l’IDENTITE

UN ENTRETIEN AVEC MARCEL GAUCHET A PROPOS DE PLUSIEURS SUJETS DONT LA DEMOCRATIE, LES DROITS DE L’HOMME ET L’IDENTITE DONT VOICI UN EXTRAIT.

Appartenance obligée – appartenance choisie

Le fait est qu’aujourd’hui se joue sur ce terrain un grand changement qu’on peut ramasser sous la notion – qui d’ailleurs partout l’emporte – de l’identité. C’est un grand phénomène de notre société : on vivait dans un univers d’individus un peu abstrait, rationnel, universel, et on s’aperçoit que ces individus, à un moment assez précis de l’Histoire, en viennent au contraire à s’identifier très fort aux communautés quelles qu’elles soient – il ne faut pas se précipiter sur ce mot, qui est dangereux, je le prend de manière très neutre – pour se constituer. C’est cela les identités, mais des identités qui peuvent être multiples et tout à fait démocratiques. On va se définir par l’homosexualité, le judaïsme, le régionalisme, l’appartenance à une secte… C’est multiple, mais, dans la constitution de la subjectivité, les appartenances deviennent essentielles. C’est là où tous ces mots sont des pièges auxquels il faut faire très attention. Ce ne sont pas des appartenances à l’ancienne, qui s’imposaient à vous. Vous n’aviez pas choisi d’être allemand ou français, mais, au nom de cette appartenance, vous étiez mobilisable. Ce qui veut dire quelque chose de très précis. Ces appartenances nouvelles ne sont pas imposées, c’est au contraire des appartenances désirées et revendiquées subjectivement par les individus. D’où le fait que, à mon avis, elles ne stabilisent rien du tout, parce qu’elles sont un phénomène intérieur et psychique, non un phénomène d’une quelconque consistance. On peut aider les gens à être davantage à l’aise avec eux-mêmes par l’appartenance, mais on ne peut leur donner un appui extérieur de cette façon. Il s’agit d’un grand déplacement entre l’imposé et le voulu intérieurement.

Partage et coexistence pluraliste

Ces identités sont des transactions. Il y avait, d’un côté, ce que l’on n’a pas choisi et, de l’autre, à l’intérieur de ce qu’on n’avait pas choisi, la possibilité de construction d’un universel personnel. Par rapport à cette figure classique, se disent à la fois un refus de l’appartenance imposée et un besoin de se référer en même temps à quelque chose d’extérieur pour se constituer, quelque chose que l’on partage, parce que les identités sont, par définition, partagées. C’est par une recréation extérieure, dans laquelle on se reconnaît, que l’on fait face au risque que rien ne soit imposé. Et, en même temps, c’est probablement un phénomène lié à l’ambiance dépressive du temps : l’extraordinaire relativisation de points de vue qu’éprouvent les individus dans notre monde est un aspect non négligeable de ces identités. Il était très orgueilleux, cet individu qui, à la fois, admettait qu’il était français, allemand, anglais, etc., et qui, de l’intérieur de cela, s’élevait à l’universel par sa raison. Aujourd’hui, les individus ne croient plus qu’ils s’élèvent à l’universel par la raison. C’est déjà bien s’ils arrivent à se constituer un point de vue partagé à quelques-uns, coexistant de manière pluraliste, mais en même temps très relative, avec d’autres. La notion d’identité est une notion défensive et presque mélancolique. Cela s’affiche souvent de manière glorieuse et véhémente, mais, en profondeur, c’est très modeste. Cela dit que, finalement, nous ne sommes pas grand-chose.

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