Les scarifications traditionnelles chez les malades neurologiques au Togo. ANTHROPOLOGIE CLINIQUE

A.A.K. Balogou, K.C.Dodzro & E.K. Grunitzky. Service de neurologie du CHU, Campus, BP 30284,Lomé, Togo.

E-mail : abalogou@syfed.tg.refer.org Manuscrit n°2131. “Anthropologie clinique”. Reçu le 9 novembre 1999. Accepté le 30 novembre 2000.

Summary :

Traditional tattoo marks among neurological patients in Togo. In Africa, there are two types of health systems : the modern system and the traditional one. Traditional medicine attracts more patients, because it is more financially accessible and corresponds to cultural representations of disease in society. Traditional therapeutic tattoos are not well known by the conventional health system in West Africa, although they are commonly used by traditional healers. We report here our experience of these tattoos. We examined the skin of 36 000 patients in the neurological department of the teaching hospital of Lome from 1985 to 1995. We found three types of tattoos amongst patients. The first are tribal or social tattoos : they are large, homogeneous, located on exposed parts of the body and can be seen easily by others, whilst therapeutic tattoos are slight and hidden under clothes and can also be repeated (heterogeneous). The second type of tattoo is one that reveals the patient’s pathological history. The third is linked to the motive of consultation. Seventy-five per cent (75%) of patients had traditional therapeutic tattoos. Epilepsy tattoos are slim, located on the forehead (fig 1a) ; peripheral facial paralysis tattoos are found on the facial nerve. In cases of peripheral neuropathy, tattoos are symmetrically distributed on hands and legs. As for medullar compression, the highest tattoos correspond to the level of compression. Studying the localisation, age, and aim of tattoos brings to light their diagnostic, prognostic, and epidemiological interests. Skin can thus reveal itself to medical staff as an open, though coded, medical file. They need only to learn how to read it.

Résumé :

Les scarifications traditionnelles thérapeutiques sont peu connues des thérapeutes du système de santé conventionnel en Afrique au sud du Sahara. Elles sont cependant une méthode très répandue utilisée par les tradipraticiens. Nous rapportons notre expérience sur les scarifications traditionnelles thérapeutiques observées au cours d’une consultation de 36000 malades neurologiques provenant de toutes les aires culturelles du Togo. Ces scarifications sont observées chez 75 % des malades. L’étude de leurs motifs, leur siège, leur taille, leur pigmentation et leur âge débouche sur des découvertes diagnostiques, pronostiques et épidémiologiques surprenantes. Ainsi, nous avons établi une classification des caractéristiques des scarifications typiques d’affections neurologiques. Cette étude a également compris des entretiens et des observations des tradipraticiens, concernés par ces pratiques. La “mémoire peau” devient alors un dossier médical où sont gravés et codés les antécédents du malade qu’il faut savoir lire.

Introduction :

Il n’est pas de culture qui ne marque, peu ou prou, l’enveloppe cutanée du corps humain entre le moment de la naissance et celui de la mort. En Afrique, parallèlement à ses fonctions esthétiques et sociales, la scarification traditionnelle constitue également une pratique thérapeutique. Le sens et les motivations de ces inscriptions permanentes dans la peau paraissent multiples et intriqués. Le corps décoré, vêtu, scarifié, tatoué, exhibe ostensiblement son intégration à un groupe constitué. Chaque société pense le corps à sa manière et s’attache à le rendre conforme à l’idée qui prévaut (2). Le langage tégumentaire propose un mode d’expression facile et accessible à tous, l’image remplaçant le verbe. Le caractère définitif des scarifications conditionne leur usage qui se distingue radicalement de celui de la peinture corporelle. Contrairement aux réalités irréversibles comme l’appartenance à un groupe, à un sexe, ou signalent une situation définitivement acquise : mariage, maternité, naissance, exploit guerrier ou cynégétique, intro-nisation dans une confrérie secrète. Elles peuvent protéger leur porteur, avoir une vertu prophylactique permanente et thérapeutique ou être tout simplement une parure esthétique au pouvoir érogène (6). L’interprétation judicieuse et objective des scarifications thérapeutiques, du fait de leur localisation, leur âge et leur distribution dans le temps, débouche sur des informations sémiologiques surprenantes. La peau devient alors “mémoire”, véritable document où sont conservés le passé historique et les antécédents médicaux du malade. L’objectif de ce travail est de montrer, à travers quelques obser-vations, l’intérêt des scarifications thérapeutiques pour le praticien en Afrique. A.A.K. Balogou,K.C.Dodzro & E.K. Grunitzkyy

Méthodologie :

Le CHU de Lomé au Togo a organisé quatre consultations hebdomadaires de neurologie gérées par deux équipes. Chacune d’elles comprend : un neurologue, un médecin géné-raliste avec compétence en neurologie et deux internes. Chaque équipe consulte deux fois par semaine, de façon alternative. Le service de neurologie de Lomé, seul service spécialisé dans ce domaine pour tout le pays, reçoit par mois environ 300 nouveaux consultants et hospitalise pendant la même période environ 50 patients. Cette étude sur les scarifications porte sur les patients reçus dans ce service entre 1985 et 1995, soit environ 36 000 cas. Elle a consisté en un examen minutieux et complet des téguments des patients, suivi d’un entretien en tête à tête avec tout porteur de ces marques. Ce dernier répond à un entretien direct à la base d’un questionnaire individuel préétabli permettant de connaître le motif, le siège, l’âge, l’évolution de la scarification à travers le temps. Des entretiens et observations des tradipraticiens concernés par ces pratiques sont également réalisés (4).

Résultats :

Soixante-quinze pourcent de nos patients portent des scarifications traditionnelles. Ils peuvent être répartis en trois groupes : les porteurs de scarifications en rapport avec le motif de leur consultation, ceux pour lesquels il n’y a aucun rapport entre les scarifications et le motif de consultation, enfin ceux qui sont porteurs de scarifications révélatrices de leur passé pathologique. Les scarifications thérapeutiques peuvent per-mettre d’identifier une affection.

- Epilepsie : Elle représente l’affection neurologique dont les scarifications sont les plus typiques (4).

- Accident vasculaire cérébral (AVC) : Monsieur Iss… B., de l’ethnie Tem, boucher, droitier r, consulte le 17 mars 1995 pour hémiparésie droite avec aphasie d’installation bru-tale survenue deux semaines auparavant. Le malade n’a jamais consulté dans une formation sanitaire. À l’examen, on note un bon état géné-ral, une TA à 190/120 mmHg, une aphasie de type BR O C A, une hémi-parésie droite à prédominance brachio-faciale. L’auscultation révèle la présence d’un souffle systolique au foyer mitral. L’examen des téguments montre des scarifications linéaires hyperpigmentées (noirâtres) pratiquées il y a 18 mois (donc anciennes) localisées au niveau de l’hémicorps droit : épaule, coude, poignet, genou et cheville. À l’interrogatoire, la famille reconnaît qu’elles avaient été faites par son tradipraticien au cours d’un épisode identique survenu 18 mois auparavant et totalement résolutif en trois mois. Il s’agit d’un AVC de nature ischémique de mécanisme embolique. En d’autres circonstances, les scarifications couvrent entièrement l’hémicorps déficitaire.

- Paralysie faciale périphérique (PFP) : Mademoiselle Adj… N., 27 ans, de l’ethnie Mina, célibataire, coiffeuse, consulte le 5 décembre 1990 pour déviation de la bouche à gauche avec occlusion incomplète des paupières droites survenue brutalement, il y a deux semaines. L’examen montre, au repos une disparition des rides du front à droite, une déviation de la bouche à gauche au cours de la mimique, un signe de Charles BELL à l’œil droit, une impossi-bilité de siffler ou de souffler, une algie temporale droite et une hypo-esthésie de la conque de l’oreille droite. L’examen ORL est normal, le bilan radiologique est normal, l’examen des téguments montre deux groupes de scarifications : des scarifications linéaires, peu pig-mentées, localisées à la face latérale droite du cou, pratiquées il y un an (anciennes) ; un autre groupe de scarifications du même genre, pigmentées, localisées au niveau de l’articulation temporo-maxillaire droite et le long de la branche montante et horizontale droites du maxillaire inférieur, pratiquées il y a une semaine (récentes). Interrogée, la patiente reconnaît avoir eu un premier épisode iden-tique il y a environ un an mais complètement résolutif. Il s’agit de paralysie faciale périphérique isolée, d’allure idiopathique aiguë, récidivante. Ces récidives s’observant avec une grande fréquence dans le sida (1), une sérologie VIH a été demandée et s’est révélée positive.

- Zona : Monsieur Ak… T, 35 ans, de l’ethnie Mina, conducteur de taxi, consulte, le 7 février 1995, pour céphalées, douleurs à type de cuisson fronto-orbitaires gauches, avec des plaques érythémateuses couvertes de vésicules dont certaines se rompent. L’interrogatoire retrouve une notion de varicelle il y a un an. L’examen clinique montre la présence de plaques de vésicules ulcérées dans la région temporale gauche, du cou et de la nuque, une anesthésie douloureuse et une opacité cornéenne, une adénopathie préauriculaire gauche. L’examen des tégu-ments montre, dans un ensemble de lésions ulcéro-vésiculeuses, de multiples scarifications hétérogènes, pratiquées successivement il y a un an, trois semaines et vingt-quatre heures, localisées aux faces latérale gauche et postérieure du cou, dans la région du trapèze et à l’épaule gauche, pour des épisodes identiques. L’examen du LCR montre une hyper lymphocytose et une hyperprotéinorachie. Il s’agit d’un adulte jeune présentant un zona ophtalmique récidivant. Les récidives sont chaque fois accompagnées de scarifications thérapeutiques délimitant avec netteté le territoire de l’ophtalmique de WILLIS. La sérologie VIH est positive.

- Migraine : Mlle EL…D., 36 ans, de l’ethnie Ewé, ménagère, consulte, le 2avril 1995, pour des céphalées invalidantes, évoluant sur un mode intermittent depuis 14 ans. L’interrogatoire retrouve la notion d’hémicrânie pulsatile intense fréquente et alternant tantôt droite, tantôt gauche et une notion d’histoire familiale de céphalées. L’examen des téguments montre des scarifications fines, linéaires, hyperpigmen-tées dans la région interorbitaire, pratiquées régulièrement à chaque crise céphalalgique. Les examens complémentaires (FO, TDM crânio-encéphalique, LCR, EEG, hémogramme) ne montrent rien de particulier. Les scarifications, du fait de leur localisation, leur nombre et leur ancienneté, témoignent du caractère récidivant et invalidant des céphalées et orientent vers une maladie migraineuse.

- Lombalgie : Mme Fra… A., 41 ans, de l’ethnie Mina, commerçante, consulte, le 10 octobre 1994, pour lomboradiculalgie S1 bilatérale avec claudica-tion intermittente qui évolue depuis 5 ans, avec survenue récente d’urgences mictionnelles et parfois d’épisodes d’incontinence urinaire. L’examen montre un signe de la sonnette de L2 à L5, une distance main sol à 50 cm, un indice de SCHOBER à 12 cm, un signe de LASÈGUE à 30° à gauche, une anesthésie en selle. L’examen des téguments montre des scarifications lombaires gauches en hémi ceinture, étagées, pratiquées 3 fois depuis le début de la maladie, situées à 4 cm au-dessus du sillon inter fessier, des scarifications fessières gauches en bande s’étendant à la face postéro-externe du membre inférieur gauche, au creux poplité et à la cheville, de topographie L3, L5, S1, S2 et S3. La myélographie montre une discarthrose avec protrusion discale L2-L3, L3-L4. Les scarifications délimitent avec netteté l’atteinte pluri radiculaire et orientent vers un syndrome de queue de cheval.

- Compression médullaire : Mr Pi…A.,56 ans, de l’ethnie Ana, garagiste, consulte, le 23 février1995, pour tétra parésie depuis un mois. L’examen note un tétra syndrome pyramidal,un signe de LHERMITTE, une rétention urinaire et une constipation. L’examen des téguments montre l’existence des scarifications homogènes pratiquées 10 jours avant l’hospitalisation, localisées à la racine du cou, au niveau des articulations scapulo-humérales, aux coudes, aux poignets, aux genoux, aux chevilles et aux cous de pied. Il s’agit d’une tétra parésie post traumatique non explorée évoluant depuis un mois. La radiographie révèle un rétrolisthésis C3-C4 sur C4-C5. Les scarifications cervico-brachiales correspondent au syndrome lésionnel et les autres au syndrome sous lésionnel.

- Neuropathie périphérique : Mr.Af. M., 38 ans, de l’ethnie Tem, cultivateur, consulte, le 3 mai 1995, pour sensation de “tête qui tourne” avec trouble de la marche évoluant depuis plus de six mois. L’examen des téguments montre l’existence de scarifications hétérogènes pratiquées il y a quatre mois (anciennes) et une semaine (récentes) en gants et en chaussettes. La distribution aux extrémités distales, bilatérales et symétriques des scarifications orientent vers des troubles sensitifs subjectifs de type poly névritique. Il existe une abolition des ROT, des troubles sensitifs subjectifs bilatéraux symétriques à distribution distale. Les scarifications traditionnelles chez les malades neurologiques au Togo. Une anémie macrocytaire (VGM = 105 microgrammes), une hypo protidémie (50 g/l) avec bloc ß ?. L’instabilité du malade, verbalisée sous le vocable de “tête qui tourne”, exprime en fait l’existence d’une ataxie sensitive d’origine périphérique. Le diagnostic retenu est celui d’une poly neuropathie alcoolo carentielle.

Plusieurs autres types d’affections ont été rencontrés au cours de cette étude comme les lombosciatiques, les névralgies cer-vicobrachiales, avec des scarifications caractéristiques. Seules, deux complications infectieuses ont été observées tout au long de cette étude : une nécrose du cuir chevelu et un érysipèle de la jambe. L’instrument de scarification provient des trois règnes : animal (os, arête), végétal (épines, éclat de roseau ou de bambou) et “ minéral” (éclat de verre, de lame de rasoir ou couteau). Le choix de l’instrument dépend de la nature de la maladie et de la plante dont la poudre médicinale est issue. Toute incompatibilité entre instrument et poudre inactiverait la poudre (4). Le recours aux scarifications est en rapport avec le diagnostic de causalité “surnaturelle” qui est posé. La chronicité de la maladie ou l’absence de guérison par les traitements modernes renforce les arguments en faveur de l’origine surnaturelle. La plupart du temps, l’usage de l’oracle s’impose. La répétition des scarifications dans bon nombre de cas est nécessaire pour obtenir la guérison complète. En cas d’échec, le patient abandonne son thérapeute ou bien le tradipraticien change de méthode ou adresse le patient à un de ses confrères.

Commentaires :

Par leur taille et leur siège, les scarifications sociales ou tribales sont plus exposées, c’est-à-dire incrustées dans les parties découvertes du corps ; elles sont par conséquent plus visibles. Cette indiscrétion en fait la carte d’identité de l’individu, le miroir du statut social, le témoin du parcours ini-tiatique, la récompense de l’accomplissement de hauts-faits. Les scarifications thérapeutiques sont par contre discrètes, très fines, et de petite taille. Elles siègent sur les parties les moins exposées du corps, le plus souvent recouvertes par le vêtement. Elles répondent à un impératif : guérir sans laisser de trace. Telle une vaccination, la marque procure en outre à son porteur la sécurité lui permettant de se prémunir contre les forces maléfiques, de conjurer l’effet néfaste de l’inconnu (3). Le corps ainsi incisé, perforé et transpercé puis enluminé serait investi de pouvoirs et se comporterait comme un fétiche. Le colorant ou la substance active utilisée a une composition spéciale pour exercer des vertus bénéfiques, faisant jouer à la marque le rôle d’un véritable talisman. Outre le but prophylactique, la littérature décrit aussi des hommes et des femmes couverts de cicatrices dans un but thérapeutique dans de nom-breuses affections (6). La pigmentation est le résultat de deux types de mécanismes : la pigmentation naturelle qui fait intervenir le processus de cicatrisation physiologique et la pigmentation artificielle due à l’introduction dans la plaie de calcinants. Ainsi, la pigmentation d’une scarification même récente peut être paradoxalement plus forte que celle d’une scarification ancienne, en cas de coexistence simultanée.

L’interrogatoire orienté est primordial pour lever l’équivoque. Ces remarques nous permettent d’affirmer que la pigmentation artificielle est l’apanage des scarifications thérapeutiques. Il en découle que les scarifications à connotation sociale sont moins pigmentées que celles à visée thérapeutique. Des scarifications pratiquées au même moment à plusieurs endroits et en une seule fois cicatrisent uniformément : c’est le cas des scarifications sociales. Des scarifications faites à différents moments, au même endroit, cicatrisent à tour de rôle et sont donc forcément hétérogènes : c’est la caractéristique des scarifications thérapeutiques. Elles expriment soit la répétition des motifs de consultation, traduisant un échec thérapeutique ou l’évolution d’une seule et même maladie pour son propre compte, ou le fait de plusieurs maladies évoluant chacune pour son propre compte. Avant 30 jours, les scarifications thérapeutiques sont hypo pigmentées ; au-delà de cette date, elles sont hyperpigmentées. Chez nos malades, des connaissances sur le siège et la distribution des incisions, sur le mécanisme de leur pigmentation, sur leur homogénéité ou non sont indispensables pour interpréter ces signes. Le siège peut orienter vers le diagnostic de la maladie. Au Togo, 80 % des épileptiques reçus en consultation de neurologie portent des scarifications frontales. L’épilepsie est la seule pathologie de notre répertoire où le siège des scarifications ne semble pas correspondre aux manifestations cliniques de la maladie (4). Première cause de morbidité liée à l’HTA, l’AVC constitue le premier motif de consultation dans les services de neurologie en Afrique noire. Devant un AVC, ce qui importe, c’est sa nature, son mécanisme et son profil évolutif. Par leur topographie, les scarifications ont un intérêt diagnostique, mais posent également, à travers la notion de rechute (hétérogé-néité des scarifications), le problème de la prise en charge thé-rapeutique du malade. La PFP isolée idiopathique est une maladie non esthétique et les scarifications qui la caractérisent sont assez discrètes. Il faut donc les chercher. La présence de scarifications d’âges différents oriente vers la notion de récidive, mais n’a a priori aucun intérêt diagnostique. Cepen-dant, étant donné la régression quasi complète et fréquente du déficit, la connaissance de ces scarifications typiques jouerait un rôle dans le diagnostic rétrospectif. Ce qui inquiète plutôt, c’est l’association fréquente de la PFP idiopathique à l’infection par le VIH, nécessitant la proposition d’une sérologie de dépistage à ces malades. Des études réalisées au Togo et ailleurs concluent que la PFP idiopathique et le zona constituent, dans plus de 50 % des cas, l’une des manifestations révélatrices de l’infection par le VIH (1, 8). La migraine constitue l’un des plus importants motifs de consultation en neurologie. Tout en permettant de reconnaître le migraineux grâce à leur spécificité, ces scarifications défigurent littéralement la malade par leur multiplicité et leur étendue et elles expriment le caractère invalidant des épisodes douloureux et le préjudice corporel. Dans la lombalgie comme dans la lombosciatalgie, la scarification a une grande spécificité. Par la représentation cutanée des atteintes radiculaires, on peut affirmer l’intérêt sémiologique de la scarification et, au-delà, l’intérêt diagnostique. Dans la compression médullaire, les scarifications possèdent un intérêt diagnostique par la reconnaissance du syndrome décompression médullaire et sémiologique, en situant le niveau de la lésion et la topographie des racines atteintes. Dans les neuropathies périphériques, l’intérêt de la scarification est d’abord sémiologique, car elle matérialise les troubles subjectifs, puis diagnostique, puisqu’elle permet d’engager des investigations appropriées à la recherche du diagnostic positif. Dans la névralgie cervico-brachiale, les scarifications ont un intérêt sémiologique car elles siègent sur le trajet et la topo-graphie des racines atteintes. La scarification n’a de spécificité topographique que pour la racine lésée. Au Togo, toute pathologie peut justifier d’un traitement par scarifications.

Les scarifications peuvent accidentellement former des chéloïdes. Cette complication est cependant rare dans notre étude. Les substances médicinales appliquées aux plaies ont-elles une vertu antichéloïdienne ? Les scarifications sont des effractions cutanées. Le risque de surinfection bactérienne et de transmission de maladies virales et parasitaires ne peut être écarté en l’absence de mesures d’asepsie. Dans notre étude, un cas de nécrose du cuir chevelu et un cas d’érysipèle de la jambe ont été notés. Plusieurs auteurs imputent la transmission des virus de l’hépatite B, du VIH, du Treponema pallidum, du Papillomavirus, du Mycobacterium tuberculosis et de septicémies à Pseudomonas à la pratique des scarifications (5, 7). Il est indispensable d’instituer un contrôle sanitaire des officines des tradipraticiens afin de les sensibiliser aux dangers de ces pratiques sans mesures d’hygiène.

Conclusion :

Dans nos pays coexistent deux types de médecine : la médecine moderne où sont concentrés les efforts des gouvernements, la médecine traditionnelle qui draine vers elle une large frange de la population, d’abord du fait de son coût accessible, ensuite parce qu’elle répond bien aux représentations socioculturelles de la maladie. Parmi les différentes méthodes thérapeutiques de cette dernière, les scarifications occupent une place importante et poursuivent deux objectifs : prophylactique et curatif. Ces scarifications constituent un outil étonnant et fiable de dépistage et de diagnostic car elles apportent les renseignements non seulement sur la provenance (scarifications tribales) mais aussi sur le passé (anté-cédents personnels) et également sur le plan épidémiologique. Dès lors, l’examen attentif et minutieux de la peau s’impose. À la fois écran et moyen de communication, la peau joue un rôle d’intermédiaire et reste un moyen d’échange. Elle véhicule un message codé accessible à qui sait le “lire”. L’interprétation judicieuse de ces signes de par leur localisation, leur âge, leur distribution et leur fréquence est fructueuse d’un point de vue sémiologique, diagnostique, pronostique et épidémiologique. La “mémoire peau” peut constituer, pour le médecin, un dossier médical ouvert mais codé. Comme le sou-lignent MARESCA et NORMAND ( 6 ) :

“ Tout est signe. Il suffit de savoir regarder et lire.”

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