de nombreuses agences dans les grandes régions de départ et dans les lieux d’emploi des Marocains à l’extérieur. Cette banque est réputée à la Régie pour l’agressivité commerciale de ses démarcheurs qui relancent leurs clients à la sortie des usines, dans les cafés à proximité, et jusque chez eux. Toutefois, un courant nouveau se dessine : à côté du compte Chaabi et de ses prestations particulières (assurance décès, rapatriement des corps), 12 %, des ouvriers enquêtés ont ouvert un second compte dans une autre banque marocaine (la Banque marocaine pour le Commerce et l’industrie). L’argument invoqué est celui de la qualité du service offert pendant les périodes de congés où l’on évite ainsi les longues files d’attente qui se produisent aux guichets de la Banque Chaabi. A la différence de la Tunisie, la procédure de transfert par mandat postal n’est utilisée qu’occasionnellement. Par contre, il est fréquent qu’une partie importante de la somme épargnée jusqu’à 20 000 F en espèces) soit transportée par l’intéressé ou par une personne de confiance au moment du retour annuel.
Les travailleurs du Sud Ouest marocain ont parfaitement assimilé les possibilités de rentabilisation offertes par le système bancaire. Les rémunérations d’intérêt à 8 % sur livret sont généralement écartées, au profit du compte bloqué qui limite les effets de l’inflation (de 10,5 % à 12 % de 3 à 18 mois, 12,5 % au delà de 18 mois). Par ailleurs, les mesures incitatives appliquées par le gouvernement marocain vont dans le sens d’un drainage amplifié vers le système bancaire : la prime de transfert (2,5 % et 5 %), qui avait été supprimée après la dévaluation du dirham, a été très rapidement rétablie, les flux ayant considérablement chuté dans l’intervalle.
A noter toutefois que le quart des enquêtés disposent aussi d’un livret d’épargne en France, où ils se gardent toujours une provision en cas de nécessité. Très peu cependant ont des stratégies d’investissement en France : trois personnes seulement sur quarante cinq ont acheté un studio qu’elles louent dans l’agglomération parisienne.
. Stratégies de groupe et utilisation familiale des revenus migratoires
A l’épargne transférée d’une manière ou de l’autre par le migrant peuvent s’ajouter d’autres types de ressources : les allocations familiales perçues pour les enfants restés au pays, les revenus d’une petite exploitation agricole ou ceux apportés par d’autres membres de la famille travaillant à l’étranger. Le système du revenu composé constitué par l’ensemble des revenus du groupe familial semble assez fréquent et permet à ce dernier de développer une stratégie il investissement à plus grande capacité d’action ; ainsi s’explique l’ampleur de certains achats qui paraissent incompréhensibles au vu d’un seul salaire annuel perçu à la Régie.
Les moyens de subsistance et les dépenses courantes des familles, sont dans l’ensemble légèrement supérieurs à la moyenne régionale, environ 1 000 F par mois, parfois un peu plus, quelquefois beaucoup moins selon le milieu où la famille réside habituellement (Agadir ; ville moyenne ; petit centre ; douar isolé). La différence de niveau de vie par rapport à un ouvrier au Maroc (800 F par mois) ne paraît pas très importante, sans doute parce qu’un souci trop évident d’ostentation permanente serait mal ressenti par la société locale très rigoriste. La part du revenu familial composé qui n’est pas consommée immédiatement à l’occasion des mariages (qui coûtent fort cher) est investie très souvent dans les projets du groupe familial et non pas de la cellule conjugale (achat de motopompes pour l’irrigation, de tracteurs) mais, dans l’ensemble, ces investissements à finalité agricole sont peu fréquents, même s’ils le sont plus qu’en Kabylie. Le projet professionnel par excellence dans cette région du Souss, c’est l’achat ou la création d’un petit commerce où l’on s’associe à plusieurs frères ou cousins ; le travailleur à la Régie constituant en quelque sorte le fonds de garantie de l’opération. L’autre poste d’investissement, c’est bien sûr la maison qui symbolise tout à la fois l’enracinement au pays et le désir de promotion sociale, dont le projet migratoire est généralement porteur.
INVESTIIR A LA VILLE OU A LA CAMPAGNE ?
La question qui vient d’être posée est au coeur de l’évolution de tous les grands foyers migratoires maghrébins ; elle prend une acuité particulière dans cette région du Souss où l’urbanisation très rapide se réalise à l’intérieur d’une trame rurale encore très solide, Flic place le migrant au coeur d’une contradiction bien difficile à résoudre, car il est tiraillé entre, d’une part, l’attachement à la terre ancestrale. à son douar ou à son village de naissance avec son environnement social et ses valeurs de référence et d’autre part, l’attrait de la ville, avec ses services (Peau, l’électricité, l’école, l’hôpital), les possibilités d’emploi et de profit qu’il y perçoit, avec enfin les espoirs de promotion sociale que la société urbaine lui laisse entrevoir.
Certains choisissent l’une ou l’autre solution, d’autres pratiquent un double investissement, l’un à finalité affective dans le lieu d’origine, l’autre à finalité éco nomique et sociale dans le centre urbain le plus proche ou dans la capitale régio nale. Le cas de ce soudeur à Flins, originaire d’un douar dans la région de Tiznit, nous paraît tout à fait révélateur de cette ambivalence. Entré directement 1 la Régie dès son arrivée en France en 1968, il fait construire dans la ville de Tiznit (coût 200 OM F), où il fait venir sa famille. Enfin, et on entrevoit ici le calcul économique, il achète un terrain près du grand carrefour du Sud ; à Ait Melleul dans l’arrière pays de la capitale régionale Agadir (120 m2 à 500 F le m2). Acha spéculatif, préparation d’une nouvelle étape migratoire ou d’un projet commercial
Aucune hypothèse ne doit être écartée.
Pour dépasser la dimension individuelle ou familiale, nous avons replacé également cette étude des comportements en matière d’investissement dans le cadre il deux types de milieu local : un secteur rural formé de plusieurs douars dans 1 région de Tigmi El Jadid près de l’oued Massa, et la ville de Tiznit, où l’extension urbaine récente, hors des remparts de la médina, est en majeure partie le fait d’investissements réalisés par les travailleurs de toute la région à l’étranger et tout spécialement à la Régie (30 % des constructions nouvelles). Une mission d’observation et d’enquêtes s’y est déroulée pendant l’été 1985.
. Le secteur rural de Massa
Cet espace se localise entre la ville d’Agadir et celle de Tiznit au sud, à 30 kilomètres environ de celle-ci. Une part importante de la population active masculine travaille en France, dans l’industrie automobile tout spécialement chez SIMCA à Poissy et dans l’établissement de la RNUR à Flins.
Le secteur appelé Massa dans la région est constitué de deux alignements de douars qui s’étirent de part et d’autre de l’oued Massa : douar Imalane sur la rive gauche, douar Tigmi sur la droite. La construction d’un barrage important en amont a modifié l’équilibre agricole et humain de ce secteur en faisant disparaître les cultures temporaires qui se pratiquaient après les crues sur la rive gauche de l’oued et en permettant, à l’inverse. le développement des cultures irriguées sur la rive droite déjà valorisée par le passage de la route d’Agadir. Le comportement spatial et immobilier des émigrés accentue le déséquilibre au profit de la rive droite Une trentaine d’entre eux ont abandonné le douar finalanc pour s’installer à Tigmi, en faisant construire une maison qui leur permette de bénéficier d’un meilleur accès à la route, à l’électrification et à l’école. La plupart des constructions nouvelles se localisent autour du douar Tigmi et de plus en plus le long de la route d’Agadir en fonction d’un projet éventuel de réinsertion dans le commerce.
Cette intention explique à la fois la localisation de ces grosses maisons neuves et leur architecture répétitive. Le rez de chaussée est toujours constitué de deux ou trois grandes pièces avec une large ouverture fermée par un volet métallique, pièces qui sont destinées en premier lieu à la création d’un commerce (un essai infructueux vient d1être tenté pour l’ouverture d’un café) et à défaut à un garage pour la voiture rapportée de France. Le premier étage est consacré à I’habitation ; les fers à béton qui dépassent de la terrasse laissent présager la construction d’un étage supplémentaire, lorsque le besoin s’en fera sentir ou que les moyens financiers le permettront. Ce type de modèle architectural qui tend à s’imposer en plein milieu rural, ici comme dans la plupart des campagnes marocaines, est aussi un signe de l’urbanisation que véhicule, entre autres, la migration internationale du travail. Des formes de micro urbanisation s’ébauchent dans ces processus de regroupement et les modifications de l’habitat.
Dans ce secteur, les liens des émigrés avec l’agriculture sont encore bien vivants. On achète des parcelles irriguées sur lesquelles on pratique des cultures de légumes, de maîtres d’ouvrage pour l’élevage et, la culture du jonc (pour la confection de nattes). Ce dernier type de plante se récolte au mois d’août, donc au moment du retour annuel, et permet de dégager un bénéfice non négligeable (4 000 DH pour 2 500 m2).
Tiznit : la ville « tirelire »
569 personnes de la province d’Agadir travaillent à la RNUR. Presque toutes sont d’origine rurale et tendent à s’installer à Tiznit. En 1978, le gouvernement a octroyé à cette ville le statut de Capitale de Province, ce qui a décuplé son pouvoir attractif sur les populations avoisinantes. Le conflit du « Sahara espagnol » avait fait de cette ville une base militaire avancée, le déplacement des zones de combat vers le Sud y a ancré une vitrine du Sud marocain. Si le nombre d’habitants a doublé entre les deux derniers recensements (11 391 h en 1971, 22 922 h en 1982), la surface bâtie a plus que triplé depuis 1975. Auparavant, l’urbanisation était contenue à l’intérieur des remparts. Les revenus des migrations internationales ont contribué de façon décisive à l’explosion du cadre bâti. Parfois, dans certains quartiers comme celui du « programme social », les émigrés sont majoritaires (60 %) ; même s’il est difficile d’avancer un chiffre global pour l’ensemble de la ville, quelques entretiens avec des responsables bancaires locaux et des services techniques permettent d’évaluer à un tiers la contribution des travailleurs émigrés à l’édification des nouveaux quartiers, Les ouvriers de la Régie Renault s’inscrivent pleinement dans ce remodelage de la morphologie urbaine. Plus que la recherche d’un emploi éventuel, c’est l’accès à un nouveau mode de vie qui les fixe à Tiznit. Ajoutons que la quasi totalité vient des campagnes environnantes ou de l’AntiAtlas occidental ; il y a un net phénomène de descente des montagnards vers la bordure littorale.
Les flux financiers ont contribué à accentuer la hausse vertigineuse des prix des terrains, qui peuvent atteindre 1 000 DH le m2 dans les quartiers les plus convoités. La spéculation s’est considérablement ralentie depuis 1982 avec la concurrence des organismes para puhlics : Etablissement Régional d’Aménagement et de Construction (ERAC), Compagnie Immobilière et Foncière Marocaine (CIFM). les Amicales des fonctionnaires. Toutefois, même si 10 % des émigrés choisissent ]TRAC, les promoteurs privés conservent la plus grande part du marché z 58 promoteurs sont installés dans le quartier de Youssoufia et chaque année la plupart d’entre eux vont en France pour faire du démarchage auprès des émigrés. Cette prospection systématique les conduit à vendre des lots de terre aux Tifnitis, de la Région. L’habitat n’est d’ailleurs pas le seul motif d*investissement.
Une étude récente (9) montre que 20 % des terrains achetés par des travailleurs marocain l’étranger le sont au titre de la spéculation. Pour l’émigré, ce loi constitue une tirelire à l’échelle de la ville, c’est une réserve foncière.
Ces villas dont la majeure partie n’est occupée que pendant l’été, pourrait facilement être rentabilisées. Le secteur locatif est déficitaire ; un F4 se vendra 1 500 dirhams par mais. Mais la possession d’une vaste maison reste la concrétisation d’un rêve et une compensation lorsqu’on habite toute l’année dans quelqu mètres carrés en banlieue parisienne. On peut s’interroger sur la rentabilité de ces opérations immobilières, mais pour le travailleur de la Régie, elle constituent un placement de sécurité, une réponse à l’inquiétude qui monte devant la politique, compression du personnel à la RNUR. C’est pourquoi on assiste à Tiznit comme dans les autres villes du Sud à une marche forcée pour la construction ou l’achat de maisons. En août 1985, les commerçants et les détaillants de la ville se plaignaie de la baisse de leurs ventes estivales qu’ils mettaient directement en relation avec sur investissement dans l’immobilier. Une autre réponse à cette inquiétude est stratégie d’ïnvestissement dans le commerce, activité noble s’il en est dans la mentalité régionale, mais qui peut se développer dans quatre types d’espaces urbain différents :
– le centre urbain à rayonnement local (Tiznit, Goulimine ou Taroudant) mais les chances de réussite sont limitées par l’étroitesse du marché local a consommation et la férocité de la concurrence ;
– la capitale régionale, Agadir et sa grande banlieue semi urbaine (Imzgan, Ait Melloul) ;
– les grandes villes marocaines où les Soussis sont fortement implantés dans le commerce de gros et de détail. L’enquête a montré 3 cas d’investissement dans ces secteur, 2 à Casablanca et 1 à Marrakech ;
– l’agglomération parisienne où la floraison des petits commerces d’origine soussi (plus de 500 établissements en 1985) et la nouvelle réglementation issue de 1 loi 84 622 du 17 juillet 1984 qui a eu, entre autres, pour effet de dispenser de la carte de commerçant les titulaires de la carte de résident, peuvent inciter les Soussi à une éventuelle reconversion dans l’alimentation de quartier. Notre étude récent sur le petit commerce étranger en France montre que 60 % des Soussis à Pari travaillent avec des associés (3) et l’enquête a rencontré plusieurs cas où les indemnités de licenciement ont servi à ce glissement vers l’activité commerçante.
Manifestement, le lieu d’origine n’est plus le seul qui compte pour les travail leurs du Sud marocain, qui ne le renient pas pour autant. D’autres lieux de référence sont en train de dessiner une nouvelle géographie de l’espace migratoire du Soussis.
LA REINSERTION EN GRANDE KABYLIE : UN BILAN MITIGE
Le thème du retour et de la réinsertion dans l’économie du pays d’origine est étudié en prenant appui sur l’opération menée par le Service de la réinsertion de la
RNUR, dans le cadre de la convention signée entre la Régie Renault et l’Office National d’Immigration (ONI). Le secteur de l’automobile est, en effet, le plus concerné par cette procédure de retour, puisqu’en septembre 1985, 53 %, des 7 738 contrats signés correspondent à des personnels de cette industrie (11). Notre étude s’est déroulée en deux phases :
– une analyse des dossiers instruits par le service de la réinsertion à Boulogne Billancourt ;
– une enquête de terrain réalisée en Grande Kabylie auprès de travailleurs rentrés définitivement au pays.
LE CADRE GENERAL
Le choix de la nationalité s’est porté en priorité sur le groupe algérien car c’est lui qui fournit le nombre le plus élevé de candidats au retour (68,9 % des partants pour 35,2 % des TMR). à l’univers. e des Marocains (19,3 % de partants pour 56,7 % des effectifs maghrébins), les Tunisiens étant pour leur part légèrement sur représentés ( 1,7 % des candidats pour 8,1 %).
Le traitement statistique de ces dossiers dont on ne présente ici qu’un bref résumé met en évidence le rôle de trois variables, dont l’importance s’inscrit dans la logique du système relationnel :
– le facteur familial : presque tous les candidats au retour sont mariés et 81 % d’entre eux ont laissé leur proche famille au pqvs (contre 39 % pour l’ensemble de la main d’oeuvre algérienne de la Régie) ,
une tranche d’âge très concentrée : plus des trois quarts (78 %) ont entre 35 et 45 ans contre 42,5 % des Algériens ;
– la sous qualification : 98 % n’ont qu’un faible niveau de qualification contre 86,5 % des Algériens. Le non départ des qualifiés est une caractéristique classique que l’on attribue généralement à la présence des familles et à une meilleure insertion professionnelle et sociale des qualifiés dans le pays d’emploi ;
l’absence de formation : moins de 10 % ont obtenu un CAP ou suivi des cours de français ou de calcul.
La Grande Kabylie, un des principaux foyers de la migration algérienne, s’est imposée comme un terrain d’enquêtes prioritaire, tout d’abord en raison de son poids dans les effectifs algériens de la Régie (62 % pour les wilayas de Bejaïa, Bouira, Tizi Ouzou, Rouiba). D’autre part, cette région montagneuse et rurale, accueille à elle seule plus des deux tiers des émigrés de retour. alors qu’elle connaît une véritable mutation suscitée par l’industrialisation de l’axe Alger Tizi Ouzou, et que l’agriculture, autrefois principale activité régionale, décline inexorablement. Les terroirs en pente sont abandonnés, la friche s’étend et la population jeune délaisse les emplois agricoles, mais les ateliers artisanaux et les nouvelles entreprises industrielles ne peuvent absorber l’excédent de main d’oeuvre locale et régionale qui se trouve contrainte à l’exode vers Alger. Le contexte régional, on le voit, n’est guère favorable à la réinsertion.
La constitution de l’échantillon s’est faite sur la base des dossiers des Algérien qui ont, effectivement signé un contrat pour le paiement de la prime au retour ( 60 WOF à 120 MF) ou sa contrepartie en matériel. Une liste de 60 personnes été établie mais sur ce nombre, nous n’avons pu effectivement interviewer sur terrain que 34 personnes (pour cause d*adresses erronées, de changement de do cile, d’absence au moment de notre passage ou même de retour clandestin France). Chaque entretien semi directif, d’une durée moyenne de deux heures, s’est déroulé le plus souvent au domicile de l’intéressé. De toutes les informations apportées, nous avons sélectionné en priorité celles qui se rapportaient à la réinsertion sur le plan de l’emploi et de l’activité, ce qui n’implique pas que les autres variables sociales et matérielles (logement), ne jouent pas aussi un rôle décisif dans la réussi ou dans l’échec de cette opération.
UNE DIFFICILE REPRISE DE LA VIE ACTIVE, UN REFUS DU SALARIAT ET DE L’AGRICULTURE
Une longue période transitoire
Avec le retour dans la région d’origine, s’ouvre pour l’ancien émigré période de transition qui le plus souvent, s’étire pendant des mois. Au début l’arrivant se « met en vacances », il renoue des contacts avec amis et connaissance « promène », jouit d’une sorte de liberté retrouvée, conscient de s’être en quel sorte affranchi de l’obligation de reprendre le chemin de l’exil et de l’usine. N avons rencontré quelques uns de ces hommes, rentrés depuis peu et qui étai encore dans l’euphorie du retour et des retrouvailles. Passée cette phase, certains ont repris un travail en usine. Ce sont les seuls à avoir retrouvé une activité à plein temps (à l’exception d’un commerçant et d’un agriculteur). Tous les autres profitent depuis 6 mois (parfois un an) cette période transitoire où l’activité n’a encore trouvé son rythme et n’en finit pas de se chercher. 40 % des personnes interviewées ont retrouvé une activité. Les autres, dont le projet était de se met leur compte, se présentent eux mêmes comme des vacanciers prolongés ou chômeurs, ou affirment préparer toujours la réalisation de leur projet.
Le refus du salariat
Le fait majeur, fondamental, est le refus général de revenir à la condition de salarié et de « retomber » dans la même situation sociale qu’en France. Même qui avaient mentionné dans leur dossier un retour à l’usine ne s’y résignent contraints par les nécessités de la survie, avec un sentiment déclaré d’amertume d’échec, A ceci plusieurs raisons : d’une part, après dix ou quinze années sur les chaînes de la Régie, ces ruraux qui ont conservé la nostalgie des va villageoises font un véritable rejet du mode de production et d’existence l’entreprise industrielle, de l’anonymat et de l’asservissement à la machine. paradoxalement, un argument vient encore renforcer ce refus : « maintenant qu’il y robots, les machines n’ont plus besoin de nous ». Le rejet de ce mode d’existence qu’ils ont ressenti comme une atteinte à leur identité les conduit aujourd »hui repli sur le village, ses valeurs traditionnelles, la famille, les amis, D’autre par réinsertion dans le secteur industriel est objectivement difficile. En Grande Ka les bassins d’emploi sont très étendus et les établissements souvent fort éloignés temps d’accès, des villages où s’effectue la réinsertion. Un emploi à l’usine si donc de longues heures de trajet : plus de trois heures par jour pour faire l’aller retour en car entre Tizi Gheniff et la zone industrielle de Rouiba dans la banlieue est d’Alger. L’insuffisance des salaires. dont le pouvoir d’achat est inférieur de moitié à celui obtenu à la Régie, exclut tout à la fois l’usage d’un véhicule personnel et la location d’un logement sur place qui est, de toute manière, introuvable. A l’éloignement des lieux d’emploi, la modicité des salaires, la crise du logement, il faut enfin ajouter le chômage. Les entreprises d’Etat ne pourraient pas absorber toute cette main d’oeuvre anciennement émigrée si celle ci se présentait à leurs portes. Des quotas lui sont bien sûr réservés mais, malgré tout, bien des candidats sont écartés après l’embauche des prioritaires (fils de combattants, « amis » de responsables). L’ouvrier non prioritaire, s’il a plus de 40 au de 45 ans, a peu de chances de trouver une place dans une entreprise d’Etat. Dans le secteur privé, il est directement concurrencé avec tous ses compatriotes qui, eux, ne sont jamais partis. Ce sentiment d’exclusion est difficile à supporter.
Un rejet de l’agriculture
Le caractère rural de la Grande Kabylie, l’importance de l’agriculture dans l’économie traditionnelle, l’origine même de ceux qui sont partis en France, auraient pu induire un large mouvement de retour et de réinsertion dans la vie agricole locale et régionale. Parmi les cinq personnes qui avaient formulé le projet de revenir à l’agriculture, nous avons pu en rencontrer deux. La première, revenue depuis bientôt un an n’avait toujours pas repris d’activité au moment où nous sommes allés la voir Ouillet 1985). Cet homme envisageait, sans trop y croire, de remettre en culture (du blé) quelques parcelles de terrains très pentues qui lui appartiennent mais qui sont restées en friche depuis 25 ans. Refusant de travailler en usine, ne sachant pas conduire la camionnette qu’il a fait ramener de France, il n’a que l’agriculture pour reprendre pied dans la vie active. Pour lui, le retour à l’agriculture semble plus relever de la fatalité que du choix librement consenti.
Le second agriculteur que nous avons rencontré est, par contre, complètement réinséré dans son activité d’origine, qu’en réalité il n’a jamais quittée. En effet, lorsqu’il était en France, il envoyait 40 % de son salaire à la famille et en conservait encore 20 % pour ses voyages annuels (billets, plus les cadeaux). De tous les interviewés, c’est lui qui procédait aux transferts les plus importants. Il s’était organisé pour faire cultiver ses parcelles pendant son absence et il a même réalisé des investissements en matériel (achat d’une motopompe pour l’irrigation). On peut considérer que, s’il a passé 13 années en France, il est toujours resté très présent à son milieu rural. Pour lui, le cercle migratoire est véritablement bouclé.
La faiblesse de l’échantillon ne permet pas de tirer de conclusions sur ce point, mais si la réinstallation en milieu rural est unanimement souhaitée, le travail de la terre est tout aussi unanimement rejeté, ou, au mieux, considéré comme un pis aller en attendant autre chose.
LA REINSERTION DANS LE TRANSPORT ET LE COMMERCE : ATTRAITS ET DESILLUSIONS
Plus de la moitié de l’échantillon (57 %) et les trois quarts des Algériens (77 %) selon I*ONI ont un projet de réinstallation dans les transports (17 %) et surtout dans le commerce (40 %), bien que la frontière entre les deux soit souvent asse floue (nombreux cas de transporteurs commerçants). Ce projet était cohérent ave l’image que l’émigré avait de sa société villageoise quand il est parti : insuffisance des infrastructures routières et des moyens de transport, sous équipement commet cial, système économique en semi autarcie. Depuis peu, la vie de nombreux village kabyles, situés hors des quelques grands axes routiers, est en train de se modifie rapidement avec l’ouverture de nouvelles pistes et de routes. Les émigrés de la Régie, pourvus d’un véhicule ou de fonds importants grâce à la revente d’un des véhicules importés, sont donc théoriquement bien placés pour assurer le transport des personnes ou des marchandises entre le village et les villes voisines, ou pou ouvrir un commerce. Quelques uns ont su saisir cette opportunité. L’un passe tou les matins dans les villages environnants pour prendre les commissions et revenir les livrer dans l’après midi en prélevant au passage son bénéfice. L’autre fait savoir qu’il peut emmener qui veut à Tizi Ouzou ou à Alger contre « dédommagement x car il s’agit en fait d’un transport clandestin. Le troisième « monte des coups » selon sa propre expression, en allant chercher des moutons avant l’Aid dans une région de production et les revendre dans son village, très isolé, où l’on ne pratique pas 0 type d’élevage (100 % de bénéfice). Cependant leur manque de savoir faire vis à vis des formalités administratives à accomplir pour déclarer légalement leur activité ou la volonté d’éviter les taxes, font que la majorité de ces « commerçants transport leurs » exercent clandestinement leur activité (bien que ce soit, en fait. au vu et su de tous), ce qui les met dans une situation pour le moins précaire.
Pour les commerçants, la situation n’est pas plus brillante : le manque di connaissances et l’absence de vues à moyen terme cantonnent (à deux exception près) « apprentis commerçants » à un petit négoce de détail polyvalent, dont 1 rentabilité est et restera problématique. Ceci, d’autant plus que les liens entre ce montagnes kabyles et les principales villes bordières continuent à se renforcer avec l’acquisition de voitures personnelles par la clientèle et le développement de super marchés.
Les transporteurs de marchandises, qui ont investi leur prime de départ dan ! l’achat d’un camion ou d’une camionnette Renault, ont quant à eux d’autres difficultés. Les besoins de moyens de transport restent élevés, mais la multiplication di nombre de ce type de véhicules, depuis quelques années, a induit une concurrence serrée qui fera disparaître les plus faibles, aux dires même des intéressés. Un exemple parmi d’autres est celui du village d’Assi Youssef ex Amouline, entri Ouadhia et Boghni. Dans ce gros centre rural perché sur le flanc du Djurdjura, il y a quelques années deux transporteur ne suffisaient pas à la demande. Aujourd’hui, on n’en compte pas moins de vingt (communaux et privés) qui, évidemment n’ont plus suffisamment de clientèle. La concurrence oriente les tarifs à la haine les bénéfices réels ne sont pas ceux escomptés et beaucoup de projets semblent compromis à terme, à moins d’un transfert d’activités dans une autre région, ce qu n’est pas envisagé à l’heure actuelle. En outre, un risque de dépréciation plane sur k capital. qui est constitué rappelons le par la prime de départ convertie et véhicule. L’arrivée massive sur le marché de véhicules, importés notamment par les emigrés, a tendance à saturer le marché de l’occasion. Ce n’est pas l’effondrement, les voitures se vendent encore trois.fois leur prix d’achat, mais les acheteurs sont moins empressés, d’autant que les « japonaises » suscitent de plus en plus d’intérêt.
En définitive, l’improvisation, le manque de formation et la dynamique propre de ces activités font que la réussite dans les deux secteurs du transport et du commerce reste encore très incertaine.
LA REINSERTION : UN BILAN DIFFICILE A ETABLIR
Tout au long des pages précédentes il a été suggéré qu’après une période d’euphorie consécutive au retour, la réinsertion se heurtait dans la réalité à bien des difficultés : taxes imprévues, oâligation de vendre un véhicule pour finir la maison, concurrence exacerbée dans l’exercice de l’activité projetée, éloignement du lieu de travail, retour à l’usine. Nous ne nous étendrons pas ici sur ces demi échecs ou demi réussites. D’un côté, la reprise d’activité est plus difficile que prévue. De l’autre, le bilan est jugé « globalement positif » : la vie familiale retrouvée, la satisfaction d*étre enfin rentré chez soi dans son pays, dans sa maison, la solidarité des amis, la beauté des paysages etc. Ces situations, vécues avec semble t il un certain malaise, n’en témoignent pas moins d’une réinsertion « en train de se réaliser ».
Il n’en est pas toujours ainsi, surtout lorsqu’on a coupé les ponts avec sa famille et la société villageoise. Tel est le cas de cet homme qui durant son séjour à l’étranger, négligeait d’envoyer de l’argent à sa famille et consommait tous ses revenus, au mépris des normes de sa communauté (jeux, ban, etc.). A son retour, il n’avait ni maison, ni projet. Dans un premier temps. il a « bu » sa 4 L ; depuis il est réduit à travailler à la journée comme manoeuvre, déchu et méprisé de tous. Certains enfin nous ont demandé d’intercéder en leur faveur auprès de la Régie pour pouvoir y retrouver un emploi, soit parce qu’ils s’ennuyaient dans le village isolé qu’ils ont retrouvé après 15 ans d’absence, soit parce qu’ils ne « s’entendaient plus » avec leur famille dont ils ont été séparés trop longtemps. Cinq personnes nous ont affirmé être disposées à restituer le montant de leur prime (quitte à emprunter pour cela) pour retrouver une carte de travail en France, et deux étaient prêtes à rentrer clandestinement en France si elles ne pouvaient pas le faire régulièrement ; un candidat est déjà revenu en France 15 jours seulement après son départ à la suite d’un conflit avec sa famille. En bref, si le retour définitif a été souhaité et si le contrat proposé a été perçu comme une aubaine à ne pas manquer, beaucoup de ces travailleurs étaient en fait très mal préparés professionnellement et psychologiquement à réaliser effectivement leur réinsertion.
Le choix de l’activité se porte majoritairement sur le secteur des services (commerces, transports), mais dans une optique qui est celle du village, dans une dynamique de repli sur un cadre restreint et familier : commerçants certes, mais plutôt petit épicier, transporteur sans doute, mais dans un rayon d’action centré sur le village natal, là où a été construite la maison, symbole de réussite sociale.
Le changement d’échelle, de la grande usine parisienne anonyme à la petite entité locale familière, est l’un des visages fondamentaux de la réinsertion. Un autre est la difficulté éprouvée à passer de l’état d’émigré à celui de réémigré, quand ce n’est pas à celui d’immigré dans sa propre société, car de la solidité des liens familiaux et sociaux maintenus par l’émigré avec la communauté d’origine dépendra aussi la réussite ou l’échec de la réinsertion économique. Beaucoup plus douloureux sont les cas non évoqué, ici de la réinsertion et du retour des familles entières, C’est dans cette catégorie que les difficultés sont les plus grandes et les retours en France probables, si ce n’est déjà réalisé.
CONCLUSION
Les travailleurs maghrébins de la Régie Renault ont créé, maintenu ou développé avec leur société d’origine un véritable système de relations qui nous parait plus solide que celui qu’on peut observer actuellement dans l’ensemble de la Population maghrébine en France. Le maintien de la proche famille au pays, la fréquence des retours annuels, l’importance des transferts financiers, une tendance sans doute plus nette aux retours définitifs, particularisent ces liens avec la communauté de départ, liens que l’appartenance à la Régie, la stabilité dans l’entreprise vraisemblablement plus renforcés qu’atténués. Le fonctionnement de ce système relationnel s’explique, certes. par l’historique du recrutement, mais il procède encore des origines rurales et des structures régionales de cette population outre L’importance de dériracinement régional est évidente puisque quatre groupes constituent, à eux seuls, près de 80 % de l’effectif total. Cette référence rend compte, du regroupement dans les grands établissements parisiens, elle s’inscrit très semblablement aussi dans les lieux de vie en région parisienne, elle imprime force ses implications dans l’espace du pays d’origine. Mais chacun de ces groupes régionaux a son histoire à la Régie, ses références et ses comportements, sa propre manière de percevoir sa situation dans l’entreprise et ses relations avec la « région mère », dont le contexte physique, économique et humain est très différent des autres foyers de départ.
Ignorer ou négliger l’attachement et la référence à la région d’origine personnel maghrébin de la Régie serait, à notre sens. méconnaitre une variable importante des relations humaines dans l’entreprise. Seuls les citadins, très minoritaires. et les plus jeunes, dont le comportement tend à s’aligner sur des générations nouvelles de Maghrébins en France, nous semblent échapper schéma général.
Notes et références bibliographiques :
(1) Une équipe MIGRINIER qui a réalisé cette étude est composée de Daniel GUICHET, Hélène MASSON. Dominique ROYOUX Joël THIBAULT.
(2) L’article présenté ici est extrait du rapport de synthèse présenté au CNRS et à la Régie Renault, dans le cadre du contrat « Les OS immigrès dans l’industrie automobile », contrat auquel ont participé une trentaine de chercheurs. Cf. RE M 1 n 1 (p 169, 170 et 179). Les vues exprimées ici sont celles de I’U.A. MIGRINTER. Elles n’engagent ni la Régie Renault, ni la Direction du CNRS, ni les autres équipes. ayant participé au « contrat de connaissances ».
(3) U A. MIGRINTER Commerçants maghrébins et asiatiques. Insertion spatiale et fonctions socio-économiques dans les grandes villes françaises. Rapport au Ministère des Affaires sociales. Université de Poitiers, décembre 1985, 329 pages,
(4) Simon Gildas, L’espace des travailleurs tunisiens en France Structures et fonctionnement du champ migratoire international, Thèse d’Etat, édit. Poitiers, 1979, 432 p.
(5) CAMILLERI C. Jeunesse. famille et développement.Essai sur le chargement socio culturel dans un pays du Tiers Monde (Tunisie). Aix en Provence, 1973, 514 p.
(6) SIGNOLES P.. Tunis et I’espace tunisien. capitale et Etat – Région. Thèse d’etat juin 1984
(7) NOIN Daniel, la population rurale du Maroc, Thèse d’Etat, PUIF 1970.
(8) Ce comportement en matière de transfert de fond, qui caractérise les travailleurs marocains avait déjà été mis en évidence dans les études réalisé, en IQ76 par la Fondation des Sciences Politiques (service d’étude de l’activité économique) sous la direction de G TAPINOS.
On trouvera une synthèse de ces travaux dans l’article « Le comportement de transfert de fonds des travailleurs immigrés », publié dans le numéro spécial de la Revue Française des affaires sociales, les Migrations externes, avril juin 1978. pp. 81 98,
(9) DAIDE Hassan, Les travailleurs émigré et le développement urbain de Tiznit. Rapport de DEA. Poitiers 1995
(10) U.A. MIGRINTFR. opus, cité,
(11) Source ONI Actualités Migrations. N°93, septembre 1983