L’hommage des « héritiers » au fondateur de la néonatologie

Paru dans LE MONDE : 09/05/04 http://www.lemonde.fr/web/recherche_resumedoc/1,13-0,37-853311,0.html .

Ce texte d’hommage a été écrit par Claudine Amiel Tison, Alain Berthoz, Christiane Huraux Rendu, Claude Kordon, Philippe Lazar, Guy Moriette et Emile Papiernik, élèves, collègues et amis d’Alexandre Minkowski.

Ses élèves, collègues et amis restent marqués par le parcours de pionnier de cet éternel révolté

Homme d’exception, profondément attachant pour tous ceux qui l’ont approché s’il s’est parfois fâché avec ceux qu’il estimait le plus, c’était sa façon à lui d’exprimer son exigence d’absolu et de perfection , Alexandre Minkowski – « « Minko », « Alex » ` « Ali »pour ses plus proches n’est plus. Il aura traversé avec fougue le XXe siècle et dédaigné le suivant, qu’il vient de quitter avec discrétion.

Il aurait pu consacrer sa vie à la musique. Sa passion pour la mère et l’enfant devait en décider autrement. Il est rare que l’on puisse dire sans emphase d’un homme : Il est le fondateur de…  » En l’occurrence, Alexandre Minkowski est le fondateur de la néonatologie en France. Lorsqu’il prend conscience du retard de notre pays en la matière, dans les années 1950, après un séjour révélateur et formateur en tant que boursier Rockefeller à l’université Harvard, le jeune chercheur à l’Institut national d’hygiène (INH, Inserm ne se substituera à l’INH qu’en 1964) décide de s’engager. Malgré l’avis plus que circonspect de ses maîtres (« Mon petit Minko, la prématurité, cela n’a aucun intérêt… « . lui dira alors le patron incontesté de la pédiatrie française), il se consacre pleinement à la prise en charge des nouveau nés ayant devancé l’heure du terme.

A cette époque, le seul pouvoir qui s’exerçait dans les maternités était celui des obstétriciens et, pour les accouchements sans difficulté particulière (comme c’est souvent le cas pour les prématurés puisqu’ils sont de petite taille !), on ne les dérangeait qu’en cas d’extrême nécessité… Quant aux pédiatres, ils ne commençaient à s’occuper des enfants qu’au sortir de la période d’allaitement. Avec le concours de quelques obstétriciens éclairés, notre déjà infatigable bretteur des causes justes va bouleverser le paysage, faire comprendre la gravité de la situation, obtenir de l’Etat les moyens matériels permettant d’y faire face. Ainsi naîtront le premier service français de néonatologie puis, quelques années plus tard, le bâtiment de Port Royal, qui abritera un centre de recherche et de soins de réputation internationale, donnant enfin sa place légitime à cette nouvelle discipline.

Ce serait cependant mai connaître Alexandre Minkowski que de penser que son objectif aurait été de se créer un empire aux dépens de ses confrères « mandarins ». Assumant de faire partie de cette caste à condition de marquer ses distances en gardant « les pieds nus » et tout en développant la médecine néonatale, Il reste assez lucide pour penser et pour dire : réanimer, ventiler et soigner des prématurés, c’est bien, mais éviter la naissance avant terme, ce serait mieux encore ! Il réussit dès lors à convaincre de jeunes et brillants médecins et les pouvoirs publics de relever le défi : il est ainsi à l’origine de la première grande campagne nationale de prévention des accidents de la naissance et de la prématurité, au début des années 1970, témoignage éclatant s’il en fut de la nécessité mais aussi de la possibilité, pour agir avec efficacité, de prendre en compte les dimensions sociales des maladies et des problèmes de santé.

Biologie, médecine, sciences sociales : en fait, il n’acceptera jamais de les dissocier dans son approche « intégrative », faisant preuve en cela aussi d’une exceptionnelle modernité. La finalité qu’au fond il poursuivait reconnaître chaque enfant comme une personne à part entière en même temps que comme un enfant n’aurait en aucune manière été compatible avec une vision réductionniste, essentiellement physiologique, psychologique ou sociologique des problèmes de santé de l’enfance.

FOUGUE ET TENDRESSE

Cette clairvoyance et cette conviction sont omniprésentes dans son oeuvre. Elles le conduiront à organiser son service médical autour de son unité de recherche Inserm en néonatologie, à s’entourer en permanence à la fois de médecins et de chercheurs de grand talent, qui conféreront à toute l’équipe une réputation mondiale exceptionnelle, notamment en matière de neurophysiologie et de neuropathologie du développement. Elles orienteront les modalités de l’action humanitaire internationale dont il fut l’un des pionniers et des acteurs les plus retentissants et, soit dit en passant, des plus courageux : les bombes n’ont jamais détourné ses pas des zones de conflit où des enfants étaient menacés, qu’il s’agisse du Vietnam, du Cambodge, du Bangladesh, du Liban, de la Palestine. Il agissait sans idéologie préconçue mais toujours avec la même horreur de l’injustice, et d’abord de l’injustice faite aux enfants, toujours avec la même fougue, la même impétuosité, la même générosité, et un merveilleux mélange de tolérance et de tendresse.

Les mêmes motivations nourriront son désir de compenser les traumatismes psychologiques subis par les enfants au cours des conflits dont ils sont les témoins et les victimes, en prenant appui sur un concept de résilience cérébrale, conjointement inspiré et nourri des neurosciences et des sciences de l’homme : Alexandre Minkowski fera ainsi, au soir de sa vie, dans le domaine de la neuroprotection de l’enfant, une fois encore oeuvre de pionnier.

S’étonnera t on qu’un homme de cette trempe et de cette envergure ait eu des difficultés à accepter quelque conformisme que ce soit ? Juif pas très catholique, comme il aimait à se définir, « Minko » fut toujours, de quelque façon, un révolté. N’écrivait il pas en substance à la direction de l’Inserm, en 1971 : « En guise d’évaluation de mon unité de recherche, qui est considérée à l’étranger comme l’une des toutes premières en biologie foetaie et néonataie, contentez vous de mes titres et travaux ; nous ne devons pas nous transformer à chaque instant en machines à faire des rapports »… C’est bien le même homme qui sut aussi s’engager dès 1940 dans les forces françaises luttant contre l’occupation allemande et à qui sa conduite exemplaire valut l’attribution de la Légion d’honneur à titre militaire et de la croix de guerre avec citation à l’ordre de la division.

Alexandre Minkowski était grand officier de la Légion d’honneur. Nul autre que lui ne fut plus digne de porter ce titre.

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