Les médecins généralistes sont souvent demandeurs soit d’un avis, soit d’une prise en charge spécialisée concernant les troubles mentaux. Cependant, ils rencontrent des difficultés d’orientation et les réponses de soins psychiatriques ne leur semblent pas toujours satisfaisantes. Afin d’évaluer les attentes des médecins généralistes concernant les soins psychiatriques, une enquête a été réalisée auprès de 534 médecins généralistes sur le département de la Côte d’Or.
Méthode
Un questionnaire est établi après une réunion dont le groupe de travail était constitué de psychiatres, cadres infirmiers et médecins généralistes. Sont retenues les questions suivantes :
Quelle est la place des troubles psychiatriques au sein de leur clientèle ?
Quelles sont leurs difficultés concernant l’orientation vers des soins spécialisés ?
Quels sont les soins psychiatriques les mieux adaptés ?
Qu’attendent-ils des soins psychiatriques, et plus particulièrement des Centres Médico-Psychologiques ?
Souhaitent-ils rencontrer un soignant paramédical d’un Centre Médico-Psychologique ?
Certaines questions sont ouvertes à leurs propres suggestions.
Les réponses sont analysées en fonction du sexe, de l’âge et du lieu d’exercice (rural, semi-rural, et urbain) des praticiens. Le questionnaire est envoyé par pli postal aux 534 médecins généralistes libéraux du département de la Côte d’Or. La période d’inclusion du recueil de données s’étale de février à mai 2003. Après un premier recueil de 120 réponses, nous pratiquons un deuxième envoi nous permettant d’obtenir au total 251 questionnaires exploitables, soit un taux de réponse de 47%.
Résultats
Les généralistes estiment que les troubles psychiatriques représentent plus d’un tiers de leurs consultations : la maladie mentale (terme choisi pour limiter l’intrication entre psychologie et psychiatrie) représente 24,77%, l’alcoolisme 7,72 %, et la toxicomanie 1,54 % de leurs consultations. Des nuances sont décelables en fonction de leur lieu d’exercice (figure 1).
Concernant la satisfaction des soins psychiatriques proposés, 60% des généralistes åstiment qu’ils ne sont pas adaptés. Nous avons essayé d’évaluer les structures qui leurs semblaient les plus satisfaisantes : 77% des généralistes pensent que les lieux de soins spécifiques offrent une réponse adaptée aux soins spécialisés ; 73% d’entre eux trouvent que les Centres MédicoPsychologiques sont appropriés. La psychiatrie libérale et les services de psychiatrie sont en retrait avec, respectivement, 65% et 53%. Cependant, ces résultats sont à interpréter en fonction du lieu d’exercice des praticiens.
L’insatisfaction concernant les services de psychiatrie serait prépondérante en milieu urbain. Inversement, pour la psychiatrie libérale et la prise en charge dans les Centres Médico-Psychologiques, les médecins exerçant en milieu rural sont les moins satisfaits (figure 2). L’analyse de ces résultats, en fonction de l’âge et du sexe des répondants, montre quelques nuances :
les généralistes âgés de plus de 60 ans manifestent moins de satisfaction concernant les services de psychiatrie que les praticiens des tranches d’âge inférieures,
le sexe des praticiens généralistes influe peu sauf en ce qui concerne les services de psychiatrie puisque 57% des femmes pensent que les services de psychiatrie ne sont pas adaptés contre 40% pour les hommes.
Mais au-delà des soins proposés, il est apparu nécessaire d’évaluer les difficultés que peuvent rencontrer les généralistes en amont, c’est-à-dire au niveau du patient : la négation des troubles est le principal obstacle à une aide psychiatrique (62,40%) devant la méconnaissance du système de soins en place, la peur de la folie, et la mauvaise image des services de psychiatrie et du psychiatre. L’accès aux soins psychiatriques représente une autre difficulté. En effet, le manque de moyens est largement évoqué : manque de structures et de places dans les institutions psychiatriques, absence de choix sur les lieux de l’hospitalisation. En particulier, 61% des médecins généralistes évoquent le problème des délais de rendez-vous pour obtenir une consultation spécialisée. Pour certains praticiens, le coût de certaines psychothérapies serait un facteur limitant aux soins psychiatriques.
En aval de la prise en charge, les généralistes insistent sur le problème de la coordination des soins en soulignant, particulièrement, le manque de communication (66%) et de suivi réalisé par les psychiatres.
Estimant que leur formation à l’approche psychiatrique est insuffisante, ils sont souvent demandeurs de formations complémentaires pour l’ensemble des troubles psychiatriques, plus particulièrement concernant les troubles dépressifs.
Discussion
Notre méthodologie repose sur un questionnaire postal. Celui-ci permet de valider un recueil de donnés simple, peu onéreux et réalisable à grande échelle. La mobilisation importante des médecins généralistes lors de notre travail témoigne de l’attention qu’ils portent sur le sujet. Plusieurs études se sont intéressées à la pratique des médecins généralistes face aux troubles psychiatriques (1, 2, 3, 5, 6) et soulignent les difficultés que nous décrivons : manque de moyens, absence de communication et formation insuffisante. Elles sont à l’origine de l’insatisfaction de ces praticiens à l’encontre des soins psychiatriques ce qui mérite une attention particulière.
Les généralistes ne semblent pas s’opposer à une participation dans les soins des malades mentaux, même pour des pathologies « plus lourdes » comme la schizophrénie (3). Ils demeurent les acteurs centraux du soin apporté aux patients, à l’articulation du somatique et du psychiatrique, voire même l’unique intervenant, créant une « psychiatrie du généraliste » (6). Cependant, ils souhaitent que leur action s’inscrive dans un réseau de soins alors que le lien avec les équipes spécialisées reste à définir. La psychiatrie est en pleine évolution et la désinstitutionalisation des patients psychiatriques, la diminution du nombre de psychiatres, la démystification des troubles psychiatriques laissent penser que le médecin généraliste sera de plus en plus sollicité par des patients souffrant de troubles mentaux (3, 5).
Certains auteurs défendent l’idée que les Centres Médico-psychologiques (CMP), dans une activité de secteur, ont la disponibilité et la capacité d’échanges nécessaires avec les généralistes. En effet, les CMP, animés par une équipe pluridisciplinaire (psychiatres, psychologues, infirmiers, assistants sociaux), peuvent, à défaut d’un diagnostic en urgence, accueillir, orienter et débuter un lien thérapeutique (2). Ils doivent, également, organiser des interventions à domicile et parfois en urgence (8). Les CMP, de part leurs fonctions, semblent répondre, en partie, aux sollicitations des médecins généralistes. Pourtant, l’articulation entre les structures de proximité que représentent les CMP et les médecins généralistes ne semble pas évidente. Témoins du manque d’échange entre ces partenaires de soins, 72% des généralistes que nous avons interrogés acceptent qu’une première rencontre se fasse avec un soignant paramédical d’un centre médico-psychologique. Comme l’ont fait remarquer Beaudoin et al, il semble que ces médecins connaissent mal le travail des équipes de secteur psychiatrique (3). Pidolle a précisé que l’échange doit aussi venir du psychiatre (7).
Dans notre enquête, les généralistes soulignent cet aspect en évoquant les difficultés de communication rencontrées avec les spécialistes, notamment en ce qui concerne les psychiatres libéraux. Le manque de retour de courriers et de dialogue semble plus marqué qu’avec les autres spécialités. La formation semble, aussi, l’un des points clés dans le soutien à apporter aux médecins généralistes. L’expérience de l’île de Gotland, en Suède, a montré que la formation des médecins généralistes au diagnostic et au traitement des épisodes dépressifs à permis une augmentation de la prescription d’antidépresseurs avec une diminution concomitante de la prescription d’anxiolytiques, une diminution des arrêts de travail et surtout du nombre des tentatives de suicide et de patients suicidés.
Conclusion
Il est indispensable de réfléchir sur l’aide à apporter aux médecins généralistes afin qu’ils ne soient pas isolés des soins psychiatriques. En l’absence de complémentarité, dans des situations de crise, ils n’auront pas d’autres solution que de se tourner vers les services d’urgence (4). Les réponses passent par trois axes : disponibilité, échanges, et formation.
Une étude plus ciblée sur leurs attentes, avec des propositions concrètes concernant l’offre de soins est à réaliser.
Bibliographie
(1) AIACH P, CEBE D, Diagnostic et gestion du trouble psy en médecine générale, Synapse 1986, 23, 34-41.
(2) BARDON A, Les missions du CMP « adultes », Soins Psychiatrie 1995, 172, 9-11.
(3) BEAUDOIN F, BEAUDOIN V, KAPSAMBELIS V, Le schizophrène chez le médecin généraliste : résultants préliminaires d’une enquête, Psychologie médicale 1995, 27, 2, 87-92.
(4) BEAUDOIN V, La prise en charge des urgences psychiatriques à Amiens, Nervure 2001, 15, 6, 48-55.
(5) FANELLO S, PAUL P, DELBOS V, GOHIER B, JOUSSET N, DUVERGER P, GARRE JB, Pratiques et attentes des médecins généralistes à l’égard des conduites suicidaires, Santé Publique 2002, 14, 3, 263-273.
(6) MASSé G, LESIEUR P, Médecine générale et psychiatrie de secteur : des pistes pour un réel partenariat, Nervure 2002, 15, 2, 39-43.
(7) PIDOLLE A, Secteurs psychiatriques et médecins généralistes, Revue Hospitalière de France 2003, 490 , 24-25.
(8) ROBIN M, WADDINGTON A, POCHARD F, REGEL I, MAURIAC F, DEVYNCK C, KANNAS S, Enquête de satisfaction auprès des utilisateurs d’un service d’urgence psychiatrique : l’avis des professionnels, L’Encéphale 1999, 25, 195-200.