Les traumas psychiques

Les textes réunis par Michèle Bompard-Porte sur ce thème*, l’ont été à la suite du colloque qui s’est tenu les 31 mai et 1er juin 2002 à Brest à l’initiative de l’Université de Bretagne occidentale.

Les traumas psychiques. Textes réunis par Michèle Bompard-Porte. Collection Espace Théorique, L’Harmattan.

Paru dans Nervure : Journal de psychiatrie, mars 2004. Disponible à l’adresse : http://www.nervure-psy.com/

Michèle Bompard-Porte examine les raisons de l’intérêt que l’on porte aux traumas en référence au De rerum natura de Lucrèce. Lucrèce décrit, en outre, différents moments psychiques liés à un trauma. Enfin, travail de symbolisation par excellence, le poème montre la voie qui permet de surmonter les traumas. Dans une seconde partie, sont évoquées la thèse freudienne de la prématuration spécifique dans l’espèce humaine, et ses relations avec notre capacité à créer des traumas et à en pâtir. Ce faisant, l’infantilisme auquel Lucrèce accordait jadis une grande importance, dans la genèse des traumas, est en partie élucidé.

Stress et catastrophes

Gabrielle Poeschl, Daris Paez et Ernesto Fonseca abordent le problème de la peur en tant que sentiment prédominant dans les situations de catastrophe et de menace pour l’intégrité physique. Sont décrits quelques comportements typiques de ces situations ainsi que différentes stratégies cognitives développées, apparemment, dans le but de gérer l’anxiété quotidienne. La fonction de ces stratégies pour faire face aux situations menaçantes et pour leur interprétation est examinée. Enfin, une étude sur l’insécurité produite par le récent accroissement de la criminalité, permet de situer le lien entre l’appréhension vécue et la perception de l’appréhension vécue par les autres.

Pour Bernard Gueguen et Sylvie Guillou la définition du traumatisme psychique, sujette à variation selon les écoles et les classifications, permet de distinguer sur un plan neurophysiologique plusieurs mécanismes propres à expliquer des phénomènes survenant à la phase aiguë du stress et des phénomènes plus tardifs qui répondent à la mise en jeu de réactions biologiques et de structures cérébrales, de mieux en mieux élucidées.

A la phase aiguë, les effets neuro-hormonaux du stress et notamment la sécrétion d’adrénaline/cortisol ainsi que leurs effets sur certaines structures cérébrales sont impliqués dans les réponses au stress de certaines structures comme l’amygdale notamment. Mais l’effet et les réactions, ainsi que le rôle de ces structures, ne s’arrêtent pas à ces seules réactions aiguës et à la mise en jeu des comportements de fuite. Elles participent, également, à la constitution de traces mnésiques impliquées dans le développement de réactions plus tardives, plus élaborées qui peuvent être à l’origine des manifestations du post-traumatique stress syndrome (PTSD) comme les comportements d’évitement et les réviviscences qui le caractérisent. Cependant, toutes les personnes exposées à un stress violent ne font pas un PTSD, ce qui atteste du polymorphisme des déterminants biologiques et événementiels de ce type de syndrome. La neurophysiologie du traumatisme psychique permet d’aborder le fonctionnement d’un certain nombre de structures cérébrales qui, dans certaines circonstances, chez certains sujets, seront aussi impliquées dans les troubles psychiatriques autres tels que dépression, attaque de panique, crise d’anxiété, phobie ou accès aigu de dépersonnalisation, toutes manifestations fréquemment associées au syndrome de stress post-traumatique.

Le syndrome de stress post-traumatique

Cela fait du syndrome de stress post-traumatique une entité « charnière » sur le plan neurophysiologique qui peut servir de modèle physiopathologique plus général dans le cadre d’une approche biopsychosociale de la pathologie psychiatrique. Les événements traumatiques, potentiellement susceptibles de donner lieu à des troubles psychiques aigus ou différés, sont multiples et l’actualité internationale de ces dernières années en témoigne, qu’il s’agisse des conséquences de guerre, d’attentats, de catastrophes naturelles ou d’accidents inopinés.

Didier Papéta indique que la mise en place du réseau national de l’Urgence médico-psychologique a formalisé l’organisation des soins dans ce domaine depuis maintenant cinq ans. Le Finistère n’échappe pas aux risques traumatiques généraux, et l’expérience dans ce domaine a permis de mettre en évidence des occurrences plus spécifiques liées à sa géographie particulière : façade maritime avec des risques de naufrage, présence de bases de la Marine Nationale, en particulier de la base de l’Ile Longue, etc. Après un rappel sur l’évolution des idées ayant abouti à la mise en place du réseau de soins, l’auteur évoque son organisation nationale et locale puis tente de rendre compte de l’expérience clinique des quatre dernières années lors d’événements à caractère ubiquitaire, mais aussi des conséquences d’événements en relation avec le milieu maritime.

L’exemple de Toulouse

L’explosion de l’usine AZF à Toulouse, le 21 septembre 2001, a confronté les Toulousains à une expérience inédite : les habitants de la ville dans leur ensemble ont été très diversement touchés ou frappés, mais pratiquement personne n’a été épargné par le choc et les suites de l’événement.Michèle Lapeyre fait part des actions et des élaborations d’un groupe d’intervenants, principalement des cliniciens, se référant à la psychanalyse et à son discours (psychanalystes, psychologues, psychiatres, éducateurs, chercheurs en sciences humaines). L’originalité de leur démarche tient à la nature de leur engagement : non pas sur la base d’un statut de spécialistes, de l’urgence et du traumatisme par exemple, mais avant tout à partir d’une position de citoyens parmi et avec leurs concitoyens. A cet égard, ils se sont montrés d’abord prévenus de (voire contre) la commande sociale, laquelle, sous prétexte de réparation rapide et de restauration immédiate, enjoint et prescrit, en fait, à tout un chacun d’oublier au plus vite l’événement, de supporter le choc et de se remettre au travail sans tarder. Ils se sont voulus par ailleurs, avertis de l’effet d’après coup du traumatisme, considérant que celui-ci n’agit qu’au travers d’un ébranlement du fantasme propre à chacun, lequel peut déboucher – si toutefois il n’est pas contrarié par une psychothérapie intempestive – sur une rencontre du réel pour le sujet, heureuse autant que malheureuse (la remise en cause de son destin, la révision de ces choix et de sa manière de se lier à l’autre).

L’urgence d’une clinique

Ces cliniciens « concernés » ont fait valoir une option qui n’est pas tant celle d’une pratique de l’urgence que plutôt celle de l’urgence d’une clinique qui fasse une place et un sort à la liberté et à la responsabilité du sujet : c’est-à-dire qui parie sur le temps laissé au sujet pour comprendre ce qui se passe, pour subjectiver ce qui lui arrive, pour réinvestir et réinventer la vie au milieu de ses congénères, pour prendre donc ses décisions lui-même de manière effective. Soit, pas sans cette solidarité qui, plutôt que de refaire l’Autre pour s’en remettre à lui, provienne d’une logique collective impliquant chacun comme sujet en tant qu’« un-entre-autres ». L’utilisation de concepts psychologiques est toujours sujette à caution en matière d’histoire sociale. C’est le cas en histoire urbaine. La destruction d’une ville, puis sa reconstruction, sont des phénomènes que connaissent malheureusement, aujourd’hui, dans un contexte de croissance urbaine et d’exaspération de nombreux conflits, d’innombrables citadins. Ces derniers forment-ils une collection d’individus, susceptibles d’une analyse psychologique ad hominem, ou une collectivité susceptible de vivre des traumas qualifiables, fût-ce de manière métaphorique, de sidération, deuil, résilience, nostalgie ?

Le cas de Brest, « ville martyre » en 1944, est de ce point de vue intéressant : une concentration rare de population sur un lieu de travail unique, l’Arsenal, et la présence de cercles artistiques sollicités par une presse ardemment lue, produisant une mythologie citadine puissante, ont eu raison de l’individuation intrinsèque à la vie urbaine. Une identité collective urbaine, entretenue par des passeurs de parole, a pu transformer une collection en collectif. Pierre Le Goïc expose quelques exemples de la sidération devant la mort de la ville-mère, d’actes extraordinairement précoces de résilience, et de l’émergence progressive d’une nostalgie, surmontée en partie aujourd’hui.

Assumpta Nanive présente l’expérience d’un groupe de jeunes adolescents pris dans la tourmente de la guerre fratricide que vit le Burundi depuis plusieurs années, mais qui aujourd’hui semblent plus intégrés et mieux dans leur peau, contrairement à d’autres adolescents qui présentent, aujourd’hui, des symptômes inquiétants, conséquences ou séquelles de ce qu’ils ont vécu. A quoi peut-on attribuer cette réussite ?L’auteur aborde quelques aspects qui peuvent contribuer à aider les jeunes victimes de la violence à retrouver les ressources nécessaires pour réapprendre à vivre normalement, à devenir des adultes qui vont aborder le monde avec confiance et, surtout, qui vont avoir d’autres repères que la violence. Un accent particulier est mis sur le rôle des pairs dans ce long et dur processus d’une quête d’un équilibre psychique après le chaos dans lequel ils ont été plongés par les violences subies.

Certaines crises traumatiques

A travers une réflexion sur la grave crise sociale vécue par l’Algérie depuis une décennie, crise qui anamorphose les repères et déconstruit les systèmes de représentations établis, Houria Chafaï-Sahli pose la question des effets traumatogènes de cette crise sur les individus et leurs répercussions ultérieures. Elle plaide pour recentrer le débat théorique autour du trauma, sur son point nodal, la personne traumatisée, hic et nunc, et sur le soin pertinent à lui offrir, dans l’état actuel de nos connaissances, donc sur une problématique éthique.

Conception De La Garza évoque la tentative d’extermination biologique et culturelle dont ont été victimes des communautés Maya du Quiché (Guatemala), ainsi qu’une vignette clinique significative de cette situation. C’est l’occasion d’évoquer la question des adoptions au Guatemala et du traitement des ruptures biographiques qu’elles engendrent. Le questionnement est, ensuite, élargi aux particularités du traumatisme collectif dans ces communautés, où les pratiques symboliques perdurent en se modifiant très rapidement sous l’effet de la désagrégation organisée dont elles ont été l’objet. La cosmogonie Maya et les forces qui y sont à l’œuvre sont également présentées. Ces représentations collectives réaffirment le principe de l’interpénétration de « ce monde-là » avec l’au-delà et de l’échange symbolique entre morts et vivants. Pour faire face à la destruction morale et symbolique et pour rétablir la communication avec les morts, de nouveaux rituels et mythes ont émergé. En s’appuyant sur deux traités très largement diffusés à la fin de la Renaissance et au début de l’Age classique, le traité « De la constance » (1584) du flamand Juste Lipse et le traité « De la constance et de la consolation es calamités publiques » (1594) du français Guillaume du Vair, Jacqueline Lagrée s’interroge sur le retour à la philosophie stoïcienne et, particulièrement, à la vertu de constance face à la concurrence des valeurs religieuses, en une période marquée par les guerres civiles et notamment les guerres de religion. Après la description des malheurs publics, la présentation des exercices spirituels requis pour accéder à la constance et à l’ataraxie qu’elle induit, on s’interrogera sur les aspects politiques de cette vertu et sur une éthique de l’engagement en temps de crise.

Le champ de la clinique des traumatismes collectifs est évoqué par Bernard Doray à partir de deux génocides : les réactualisations du génocide des Amérindiens, fondement séculaire de « la culture du meurtre et de la destruction qui nous constitue » comme Occidentaux (M. Porte) et le génocide des Tutsis du Rwanda. Il l’est, également, à partir des situations plus familières engendrées par la casse industrielle réglée (entreprises du textile), ou catastrophique (AZF à Toulouse). L’auteur précise, d’abord, le contraste et les similitudes entre ces deux genres d’événements, l’un visant l’effacement de tout assentiment à l’existence d’un groupe humain comme membre de la communauté humaine, l’autre relevant de la casse humaine ordinaire sous la loi d’un capitalisme débridé. Les éléments d’une théorie large du traumatisme seront avancés, qui renverrait celui-ci, à une condition inhérente au fait d’humanité, à l’impact des différentes forces de déliaison dans la Culture. La seconde partie concerne ce que Freud avait identifié comme la Kulturarbeit. Certains aspects des réponses collectives dans les situations précédemment décrites sont reprises.

Pour Michèle Bompard-Porte la richesse sémantique du terme « trauma », qui provient du verbe grec titrausko, « trouer », « percer », ainsi que les contraintes géométriques et dynamiques qu’une telle signification impose, permettent d’ouvrir des voies de recherches reliant le trauma au sur-Je, à la culpabilité, au narcissisme, à la sexualité, à la répétition, etc. En un sens, l’étymologie conduit à l’hypothèse du trauma généralisé, telle que la lecture longitudinale de l’œuvre de Freud en propose la notion.

Le développement psychique humain comporterait, en effet, d’authentiques traumas génériques, tant ontogénétiques et individuels, que phylogénétiques et collectifs. Ainsi, les traumas accidentels apparaissent comme une espèce dans un genre plus large, situation qui a d’immédiates conséquences thérapeutiques, et implique, en particulier, le respect de toute forme de régression post-traumatique.

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