L’intégration des minorités immigrées-Étude comparative : France – Grande-Bretagne.

Note de synthèse réalisée sous la direction de Didier Lapeyronnie

L’hypothèse centrale de ce travail est que les problèmes et les difficultés observés aujourd’hui en France et en Grande-Bretagne tiennent non pas à des modifications fondamentales des populations immigrées ou des processus d’intégration, mais à la liaison entre les difficultés de l’intégration et le débat politique, liaison produite par les changements profonds ayant affecté le modèle de « société nationale » sur lequel ces deux pays étaient construits. Ce sont alors les catégories classiques de l’intégration et la notion même d’immigré qu’il convient de remettre en cause.

Comme tout travail comparatif, cette étude vise un double objectif : faire apparaître les similitudes et les différences entre deux pays la France et la Grande-Bretagne, et, en même temps dégager un cadre interprétatif et analytique commun qui permette la comparaison et la construction d’hypothèses générales.

L’étude de l’intégration des minorités immigrées y est étudiée à partir de trois niveaux distincts de problèmes : les dimensions historiques et institutionnelles ; les questions sociales et politiques et leurs relations à la mise en oeuvre de politiques publiques d’intégration ; les questions nationales et culturelles et leurs relations avec les formes et les orientations de l’action collective.

Deux expériences nationales

Les migrations sont des phénomènes temporels se déroulant en plusieurs étapes , chacune génère des problèmes particuliers. Avec l’apparition des phases tardives de la migration, celle-ci devient à la fois plus visible et plus délicate dans la mesure où elle se détache de l’économie et suscite des problèmes sociaux. La conjugaison de ces deux phénomènes provoque des vagues de rejet xénophobe. De ce point de vue, les deux situations examinées ne présentent aucune originalité particulière, ni dans une perspective historique (les mêmes problèmes ont accompagné des migrations précédentes), ni d’un point de vue comparatif (la succession des étapes et des problèmes est identique dans les deux pays). Dans les deux cas, les phases tardives de la migration, déconnectées de l’économie, s’accompagnent d’une politisation du problème, politisation qui acquiert son autonomie et sa logique propre, conduisant d’une part à une définition et à un traitement du problème en termes civils et d’autre part à faire de l’immigration un thème central du débat portant sur les questions nationales. Dans le cas britannique, à cause de la superposition des phases migratoires, après la Seconde Guerre mondiale, cette politisation est immédiate, alors que dans le cas français elle est beaucoup plus tardive. Mais les évolutions sont identiques, même si l’ampleur des phénomènes observés varie en fonction de conjonctures nationales différentes. Les différences politico -institutionnelles entre les deux pays sont le résultat de cet héritage historique. Du côté français, la gestion libérale d’une immigration de main-d’oeuvre a conduit à une pression politique vers une prise en charge des problèmes sociaux des immigrés qui n’est pas liée directement au thème de la fermeture des frontières. Du côté britannique, le lien entre le thème de la fermeture des frontières et la problématique de la « racialisation » s’est opérée tout de suite. En termes de politique d’intégration des minorités immigrées, cette différence s’est traduite par la mise en place d’institutions spécialisées, centrées sur les problèmes sociaux en France, alors qu’en Grande Bretagne les dimensions civiles de l’égalité et des relations interculturelles sont au centre des politiques et des institutions.

Ainsi, en Grande – Bretagne le Ministère de l’intérieur reste maître d’une grande partie de la politique d’égalité raciale à travers l’institution centrale qu’est la Commission pour l’égalité raciale, alors qu’en France l’orientation plus sociale que civile place au centre du dispositif le ministère des Affaires sociales et le FAS. L’antiracisme et l’égalité des chances. bref le traitement civil des problèmes des minorités ethniques, demeurent centraux en Grande -Bretagne et traversent les politiques sociales de droit commun. En France, la dimension sociale est très forte et la dimension civile absente. Les politiques sociales de droit commun absorbant en quelque sorte la lutte contre la discrimination et le racisme. La France dispose de dispositifs spécifiques comme les contrats d’agglomération qui, s’ils trouvent des correspondants en Grande-Bretagne, par exemple la Section 11, ont une moindre portée. Les politiques françaises apparaissent comme des politiques de droit commun a l’intérieur desquelles sont menées des actions spécifiques alors que les politiques britanniques juxtaposent plus qu’elles ne conjuguent des politiques civiles d’égalité, des politiques de droit commun et des actions spécifiques.

Ces différences entre les deux pays s’expliquent par le fait que, du côté britannique, l’immigration a été liée à la décolonisation et à ses conséquences directes et indirectes. alors que, du côté français l’ immigration s’est d’abord définie strictement en termes économiques avant d’être liée à la décolonisation. Du côté britannique, l’appréhension économique liée à l’immigration a été tout de suite recouverte par une appréhension en termes politiques et raciaux, alors que du côté français elle a très longtemps échappé aux conflits politiques, ou tout au plus a été un thème mineur des discours politiques. C’est cette histoire originelle qui explique les modalités de gestion différentes observées dans les deux pays. La Grande-Bretagne s’est très tôt orientée vers une gestion politique de l’immigration, gestion centrée autour de thèmes civils et ethniques, alors qu’en France cette gestion est restée le domaine de l’économie et d’institutions spécialisées. Ce n’est que très récemment que la France a connu une forte évolution du problème plaçant la question immigrée au centre du débat politique s’alignant ainsi sur des débats fondamentaux déjà anciens en Grande-Bretagne. Entre les deux pays, les différences observées tiennent donc moins à des caractères nationaux ou à des cultures coloniales, toujours difficiles à cerner qu’aux modalités historiques qui ont présidé aux vagues migratoires.

Il apparaît ainsi très nettement une convergence des problématiques entre les deux pays. Émergences de problèmes liés à l’installation de populations immigrées et politisation de la question vont de pair, au moins dans un premier temps, alimentées par la crise économique et les transformations sociales. A des degrés divers et selon des temporalités elles aussi différentes l’enchaînement est le même. Par bien des aspects, il est similaire à celui observé dans d’autres circonstances avec d’autres immigrations. Il n’y a. de ce point de vue, que peu d’originalité dans les situations présentes. Cette convergence globale des problématiques n’est cependant pas absolue. Elle est contrebalancée par les conséquences des conditions d’arrivée des migrants et des décisions prises à ce moment. De fait, la politisation plus ancienne du problème chez les Britanniques a induit une priorité donnée à un traitement civil et intercommunautaire du problème avant que ne se développe véritablement une politique sociale d’intégration.

En France, à l’opposé, la politisation tardive n’a pas entravé la mise en place d’une politique spécialisée dans un premier temps, d’une politique d’intégration dans Lin deuxième temps. Par delà la profonde convergence des problématiques, cet héritage des périodes d’arrivée des migrants continue d’imposer sa marque sur les conceptions du problème et la nature du traitement politique à mettre en oeuvre. Il n’en demeure pas moins que même cet héritage est aujourd’hui érodé, le thème de la nationalité devenant en France, à la faveur de la politisation, un objet essentiel du débat sur l’immigration, de la même manière qu’en Grande-Bretagne la question civile et l’antiracisme prennent petit à petit le pas sur les thèmes sociaux.

Problèmes sociaux et politiques d’intégration

Concentration dans les « inner cities »

Dans les deux pays, des concentrations de populations immigrées ou de minorités ethniques dans les banlieues ou les inner cities se développent parallèlement à l’effondrement du monde industriel et aux contraintes qu’il impose sur le marché du travail et sur le marché du logement aux populations qui en sont les premières victimes. Comme les populations ouvrières autochtones, les populations d’origine immigrée semblent subir la même polarisation entre leur incorporation à la vie urbaine qui les transforment en « classes moyennes » d’un côté et, de l’autre, un processus de décrochage massif qui les enferme dans des zones déshéritées. C’est pourquoi la question immigrée ou la question des minorités ethniques tend à se « localiser » au fur et à mesure qu’elle s’écarte des questions ouvrières.

Un rapide examen de la situation des populations d’origine immigrée révèle en effet la profonde évolution et la profonde différenciation qui y sont à l’oeuvre.

C’est à deux changements auxquels nous assistons aujourd’hui. Le premier est l’éloignement progressif de la logique de la migration, dans chacun des pays, à des degrés divers selon l’ancienneté de l’immigration et ses modalités. De ce point de vue, il semble juste de parler d’intégration dans la mesure où les indicateurs « objectifs » de l’intégration impliquent tous cette direction. Mais ce premier changement, qui correspond à l’histoire naturelle de toutes les migrations, s’accompagne d’un second changement : la mobilité sociale observée se traduit aussi par un éloignement du monde ouvrier au sens classique. Cette mobilité n’est pas forcément ascendante, elle peut être aussi descendante. Elle est certes définie par le développement d’emplois tertiaires, d’auto- emplois. La création d’une « classe moyenne » immigrée, comme chez les Indiens en Grande-Bretagne. L’immigré est de moins en moins un prolétaire ou un ouvrier. Cependant, elle se traduit aussi par un fort taux de chômage, une forte concentration dans les métropoles urbaines, bref par l’incorporation de ces populations dans des zones urbaines défavorisées, marquées par la marginalité : les inner cities britanniques et certaines banlieues françaises. Autrement dit, à une population qui vit encore le processus migratoire et qui reste dans des structures sociales migratoires, notamment en matière d’emploi et de formes de chômage. se superpose une population qui se place en dehors de ce processus. se caractérise de plus en plus par son appartenance et sa participation à un monde urbain. La première population se définit par la tension entre le thème immigré et le thème ouvrier, par la logique de l’intégration et celle de l’exploitation. La deuxième population se définit par l’opposition entre la marginalité et la participation. Aux thèmes du travailleur immigré et du prolétaire succèdent ceux du jeune Black ou Beur et des « classes dangereuses », et surtout de l’« underclass ».

Dans les banlieues et les inner cities se forment ainsi des poches de pauvreté, des ghettos, caractérisés par une accumulation de handicaps : chômage, échec scolaire, délinquance, violence, ruptures familiales, pauvreté, assistance, etc. Les populations de ces cités ne sont pas surexploitées, elles ne sont pas exploitées du tout. Elles ne sont pas une « armée de réserve », elles n’en ont plus les capacités. C’est le monde des « underclass » ou « sous-classes », fortement comparable à celui des ghettos américains, un monde de la marginalité urbaine.

Deux caractéristiques fortes de ces univers doivent être soulignées. Tout d’abord, ces univers n’ont pas d’unité culturelle. Il n’existe pas une « sous- culture » de ce monde comme il a pu exister une sous- culture dans les ghettos. Il n’existe pas de mode de vie marginal qui procéderait d’un ensemble de normes culturelles, que celles-ci soient héritées ou construites comme un mode d’adaptation à l’exclusion sociale. Une certaine unité des conduites ne signifie pas pour autant que celles-ci s’inscrivent dans une unité culturelle de la pauvreté, de la marginalité ou du ghetto. En ce sens, les inner cities ou les banlieues immigrées, malgré l’emploi courant du terme, sont des anti-ghettos ou des anti-bidonvilles. Même si, dans certains cas, certaines populations peuvent transporter leur « culture » d’origine, celle-ci est marquée fortement par la dislocation et la désorganisation. Ce monde des inner cities et des banlieues n’est cependant pas un monde de la marginalité culturelle. Si les individus sont souvent socialement exclus par le chômage, ils ne sont pas pour autant exclus de la consommation, voire de la production culturelle. Ils ont souvent suivi une scolarité globalement supérieure à celle des populations ouvrières traditionnelles, même si elle s’est révélée insuffisante pour leur permettre d’accéder aux nouveaux emplois. Le niveau d’information est aussi plus élevé que celui des populations ouvrières classiques. Le paradoxe des populations d’origine immigrée est donc qu’elles sont à la fois plus directement affectées par la marginalité, à cause de leur plus grande fragilité, mais en même temps, peut-être parce qu’elles ont été moins « ouvrières », elles sont mieux adaptées aux processus de modernisation, soit parce qu’elles connaissent une mobilité sociale importante, comme dans le cas français, soit parce qu’elles ont un investissement dans l’éducation nettement supérieur aux classes ouvrières autochtones, comme dans le monde industriel britannique. Il se crée ainsi une polarisation forte entre ceux qui ont pu entrer dans la société, se rapprochant ainsi des classes moyennes, et ceux qui n’ont pu y entrer et se trouvent marginalisés.

La concentration des populations immigrées et des minorités ethniques est donc d’abord liée à la décomposition du monde industriel et ouvrier. De ce point de vue, y voir une « fraction » de la classe ouvrière est un contresens. Socialement et culturellement, les populations d’origine immigrée se sont non seulement éloignées du monde ouvrier, mais ont contribué à briser son unité et à accentuer sa différenciation. L’immigration en France, les minorités ethniques en Grande-Bretagne sont à la fois des groupes à part de la classe ouvrière et des signes de sa disparition, parce qu’ils sont à la fois plus marginaux et plus « modernes », plus incorporés dans la vie urbaine et sûrement moins pauvres culturellement.

Cependant, dans les deux pays, les formes et les modalités du lien entre les populations migrantes et la décomposition des classes ouvrières sont différentes. En Grande-Bretagne, le monde ouvrier fut non seulement un monde à forte conscience de classe, mais aussi un monde communautaire, fortement différencié, gardant une autonomie politique et culturelle importante. A l’opposé, en France, le monde ouvrier fut moins fort, sans autonomie culturelle, monde plus populaire et hétérogène, souvent plus urbain que véritablement ouvrier. La mobilisation politique a, dans l’ensemble, été plus importante que l’action de classe. C’est pourquoi, alors que la Grande-Bretagne fut le pays de la puissance syndicale et du travaillisme, la France fut le pays de la faiblesse syndicale, de la force des partis socialistes et communistes et des banlieues rouges. Aussi l’effondrement du monde industriel dans les deux pays suscite-t-il des réactions et des comportements sociaux et politiques différents. Du côté britannique, la force de la conscience de classe et la structuration communautaire du monde ouvrier ont permis le maintien d’une certaine combativité, combativité allant de pair avec la recherche d’une homogénéité plus grande, du renforcement de l’identité ouvrière et la réaffirmation des valeurs et des modes de vie ouvriers. La classe ouvrière britannique s’est crispée essayant de maintenir son unité sociale et culturelle, cherchant à renforcer son identité pour résister à la crise et à la marginalisation.

« Intégrisme » et « fondamentalisme » ouvriers ont aussi donné naissance à des conduites violentes comme celles des Hooligans dans le football ou des bandes de Skin Heads. Du côté français. la structuration plus politique du monde populaire a. tout à la fois conduit à une plus rapide modernisation culturelle et à une plus grande incorporation dans la vie urbaine, mais aussi à une plus Grande fragilité. Lorsque les institutions syndicales, associatives et politiques ont perdu la capacité d’intégrer et de protéger cette population. celle- ci s’est révélée un monde atomisé et anomique, sans unité et décomposé. A la sectarisation de la classe ouvrière britannique s’oppose ainsi l’anomie des banlieues populaires françaises. Alors que la classe ouvrière britannique résiste à une modernisation externe, le monde populaire français est envahi et détruit de l’intérieur par la modernisation. D’un côté. les minorités ethniques restent à l’écart des communautés ouvrières proprement dites et sont rejetées comme une menace externe, alors que de l’autre côté les immigrés installés au sein du monde populaire, sont rejetés comme une menace interne.

En Grande-Bretagne, les minorités ethniques sont directement l’expression de la marginalisation de la classe ouvrière, alors qu’en France elles sont l’expression de la décomposition interne du monde populaire. C’est pourquoi, alors qu’en Grande-Bretagne la décomposition et la dislocation du monde ouvrier ont d’abord pris une forme sociale et culturelle, celle du blocage et de la xénophobie exprimant les tentatives de renforcer l’unité et la combativité ouvrières, en France, l’effondrement des banlieues populaires s’exprime d’abord politiquement à travers la montée de l’extrême droite qui vient combler le vide créé par la disparition des formes d’intégration politique. Alors qu’en Grande-Bretagne le National Front n’a pu véritablement lier ses campagnes anti-immigrés à la dislocation du monde ouvrier, malgré quelques succès dans les zones urbaines londoniennes. En France, le Front national a. au contraire, construit son succès sur la liaison entre le thème immigré et une structuration politique alternative du monde populaire des banlieues. Les rapports entre les populations d’origine immigrée et les sociétés d’accueil dans les deux pays présentent ainsi une image inversée et paradoxale : du côté britannique. le traitement civil et politique des minorités immigrées se heurte aux conséquences sociales de la marginalisation et de la dislocation de la classe ouvrière ; du côté français, le traitement social de la population d’origine immigrée se heurte aux conséquences politiques de la décomposition du monde populaire.

Les politiques locales d’intégration

Ces différences entre la France et la Grande-Bretagne se traduisent pratiquement dans les orientations des politiques locales de l’intégration des minorités immigrées.

Du côté britannique, les politiques d’intégration sont menées par les autorités locales et pour l’essentiel, sont définies comme des politiques d’égalité raciale et de promotion multiculturelle. En France, il est plus difficile d’identifier une « politique » d’intégration, quelle que soit la ville. Dans la plupart des cas, les autorités locales et les acteurs locaux développent des mesures diverses, allant de l’action spécialisée au droit commun avec une dose plus ou moins forte de représentation politique des minorités. Si, du côté britannique, les autorités locales parviennent à jouer un rôle important de coordination ou même de maître d’oeuvre de l’action à mener, dans le domaine de l’intégration des minorités, les autorités locales françaises ont, le plus souvent, un rayon d’action plus limité, se contentant souvent soit de l’application de dispositifs nationaux, soit de freiner la mise en oeuvre de mesures auxquelles elles s’opposent. La conséquence directe de ces différences institutionnelles est l’existence de modes d’organisation et d’orientation opposés des politiques d’intégration des minorités immigrées.

Quatre grandes orientations politiques

Dans les deux pays, chaque autorité locale combine différemment, dans la construction des orientations de sa politique, quatre grandes orientations politiques.

La première est l’égalité des chances. Ces politiques sont essentiellement orientées vers la lutte contre toutes les formes de discrimination ou de ségrégation et l’établissement d’une égalité des chances entre les divers groupes ethniques, sexuels, religieux ou communautaires. Elles sont mises en oeuvre le plus souvent à travers des mesures de contrôle d’une part, ou des mesures de discrimination positive ou négative d’autre part. Par exemple, les politiques d’égalité des chances peuvent prendre la forme de mesures sociales spécifiques ayant pour but la correction d’un certain nombre d’inégalités « raciales ».

Le second groupe est celui des politiques de gestion communautaire qui sont orientées vers l’harmonisation des relations entre divers groupes ethniques sur un même espace. Elles s’appuient donc sur une définition du problème en termes de relations intercommunautaires et cherchent d’une part à préserver, voire à renforcer, les caractéristiques propres à chaque communauté et, d’autre part, à équilibrer les relations entre ces communautés. A cette fin. les services sociaux. par exemple, peuvent essayer de s’adapter aux besoins spécifiques des minorités.

Le troisième groupe est celui des politiques antiracistes. Leur but est d’éliminer les préjugés raciaux et les attitudes racistes. Ces politiques sont souvent (les politiques de formation OLI d’éducation antiraciste. soit dans les services administratifs de l’autorité locale. soit plus généralement dans le domaine de l’éducation.

Enfin, le quatrième groupe est celui des politiques sociales de droit commun. Ces politiques sont orientées vers le traitement social des problèmes (les populations d’origine immigrée et visent en priorité. a aider à leur intégration indépendamment de leurs caractéristiques culturelle en mettant l’accent sur leur environnement. l’ouverture économique et leur intégration sociale proprement dite.

Ces quatre orientations se recouvrent très Souvent et sont présentes au sein des mêmes collectivités locales. Mais des différences nationales marquées se manifestent. Les politiques locales britanniques sont plus souvent des politiques d’égalité des chances et de gestion communautaire. parfois d’antiracisme, alors que les politiques françaises sont plus souvent des politiques sociales de droit commun. d’antiracisme et de gestion communautaire. Au fond les autorités locales françaises ont plutôt tendance à inclure dans leurs politiques de droit commun des éléments des autres orientations alors que les autorités locales britanniques ont plutôt tendance à mêler ces orientations a partir de politiques communautaires.

Ces différences s’expliquent par le fait que l’existence de politiques locales d’intégration suppose des autorités locales avant la possibilité de gérer politiquement les relations entre ces orientations. Toute politique publique locale suppose donc une politique « communautaire » qui elle- même suppose une autonomie suffisante des autorités locales pour que se développe un marché politique local. En France, malgré la décentralisation et quelques tentatives, ce marché politique local reste faible et peu ouvert aux Minorités immigrées. En G rancie- Bretagne, au contraire, la dépendance du centre vis-à-vis de la périphérie pour la mise en oeuvre de ces politiques et l’autonomie plus forte du gouvernement local ont favorisé la constitution d’un marché politique beaucoup plus ouvert. Les deux pays présentent, sur ce plan de fortes différences. Du côté français, la faiblesse de l’ouverture politique accompagne une faible institutionnalisation de la représentation des minorités immigrées, ainsi qu’une faible professionnalisation de l’action en leur direction.

Du côté britannique, l’ouverture politique et la constitution de marchés politiques locaux s’accompagnent d’une forte institutionnalisation de la représentation des minorités immigrées et d’une forte professionnalisation de l’action menée en leur direction. Les communautés se construisent ainsi comme des catégories politiques définies par leur mobilisation pour accéder au marché politique. Le droit de vote et la citoyenneté dont sont dotées les minorités immigrées en Grande-Bretagne ne suffiraient pas, à rendre compte de cette différence. L’existence du gouvernement local et sa forte autonomie sont probablement les premiers facteurs de constitution de la politique communautaire.

En accentuant quelque peu les oppositions entre les deux pays, nous pouvons donc observer du côté britannique des politiques locales d’intégration liées à l’existence d’un marché politique et à une politique communautaire et, du côté français. des actions locales et localisées d’intégration, faiblement unifiées, sans marché politique local et sans politique communautaire. Il est donc difficile de comparer directement les effets intégrateurs de chacune de ces orientations.

Il semble que nous pouvons ici formuler une double hypothèse. La politique de droit commun laisse peu d’espace à la représentation des groupes minorités et à leurs spécificités. Il est donc probable que les désavantages spécifiques seront peu corrigés et pourront donner naissance à des tensions.

La politique communautaire a pour objectif principal la correction de ces désavantages. Elle est essentiellement une politique participative. Les groupes s’y définissent par des niveaux de participation au système politique. Leur niveau d’intégration est synonyme de leur capacité d’accès au système de redistribution et au système politique. C’est pourquoi la logique de la politique communautaire est la compétition pour des ressources rares : tout ce qui est accordé à un groupe l’est nécessairement au détriment d’un autre. Tout est interprété en ces termes par chacun des groupes. Le défaut d’une telle orientation est qu’elle est faiblement représentative. Elle laisse peu de place à l’expression de revendications particulières transversales aux groupes, ou à la représentation des conflits culturels. Les groupes mettent l’accent de manière quasi exclusive sur leur unité interne et leurs intérêts propres. Une prime est donc donnée au conservatisme et au maintien d’un statu quo culturel et politique au sein des groupes.

En d’autres termes, les demandes sociales sont faiblement exprimées et traitées. La logique d’une telle conception semble donc favoriser des tensions sur ce plan, qui seront d’autant plus vives que l’orientation communautaire sera plus exclusive.

Minorités immigrées et démocratie

Les processus d’intégration des minorités immigrées ne s’inscrivent pas seulement dans une histoire institutionnelle ou dans une histoire sociale. Ils s’inscrivent aussi dans des ensembles plus larges, ceux des sociétés nationales.

Les conduites observées et les problèmes qui se posent doivent donc être aussi comprés par leur insertion dans les modes (le constitution et d’évolution des sociétés nationales française et britannique.

Les sociétés nationales sont nées au moment de l’industrialisation et de la constitution des États- nations en Europe occidentale, à la fin du xix’ siècle. Elles apparaissent alors comme la forme moderne d’organisation sociale et politique par opposition aux mondes des communautés et de la tradition. La nation est considérée comme une unité naturelle culturelle ou politique permettant de réguler et de maîtriser les bouleversements introduits par les révolutions industrielles et démocratiques.

La France et la Grande- Bretagne, peut être plus que d’autres pays, se sont définies comme des « sociétés nationales », c’est-à-dire par la correspondance entre une « haute Culture » sécularisée pour l’essentiel et Lin espace politique dont le contrôle est assuré par l’Etat à travers une « société ». Le thème de l’intégration des migrants est lié à cette image complexe des sociétés nationales modernes. L’intégration s’y définit comme un processus, celui de l’incorporation des immigrés dans un ensemble social et culturel et donc le passage d’une culture traditionnelle à une culture moderne qui est aussi leur transformation en « nationaux » du pays d’accueil. Le processus d’intégration possède des étapes plus ou moins longues mais doit déboucher sur la comptabilité des spécificités culturelles des migrants avec les normes du pays d’accueil. Mais l’intégration est aussi un état de la structure sociale. Elle signifie que les divers éléments du système social sont fonctionnelsles uns par rapport aux autres et donc possèdent un certain niveau d’échange et de complémentarité. Dans la réalité sociale, processus d’intégration et intégration structurelle sont unis par les institutions. Les sociétés nationales sont en effet avant tout des réseaux d’institutions. L’intégration des migrants se fait par l’intermédiaire des institutions qui les socialisent et les incorporent dans le système social. Elle signifie de manière indissoluble leur identification à une culture nationale moderne et leur incorporation fonctionnelle dans le système social.

Aujourd’hui, ce modèle général des sociétés nationales et de l’intégration est largement décomposé. Outre l’effondrement du monde industriel, les sociétés nationales sont marquées par la « crise » des grandes institutions : l’école, la famille, la religion, les partis, etc.

La France et la Grande-Bretagne sont étonnamment proches quant aux évolutions et aux débats qui ont tourné autour de problèmes scolaires, de l’évolution de la famille ou du déclin de la religion. De manière concrète le déclin des institutions signifie l’affaiblissement des capacités d’intégration et. surtout. la disjonction des normes de la société et des motivations des conduites sociales, c’ est -à- dire la perte des fonctions de socialisation. Le déclin du monde industriel et la crise des institutions signifient donc la fin des sociétés nationales modernes. la fin de la correspondance étroite entre une « société » et un espace politique. de la confusion entre une culture nationale et la modernité. Les sociétés post-industrielles et post-nationales que sont la France et la Grande-Bretagne ne sont donc plus des sociétés d’intégration. Leur capacité d’intégration s’est considérablement affaiblie et, dans les deux pays, l’histoire de cet affaiblissement est pratiquement parallèle.

A partir du milieu des années soixante dix, la brutalité de l’effondrement industriel a imposé un appel à la mobilisation économique.

Les deux pays ont résisté à cette évolution et pris Lin certain retard dans leur modernisation. Dans chacun d’eux, les obstacles principaux ont été les forces liées au inonde industriel national. En Grande-Bretagne, l’ampleur du corporatisme travailliste a contrebalancé la brutalité des transformations imposées par les 2ouvernements conservateurs. En France. l’alliance des partis de gauche, moins fondée sur le monde ouvrier que sur un corporatisme républicain, s’est aussi faite contre la modernisation jusqu’en 1982.

D’autres formes de résistance se sont aussi développées avec l’apparition de forts partis d’extrême droite. Les fronts nationaux ont donné une expression politique au racisme et à la xénophobie. Dans les deux pays, les immigrés d’origine coloniale sont l’objet d’un racisme plus affirmé où se mêlent le rejet de l’immigré et le rejet du colonisé. Ainsi les conduites observées mêlent-elles des formes d’exclusion qui visent à empêcher des groupes ou des individus de participer à égalité, mais aussi des formes de rejet plus centrées sur l’individualité, sur la négation de la subjectivité, par son enfermeraient dans une culture ou une apparence.

Ces deux formes de rejet ne se recouvrent pas totalement en ce sens que les immigrés d’origine coloniale sont les principales victimes de la seconde. Elles obéissent aussi à des logiques profondément différentes. La première est une logique de l’exclusion, la seconde apparaît bien comme une forme pathologique d’intégration.

Ces deux formes différentes de rejet s’inscrivent en effet dans deux champs de relations que la fin des sociétés nationales a autonomisés.

Le premier est celui des niveaux de participation sociale et politique. Ce champ de relations est celui d’une compétition entre groupes sociaux pour l’accès à une pleine citoyenneté et à une part plus grande des richesses nationales. Les groupes se répartissent en fonction de leur niveau de participation et cherchent à l’accroître. Dans ce but, ils mobilisent des ressources et, notamment en ce qui concerne les minorités immigrées, des ressources d’ordre ethnique. De ce point de vue, la « différence » n’est pas un obstacle à la participation, mais au contraire un ferment d’unité du groupe et donc une ressource mobilisable.

Le développement récent des « ethnicités », du « business ethnique », mais aussi des politiques « ethniques » trouve ici sa racine, moins dans une quête d’identité ou de communauté que dans une mobilisation pour une compétition entre les groupes. C’est cette compétition qui peut susciter la xénophobie.

La logique et les relations de ce premier champ sont totalement distinctes d’un second champ, celui de l’intégration sociale proprement dite.

Ce second champ est le lieu d’un conflit culturel et social entre des formes imposées et normatives d’intégration, définies par les grandes organisations et les appareils d’État, et les exigences de reconnaissance d’expériences sociales, de particularités de subjectivité ou de formes alternatives de construction de la personnalité.

Ce champ de relations est celui des rapports et des conflits sociaux. Les groupes et les individus y sont « intégrés » par leur action conflictuelle et leur production culturelle. C’est parce biais qu’ils se différencient et, en même temps, s’identifient par un enjeu commun et une perception unifiée de la vie sociale. L’intégration est donc inséparable des processus d’individuation, transformant les normes des groupes et les différences culturelles en supports contingents de la subjectivation. La vie sociale et culturelle d’aujourd’hui ne rejette pas la différence ou n’exclut pas les individus dissemblables mais les incorpore et les intègre à travers ce conflit. Dans cette perspective, c’est moins la différence ou l’altérité qui peuvent susciter le rejet que le refus de l’incorporation et de l’indifférenciation. C’est là que se crée le racisme entendu au sens strict, comme une forme d’intégration pathologique, qui apparaît comme une conséquence de la nécessité démocratique de voir l’égal dans le colonisé ou le sauvage.

Le raciste, par la « racialisation » de l’individu, l’incorpore dans son monde et par là même retrouve une position dans la société. Il n’a d’existence que par l’individu racialisé qui devient nécessaire à la définition et à la structuration de son univers. C’est pourquoi les immigrés coloniaux sont les premières victimes du racisme, en raison de la liaison intrinsèque avec la culture dans laquelle ils occupaient un statut dominé. Le racisme est alors fonction de la difficulté pour une culture universaliste d’incorporer l’expérience particulière du colonisé. Parce qu’elle remet en cause les orientations fondamentales de la culture, la question du colonisé est un enjeu de conflit social. Aussi l’opposition du dominé ou du colonisé s’exprime-t-elle prioritairement à travers des signes et des symboles culturels et passe par l’affirmation culturelle autonome, par la promotion et la création d’une culture au sein même de la culture dominante. La fameuse « recherche d’identité », l’accent mis sur des formes d’expression corporelle, sur des formes d’émotion personnelle, sur l’expérience religieuse ou mystique ou sur la musique que l’on peut observer dans les groupes immigrés sont des expressions de ce rapport et non des « défauts de socialisation ».

L’action des populations d’origine immigrée s’inscrit ainsi sur deux plans différents et peut s’analyser comme différentes manières de combiner ces deux plans. Quatre orientations de l’action apparaissent ainsi. La première, portée par des acteurs à forte intégration et forte participation, est la revendication démocratique. Ces acteurs revendiquent à la fois une citoyenneté pleine et entière et la reconnaissance de leurs individualités et de leurs héritages culturels. Les thèmes de la multiculturalité ou de la nouvelle citoyenneté sont les thèmes revendicatifs de ces groupes en voie d’assimilation. A l’opposé, une seconde orientation est portée par des acteurs à faible participation et à faible intégration. marginalisés. Leur logique est celle du retrait populiste. Ces acteurs cherchent la protection et l’assistance de l’État et rejettent la modernité soit au nom d’une culture menacée, soit au nom de la construction d’une culture alternative. Cette orientation mélange une forte dépendance vis-à-vis de l’État, et souvent des services sociaux, et un radicalisme politique antimoderne.

La troisième logique est portée par des groupes fortement orientés vers la participation et faiblement orientés vers l’intégration. Il s’agit d’une logique de mobilisation minoritaire. L’action est peu revendicative, mais mobilisatrice, tournée vers la recherche de l’unité structurelle du groupe, soit dans le but d’augmenter ses capacités de pression politique, soit dans le but de s’incorporer à un niveau supérieur dans le marché. L’« ethnic business » et les mobilisations politiques ethniques sont les expressions pratiques de cette orientation. Enfin, la quatrième logique est portée par des groupes fortement orientés vers l’intégration et faiblement orientés vers la participation, autrement dit les « secondes générations ». C’est une logique d’action antiraciste. L’action combine un appel à l’égalité, au respect des individus et des personnes, et une volonté de rupture politique, de lutte contre l’ordre social et politique. Elle tend ainsi souvent à se radicaliser, à s’allier à une idéologie tiers-mondiste ou à des tentatives de mobiliser la rage et la violence des jeunes des milieux populaires.

Certains groupes semblent pouvoir gérer les contradictions entre ces deux plans (participation sociale et politique d’un côté, intégration sociale de l’autre) sans trop de ruptures et de différenciations internes. Il semble que l’explication réside dans la relation entre l’identité culturelle ou politique et le racisme. L’existence d’une identité culturelle n’est pas un obstacle à la participation et à l’assimilation, bien au contraire. Pour les groupes qui ne sont pas victimes du racisme, elle contribue à favoriser leur participation et leur intégration. Les tensions et les ruptures se créent lorsque se superposent une identité culturelle affirmée et le racisme anticolonial. La différenciation interne de la minorité immigrée se charge alors d’une signification plus symbolique et plus politique. Non seulement l’intégration se heurte au racisme, mais elle se heurte aussi à l’enfermement communautaire et au retrait.

Le racisme accentue la polarisation des orientations prises dans la mesure où la recherche d’une protection contre ses effets et le refus conservateur de la modernité ont tendance à se superposer. A l’opposé, la volonté de combattre le racisme et de contester les orientations culturelles de la société dominante passent pour le dominé, par l’intégration, c’est-à-dire par l’incorporation à la modernité. La violence et les ruptures naissent de cette relation paradoxale entre l’identité culturelle ou politique et le racisme en ce sens qu’elle contraint les minorités immigrées à s’intégrer et à contester cette intégration, à défendre et à contester la culture d’origine, dans un même mouvement.

L’affaiblissement des capacités d’intégration

La comparaison entre la France et la Grande-Bretagne amène à dégager une problématique commune organisée autour de trois éléments : l’installation de populations d’origine immigrée, la décomposition du monde industriel la sortie du modèle des sociétés nationales. Dans chacun des deux pays ces éléments ont pris des formes différentes. La sortie du modèle des sociétés nationales se manifeste par un affaiblissement des institutions et donc des capacités d’intégration nationale qui n’affecte pas seulement les minorités immigrées mais la population dans son ensemble. Dans les deux pays nous observons des formes de résistance à cette évolution soit dans un discours d’extrême droite, soit, à l’opposé, dans l’existence d’une gauche ou d’une extrême gauche attachées à un discours « ouvriériste » et gauchiste en Grande-Bretagne laïque et républicain en France. Mais surtout, la sortie du modèle des sociétés nationales se traduit par la séparation et l’autonomisation des problèmes de participation et d’intégration. Les problèmes de participation, d’incorporation dans l’espace économique et politique national génèrent de la xénophobie. Les problèmes d’intégration, de modalités culturelles d’individuation génèrent du racisme, racisme produit par l’héritage colonial. Cette première dimension de l’analyse doit être complétée par celle des modalités de décomposition du monde ouvrier.

Du côté britannique, cette décomposition prend une forme sectaire et se traduit dans des formes « sociales » ou « communautaires », par des comportements orientés vers la recherche d’une unité et d’une pureté du monde ouvrier. Du côté français, cette décomposition est vécue de manière plus interne et surtout plus politique. Le monde populaire des banlieues, qui a vu s’effondrer ses formes traditionnelles d’intégration politique, cherche des formes alternatives et exprime sa décomposition d’abord en termes politiques. Enfin, dernier niveau de la comparaison, l’installation des minorités immigrées s’est traduite par une forte politisation du débat, ainsi que par le développement de demandes sociales, L’ancienneté plus importante de cette installation en Grande-Bretagne et les modalités d’arrivée des migrants expliquent un traitement plus politique et civil dans ce pays comparé au traitement plus spécialisé et plus social en France. Néanmoins, l’évolution récente tend à rapprocher les deux pays.

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