Ludwig FINELTAIN : « Actualité du syndrome borderline »

In Bulletin de Psychiatrie, 1996 ; n° 3.1.
Article intégral : http://www.bulletindepsychiatrie.com/bulle3.htm#DEF

Le Dr Ludwig FINELTAIN est neuropsychiatre, psychanalyste, exerçant à Paris. Il dirige le Bulletin de Psychiatrie.

1) DÉFINITIONS ET MISE EN COMMUN DES PRINCIPAUX CONSTATS CLINIQUES

Les termes utilisés sont tour à tour : état-limite, cas limite, borderline.
Les états-limites sont une véritable entité clinique. Ces patients n’entrent ni dans le groupe des névrotiques ni dans celui des psychotiques ni non plus dans celui des déséquilibrés. Les trois négations sont une base de départ.
Je définis ainsi les syndromes borderline : « État-limite, états-limites des psychoses, syndrome borderline. États cliniques frontières entre la névrose et la psychose considérés désormais comme une entité clinique autonome. Ils constitueraient 30% des consultations. C’est un groupement sémiologique ni névrotique ni psychotique. Il passe d’un mécanisme à l’autre, des épisodes psychotiques temporaires peuvent se produire au cours de son évolution. On a apparenté les états-limites aux pré-schizophrénies, aux schizophrénies incipiens, aux déséquilibres et aux névroses atypiques, aux cas classiquement dénommés schizomanies, aux maladies du caractère ou aux comportements pervers ». (Fineltain Ludwig, Glossaire de Psychiatrie, Ed. 1995, Paris).
Une étude clinique se réfère à Kernberg (1967), Grinker, Werble et Drye (1968) et Bergeret (1970) : « Une bonne adaptation sociale, de la dépression, de l’agressivité : colères, hostilité, violence, de l’impulsivité. Une résistance particulière à la dissociation psychotique contrastant avec l’émergence d’épisodes psychotiques. »
Joel Paris dans l’American Psychiatric Press définit ainsi le syndrome : « Les relations avec autrui sont intenses mais orageuses et instables avec des difficultés de maintenir des liens intimes étroits. La personne peut manipuler autrui et a souvent de grandes difficultés de faire confiance à autrui. Il y a aussi une instabilité émotionnelle avec de sensibles et fréquents signes d’une dépression (empty lonely), d’irritabilité et d’anxiété. Il peut apparaître des conduites imprévisibles et impulsives impliquant des dépenses excessives, de la promiscuité, du jeu d’argent (gambling), abus de drogues ou d’alcool, vol à l’étalage, boulimie ou conduites dommageables pour soi-même comme par exemple des tentatives de suicide. On décèle encore des troubles de l’identité avec confusion et incertitudes à propos de l’identité (self-identify), la sexualité, les buts, et perspectives vitales, le choix d’une carrière, les amitiés ».
La définition ainsi présentée est caractéristique des tendances psychiatriques américaines.

LES DÉFINITIONS DU DSM
Le DSM distingue 301.83, Borderline Personality Disorder, 301.9, Personality Disorder NOS, V62.89, Borderline Intellectual Functioning. À propos de personnalité limite : le DSM-IV rajoute un 9ème critère pour poser le diagnostic de désordre, de personnalité limite : – Idéation paranoïde transitoire reliée au stress ou symptômes dissociatifs sévère.
Dans le MINI DSM-3, nous avons le code 301.83 : Personnalité limite (borderline). Mode général d’instabilité de l’humeur, des relations interpersonnelles et de l’image de soi-même, apparaissant au début de l’âge adulte et présent dans des contextes divers, comme en témoignent au moins cinq des manifestations suivantes : (1) instabilité et excès (2) impulsivité dans deux domaines (3) instabilité affective (4) colères intenses et inadéquates (5) menaces suicidaires (6) trouble de l’identité (7) sentiment permanent de vide ou d’ennui (8 )efforts effrénés pour éviter les abandons réels ou imaginés.
L’épidémiologie est ainsi observée : le DSMIII-R indique une occurrence de 5 à 15 % en 1986 et de 13 à 33 % dans une population de consultants du secteur (Widiger et Frances, 1989) alors que Paul Hannig, en dehors des équipes du DSM estime l’occurrence du trouble à 10-14% de la population générale. Le DSM-IV indique : sujet jeune, 5 critères de diagnostic au moins. La prévalence atteint 2% de la population et prévaut chez la femme. Ils abusent souvent de l’alcool et des toxiques vénéneux.

2) LES ERREMENTS DE LA TERMINOLOGIE

Borderline, ligne frontière, est le terme le plus usité pour désigner ces sortes de patients situés entre psychose et névrose. Parmi les autres termes, cas limite déplaît au psychanalyste tandis qu’état-limite indique précisément le franchissement de la frontière du côté de la psychose.
L’expérience des schizophrènes chroniques nous apprend d’ailleurs beaucoup à propos des borderlines. Le borderline est un patient qui offre à l’interlocuteur une façade paisible et normale. Le diagnostic n’est pas fait si on n’effectue pas un examen approfondi.
En même temps qu’on isole le syndrome d’état-limite il faudrait, selon moi, mieux en repérer l’autonomie. Il faut y adjoindre divers autres états frontières sous une dénomination commune : les styxoses. Je nomme donc styxose le syndrome borderline et d’autres formes frontières comme par exemple les états prépsychotiques, les psychoses réversibles ou conflictuelles.
Pourquoi styxose ? Les fleuves des Enfers sont des fleuves silencieux, dont le plus connu est le Styx (le haïssable). Ils coulent parmi la nuit éternelle. Un terrible batelier, Charon, fait traverser le fleuve, dans sa barque, les âmes des morts qui quittent la terre pour venir hanter les enfers.
Nous disposons d’une pléthore d’autres termes satisfaisants. Les autres cours d’eaux infernaux de la mythologie sont le Cocytos (idées de gémissements, rivière des plaintes), l’Achéron (idée de gémissement), le Phlégéton (idée de feu brûlant) témoignant des souffrances endurées par les âmes enfermées dans l’enfer. Mais ces derniers ne sont pas traversés par le nocher.
On pourrait encore nommer éphorioses ou méthorioses (ephorios ou methorios, « qui est sur la frontière ») les maladies et syndromes frontières entre la névrose et la psychose. Mais le terme de styxose, désignant les maladies et syndromes frontières entre la névrose et la psychose, convient fort bien.
Dans le même temps nous pressentons la nécessité de modifier nos conceptions psychopathologiques. Le syndrome borderline, d’ailleurs, doit être regardé comme une psychose réversible.

3) HISTORIQUE : LE CHEMINEMENT DU CONCEPT DE 1938 À NOS JOURS

Le développement de la pensée psychiatrique est très lent. Nous avons observé une relative stabilité de la nosologie psychiatrique depuis 100 ans. Le renouvellement imposé plus que suggéré par les DSM est très superficiel. Il ne propose pas de nouvelles entités ni non plus aucun démembrement d’entités antérieures. Il propose seulement un nouveau langage capable de faire lien entre cliniciens, pharmacologues et épidémiologistes.
L’état-limite se présente comme la seule entité relativement nouvelle.

LES PREMIERS APPORTS ONT ÉTÉ SPÉCIFIQUEMENT PSYCHANALYTIQUES
I) LA MISE À JOUR DU SYNDROME : DE 1938 À 1977
1) Les psychanalystes Stern en 1938, V. Eisenstein, Bychowski, pour la première fois, eurent recours au terme de borderline ou état-limite pour désigner l’intrication de traits névrotiques et psychotiques.
2) A. Wolberg dans un article en 1952 intitulé : « The borderline patient » en décrit les traits typiques : adaptation maintenue à la réalité, défenses plus primitives que chez le névrosé classique, dépendances, hyperesthésie relationnelle, allure sadomasochiste répétitive du comportement, relation d’objet ambivalente.
3) Lichtenstein en 1961.
4) Mahler en 1968 à propos de la psychose infantile : la naissance de l’enfant en tant qu’individu résulte d’une sorte de « répons » mère enfant).
5) Grinker en 1968 repère quatre registres psychopathologiques : l’agressivité, le trouble des réactions affectives, le trouble de l’identité, une dépression marquée par le sentiment de solitude.
6) Giovacchini dans un texte de 1975 décrit le soi blanc.
7) Otto Kernberg (1975) glisse du concept de pathologie caractérielle, infantiles et régressives au BPD. Il décrit une personnalité incluant les formes graves de pathologie caractérielle, infantiles et régressives non psychotiques.

II) LA PÉRIODE DE CONFIRMATION : DE 1978 À 1984
1) D. Klein décrit la dysphorie chronique et la labilité affective.
2) H.S. Akiskal en 1981 et M.H. Stone situent ces troubles comme une variété de désordres affectifs. Peut-on en rapprocher, question souvent posée, les troubles abandonniques, les personnalités « as if » ou « comme si », les personnalités dotées de faux-self ?
3) M.C. Zanirini retraçant l’histoire du concept : ne fait pas la différence avec les désordres impulsifs.
4) J.G. Gunderson (1984) pointe le diagnostic sur l’axe II aux DSM III, III-r et IV. Il décrit un désordre de la personnalité se distinguant d’autres désordres de l’axe II : des ensembles bizarre et anxieux du DSM-III et DSM-III-R.
5) R. Spitzer introduit le concept dans la Task Force de l’APA.
6) Winider en 1977 montre la propension de ces patients à faire des expériences psychotiques transitoires. Il insiste sur le pôle schizophrénique de la BPD.

III) LES AUTEURS FRANÇAIS
Quelques travaux chez des auteurs français comme A. Green et P. Male ou J. Bergeret. Ce dernier insiste sur la dépression ou mieux la dépressivité. Bergeret décrit ainsi le noyau du syndrome : un état de colère à l’égard de l’objet, des échanges interpersonnels inadéquats, un sentiment de vide et de solitude, soit en somme : 1) La dépression, 2) Angoisse-dépression, 3) Anxiétés et angoisses et enfin 4) Sentiment de solitude et de vide.
Les états-limites occupent chez Green (Le discours vivant), une place en creux. L’auteur examine plus volontiers des pathologies connexes qui donnent au discours psychanalytique classique un supplément de substance. Enfin A.Green et P. Male partent du concept de pré-schizophrénie, étude très décevante, puisque le concept est très classique et relativement ancien et qu’il circonscrit uniquement un mode d’entrée dans la schizophrénie.
Un numéro spécial de la Revue Française de Psychanalyse est consacré à ce problème psychopathologique en décembre 1968. A propos de l’organisation borderline, les auteurs insistent sur le polymorphisme des symptômes et des structures, les troubles narcissiques, la pellicule de pensée, les micro-lacunes psychotiques, la distance réduite : les angoisses psychotiques sont soigneusement cachées par les situations de la réalité extérieure. On peut y lire la classification de Rosenfeld. Référence y est faite au travail de Rosenfeld et Kernberg, décrivant des patients à qui manque « la peau mentale », dans Rosenberg « Psychotic states » London 65 et dans Traitement au long cours des états psychotiques 1974. D. Widlöcher souligne : « la confusion qui risque de s’établir entre la psychose et les mécanismes psychotiques de lutte contre le conflit psychique », et, de poser la bonne question : existe-t-il un continuum entre les psychoses et les névroses ?

4) ÉTUDE DES PUBLICATIONS CONTEMPORAINES INTERNATIONALES

Les travaux ont désormais changé de cap. La plupart des textes font en effet référence aux critères diagnostiques du DSM-IV.
1) Quelles sont les limites des États-Limites ? Dans le symposium scandinave en 1993 à Copenhague, Danemark, Tyrer Peter dans Acta Psychiatrica Scandinavia, 94 v.89 (379, supp) 38-44. La pertinence du BPD repose sur des frontières beaucoup trop flexibles, trop imprécises. Le diagnostic se confond et empiète sur d’autres troubles de la personnalité comme les troubles de l’humeur et les troubles intermittents du comportement. L’étude des frontières nous mène si loin qu’en conséquence on nie la notion même de BPD. Ce diagnostic est coaxial : il se réfère à un trouble de la personnalité et à un trouble mental. Si bien que continuer de décrire ce syndrome comme un trouble de la personnalité est une erreur.
2) Le problème des interprétations est ainsi abordé : « How to not make interpretations when interpretations are being begged for ». Selon Kadish, Amy, du point de vue psychanalytique, il ne faut pas interpréter. La priorité consiste à établir une relation d’objet (le cas d’un homme de 45 ans).
Dans son « Principles in the psychotherapy, 1994 », il élabore sept principes pour établir une alliance thérapeutique :
a) Tenir compte de la conduite auto-destructive dès les premiers contacts.
b) Métabolisme du contre-transfert.
c) Susciter et prendre en compte les affects
d) Interprétation non punitive des pulsions agressives du patient.
e) Imputer au patient la responsabilité de la préservation du traitement.
f) Rechercher comment la perception d’un trauma infligé par le thérapeute peut avoir déclenché une conduite autodestructrice.
g) Préserver des perspectives de réparation.

ÉTUDE SYNTHÉTIQUE ET STATISTIQUE DES TRAVAUX CONTEMPORAINS
Il résulte de ces innombrables travaux quelques grandes tendances :
1) Une tendance séméiologiste qui faute de se référer à une quelconque doctrine étaye son raisonnement sur la prévalence d’un symptôme. On privilégie le plus souvent le suicide comme témoin, critère évolutif ou comme composante d’un modèle prédictif.
2) L’étude clinique classique se fait le plus souvent en milieu hospitalier dans 31,4 % des études. Alors qu’en réalité ce sont des patients de clientèle privée !
3) La psychothérapie individuelle psychanalytique représente 37,1% des travaux avec une insistance toute particulière sur les avatars du contre-transfert (5 cas sur les 13 travaux psychanalytiques).
4) La psychothérapie cognitivo-behavioriste : 2 travaux seulement :
- La psychothérapie dialectique, concept typiquement américain, est mise en exergue dans 2 travaux sur 35.
- La psychothérapie de groupe est étudiée dans 2 articles sur 35.
5) La chimiothérapie : des études qui tour à tour explorent les effets de la clozapine, de la carbamazépine, de la fluoxétine et des valproates. Le raisonnement pharmacologique prioritaire se concentre sur les aspects dépressifs du syndrome borderline. Ils ne représentent que 4 articles sur 35 soit 11,4% de l’ensemble.
6) Le syndrome borderline chez l’enfant est étudié dans 2 travaux. (Référence à un article de fond dans American Journal of Psychiatry).
7) La psychométrie est faiblement représentée par un seul travail sur le test de Rorschach dans ce syndrome.

RÉSUMÉ DES TRAVAUX CONTEMPORAINS
En résumé, lorsque l’on examine les publications sérieuses sur le traitement des syndrome borderline dans les publications internationales de 1993 à 1995 on retrouve, bien entendu, les trois ou quatre tendances classiques : les symptômes comme cibles privilégiées et dans ce cas le fluvoxamine, les valproates, la clozapine, la phénelzine et le bupropion (buspiridone) sont privilégiés, la psychothérapie dialectique des américains qu’il faut rapprocher des psychothérapies cognitivistes.

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