Ed. Hermès (Collection Systèmes Complexes). Paris, 1995
Jacques Miermont, médecin, psychiatre et psychanalyste publie « L’homme autonome » avec pour sous-titre « Eco-anthropologie de la communication et de la cognition ».
Notre ami, J Miermont, a transformé le dossier qu’il avait rédigé pour le Programme MCX (Dossier MCX n – V) en un ouvrage que publie le nouvelle collection « Systèmes complexes » (dirigée par P. Bourgine et E. Bonnabeau) sous le titre « L’homme autonome ».
Pour le présenter dans le Cahier des Lectures MCX, il nous a paru judicieux de reprendre le texte de la préface que le Pr, André Féline (Médecin des Hôpitaux, Professeur de Psychiatrie à la Faculté de Paris-Sud) a rédigé pour présenter cette réflexion transdisciplinaire sur la complexité de l’homme autonome. Nous remercions le Pr. A. Féline et les Ed. Hermès de leur amicale autorisation de reproduction dans le Cahier des Lectures MCX.
Il reprend là, après l’avoir encore enrichi, le travail de Thèse de Doctorat en Sciences qu’il a soutenu le 18 mars 1993 à l’Université de Droit, d’Economie et des Sciences d’Aix-Marseille et pour lequel la mention très honorable et les félicitations unanimes lui avaient été acquises.
L’objectif qui guide l’auteur tout au long de ces pages est précis : décrire au mieux ce qui caractérise un système autonome pour atteindre et cerner la notion d’autonomie. Pour cela, il s’appuie sur les domaines de la cognition abstraite et de la communication en passant par la sémiotique générale, les bases biologiques de la cognition et les thérapies familiales systémiques. Comme le remarque Jean-Pierre Desclés, sa démarche est réellement interdisciplinaire : il croise des disciplines différentes (sémiotique, théorie générale de la communication, théorie de l’information, théorie de la complexité, intelligence artificielle, théorie des systèmes, communications thérapeutiques, psychiatrie, psychanalyse … ) et les fait interagir afin de dégager des concepts transdisciplinaires. L’auteur postule que l’autonomie est un des grands concepts unificateurs qui doit transgresser les découpages disciplinaires et doit permettre une réorganisation du savoir selon une toute nouvelle perspective.
Jacques Miermont développe sa démonstration à partir de la systémique, de la cognition et de la communication et puise, à bon escient, dans les recherches synthétiques et épistémologiques de Jean-Louis Le Moigne. Il convoque également pour appuyer son argument des auteurs aussi divers que Peirce, Thom, Newell et Simon, Freud, Bateson, Valéry…. ce qui témoigne de son ouverture intellectuelle et de sa culture scientifique.
Trois démarches sont associées : repérage des indices d’autonomie et des phénomènes auto et hétéro référentiels qui caractérisent les modes d’organisation et d’interaction des systèmes vivants ; examen des relations entre l’autonomie, la sémiotique générale et les données cliniques (à partir des acquis de la psychanalyse) ; évaluation critique de différents paradigmes (cybernétique, symbolique, connexionniste, communicationnel). Outre l’autonomie, un autre concept, celui d’abduction, traverse l’ouvrage et participe fortement à sa structuration.
En prenant appui sur sa triple formation de psychiatre, de psychanalyste et de thérapeute familial, J. Miermont engage la mise en relation de son expérience clinique et des réflexions et spéculations théoriques permettant d’en mieux rendre compte. Pour cela trois grands axes de recherche ont été poursuivis par l’auteur : l’évaluation des relations entre différentes formes de communication, processus cognitifs et procédures d’autonomisation, l’étude des liens entretenus par les données de la clinique contemporaine avec la sémiotique générale, l’étude du paradigme systémique : intelligence artificielle, sciences de la cognition, science de l’autonomie.
C’est avec détermination et dans un souci constant de n’éluder aucune interrogation fondamentale ou accessoire, que Jacques Miermont s’applique à répondre aux questions épistémologiques que pose la mise en parallèle des phénomènes de communication, des activités cognitives et de l’advenue de l’autonomie. Il met au service de son immense culture une faculté non moins remarquable à aborder des domaines à juste titre réputés difficiles, en particulier ceux du connexionnisme, de l’intelligence artificielle, de la cybernétique et enfin de la pensée.
C’est ainsi que l’auteur aborde la question de la connaissance, de l’intelligence et de leurs strates affectives. 11 insiste légitimement sur le fait que l’esprit et toutes les théories qui en répondent ne peuvent être détachés de paramètres co-dépendants de lui et d’elles : il en est ainsi du patrimoine culturel de l’individu, de son milieu qui conditionne son développement et tout autant des variables tenant aux caractéristiques de la personnalité. A partir de l’idée selon laquelle ‘l’esprit intelligent » ne peut être considéré comme attribut ontologique indépendant, et empruntant là à l’école de Palo Alto, J. Miermont tente de répondre à la question de savoir dans quelle mesure l’activité intellectuelle peut être assimilée aux performances d’un ordinateur, heureusement traduites en termes d’intelligence « artificielle ».
Bien que par tous reconnues dans la pathologie mentale, les distorsions ou altérations cognitives semblent aujourd’hui se dérober à toutes possibilités de systématisation, faute souvent de capacité à saisir objectivement ces troubles pour pouvoir secondairement les formaliser. Il en est ainsi des théories cognitives de l’esprit etiou de la personnalité centrées sur les processus de différenciation, d’intégration et de catégorisation des représentations mentales et qui, pour certains, s’appuient sur une psychologie du moi d’inspiration phénoménologique, pour d’autres neuro développementale, pour d’autres encore psychodynamique. La notion de multidimensionnalité, sur laquelle chacun s’accorde, ne suffit souvent pas à saisir certains concepts (celui de self par exemple) dans leur caractère unitaire et intégratif.
S’agissant justement des conduites cognitives, J. Miermont les évoque d’abord selon le projet cybernétique (et donc déjà communicationnel) pour lequel il n’y a communication interindividuelle, ou entre l’homme, l’animal et la machine que s’il existe des structures oscillantes qui entrent en résonance entre les entités qui communiquent et donc possèdent des dispositifs isomorphes. On ne peut mettre mieux en relief le concept-clé de l’information possiblement indépendant du système des représentations.
Consacrant un chapitre aux racines biologiques de la cognition, l’auteur envisage successivement les avatars phylogénétiques, ontogénétiques et phénoménologiques de ce domaine scientifique en pleine reformulation. C’est à partir de ces données naturelles qu’il développera ce que pourrait être une architecture des systèmes cognitifs artificiels. Nous ne pouvons que l’approuver lorsqu’il énonce que les sciences cognitives ayant pour objet l’étude des systèmes et des comportements intelligents ont actuellement à connaître des apports de la psychologie, de l’éthologie, de la linguistique, de l’intelligence artificielle, de la philosophie, de l’anthropologie, de la théorie des ensembles. Sachons gré à Jacques Miermont de n’avoir escamoté aucun de ces domaines à chaque fois qu’ils pouvaient apporter des éléments de compréhension et/ou de réponse aux questions soulevées. On comprend alors qu’avant d’aborder les signes et symptômes de l’autonomie, l’auteur ait ouvert un chapitre concernant la sémiotique de la complexité, en particulier celle des systèmes biologiques, psychiques (conscients et inconscients) et sociaux.
L’étude de la complexité des processus de communication conduit l’auteur à celle de la formalisation des processus autoréférentiels, celle-ci amenant naturellement à une exploration des interactions de la cognition et de la communication dans la représentation de ces deux processus. Dès lors, comme l’exprime Jean-Louis Le Moigne, il tient là la pierre d’angle de ces deux arcs-boutants en maîtrisant et en enrichissant le paradigme de l’autonomie ; il lui faut encore assurer cette mise en cohésion dans ses trames épistémologiques, en se livrant à une critique permanente de l’appareil conceptuel qu’il met en oeuvre, en demandant aux sciences de la complexité et des systèmes un support paradigmatique à la fois décryptable et ouvert. Qu’il ait, ce faisant, reconnu la fécondité instrumentale de la sémiologie ne surprendra pas puisque cette réflexion sur le signe et le symbole « s’autonomisant » est précisément