L’étrangeté prescrite : l’ethnographie des fractions culturelles.

In : Forum Qualitative Social Research, Volume 2, No. 3 – September 2001.

Compte rendu de :

Lutz Ellrich (1999). Verschriebene Fremdheit. Die Ethnographie kultureller Brüche bei Clifford Geertz und Stephen Greenblatt [L’étrangeté prescrite : L’ethnographie des fractions culturelles chez Clifford Geertz et Stephen Greenblatt] 420 pages Frankfurt, New York : Campus

Résumé :

Dans « L’étrangeté prescrite », Lutz ELLRICH analyse les concepts de Clifford GEERTZ et Stephen GREENBLATT envers l’étrange en tant que forme linguistique. Le point fort est mis sur l’œuvre de GEERTZ et c’est surtout sa technique « d’emplotment » qui est regardé de prêt. ELLRICH compare cette technique notamment avec celle de Hayden WHITE et élabore ainsi les différences et les similitudes entre les deux. La deuxième partie du livre, qui est un peu moins convaincante que l première, parle davantage de Stephen GREENBLATT. Ici, ELLRICH déconstruit le New Historicism avant d’appliquer s vision de l’étrange à la question de la (post)modernité.

Mots-clés :

Geertz, Greenblatt, étrangeté, New Historicism, modernité, emplotment, postmodernité

1. Conception

En 1995, Stephen GREENBLATT, linguiste américain parmi les plus en vue de ces dernières années, postulait qu’il fallait traiter le thème de l’étrange non d’une façon postmoderne, mais au contraire en laissant justement garder son caractère étrange. Comme Lutz ELLRICH le dit lui-même (p. 7) il a également choisi ce point de vue comme initiation pour son habilitation en sociologie obtenue en 1998 à l’université de Francfort/Oder. Avec Anselm HAVERKAMP pour directeur d’habilitation, ELLRICH a été dirigé par l’un des meilleurs connaisseurs allemands du sujet (HAVERKAMP 1997). Avec la publication de Verschriebene Fremdheit. Die Ethnographie kultureller Brüche bei Clifford GEERTZ und Stephen GREENBLATT en 1999 à New York aux éditions Campus, Lutz ELLRICH présente la première monographie résultant de ses recherches. [1]

Selon ELLRICH, on n peut pas seulement parler de l’étrange en le laissant étrange mais aussi du discours sur l’étrange.

Avec Clifford GEERTZ et Stephen GREENBLATT, ELLRICH choisit deux auteurs qui ont suscité d violents débats, largement suivis dans toutes les disciplines des sciences humaines pendant les dix dernières années (AUSTIN 1979 ; FECHNERSMARSLY 1999 ; WALTERS 1980 ; BEHSCHNITT 1999). Ces deux auteurs mettent l’accent sur le thème de l’étrange dans leurs travaux. Mais Clifford GEERTZ, ethnologue et directeur du très renommé Center of Advanced Studies de l’université de Princeton, se concentre sur l’aspect de « sauvage », tandis que Stephen GREENBLATT, l’inventeur du New Historicism à l’américaine, cherche à analyser l’étrange dans ses apparitions au XVe e XVIe siècles. [2]

ELLRICH traite des deux auteurs avec « une intensité différente » (p.7). Dans sa première partie qu’il intitule « le regard vers l’extérieur » (Der Blick nach Außen) il ne se réfère qu’aux travaux d GEERTZ. Après avoir tracé les grandes lignes des principaux problèmes qui émergent chez GEERTZ, il résume la controverse RORTY-GEERTZ qui avait préoccupé les ethnologues tout au long des années 1980. Le chapitre 3 est consacré à la fameuse Thick Description de GEERTZ et à sa théorie du Deep Play qu’il avait développée lors de ses recherches en Indonésie. Cette théorie est ensuite comparée avec des concepts déconstructivistes ainsi qu’avec une analyse de système. Cette comparaison se poursuit dans les deux derniers chapitres de la première partie, qu s’intéressent d’une part aux questions de pouvoir et de violence (Chapitre 5), et d’autre part à une métathéorie de la science proposée récemment par Clifford GEERTZ (Chapitre 6). [3]

« Le regard vers l’intérieur » (Der Blick nach Innen), la deuxième et dernière partie du livre, occupe seulement un quart des 420 pages écrites par ELLRICH. Elle porte sur les travaux de Stephen GREENBLATT. Le lecteur y trouve une analyse des idées du New Historicism (Chapitre 7) ainsi qu’une réflexion sur trois sujets principaux du débat actuel sur la modernité : le fondamentalisme, le totalitarisme et le post-modernisme (Chapitre 8). [4]

2. Clifford GEERTZ – la symbolique de l’étrange

Partant du constat qu’il y a une « nouvelle mise en valeur de la rhétorique » (p. 17) au sein des sciences humaines – le fameux linguistic turn – ELLRICH réussit dans son premier chapitre à éclairer les conceptions de GEERTZ et son « essai de prendre la littéraricité et donc l construction textuelle de traités ethnologique comme sujet » (p. 18). La place que GEERTZ attribue à l’idée de l’auteur et à son concept artistique est présentée ici comme l’une des questions clefs dans l’œuvre de l’ancien étudiant de Talcott PARSONS à l’université d’Havard (p. 28).

Pour Clifford GEERTZ, la réussite d’un texte se mesure à sa qualité linguistique. GEERTZ accorde ains à l’auteur une place privilégiée a sein du texte, soulignant que les expériences biographiques se reflètent automatiquement dans l’œuvre. Le postulat de la mort de l’auteur, proclamé notamment par Michel FOUCAULT et Roland BARTHES (BARTHES 1968), se réduit dans l’approche herméneutique de GEERTZ à une simple assertion. Pour lui, la mort de l’auteur n’est qu’une « clef théorique pour sa réincarnation comme construction textuelle » (p.31). Comme ELLRICH le remarque très justement, il ne s’agit alors nullement d’une négation d’analyse du discours de FOUCAULT mais tout simplement d’un autre point de vue au sein de cette analyse : FOUCAULT comme BARTHES parlent du texte en tant que consommateurs, GEERTZ en tant que producteur. C’est la raison pour laquelle GEERTZ qui, tout comme Paul RICŒUR, ne peut pas imaginer un texte sans auteur, insiste avec rigueur sur la distinction entre le travail ethnologique sur le terrain et la rédaction de ce travail au bureau (p. 36). [5]

Concernant la conception artistique de Clifford GEERTZ, il est fondamental de se rappeler que ce dernier ne fait pas de différence entre l’art au sens propre du terme et le quotidien (p. 44). Il essaie plutôt de montrer la « mise en place d’un réseau interculturel » (p. 46) qui est pour lui décisif dans la constitution de chaque société. Pour cela, il emploie un « métalangage de traduction » (p. 46). Il analyse ainsi des mondes symboliques au niveau régional, tout e intégrant la relation indigène-ethnologue. Pour lui, en effet, cette relation ne se heurte absolument pas à des « frontières fondamentales de la signification » (p. 46). ELLRICH explique ainsi de façon plausible pourquoi l’art occupe une telle place dans l’analyse par GEERTZ de l’autoexpérience de l’étrange. [6]

La controverse entre Richard RORTY et Clifford GEERTZ qui a eu lieu au milieu des années 1980, est l’objet du chapitre 2, qui, étant le plus court du livre, ne comporte qu’une dizaine de pages seulement. RORTY postule dans deux articles mémorables (RORTY 1991) l’ethnocentrisme comme une figure intellectuelle affirmative. Il veut ainsi attirer l’attention de la communauté scientifique sur les conséquences de l’idée que toutes les valeurs humaines sont « des hasards historiques » (p. 67). On touche à l’un des principaux arguments dans la discussion sur l’étrange. GEERTZ, par contre, donne à penser que les frontières de notre monde sont définies par la portée des signes qui peuvent être interprétés. Ainsi nous ne pouvons nous « découvrir nous-mêmes qu’en interaction avec une culture étrange » (p. 69). La différence entre RORTY et GEERTZ se trouve alors dans leurs conceptions de l’identité. Celle de GEERTZ comprend l’étrange d’une façon néo-herméneutique comme « des identités collectives qui se considèrent comme des formations paradoxales et bancales » (p. 76). Ainsi GEERTZ justifie son point de vue universaliste en constatant que l’État moderne n’est lui-même que le résultat d’une volonté de protection contre l’étrange (p. 74). [7]

ELLRICH s’attarde davantage sur les techniques scientifiques utilisées par Clifford GEERTZ. Il prend pour exemple – est cela est loin d’être surprenant – le texte sacro-saint de l’ethnologie nouvelle Deep Play, où GEERTZ analyse la société de Bali à travers un spectacle de lutte de coqs. D’après ELLRICH, ce texte « peut être lu aussi bien comme l’une des dernières grandes esquisses de la théorie ethnologique que comme un hommage brillant à ce typ de texte en train de disparaître » (p. 78/79). GEERTZ construit son texte comme un roman, afin d’attirer l’attention du lecteur. Il fait l’effort d’être d’une transparence irréprochable et conclut ainsi u pacte avec le lecteur, qui assure sa survie en tant qu’auteur. « Dans le texte de GEERTZ les contradictions logiques et les paradoxes sont des caractéristiques pour un auteur encore en gestation » (p. 87). ELLRICH montre l’évolution de l’auteur dans une solide analyse linguistique du texte. Alors que l’ethnologue GEERTZ n’est pas encore accepté dans la société de Bali, le moi de l’auteur apparaît de façon récurrente. Mais au fur et à mesure qu’il s’y fait une place et devient ainsi une partie de l’objet de recherche, le dernier disparaît. Dans une abstraction croissante, le moi cède sa place au « on », tout comme le texte quitte le terrain strictement régional. GEERTZ arrive ainsi à éclairer les « images identitaires d’une culture spécifique » (p. 100). [8] Reste encore la question de savoir si cela constitue un travail scientifique au sen propre – pour ne pas dire traditionnel – du terme. ELLRICH se permet alors une parenthèse sur le caractère scientifique de l’ethnologie (p. 102 et suiv.). Pour GEERTZ, cette question se résout tout simplement « par la réussite d’une objectivation textuelle » (p. 102). Affirmant que les fait n’existent pas, le critère de la scientificité d’un texte n’est rien de plus que sa capacité à convaincre le lecteur. Il s’agit seulement de mettre en lumière les techniques linguistiques utilisées pour produire du sens : « Il veut couvrir toutes les formes de la constitution linguistique de la signification sans que la substance du message ethnologique n’en souffre » (p. 142). [9]

Le point ultime de la méthode geertzienne est alors la suivante : sa façon d’appréhender l’esthétique fournit non seulement un modèle pour l’ethnologie, mais aussi un modèle d’analyse pour l’autoréception de n’importe quelle forme culturelle. Il ne s’agit donc pas d’un modèle exclusivement ethnologique, mais plutôt d’une forme d’analyse valable pour toutes les sociétés. Le but est de fournir un modèle d’interprétation qui reste « dans l’horizon intellectuel du producteur de sens » (p. 148) et qui garde ainsi son caractère scientifique. GEERTZ refuse alors toute forme d’émotion envers la société analysée. Selon lui, il suffit de comprendre les symboles employés par cette société dans le but de produire du sens. Or, aucune sociét existante ne peut accéder directement à sa propre identité sans l’aide de ces symboles.

Et c’est ici que se pose la question fondamentale de toutes les approches herméneutiques : Quels symboles permettent-ils de transporter du sens d’un monde à un autre ? ELLRICH consacre la quasi-totalité du quatrième chapitre à cette question. Le thème de la métaphore et la référence à Jacques DERRIDA et Niklas LUHMANN l’amènent à proposer une analyse intéressante et claire. [10] Le chapitre 5 débute avec Stephen GREENBLATT après 178 pages d’absence. ELLRICH fait remarquer de façon très convaincante qu’une fois la structure analysée, il est logique de s pencher sur la fonction de cette dernière. Par contre, il est moins évident qu’elle amène automatiquement au concept du pouvoir. Car c’est grâce à la poétique du pouvoir développé par GREENBLATT que le lecteur fait connaissance avec le père du New Historicism. Mais il ne s’agit que d’un clin d’œil avant que Clifford GEERTZ n’occupe la scène pour le reste de la première partie. [11]

Pour GEERTZ, le pouvoir est essentiellement une supériorité symbolique. Il est à la fois u centre rituel et un réseau périphérique qui crée des dépendances. Alors, ce n’est pas la pompe qui sert le pouvoir mais ce dernier qui sert la pompe, qui devient ainsi un but en soi. La conception du pouvoir chez GEERTZ est pour ELLRICH le « la cerise sur le gâteau des conceptions fondamentales qui portent la théorie sémiotique de la culture » (p. 189). Ces quatre principes fondamentaux sont : l’entité de découvrir et créer, la différence entre l’explicable et le signifiable, l’interaction au sein de la société entre les forces centrifuges et centripètes et enfi le paradoxe du pouvoir charismatique (ELLRICH 1998). [12]

Ici, ELLRICH introduit la théorie de la théâtralité du pouvoir élaborée par Stephen GREENBLATT. « Le pouvoir se constitue dans le contexte des formes symboliques de la représentation qui en même temps le diminue et le réconforte dans un processus de subversion » (p.192). Le pouvoir apparaît alors comme une simple construction instable qui doit impérativement assimiler l’étrange afin d’assurer sa propre survie. Le pouvoir se présente donc toujours comme quelque chose qu’il n’est pas ! Ou ainsi que le dit ELLRICH : « Le pouvoir tient alors son identité de la mise en scène démonstrative de ce qu’il n’est pas » (p. 194). [13]

Le sixième et dernier chapitre de la première partie consacrée presque exclusivement Clifford GEERTZ expose au lecteur un compte-rendu du débat actuel sur la façon juste de décrire des cultures (writing-culture-debate). ELLRICH se base sur le dernier livre de Clifford GEERTZ parut en 1988 : Works and Lives. The Anthropologist as Author (GEERT 1988). Ce livre qu’ELLRICH place dans le « no man’s land entre herméneutique traditionnelle et déconstruction » (p. 254) ressemble étroitement – et il ne le cache nullement – à l’étude révolutionnaire d’Hayden WHITE Metahistory, parue à Baltimore et à Londres en 1973 (WHITE 1973). WHITE y analyse les œuvres de quatre historiens fondamentaux pour le fondement de la discipline. Il s’agit de MICHELET, RANKE, TOCQUEVILLE et BURCKHARDT. En s’interrogeant sur la littéraricité de ces grands écrivains-historiens, WHITE les classe selon quatre genres littéraires et postule ainsi que chaque recherche historique est aussi nécessairement un travail littéraire. MICHELET réapparaît alors comme un auteur romantique ; RANKE comme un auteur de comédie ; TOCQUEVILLE se transforme en u maître du genre tragique tandis que BURCKHARD devient un auteur satirique.

L’étude de WHITE a été un succès mondial, mais a provoqué de grands débats parmi les historiens qui, pour la plupart, l’ont rejetée. [14] Dans Works and Lives, Clifford GEERTZ expose d’abord en suivant Northrop FRYE les quatre genres classiques de la littérature. Et tout comme WHITE, il les départage en romance, tragédie, satire et comédie. Suivant toujours le professeur de la history of consciousness de l’Université de Californie à Santa Cruz, GEERTZ analyse quatre auteurs classiques de l’ethnologie moderne : Claude LÉVI-STRAUSS, Edward Evan EVANS-PRITCHARD, Ruth BENEDICT et Bronislaw MALINOWSKI. Il se réfère également à Kenneth BURKE qui, comme ELLRICH le remarque très justement, est l’un de ses pères spirituels. Selon BURKE, chaque genre littéraire s’appuie sur un outil linguistique cardinal (métonymie, synecdoque, métaphore, ironie). Ces outils peuvent eux-mêmes être expliqués à l’aide de la perspective, de la réduction, de l représentation et de la dialectique. Ainsi GEERTZ arrive à établir le schéma suivant qui correspond parfaitement aux résultats d’Hayden WHITE (p. 248) :

LÉVI-STRAUSS tragédie métonymie réduction EVANS-PRITCHARD comédie synecdoque représentation MALINOWSKI romance métaphore perspective BENEDICT satire ironie dialectique [15]

Mais GEERTZ ne se restreint pas à l’ethnologie devenue classique. Il saisit l’occasion pour répondre de manière assez subtile aux nombreux reproches qui lui sont faits par la nouvelle génération des ethnologues américains. Or GEERTZ oppose les quatre genres classiques de la littérature à quatre genres décadents qu’il appelle des formes nerveuses. Comme on pouvait s’y attendre, les new critics ne s’en tirent pas très bien : ni Kenneth READ avec ses romances nerveuses, ni Johannes FABIAN qui n’écrit plus que des tragédies nerveuses, ni Stephen Tyler, auteur de satires nerveuses selon GEERTZ. Mais ce sont surtout Paul RABINOW, Vincent CRAPANZANO et Kevin DWYER, les critiques les plus violents de GEERTZ, leur œuvres étant réduites à l’état de comédies nerveuses, qui sont le plus durement attaqués. [16]

3. Stephen GREENBLATT : la modernité de l’étrange.

Avec le septième chapitre commence la deuxième partie de Verschriebene Fremdheit qui est incontestablement la partie la moins consistante du livre d’ELLRICH. L’auteur ici constamment tendance à perdre le fil conducteur de son analyse qui se caractérisait jusque là par un style clair et compréhensible et une logique irréprochable. Ainsi, il n’arrive pas à expliquer au lecteur pourquoi, à ce stade de l’analyse, il insiste sur Hayden WHITE. De plus, il abandonne les théories linguistiques de WHITE pour discuter de l’importance des méthodes sociologiques dans les descriptions historiques (p. 311). ELLRICH explique d’abord les quatre formes que WHITE entend par « convenable » (p. 312) pour l’exposé d’un thème, un auteur quelconque n pouvant, selon lui, ne produire du sens que par identification, réduction, intégration et inversion.

En effet, le sens émerge uniquement dans le contexte d’une expérience subjective et dans la proclamation d’un problème qui est ensuite résolu de façon exemplaire. Tout cela reste intéressant, et notamment la longue excursion chez Niklas LUHMANN que le lecteur trouve par la suite. ELLRICH n’arrive pas, par contre, à établir un lien étroit entre WHITE et LUHMANN d’un côté et Stephen GREENBLATT et son école du New Historicism de l’autre. Cela est d’autant plus dommage que c’est justement ce dernier auquel ce chapitre est consacré. [17] Bien qu’un peu courte, l’analyse des textes de GREENBLATT est bien réussie. ELLRICH va directement au centre de cette théorie historico-linguistique et à son hypothèse principale : « Le texte historique et l’historiographie textuelle occupent tous les deux le même échelon des signes » (p. 338). Mais comme ELLRICH ne consacre qu’une trentaine de pages GREENBLATT, la description est beaucoup moins dense que celle de GEERTZ qui, à lui tout seul, a eu droit à 300 pages. [18]

Dans le huitième chapitre, le concept du livre se perd alors totalement. Au lieu d’enchaîner avec les résultats de ses recherches sur le New Historicism, ELLRICH passe sans explication satisfaisante à l’étrange dans la modernité. Or le terme modernité n’est malheureusement pas défini de façon cohérente. ELLRICH fait simplement le constat, sans le prouver, que les trois points forts des investigations actuelles sur la modernité sont les recherches sur le totalitarisme, le post-modernisme et le fondamentalisme. Le totalitarisme occupe sans conteste la plus grande place.

Mais ici, de nouveau, ELLRICH passe sans hésitation méthodologique au nationalsocialisme et à ses apparences modernes. Les raisons pour lesquelles il s’appuie sur de auteurs plutôt marginaux comme Richard MÜNCH (p. 373 et suiv.) ou Cornelia KLINGER (p. 379 et suiv.), ne sont pas données. Pourtant il connaît la littérature de base sur le sujet, mais cette dernière ne se retrouve que très brièvement mentionnée dans une remarque en bas de page (p. 380, remarque 18). La tentative d’ELLRICH pour intégrer à nouveau dans ses réflexions l’islam en tant qu’exemple de fondamentalisme ne peut qu’échouer. Il en est de même avec son résumé de la discussion actuelle sur le post-modernisme. Cela ne surprend guère étant donné qu’ELLRICH ne leur accorde que dix pages. [19]

4. Conclusion

Verschriebene Fremdheit. Die Ethnographie kultureller Brüche bei Clifford GEERTZ und Stephen GREENBLATT est néanmoins un bon livre. Il propose une réflexion toujours intéressante sur plusieurs débats parmi les plus brûlants dans les sciences humaines d’aujourd’hui. L’auteur n’a pas seulement réussi à déployer une quantité de littérature considérable, mais il la présente aussi avec talent et lucidité. La perte d’unité dans le dernier quart de l’ouvrage ne reste dans cette perspective rien d’autre qu’une petite négligence dans un deep play qui vaut la peine d’être lu. [20]

Littérature :

Austin, Diane J. (1979). Symbols and Culture : Some Philosophical Assumptions in the Work of Clifford Geertz. Social Analysis, 3, 45-59.

Barthes, Roland (1968). La mort de l’auteur, Manteia, 5, 12-17.

Behschnitt, Wolfgang (1999). Die Macht des Kunstwerks und das Gespräch mit den Toten : Über Stephen Greenblatts Konzept der « Social Energy ». Dans Jürg Clauser et Annegret Heitmann (Éd.), Verhandlungen mit dem New Historicism. Das Text-Kontext-Problem in der Literaturwissenschaft (pp.157-170). Würzburg : Königshausen und Neumann.

Ellrich, Lutz (1998). Pomp und Charisma : Zur Poetik der Macht. Dans Gerhard Fröhlich (Éd.), Symbolische Anthropologie der Moderne. Kulturanalysen nach Clifford Geertz (pp.103-122). Frankfurt/M. : Campus.

Fechner-Smarsly, Thomas (1999). Clifford Geertz’ « Dichte Beschreibung » – ein Modell für di Kulturwissenschaft. Dans Jürg Clauser et Annegret Heitmann (Éd.), Verhandlungen mit dem New Historicism. Das Text-Kontext-Problem i der Literaturwissenschaft (pp.81-101). Würzburg : Königshausen und Neumann.

Geertz, Clifford (1988). Works and Lives. The Anthropologist as Author. Stanford : Stanford University Press.

Haverkamp, Anselm (Éd.) (1997). Die Sprache des Anderen. Übersetzungspolitik zwischen den Kulturen. Frankfurt/M. : Fischer Taschenbuch Verlag.

Rorty, Richard (1991). Postmodernist bourgeois liberalism. Dans Objectivity, Relativism an Truth (pp.197-202). Cambridge : Cambridge University Press.

Rorty, Richard (1991b). Solidarity or objectivity, dans : Objectivity, Relativism an Truth (pp.21-34). Cambridge : Cambridge University Press.

Waldenfels, Bernhard (1997). Topographie des Fremden (Studien zur Phänomenologie des Fremden 1). Frankfurt/M. : Suhrkamp.

Walters, Ronald G. (1980). Signs of the Times : Clifford Geertz and Historians, Social Research, 47, 537-556.

White, Hayden (1973). Metahistory.The Historical Imagination in Nineteenth-Century Europe. Baltimore, London : The John Hopkins University Press.

L’auteur de la critique :

Volker BARTH prépare une thèse en histoire Contact : à l’université Ludwig-Maximilian à Munich et à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales à Paris. Il travaille sur les expositions universelles en France au XIXe siècle.

E-Mail : barth@sensomatic.net

Citation :

Barth, Volker (2001, Septembre). Critique de : Lutz Ellrich (1999). Verschriebene Fremdheit.

Die Ethnographie kultureller Brüche bei Clifford Geertz und Stephen Greenblatt [L’étrangeté prescrite : L’ethnographie des fractions culturelles chez Clifford Geertz et Stephen Greenblatt] [19 paragraphes].

Forum Qualitative Sozialforschung / Forum : Qualitative Social Research. Disponible sur : http://www.qualitative-research.net/fqs/fqs.htm

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