L’exorcisme face au désordre corporel de la possession par L NADALET* et F. S. KOHL

Paru dans Synapse, avril 2004, N° 204

L NADALET : psychiatre patricien hospitalier au CH Sainte-Marie, NICE

L’exorcisme catholique est un ministère régulièrement demandé par certains patients. Nous avons tenté de comprendre le sens de cette pratique en saisissant d’abord la clinique singulière de la possession avec la modification de la structure de l’espace et des engagements dans,le corps.

Face à l’empire démoniaque d’abord reconnu, le, prêtre s’engage dans l’action discursive avec une énonciation forte et sans nuance, de nature normative, et dans une rituélique où le corps devient le centre de la théâtralisation de la scène mythique de la lutte des forces du Bien contre le Ma1. L’exorcisme permet au prêtre et au possédé de participer à la structuration du sacré. Par la promesse renouvelée dans le quotidien d’une vie où le corps restera à sa place, l’accession à l’Ecclesia est à nouveau possible. L’exorcisme reprend alors sa première fonction : celle du baptême et de l’ouverture à la communauté chrétienne.

Introduction

En plus des sacrements, l’Église catholique connaît d’autres actes de culte divin tels que les sacramentaux, et parmi eux un rituel particulier que constitue l’exorcisme. Exorcisme de délivrance de l’Esprit du mal, Grand exorcisme par excellence, il révèle une pratique essentiellement tournée sur le corps et vient rendre compte de la centralité de la corporéité dans le phénomène de la possession.

D’abord curieux de l’essence d’une telle démarche puis certainement fascinés par la figure du diable sous-jacente, l’argument d’un travail en anthropologie nous proposa l’opportunité de rencontrer un des prêtres exorcistes du diocèse de la région niçoise. C’est par là qu’une discussion a pu s’élaborer et une collaboration se mettre en place autour de personnes sollicitant un exorcisme et pour lesquelles la suspicion d’un trouble psychologique questionnait le discernement spirituel du religieux.

Si l’exorcisme interroge les débats anthropologiques et sociologiques, c’est également la saisie du phénomène de la possession au regard de la psychopathologie qui est soulevée. Nous essaierons de revenir sur la singularité phénoménologique de la corporéité d’une telle clinique, afin d’y appréhender le rituel de l’exorcisme catholique dans ses dimensions thérapeutiques spécifiques.

L’ EXORCISME CATHOLIQUE : HISTOIRE ET DESCRIPTION D’UNE VOLONTE DE MISE EN ACTE

Sans revenir sur la problématique du Mai sur la convocation des différents textes fon( teurs, il nous apparaît pertinent de réexplorer le statut et l’histoire de l’exorcisme au sein de l’Église catholique.

Dans l’Église primitive, les exorcismes pouvaient être prononcés par de simples fidèles baptisés détenteurs de certains « charisme. L’ordination à l’exorcisat ne prend effet qu’au Ve siècle ; en 416, ce ministère se rattache l’autorisation préalable de l’évêque. La codification du rituel ne se structurera que tardivement, progressant avec l’histoire des représentations du diable et les discussions doctrine qui s’en suivirent. Il est référencé clairement au même titre que les sacrements en 1614 dans le Rituel romain, un des premiers livres liturgiques officiels (Muchembled, 2000).

Depuis lors, l’exorcisme est considéré comme un sacramental, dans le but d’obtenir certains effets spirituels. Comme le spécifie le code Droit canonique de 1917, l’exorcisme réservé au prêtre et le nouveau code de 11 précise que ce ministère n’est autorisé e par l’évêque auprès d’un prêtre qui possède « esprit de discernement, perspicacité et jugement sain ». L’Église distingue les exorcismes publics qui se font en son nom par une personne mandatée, des exorcismes privés (Dondelinger, 1998).

À l’époque moderne, tous les théologiens ne reconnaissent pas la présence du démon et la vision dualiste du monde qui en découle. Cette question vient effectivement renouveler le vieux débat sur les spéculations concernant le Mal et son origine, spéculations que les différentes théodicées menées par les philosophes n’ont pas forcément résolues.

Le Concile Vatican Il, débuté en 1962 sous jean XXIII, apporte cependant des notes fermes concernant la question du démon, qu’il situe comme un pré- requis théorique et unitaire avec le Bien : « C’est en effet dans l’enseignement évangélique et au coeur de la foi vécue que se révèle comme une donnée dogmatique l’existence du monde démoniaque… Il y va de la Rédemption et au point de départ de la conscience même de jésus ».

Le discours de Paul VI datant de 1972, résume les divers éléments bibliques et théologiques de la démonologie et condamne les théologiens n’adhérant pas à cette croyance : « Le mal n’est pas seulement une déficience, il est le fait d’un être vivant, spirituel, perverti et pervertisseur… Ils s’écartent de l’enseignement de la Bible et de l’Eglise, ceux qui refusent de reconnaître son existence ou qui en font un principe autonome… ou encore qui l’expliquent comme une pseudo- réalité, une invention de l’esprit pour personnifier les causes inconnues de nos maux » (Van de Wiel, 1995).

Le catéchisme de l’Eglise catholique présenté par le pape Jean-Paul Il et publié à Rome en 1992, définit l’exorcisme parmi les sacramentaux « Sous une forme simple, l’exorcisme est pratiqué lors de la célébration du baptême… » (Dondelinger, 1998).

En ce qui concerne les désordres invoqués, le nouveau Rituel romain de 1999 semble avoir pris la mesure de l’intrication avec les manifestations psychiatriques. En effet, outre le fait qu’il rappelle la nécessité de préconiser les formes déprécatives pour le grand exorcisme plutôt qu’imprécatives qui risqueraient de provoquer des manifestations hystériques, il invite aussi à l’extrême prudence et à la consultation préliminaire si possible « d’experts en médecine et en psychiatrie » (Van de Wiel, 1995).

La recherche des signes significatifs des désordres imputables au démon ne va pas de soi et doit faire référence à une nosographie précise. Cette construction des effets de l’action démoniaque revient à cette recommandation « d’extrême prudence ». Cette prudence est aussi vraisemblablement le signe d’une élaboration critériologique difficile, marquée par une certaine tendance à mélanger les effets et les mécanismes des phénomènes décrits. Cette absence de distinction se rapproche du constat de Pédinelli (1996) pour les représentations de la maladie. Une difficulté supplémentaire se rapporte à la codification sémantique, dans la mesure où ce mode classificatoire emprunte au langage médical actuel.

Nous trouvons ainsi les actions ordinaires du démon, qui comportent tout ce qui a trait à la tentation, et les actions extraordinaires qui, elles, se réfèrent à des manifestations bruyantes, multiples, et peu spécifiques. Ces dernières touchent essentiellement le corps, les perceptions, l’affectivité, le comportement, les espaces de vie, mais aussi la famille ou encore la descendance. Elles peuvent être facilitées par une action humaine intentionnelle (comme l’usage de la magie ou de procédés divinatoires), ou par un mode de vie contraire aux grands principes chrétiens.

Les écrits de Amorth (1993), prêtre exorciste à Rome, semblent faire référence dans le domaine, et structurent ces actions démoniaques extraordinaires en quatre grands groupes syndromiques :

- les troubles externes, où « les victimes ne sont pas soumises à une influence interne du démon » et qui regroupent des désordres douloureux, des asthénies suspectes, des crises de somnanbulisme, des sensibilités particulières et néfastes, ou encore l’impression d’une négativité ambiante permanente…

- la possession où la victime ne peut résister et n’est moralement pas responsable de l’action du diable qui s’est introduit à l’intérieur de son corps ;

- la vexation diabolique qui regroupe des troubles plus ou moins permanents pouvant mener à la possession, et qui entraîne une perte de conscience, l’accomplissement d’actes ou la prononciation de mots dont la victime n’est pas responsable ;

- et enfin « l’obsession diabolique », qui caractérise des « attaques brutales influant sur les rêves, menant à des idées obsessionnelles absurdes parfois permanentes, pouvant conduire le sujet à un état de prostration et à des désirs permanents de se suicider ».

Devant cette hétérogénéité de manifestations, c’est finalement la présence des trois signes empiriques du diable qui vient apporter depuis 1614, et de manière irrévocable, le diagnostic différentiel avec la maladie : le fait de parier couramment des langues inconnues ou de les comprendre (glossolalie au sens religieux), de connaître des choses lointaines et secrètes ( hiérognose), et enfin de faire preuve d’une force surhumaine.

Recherchés par le biais des exorcismes probatoires comme censés incontestablement prouver la présence du diable, ils se sont maintenus jusqu’à l’époque moderne. Le discernement spirituel constitue la prérogative à toute mesure d’exorcisme. Le chanoine Maquart écrit dans les Études carmélitaines (Maquart, 1948) : « Ce jugement subjectif ne peut être formulé en l’air, en vertu d’un complexe affectif, ou de quelques préjugés courants ; il suppose nécessairement un jugement objectif_ le jugement de conscience qui énonce une vérité pratique… dans le cas présent des signes, sinon certain du moins très probables de possession…, faut exorciser » ‘ Pour certains prêtres, cette phase du discernement peut être longue, avec l’apparition de signes parfois retardé dont il convient de noter l’évolution. 1 véritable exorcisme se situe avant to dans le discours avec la prononciation Nom du Christ et de son Église d’u parole d’autorité enjoignant à « Satan » libérer de son emprise démoniaque la p sonne soumise à son influence.

Dans tous les cas, il est écrit que l’exorcisme ne se réalise pleinement qu’avec participation active de celui qui le requiert et l’engagement à changer de mode de vie , à « se convertir », afin de vivre selon les 1 de Dieu, dans le respect de l’amour, d charité, de la foi, et du pardon. Cette idée même de « conversion » fait retour étymologiquement à « version avec, tourner av et à la question de la relation intersubjective développée entre autres par Merle Ponty en tant que rencontre du corps l’autre (Merleau-Ponty, 200 1).

LA POSSESSION UNE CLINIQUE DU CORPS

La possession s’identifie comme la forme la plus grave de l’emprise du diable, et intéresse une corporéité particulière.

LE CORPS SE SENT ET SE DEVOILE AU REGARD DE L’EXORCISTE

D’après Carena (1993), le référentiel diabolique pour l’Église se situe dans proche du diable comme présence et pas seulement comme symbole du mal. C’est peut-être pour cette raison que la symptomatologie de la possession est un langage corporel qui semble même effacer la puissance narrative de l’énonciation des si Les manifestations se déclinent avant au niveau du corps, au niveau des perceptions, des lieux habités par le corps ou n’est plus possible pour le corps d’ha Le corps se retrouve être le centre trahison des perceptions qui deviennent mauvaises, l’objet « d’attaques », de to physiques et morales qui le déforme le font souffrir, l’engageant à se désengager de toute promesse relationnelle. Le n’est plus objet de désir mais le signe sacrifice consenti à la douleur et a sacré. Il devient l’emblème d’un corps instrumentalisé qui souffre, soumis à un nouvel ordre de signes, à de nouvelles « impressions », ou « intuitions » dont la signification, immédiate rend compte du caractère unique de l’expérience.

Le corps ne s’appartient plus, et devient pur objet de convoitise, se retrouvant dans l’incapacité de s’ouvrir au monde ou d’expérimenter autre chose que la sen physique douloureuse qui se répète et crée un temps particulier. Ce temps de la possession paraît d’ailleurs proche du temps du traumatisme avec cette rupture fondamentale dans l’histoire du possédé qui laisse la promesse d’un avenir, quand promesse il y a, où « plus rien ne sera jamais comme avant ».

La possession se voit, comme devront se voir les effets de l’exorcisme, et c’est exactement ce à quoi va tendre l’acte de discernement : rendre observables les effets du démon. Les manifestations se donnent à voir et se tiennent sous le regard de celui qui sait percer le mystère de l’action démoniaque et qui s’engage à se prêter au jeu de son dévoilement. Le prêtre joue le rôle de celui qui fait exister ce corps meurtri devant lui par son regard qui l’objective tout en essayant de le ramener à la présence du monde (un monde habité par les autres).

L’espace du corps

Un espace du corps dans le phénomène de la possession est modifié. Il se rétrécit autour des perceptions immédiates de la douleur, des coups reçus, des insultes perçues, des voix ou encore des visions. Non seulement il se réduit mais également il écrase et immobilise le possédé en ne lui permettant plus aucun champ d’action possible.

Il rend compte d’une rencontre où au mieux l’interlocuteur est rendu spectateur de ces manifestations, mais l’interlocuteur véritable reste l’exorciste. Seul il serait susceptible de toucher le possédé, de le regarder en face, ou encore de dialoguer avec les forces invisibles de la possession, et de créer avec elles un espace d’intimité. Ainsi comme l’explique Merleau-Ponty (2001), le corps propre dans sa spartialité primordiale, participe de l’expérience du monde, d’où l’idée que la structuration particulière de l’espace dans le temps de la possession vient révéler une forme de réduction de l’engagement dans le monde.

Le corps sans communication

Dans la possession, le corps n’est plus capable de « mettre en commun », ou encore d’aller à la découverte de l’autre. Il ne peut plus expérimenter en effet la reconnaissance de l’autre, vivant lui-même une altérité radicale constamment objectivée par lui, et dont le commun des mortels ne peut s’emparer. Le geste apparaît constamment bafoué, involontaire, dérivé de son intention initiale, et privé de tout déploiement, ce qui rend encore plus difficile le retour à un monde d’échange et de spontanéité.

Pour Porée (1993), c’est l’expérience de la souffrance qui coupe la subjectivité du monde commun. Il y est question ici de la souffrance entendue comme essence de l’affectivité et excès du mal qui ne peut trouver le lieu de la justification que là où se tient l’Autre : « Le mai n’est mai que dans l’excès qui le fait apparaître comme l’impossible dont un Autre doit conjurer la fatalité en rendant l’existence à elle-même et en renouant dans une perspective métempirique le fil brisé du temps et de l’histoire » (Porée, 1993) (p. 288). À l’impossibilité d’être et de ne pas être soi, contradiction structurelle de la position du possédé, surgit l’alternative de l’Autre. Le statut de cet Autre demeure dans une ambiguïté première dans la mesure où il est désigné comme dépositaire d’un effondrement des significations du monde commun et capable de comprendre la souffrance. Seule la survenue du prêtre ouvert à la conscience religieuse peut résoudre cette contradiction. C’est à nouveau la possibilité du partage, avec l’émergence à la conscience souffrante d’un Autre capable de rendre à nouveau le monde habitable, « celui dont la grâce ne m’est dispensée que pour autant que j’en assure la garde » (Porée, 1993) (p. 305).

Le corps et le sacré

Cette expérience du corps possédé est aussi un mode d’expérience du phénomène religieux et de structuration du sacré.

C’est à travers elle que se matérialise une configuration émotionnelle faite d’ambivalence, d’excitation comme de peur devant la puissance divine. L’altérité divine se manifeste ici par son négatif, et constitue le pôle de ce vers quoi va tendre le corps du possédé, dans l’expression d’une forme du religieux. Vivre le mal sacré est aussi ce par quoi la grâce peut intervenir, une façon d’être élu et le signe de cette élection. C’est également une manière pour le corps de surmonter sa solitude et son errance au sein de l’univers, dans l’idée d’un dégagement vers une transcendance.

La reprise de possession du corps

C’est ce qui peut expliquer que dans ce vécu apparent de passivité et de résignation, pointe une forme de revendication presque passionnelle des manifestations témoignant à la fois de l’injustice de ce mal mais en même temps de sa grandiosité. Cette revendication paraît comme fondatrice d’une tentative de prise de pouvoir sur une symptomatologie qui échappe par essence au savoir médical, et qui va d’ailleurs tenter de positionner le médecin comme simple témoin d’une expérience répétitive de la souffrance, dans une problématique presque hypocondriaque d’un corps conspué.

Cette question de la thématique hypocondriaque est traitée par Muscatello (1996) comme la métaphore même du « mal-être » et couvre le champ de l’ensemble de ses significations anthropologiques possibles. Elle est ce qui vient rendre compte de l’expérience de la crise anthropologique radicale, proche de l’expérience psychotique.

Comme le possédé, la revendication de l’hypocondriaque porte sur la présentation d’un corps collection privée d’une multiplicité de doléances qui viennent témoigner d’un produit misérable auquel il ne s’identifie pas et qu’il constitue en bouc émissaire. Il s’agit d’un véritable questionnement du sujet à son rapport au corps, et plus précisément au corps comme objet de collection (Tatossian, 1996).

L’exorcisme comme une pratique de soins

La rencontre avec l’exorciste s’annoncer alors comme l’ultime solution à ce ma radical. Nous avons déjà évoqué la nature pragmatique de l’acte de discerner, qu place le prêtre dans une responsabilité morale forte. Cette fonction procède d’u jugement raisonné construit sur l’analyse des signes, mais aussi sur les effets de rituels qui ont valence révélatrice. Le corps est enfin objectivé dans sa forme d’existence liée à la possession, alors même que l’exorciste qui regarde e reconnaît ce vécu de la possession (a risque de se soumettre d’ailleurs à s propre fragilité face au désir de voir émerger le diable), est lui-même regardé e reconnu, ce qui autorise une ébauche di retour vers l’espace du vécu d’un autre.

Les énoncés du religieux procèdent di l’absence de nuances dans ce qui fait sen et qui devient pour cela sursaturé de sens adhérant à un nouvel ordonnancement de valeurs dans une vision dualiste du bien e du mal qui ne souffre d’aucun doute. L parole est donc une parole forte enjoignant au mal absolu de disparaître dan une vision manichéenne du monde. Ce commentaires énonciatifs forts doivent faire appel à des paroles destinées à sou mettre le diable et ses effets diaboliques à travers une autorité qui renvoie à la reconnaissance et à la communion avec Christ. Galimberti (1998) écrit : « Dieu est donc le nom propre de celui qui a déjà parlé depuis toujours avant nous, en dérobant à nos paroles leur ambivalence, pour les consigner l’univocité de son discours ».

C’est également de ce discours ou plutôt de la Parole que traite Cugno (2002) E précisément de la circularité de l’articulation entre la Révélation et la foi. Hors d’une réduction langagière simple fondé sur un acte : la grâce, la foi vient révéler E se révèle à la fois par l’intériorisation d’u langage venu de l’extérieur.

Le corps est donc ramené dans le champ du langage symbolique religieux et de 1la communication. Il est reconnu dans s souffrance et son aliénation comme initialement diminué, mais est engagé à faire retour dans le champ de l’action contre puissance des forces démoniaques. Ce champ d’action, comme les rituels et les règles de vie promus se situe dans le quotidien, de manière à revenir vers un monde familier qui se restructure et qui peut réapparaître. Il réintègre la naturalité du monde.

Dans cette perspective, le discours obtient un puissant effet normatif et semble 4* constituer un remède contre l’angoisse.

Mais l’aspect thérapeutique déjà annoncé ne s’arrête pas là et c’est sous l’égide de cette forme rhétorique que peut s’effectuer le rapprochement d’avec les thérapies symboliques signalées par Kirmayer (1993). Dans son aspect métaphorique et poétique, cette forme rhétorique constituerait le lien entre la narration du mythe de la guérison divine et son expérience corporelle perceptive immédiate, opération qui se continue dans le rituel de soin.

La pratique rituelle, dépositaire d’un savoir et d’une efficience déjà démontrée, vient sidérer l’esprit du malade et l’immobiliser dans la position de « croire à ».

Le corps dans le rituel de l’exorcisme est véritablement central. Il est touché par le prêtre, par les objets consacrés, recouvert par les étoles, effleuré par l’eau bénite, et peut librement se déchaîner dans une atmosphère bienveillante et théoriquement départie de toute suggestion théâtrale. Théâtral il l’est cependant par moments, mais permet dans ses expressions de suivre l’effet du rituel. Dans les cas de possession, le prêtre met en scène la lutte finale entre les forces du Bien et du Mal, dans un climat de gravité, de retrait du monde profane, et quelquefois de corps à corps. Il témoigne d’une absolutisation de l’expérience sensible de la rencontre, avec l’idée d’une libération absolue, retour du bien et de l’action de jésus. Une hypothèse de Laplantine (1999) semble ici se vérifier : la dramatisation du mythe de la guérison divine sert de support au rituel.

Cette dimension demande finalement la réintroduction du sujet dans « I’Ecclesia » par un retour au concret de l’existence et au rétablissement d’un certain ordre moral. Ce retour se fait par l’action et l’adoption de nouveaux rituels prenant sens dans une démarche de conversion. C’est donc par le biais d’un savoir expérientiel et non d’une connaissance des textes que va se transformer l’expérience personnelle dans sa participation à un horizon beaucoup plus universel, celui de la transcendance du sacré.

Au secret et à l’énigme des rites exorcistiques, se substitue l’intention des rites de prières, de jeûne, et de charité…

Comme pour le baptême, le sujet peut faire son entrée dans l’Église et s’adonner à l’Eucharistie.

Conclusion

Qui aurait donc pu croire que le modèle de la possession soit si constamment renouvelé chez nombre de nos patients sollicitant le prêtre exorciste pour des perturbations physiques et psychiques ?… Certainement pas le médecin ou le psychiatre si rassurés par leurs propres théories explicatives et par leurs propres référentiels de soin. Pourtant la figure du diable n’en finit pas de surgir dans le discours de nos patients.

C’est probablement cette actualité qui explique le maintien d’un Rituel des exorcismes vieux de quelques siècles, venu promulguer des codes pour structurer des pratiques engageant le salut de l’individu. La tentative de saisie du phénomène de la possession nous a permis de souligner différentes dimensions comme le recours à la thématique d’un corps écarté de toute communication à l’autre, volé de sa propre subjectivité par une altérité radicale et soumis au régime de la perception douloureuse.

La réponse du religieux élève ce retrait du corps à une participation au sacré, tout en lui offrant le support d’un soin symbolique qui lui redonne par des performances énonciatives et un rituel, la promesse d’une reconnaissance et d’un retour à la communauté, sens étymologique du mot « Église ».

Références

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- Cugno A. L’Existence du mal. Paris, Seuil, coll « Points Essais Philosophie », 2002 278 p.

- Dondelinger P. Les Pratiques d’exorcisme dans l’Église. Concilium, 1998 ; 278 : 79-88.

- Galimberti U. Les Raisons du corps. Paris, Grasset, 1998 ;391 p.

- Kirmayer L.J. « Healing and the intervention of metaphor the effectiveness of symbols revisited ». Culture, Medicine and Psychiatry, 1993 ; 17 2 : 161-95.

Laplantine F »Maladie, guérison et religion dans les mouvements pentecôtistes latinoaméricains contemporains ». Anthropologie et Société, 1999 ; 23 ; 2 : 101-15.

- Maquart EX. L’exorciste devant les manifestations diaboliques. Études carmélitaines. Bruxelles, Desclée de Brouwer, 1948 328-51.

- Merleau-Ponty M. Phénoménologie de la perception. Paris, Gallimard, 2001 ; 531 p.

Muchembled R. Une histoire du Diable. XII,-XXI-siècle. Paris, Seuil, 2000 ; 411 p.

Muscatello C.F »Ipocondria, una metafora del « male » ? » In Brevaria di psicopatologia, Milan, Feltrinelli, 1996 : 119-34.

- Pédinelli J.-L. « Les théories étiologiques des malades ». Psychologie Française, 1996 41-42 : 137-45.

- Porée J. La philosophie à l’épreuve du mal. Pour une phénoménologie de la souffrance. Paris, Librairie Philosophique J.Vrin., 1993 3 17 p.

Tatossian A. Phénoménologie de l’hypocondrie. Psychiatrie phénoménologique. Paris, Acanthe, 1996 : 155-65.

15. Van De Wiel C. Bénédictions et exorcismes à la lumière du nouveau Code de Droit Canonique (Can. 1166-72). Questions liturgiques, 1995 ; 76 : 230-53.

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