Manuel DOS SANTOS JORGE : « L’excision, une coutume à l’épreuve de la loi, de Marie-Jo Bourdin »

Revue Latitudes n° 26, Avril 2006. P. 119.

Dans sa relation circonstancielle avec le milieu de l’immigration, l’auteur* se coltina le drastique problème de société – celui des mutilations sexuelles, se voulant rituelles, surtout chez les jeunes femmes : l’excision et l’infibulation. La circoncision chez les garçons mérite un traitement autre, car de dommage mutilant moindre – enlèvement d’une partie du prépuce, usage très répandu (tradition sémitique, entre autres), ayant par ailleurs l’estampille d’une célébration d’appartenance religieuse, biblique, par exemple.
Pratiques ancestrales concernant les petites filles, nommément l’excision (ablation partielle ou totale du clitoris) et l’infibulation – circoncision pharaonique – (après l’excision, on procède à la suture des grandes lèvres obstruant le canal vulvaire à l’exception d’une mince ouverture pour l’écoulement de l’urine et des menstrues, empêchant tout rapport sexuel, avant la désinfibulation, lors du mariage), elles s’étendent géographiquement, à des régions fort limitées d’Asie du Sud-Est, à quelques tribus amazoniennes et à certains pays d’Afrique, dite noire.
Coutume difficilement datable (premières références, 1600 à 1000 avant J. C.) elle coexiste avec certaines religions révélées (Islam – cependant absent des pays du Maghreb, de la Turquie et de l’Iran – Christianisme Copte – Egypte – falashas israélites d’Ethiopie). Qu’il se réclame de traditions mythico-fondatrices, qu’il soit devenu, d’une certaine manière, une note identitaire indiciaire d’humanité en espèce, on peut en convenir ; toutefois aucune argumentation suffisamment pondérée n’en a point justifié le bien fondé de sa perpétuation.
En effet, si quelqu’un pense étayer ces conduites, comme mesures (excessives) contre la masturbation compulsive ou comme traitement préventif contre certaines formes d’hystérie (nymphomanie, par exemple) et contre d’autres désordres psychiques, ou comme prescription morale à l’intention des « femmes de devoir », voire en tant que rite « sacré » faisant mémoire de l’événement mythique fondateur, à la lumière des Sciences dites humaines ou religieuses, toute tentative d’explication s’avère boiteuse (op. cit. pp. 21-24).
Certes, nous savons que de tout temps les humains, assujettis aux pulsions sexuelles indomptables, ont essayé de masquer, aux frais de l’intégrité de leur corps propre, l’excessif échu à la différence des sexes (tranchées : homme/femme) vers une identité. Serait-elle, cette tendance, traduite mutatis mutandis, aujourd’hui, en Occident, en pin’s, tatouages ou en scarifications, chez les jeunes, en quête frénétique d’une adolescence de passage ?
Notre statut de sujets, même s’il semble tenir de la gageure, répondant de consistance suffisante, s’étonne à chaque pas, sous la loi de la contingence. Toutefois, c’est à la croisée des cultures, plutôt en chiasme de deux systèmes de valeur que Marie-Jo Bourdin épingle le problème, au détour de ses effets fâcheux.
Lors de procès devant les Assises, pour cause de pratiques mutilatoires (excision), sur des fillettes le plus souvent originaires d’Afrique, quelques-unes victimes de séquelles « opératoires » graves (infections, septisémies ou décès), les acteurs en présence, procureur, juge, avocats et les familles impliquées, chacun fait part de ses atermoiements, incertitudes embarrassées, où l’hébétement des malheureuses victimes le dispute à l’inconfort chez les accusés. Il faut que la loi passe ; il faut que la justice tranche.
Cependant, en cette matière, il convient de cerner les contours de la question, dans leur obstination obscure. Au-delà du verdict, plus ou moins bien ficelé, une pédagogie socio-culturelle, voire un rituel alternatif concerté, s’impose, en concurrence avec l’humanisation du droit, dans les pays aux prises avec cette douloureuse difficulté.
Voilà une recherche bien documentée et accessible à tous ceux qui s’intéressent de près à cette épineuse question.

* Marie-Jo BOURDIN, L’Excision, une coutume à l’épreuve de la loi , Ivry s/ Seine, Éditions A3, 2005, 141 p.

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