Suivi d’un échantillon parisien : de l’accouchement au bilan de santé à 10 mois par M.J. SAUREL, M.M. GUYOT et J. GOUJARD (Villejuif) INSERM, groupe de recherches Epidémiologiques sur la mère et l’enfant, 16 bis av. P.Vaillant-Couturier, 94 800.
XXVI CONGRES DE PEDIATRIE 6 TOULOUSE 30 JUIN 6 2 JUILLET 1981 – CHAPITRE 1 – PROTECTION MATERNELLE INFANTILE.
INTRODUCTION.
Les enquêtes réalisées par l’INSERM en 1972 et en 1976 sur un échantillon représentatif des naissances ont montré qu’à l’échelon de la France entière, les migrantes se caractérisaient par rapport aux française par une moins bonne surveillance prénatale et des taux de mortalité et de prématurité plus élevés
Ceci est en particulier vrai pour les Maghrébines et les Antillaises. L’existence de facteurs sociaux défavorables, la méconnaissance de la législation n’expliquent pas entièrement ce phénomène (2). Nous avons essayé, dans ce travail, d’analyser l’attitude des femmes migrantes par rapport aux femmes françaises vis à vis de la santé de leur enfant, dans la mesure où cette attitude conditionne en partie l’accès aux systèmes de soins. Cette analyse porte sur une population suivie dans une Maternité hospitalière parisienne, population favorisée d’un point de vue socio culturel.
L’attitude des migrantes peut être observée à travers plusieurs questions
– A égalité de filière de soins, comment les femmes migrantes font elles effectivement suivre leur grossesse ; persiste t il une fréquence plus élevée de morbidité périnatale chez ces femmes ?
– Quelles femmes répondent à l’invitation à montrer leur enfant pour un bilan de santé à 10 mois par rapport aux femmes françaises ?
– Comment réagissent elles aux problèmes de santé de leur nourrisson ?
MATÉRIEL ET MÉTHODES.
Cette étude a été réalisée à partir d’un échantillon de 7 284 femmes venues accoucher à la Clinique Universitaire Baudelocque (Paris) pendant la période de janvier 1975 à décembre 1977. Nous avons choisi de nous intéresser aux migrantes non européennes, pour lesquelles l’implantation en France peut être difficile, et, pour ce faire, deux groupes ont été constitués : le groupe des femmes d’origine métropolitaine, soit 5 561 femmes, et le groupe des migrantes d’origine non européenne, soit 1 693 femmes, essentiellement maghrébines ou antillaises.
Les femmes étaient sollicitées, par une information personnalisée à la Maternité et une correspondance à 6 mois, à venir dix mois plus tard au Bilan (le Santé organisé par la Caisse d’Assurance Maladie de la Région Parisienne (3). L’attitude des mères face à la maladie de l’enfant a été étudiée au moyen d’un questionnaire annexe ajouté à celui du bilan de santé, au cours de la période de janvier 1977 à novembre 1978 ; l’information a été recueillie pour 373 femmes.
RÉSULTATS.
a) Surveillance de la grossesse et caractéristiques néonatales .
Bien que soumises aux mêmes règles de surveillance, la majorité des femmes migrantes et françaises étant suivies dans la Maternité depuis les premiers mois de la grossesse, on constate de nombreuses différences entre les deux groupes : le pourcentage d’hospitalisations est plus élevé chez les migrantes, et le rythme de consultations y est plus faible, l’hospitalisation n’expliquant pas le nombre moins élevé de consultations. De même, comme à l’échelon régional, une fréquence plus élevée de prématurité est observée pour les femmes migrantes, et le score d’Apgar à 1 minute (césariennes exclues) est plus faible. Elles ont également accouché plus souvent par césarienne et leurs enfants ont dû être transférés plus souvent vers un centre de soins néonatals. Par contre, les taux de mortinatalité et de mortalité néonatale ne diffèrent pas significativement.
Le mode d’alimentation au cours de la première semaine est très différent, l’allaitement maternel étant pratiqué plus souvent par les migrantes. Le non retour au domicile (enfant mis en crèche ou en pouponnière) est plus fréquemment enregistré pour les enfants de femmes migrantes que pour ceux de femmes françaises.
b) Caractéristiques de la population venue au bilan de santé .
La venue au bilan de santé est le fait de 12 % de femmes françaises et de 11 de femmes migrantes : taux comparables. Comme pour les femmes françaises, cette réponse à une sollicitation faite dès la Maternité est très liée, chez les femmes migrantes, à la qualité de la surveillance prénatale, et également au fait que la grossesse a été essentiellement suivie dans cette Maternité. Par contre, elle est peu liée au niveau social chez les femmes migrantes, alors que les femmes françaises de catégories socio professionnelles élevées sont celles le plus souvent venues au bilan. Ainsi, dans l’accès à ce système de surveillance, le groupe des femmes migrantes demeure un groupe défavorisé par rapport aux Françaises. Enfin si, dans l’ensemble, on y retrouve davantage de primipares, c’est particulièrement vrai pour les femmes migrantes.
Les enfants « à risque » sont ceux revus le moins souvent à ce bilan, dans l’un et l’autre groupe : ainsi le pourcentage de prématurés ou celui d’enfants de poids de naissance inférieur à 2 500 g sont respectivement de 5 % et % chez les migrantes, et de 2 % et 4 % chez les Françaises. On note le pourcentage plus élevé de prématurés pour les femmes
c) Résultats du bilan de santé à 10 mois
L’allaitement, plus souvent pratiqué dès la naissance par les migrantes, l’est sur une période plus longue : 8 semaines et demie contre 7 semaines chez les Françaises. En conséquence, on observe que l’introduction de la farine, des légumes et des fruits se fait plus tardivement par les femmes migrantes. Par contre, la viande fait partie de l’alimentation du nourrisson au même age pour les deux groupes : vers 4 mois et demi, en moyenne. La mise à quatre repas est plus tardive chez les femmes migrantes. L’ensemble de l’examen pédiatrique approfondi tel qu’il est fait au bilan de santé montre très peu de différences entre les deux groupes d’enfants : la croissance pondérale, le développement neurologique sont les mêmes. Seule une fréquence plus élevée de pathologies de l’appareil respiratoire est observée pour les enfants migrants, notamment sous forme de troubles perçus à l’auscultation. Le pourcentage de pathologies de l’examen O.R.L. est élevé (anomalies du tympan, présence d’otites, de pharyngites … ), mais comparable dans les deux groupes. La fréquence des accidents, tels que brûlures, chutes graves… est également identique. Aux différents examens biologiques, pratiqués pour tous les enfants, seule apparaît une différence au niveau de la concentration globulaire moyenne en hérnoglobine. Il est à noter que les enfants de femmes françaises ont reçu plus souvent une thérapeutique martiale que les enfants de migrantes.
L’examen psychologique montre un développement et une intégration de l’enfant dans sa famille et dans son entourage comparables pour les deux groupes. Le mode de garde, lorsque la mère travaille, ne diffère pas.
L’interrogatoire des mères sur leur comportement en cas de maladie de l’enfant laisse apparaître certaines particularités : les femmes migrantes déclarent que leur enfant est « en bonne santé » plus souvent que les Françaises, qui évoquent fréquemment de « petits problèmes de santé ». Dans l’ensemble, les migrantes ont moins souvent recours au médecin pour une maladie de l’enfant : aucune visite dans 54 % des cas, contre 42 % parmi les Françaises ; les symptômes cités par la mère comme signes de maladie sont plus souvent des changements de comportement de l’enfant changement de caractère, gestes inhabituels… pour les femmes françaises, tandis que les migrantes évoquent plus souvent l’absence d’appétit, ou un mauvais sommeil. Face à certaines morbidités (fièvre, diarrhée, constipation), le comportement des femmes migrantes est comparable à celui des femmes françaises : le recours aux gestes médicaux (appel au médecin, recours à un médicament) ou le « bon sens », tel que bains, changement de régime, sont aussi fréquents dans les deux groupes.
En matière de prévention, les femmes migrantes ont plus volontiers recours au centre de P.M.I., alors que les femmes françaises consultent plus souvent le pédiatre ou le médecin de famille.
Globalement, on peut dire que la population des femmes migrantes comporte des risques certains concernant la naissance de l’enfant (prématurité, souffrance néonatale). On note que la venue au bilan de santé est liée à la qualité de la surveillance prénatale : tel un comportement culturel de recours au système de santé, les femmes qui avaient une surveillance prénatale plus importante sont celles qui reviennent le plus souvent au bilan, ce lien existe, qu’elles soient migrantes ou françaises.
Peu de différences objectives en matière de santé ont été observées, à 10 mois, entre les enfants migrants et les enfants français. Les particularités observées tiennent plus souvent à des habitudes culturelles qu’à une morbidité réelle, pour une Population assez homogène et plutôt favorisée socialement comme celle étudiée. A ce propos, l’alimentation nous est apparue comme un point intéressant de comparaison : nous avons observé que les femmes migrantes déclaraient plus souvent comme signe de maladie l’absence d’appétit de leur enfant que les femmes françaises qui s’en inquiétaient moins. La relation au système de santé est différente : appel moins fréquent au médecin en cas de maladie, préférence du recours à la P. M. 1… Elle petit traduire une gêne face à un médecin spécialiste (problèmes de langue par exemple…), une préférence pour un organisme collectif de surveillance et, pour certaines d’entre elles, des difficultés économiques.
BIBLIOGRAPHIE :
KAMINSKI (M), BLONDEL (B.), LEBOUVIER (M.) : La grossesse chez les femmes migrantes, Evolution entre 1972 et 1976. Rev. Epidém. Santé publ., 1980, 26, 263 266.
KAMINSKI (M.), BLONDEL (B.), BREART (G.), FRANC (M.) DU MAZAUBRUN (C.) : Issue de la grossesse et surveillance prénatale chez les femmes migrantes. Enquête sur un échantillon représentatif des naissances en France en 1972. Rev. Epidém. Santé pubi., 1978. 26, 29 46.
HAZEMANN (J.J.), ROSSIGNOL (C.), LABADIE (M.D.), VESIN (C.), JEULIN (J.), QUENELLE (C.), SEROR (M.E.) : Bilan de santé de l’enfant. Rev. Pédial., 1977, XIII, 3, 131 140.