Maria SANTIAGO DELEFOSSE : Objectivisme/Subjectivisme en psychologie

Titre complet : Intérêt du point de vue développemental de L.S. Vygotski dans le débat Objectivisme/Subjectivisme en psychologie(1).

In : Pratiques Psychologiques, Approches psychologiques de la subjectivité, 2001 n°3, L’Esprit du temps, PUF, 2001

Marie SANTIAGO DELEFOSSE
Maître de Conférences
Habilité à Diriger les Recherches Conservatoire National des Arts et Métiers
Laboratoire de Psychologie Clinique et Psychopathologie de Paris V
delefos@easynet.fr

SUMMARY

L. S. Vygotski (1896-1934) proposed a well-documented and critical epistemological analysis of the crisis of the psychological science. His mistakes of syncretism based solely on empiricism and resulting in a real complementarity of methods. Dualism inherited from Descartes gives us two types of classifications and laws : naturalistic AND spiritualistic and two competing methodological principles : experiment all objective vs comprehensive/subjective. Nevertheless, the common error of both school : resort to empiricism that implies we can only study what is given by immediate experience. From its idealistic premises, empiricism was split into causation psychology and teleological Psychology (intentional). Experimentation only changes the methods of research and not the methods of knowledge. Both in comprehensive psychology and in experimental psychology the method of knowledge remains subjective whereas the method of research tends to objectivity or to subjectivity. We need a renewed scientific system which rejects the subjectivism of essences and the scientism of experimentations which do not take account of the concrete human being. So a real scientific psychology needs finding tools since we must rebuild objects of study by indirect methods.

Key-words : Objectivism/Subjectivism – Development – Psychological crisis – Vygotski.

La « crise de la psychologie », telle qu’elle apparaît dans les années 1920/1930, entre un courant « naturaliste/objectiviste » et un courant « compréhensifs/subjecticviste, présente un certain nombre de points communs avec la situation actuelle. En effet, en ce début de XXIe siècle, on assiste à une recrudescence des débats méthodologiques au sein de la psychologie, dont on ne sait encore quelle sera leur issue :

- l’émergence des méthodologies qualitatives qui, s’opposant aux méthodologies quantitatives ou cherchant à s’y articuler, questionne au mieux la manière dont cette coopération pourrait s’effectuer, au pire, accentue les oppositions duelles entre objectif et subjectif au sein de la recherche (Schneider, 1998 ; Santiago-Delefosse, 2001 ; Santiago-Delefosse et Rouan, 2001)

- la prise en compte de la « culture qui donne forme à l’esprit », peut aussi bien témoigner d’un renouveau développemental et culturel que de la naissance d’un nouveau centre hégémonique qui prétendrait subsumer I’affectif etle cognitif dans laculture (Bruner, 1990,1994) ;

- les modélisations constructivistes et celles des neurosciences interrogent un retour de la philosophie dans la psychologie à travers la phénoménologie, ainsi qu’une récupération possible de la « psyché » dans une optique « cérébro-mentale » (Varel a, 1993 ; Damasio, 1995) ;

- enfin, l’étude de l’intentionnalité de la conscience dans la deuxième révolution cognitive, peut se présenter comme un réexamen du statut de la conscience ou bien, au contraire, comme un enlisement dans un subjectivisme solipsiste (Cosnier, 1998).

S’il paraît difficile pour le moment de savoir où nous conduiront ces différents débats émergents, on ne peut que constater, comme dans les années 1920, la tendance à l’oscillation entre les deux pôles : « naturaliste/causaliste/objectif » vs. « mentaliste/compréhensif/subjectif ». Il nous paraît alors que le point de vue développemental peut encore nous aider dans l’explicitation de ce débat.

C’est pourquoi une lecture de « La signification historique de la crise en psychologie », proposée par Vygotski dès 1927 nous paraît susceptible de nous éclairer sur les écueils d’un syncrétisme empirique, et de nous permettre de penser une réelle complémentarité des méthodes de recherche.

Principalement connu pour son test de pensée conceptuelle et pour sa conception du rôle du langage, en particulier dans le débat avec Piaget (Vygotski, 1985), Lev Sernionovitch Vygotski (1896-1934), a poursuivi tout au long de ses travaux l’objectif de reformuler la méthode de connaissance psychologique.

Bien qu’ancrée dans une perspective développementale, son oeuvre dépasse donc le seul champ de la psychologie de l’enfant. Dès les années 1920, son approche socio-historique l’éloigne des courants épistémologiques radicaux qu’ils soient subjectivistes comme le mentalisme phénoménologique et psychanalytique ou objectivistes comme le réductionnisme organiciste. Récusant la division de la psychologie, ses propositions cherchent à rassembler tous les aspects des conduites humaines dans une optique explicative. Pour ce faire, il s’appuie sur une démarche génétique et dialectique qui prend en compte histoire et développement. Loin de se réduire à une critique stérile de l’un ou l’autre courant en conflit, la « méthode critique d’analyse dialectique » favorise la fécondité du débat, puisqu’elle abandonne la critique pour l’étude comparative des théories. A travers la critique dialectique, on dépasse alors la seule opinion critique pour accéder au niveau d’une recherche fondamentale, qui permet de découvrir la régularité sous-jacente du conflit existant entre idées et opinions (Vygotski, 1927/1999).

Nous reprenons ici à notre compte, les points concernant la « crise de la psychologie » analysée par Vygotski, qui nous paraissent encore pertinents de nosjours. Dans un premier temps, nous présentons les conséquences de l’affrontement méthodologique au sein de la psychologie, puis le fondement commun au deux courants en lice, enfin nous développons les apports d’une lecture dialectico-développementale et ses propositions pour une psychologie en tant que science générale. Ce texte expose donc le lecteur à un certain nombre d’allers-retours entre les analyses de Vygotski et la situation actuelle en psychologie.

1. LA PSYCHOLOGIE ENTRE « NATURALISME / CAUSALISTE / OBJECTIF » ET « MENTALISME / COMPRÉHENSIF SUBJECTIF ».

Dès 1927, dans La signification historique de la crise, comme en 193 1, dans Etude historico-psychologique des émotions ou bien encore en 1934, dans Pensée et langage, Vygotski dénonce le prolongement de la dualité cartésienne au sein de la psychologie et nous invite à réviser notre approche des liens entre biologique, psychologique et social. En ce sens, la psychologie gagnerait à rompre tant avec l’approche mentaliste qu’avec la perspective naturaliste en se dotant d’une théorie du développement qui évite le fractionnement de l’homme qui serait considéré d’une manière fonctionnaliste comme être immuable et hors contexte, sans ancrage historico-culturel et développemental :

« La recherche en psychologie n’a pas encore pris conscience de la différence qui existe entre processus de développement et de maturation organique d’une part et processus culturel de l’autre, de la différence fondamentale entre ces deux ordres génétiques et donc de la différence qui en découle sur le plan des lois qui règlent ces deux aspects du développement du comportement (Vygotski, 1931/1998,26)2.

1.1. Le développement des théories et la lutte pour l’hégémonie

Le premier temps de l’analyse de Vygotski consiste dans un travail comparatif entre les principales théories psychologiques de son époque et leurs fondements épistémologiques : réflexologie/psycho-physiologie, psychologie de la gestalt, personnalisme, psychanalyse. Il en constate alors, d’une part, leur fractionnement en fonction de leur objet et, d’autre part, leur tendance explicative hégémonique. Si les principales théories ne sont plus tout à fait les mêmes de nos jours, la question du fractionnement reste par contre entière, de même que celle des luttes entre elles.

Par exemple, quel que soit le phénomène étudié par la psychologie (délire d’un aliéné, résolution de problème, vie de groupe, etc.), il recevra des définitions et des explications en fonction de la théorie de référence. Quel que soit le phénomène étudié, il se trouvera donc exprimé dans les concepts de chacun des différents systèmes, et aboutira à des lois différentes et des classifications divergentes. Si Vygotski montre un respect certain pour les différentes théories (en particulier pour celle de Freud), il remarque que leur défaut fondamental, semble bien être leur volonté hégémonique. Volonté qu’il analyse de manière développementale.

Dans un premier temps une découverte originale, en lien avec un certain nombre de faits, modifie la conception courante d’unphénomène. Mais le deuxième temps étend l’influence de cette découverte en l’appliquant à d’autres phénomènes, puis vient le troisième temps dans lequel :

« l’idée s’est déjà plus ou moins emparée de toute la discipline dans laquelle elle était initialement apparue ; elle s’en est trouvée partiellement modifiée, et elle a en partie modifié à son tour la structure et l’étendue de la discipline. Séparée des faits qui l’on engendrée, elle existe sous la tonne d’un principe plus ou moins abstraitement formulé … » (Vygotski, 1927/1999,94).

Cependant, son développement ne s’arrête pas à ce stade. Il se poursuit, lorsque l’idée se sépare du concept de base pour relier la psychologie à d’autres domaines de la connaissance, si bien qu’elle se transforme en principe universel, en vision du monde : tout est inconscient, tout est langage, tout est cognition, tout est neuronal, tout est culture, tout est intentionnalité, tout est interaction verbale, etc. (chacun reconnaîtra son credo).

Pour Vygotski, c’est seulement à ce stade, que l’idée manifeste alors de quelles tendances sociales elle est née et quels intérêts de classe elle sert :

« Ce n’est qu’en étant redevenue partie de la vie sociale qu’elle manifeste sa nature sociale, (nature) qu’elle avait bien sûr toujours possédée, mais qui restait cachée sous le masque du fait scientifique au titre duquel elle figurait » (Vygotski, 1927/1999,96).

Ainsi, conçues afin de rendre compte d’aspects partiels et mettant en oeuvre des méthodes adaptées à leur objet, les différentes théories, quelle que soit l’époque, cherchent rapidement à étendre leur système explicatif à l’ensemble des phénomènes humains et à prôner une psychologie unitaire, à condition… qu’elle le soit sous leur domination propre :

« Chacune de ces quatre idées est, à la place qui lui est dévolue, extrêmement riche, pleine de signification et de sens, pleine de valeur et féconde. Mais lorsqu’elles sont érigées en lois universelles, ces idées se valent les unes les autres ; elles sont absolument égales entre elles, comme des zéros ronds et vides : la personne de Stern est un complexe de réflexes selon Bechterev, une Gestalt selon Wertheimer, de la sexualité selon Freud » (Vygotski, 1927/1999, 104).

On remarque l’actualité de cette analyse de l’histoire des sciences bien avant « La structure des révolutions scientifiques » (Kuhn, 1962/1983), de même qu’il ne saurait nous échapper que cette volonté hégémonique marque également nos théories plus récentes (cognitivismes, neurobiologie, psychologie culturelle, psychologie interactionniste, etc.). Or, il n’existe pas de méthodologie de base unique pour une époque, mais bien des ensembles de principes méthodologiques en compétition, hostiles et mutuellement exclusifs, qui participent à la lutte pour la suprématie des théories. C’est au cours de leur développement que les théories révèlent des extensions sociopolitiques qui, dès lors, impliquent cette participation à la prétention de centralité dans la discipline.

1.2. De la pluralité des théories à la dualité des méthodes de recherche

L’analyse dialectique et comparative permet de dépasser les oppositions de surface entre les spécificités des différentes théories. Vygotski, sans nier leurs différences montre que ces divers systèmes théoriques, peuvent en fait être ramenés à deux grands courants quant à ce qui concerne les méthodes de recherche.

Encore actuellement, en psychologie, nous pouvons considérer le psychisme comme une chaîne de causes et d’actions (objectives) ou bien le présenter comme une combinaison d’éléments (subjectifs). Nous obtenons alors une psychologie « causale » et une psychologie « téléologique et intentionnelle ». Dès lors la scission pourrait bien être consommée (et nous n’en sommes en ce début du XXIe siècle pas très loin) : la psychologie explicative, naturaliste et objective inscrit la vie mentale dans cadre de la causalité mécaniciste, ce à quoi s’oppose la psychologie descriptive, compréhensive et subjective.

Cependant, comme l’analyse de Vygotski le démontre le lien entre les deux courants est peut-être plus complexe qu’il n’y parait ? En effet, la méthode de la psychologie causale-explicative prend ses origines dans celle des sciences naturelles, car il n’est pas un seul phénomène psychique qui ne soit accompagné d’un phénomène physique. Mais alors on arrive à la physiologie, ou à la neuro-psycho-biologie. Cette psycho-physiologie, pour complexe qu’elle soit, ne peut être à la base d’une science de l’esprit puisqu’elle ne laisse aucune place à la culture dans laquelle s’inscrit l’être humain concret.

De son côté, la psychologie descriptivesubjective, se fonde sur la méthode compréhensive, elle met en concepts ce que les poètes ont présenté en images, dira Vygotski d’une manière un peu abrupte. Toujours est-il que pour sa part, elle ne peut donc être à la base d’une science de la nature, (à remarquer d’ailleurs, que Freud considérait la psychanalyse comme une science de la nature et non comme une science de l’esprit, Freud, 1933). Ainsi, à l’époque de Vygotski, dans le personnalisme (Stem, 1924) et dans la Gestalt (Koffka, 1924), on aboutit à une description du vécu sans possibilité d’avancée scientifique explicative.

Le risque majeur serait d’arriver à deux sciences avec des méthodes et des objets distincts : une psychologie objective du comportement et une psychologie subjective introspective. Lune s’intéressant à l’explication et l’autre à la compréhension. Cependant, on voit comment, pour fonder une psychologie qui ne soit ni une psychophysiologie, ni une introspection philosophique, mais bien une discipline psychologie à l’interface des sciences de la nature (biologie) et des sciences de l’esprit (sociologie), il faut la collaboration des deux courants !

Encore actuellement, l’un semble bien engendrer l’autre (même dans leur conflit) sans restructuration possible des fondements de la psychologie contemporaine. Cette opposition impose deux types de lois et de classifications caractéristiques de chacune des psychologies (naturaliste et mentaliste). Division qui implique alors deux principes méthodologiques en compétition : l’un expérimental et objectif et l’autre introspectif et subjectif.(3)

Nous voici donc avec une seule science pour deux séries de phénomènes d’ordre totalement différents, qui requièrent évidemment deux méthodes différentes, deux principes explicatifs, etc. Et Vygotski de s’interroger : comment peut-on construire une science à partir de deux points de vue ?

Le constat de cette analyse met bien en évidence, à la fois la dualité de la psychologie et la complémentarité des opposes, voire l’intérêt de chaque partie pour que cette dualité se prolonge. Si bien que plus de 80 ans après ce texte, on ne peut que souligner la pertinence de ce constat. Car la psychologie présente toujours cette coexistence de deux sciences différentes et de deux systèmes de connaissances opposées. On craint toujours l’éclatement de la discipline… mais, il semble bien que les « frères siamois psychologiques » poursuivent leur lutte sans pour autant arri ver à une franche séparation qui paraît impossible, sauf à abandonner la psychologie pour la biologie, pour la sociologie ou bien pour la philosophie.

On peut alors s’interroger sur le lien intrinseque qui unirait ces deux courants psychologiques, ce qui constitue la troisième partie de l’analyse de Vygotski : cette opposition méthodologique ne serait-elle pas un trompe-l’oeil, n’y aurait-il pas un fondement autre qui donne une unité à la méthode de connaissance de la psychologie ? En cas de réponse positive, ce « fondement masqué » nous permettra peut-être de comprendre qu’encore actuellement, on s’oppose sur l’unité ou la dualité de la psychologie.

2. DE LA DUALITÉ DES MÉTHODES DE RECHERCHE AU MONISME DE LA MÉTHODE DE CONNAISSANCE EN PSYCHOLOGIE

2.1. L’illusion empiriste

Les deux courants psychologiques (expérimental/objectiviste et compréhensif/subjectiviste), remarque Vygotski, prétendent fonder la psychologie sur l’étude de la perception immédiate et cela à travers l’introspection, c’est-à-dire les dires du sujet quelle que soit la méthode (parole contrôlée lors de l’expérimentation, ou parole libre dans l’entretien). Cette croyance, héritée du sensualisme semble méconnaître combien nos sens nous trompent (c’est d’ailleurs là, l’occasion pour Vygotski de faire hommage à Freud et à sa méthode indirecte d’interprétation des mondes vécus par les sujets, mais aussi des traces du fonctionnement psychique qui dépassent les sujets).

Le véritable problème de la psychologie, tient justement au caractère limité de notre expérience immédiate parce que tout le psychisme est construit sur le modèle d’un instrument qui choisit et isole certains aspects des phénomènes. Un ceil qui verrait tout, pour cette raison ne verrait rien, une conscience qui aurait conscience de tout, n’aurait conscience de rien. Nos sens nous donnent accès au monde sous forme d’extraits qui sont importants pour nous, mais qui n’ont rien de scientifique en soi. Décrire ces extraits et en rendre compte ne suffit donc pas à fonder une science psychologique.

Pour Vygotski, c’est une erreur fondamentale de supposer que la science étudie ce qui est donné dans l’expérience immédiate. En effet, même dans les sciences expérimentales, celleci est abandonnée au profit d’une connaissance à l’aide d’instruments. On sait par exemple, les distorsions inhérentes à l’observation, que ce soit par le biais des erreurs perceptives d’origine psycho-physiologique (lois perceptives mises en évidenceparla Gestalt) ouparlebiais des « erreurs » perceptives inhérentes aux désirs humains. Si bien que la connaissance scientifique et la perception immédiate ne coïncident pas. C’est pourquoi les sciences physiques se sont dotés d’instruments indépendants de l’observateur comme de l’objet observé, comme par exemple, le thermomètre :

« Nous interprétons les indications du thermomètre, nous reconstruisons le phénomène étudié à partir de ses traces et de son influence sur la dilatation d’un corps. C’est de cette façon que sont construits tous les instruments dont parle Planck : comme des moyens pour étudier l’invisible. Par conséquent, interpréter signifie recréer le phénomène d’après ses traces et ses influences, en se basant sur des régularités établies auparavant (dans notre cas, sur la loi de la dilatation des corps sous l’effet de la chaleur). Il n’existe aucune différence de principe entre l’utilisation du thermomètre et l’interprétation en histoire, en psychologie, etc. La même chose est vraie pour toutes les sciences : elles ne sont pas dépendantes de la perception sensible » (Vygotski, 1927/1999, 164)

Pourtant, la psychologie cherchant à faire science, n’hésite pas à revendiquer le terme « empirique », alors que son étude porte sur des objets d’une toute autre nature que ceux dont traitent les sciences naturelles. C’est alors méconnaître que le dogme de l’expérience immédiate comme source du savoir scientifique fonde et réduit à néant toute la théorie des méthodes psychologiques qu’elles soient subjectives ou objectives. En effet, la psychologie ne peut attendre aucune unité qui lui viendrait de cet appel à l’empirisme puisqu’il n’existe pas : tous les systèmes psychologiques sont issus de racines métaphysiques et dépassent les faits empiriques dans leurs conclusions.

Et on ne peut alors que suivre Vygotski, lorsqu’il remarque que, malgré son intérêt et bien que s’opposant à la simple introspection philosophique, la méthode expérimentale, ne constitue pas une innovation pour la psychologie, car elle n’apprend rien de nouveau : elle permet uniquement de contrôler la connaissance.

En psychologie, quel que soit le courant, la méthode de connaissance reste subjective (dans ses racines empiriques), alors que la méthode de recherche peut être en objective ou subjective. L’expérimentation a transformé les méthodes de recherche sans arriver à mettre en question la méthode de connaissance psychologique.

La conclusion de Vygotski sera que l’essence de la crise se réduit à deux propositions : les fondements empiristes des deux psychologies restent empreints de leur prémisses idéalistes, alors que ceux des sciences naturelles sont issus de prémisses matérialistes. Cet empirisme psychologique, idéaliste à la base, s’est dédoublé en une psychologie causale et en une psychologie intentionnelle, aussi idéalistes l’une que l’autre.

Nous pouvons ici questionner notre actualité. Et si le conflit, qui porte sur les aspects méthodologiques qui fondent les deux courants et opposent les théories sur les manières d’interpréter, n’était qu’une illusion trompeuse ? Alors que le lien intrinsèque, qui unit les deux courants et qui n’estjamais remis en question, restait celui qui privilégie toujours le fait dit « empirique » ?

Cette absence de remise en question permet alors de méconnaître ce que l’analyse des théories et de leurs présupposés, tant dans les sciences de la culture, comme dans les sciences de la nature, met en évidence : c’est-à-dire que les théories construisent leurs concepts indépendamment de l’expérience immédiate. Elles reconstruisent leur objet par les méthodes de compréhension ou d’interprétation de ses traces ou de ses influences, c’est-à-dire indirectement. Pour la psychologie, toute la question reste de savoir comment et avec quelle méthode interpréter ces traces ?

On ne peut alors opposer les deux courants de la psychologie sur la question de l’interprétation, puisque même le travail d’expérimentation/objective comporte une interprétation préalable.

2.2. Le faux problème de l’interprétation

En effet, il est souvent un peu vite oublié que les deux camps recourent à l’interprétation : « le subjectiviste dispose, en fin de compte, des mots du sujet examiné, cela revient à dire que son comportement et son psychisme sont du comportement interprété » (Vygotski, 1927/1999, 170), puisque l’éprouvé et sa communication à autrui sont situés à deux niveaux différents.

De son côté, « l’objectiviste » interprète aussi inévitablement ses résultats expérimentaux. Par, exemple, le concept même de réaction implique la nécessité d’une interprétation à travers l’analyse d’un rapport et/ou d’une corrélation.

Comme le signale Vygotski, le seul débat se résume alors aux manières d’interpréter : se fait-elle par analogie avec sa propre introspection, ou bien seront-ce les fonctions biologiques qui seront invoquées, ou bien encore celles de la machine pensante ? etc.

Car, toute observation scientifique consiste en un dépassement des limites du visible et dans la recherche d’une signification qui justement dépasse le seul donné observable. Par exemple, dans la mise en évidence de la rotation de la terre autour du soleil, le fait perçu réel a dû s’inverser pour devenir construction scientifique. Ainsi, se cantonner à étudier uniquement ce qui est observable (par exemple dans le béhaviorisme) devient rapidement stérile et se réduit à la simple physiologie. Ce qui relèverait de la psychologie, ce serait une étude du déroulement, du développement et de la structure du processus de la pensée, par la méthode d’interprétation des réactions objectives.

Mais pour ce faire, encore faudrait-il disposer d’une conception générale de l’être humain en développement, ce qui fait encore actuellement cruellement défaut à la psychologie. Faute de tenir compte de cette conception générale du développement, bien des courants (y compris ceux actuels) se trouvent entraînés :

- soit vers une recherche forcée d’unité par combinaison a-critique de théories ;

- soit vers un éclectisme syncrétique par transfert direct de lois d’un camp à l’autre et/ou par rapprochement de concepts hétérogènes.

Dans cette optique, Vygotski propose une autre manière d’aborder la méthode de connaissance en psychologie pour la conduire à élaborer « un système scientifique renouvelé » qui abandonnerait ses racines empirico-sensualistes. Ses propositions font appel à sa propre théorie du développement : mise à l’épreuve de la pensée par le biais de la psychologie appliquée et de ses réalisations concrètes, place des instruments dans la connaissance indirecte du monde d’où l’importance de la coopération entre théorie et pratiques.

3. POUR UNE LECTURE DIALECTICO-DÉVELOPPEMENTALE DES ENSEIGNEMENTS DE LA CRISE : UNE PSYCHOLOGIE EN TANT QUE SCIENCE GÉNÉRALE ?

3.1. un système scientifique renouvelé : l’aide de la pratique et des applications

Pour Vygotski, du fait de leur prétention hégémonique et des aspects de leur développement socio-politiques, les théories psychologiques peuvent être considérées comme des exemples de sciences empiriques dont la confrontation dialectique permet de dégager une science générale. Ce débat dialectique, interne à la psychologie, permettra de faire émerger la psychologie générale en tant que science. Cette psychologie générale serait :

« la science des formes les plus générales du mouvement (sous la forme de comportement et de connaissance de ce mouvement), c’est-à-dire qu’elle est en même temps une dialectique de l’homme en tant qu’objet de la psychologie, tout comme la dialectique des sciences naturelles est en même temps une dialectique de la nature » (Vygotski, 1927/1999, 126).

Cette discipline générale doit dégager les aspects communs à tous les objets examinés par la science psychologique. Alors que les sous-disciplines spécialisées s’intéressent aux caractéristiques des groupes spécifiques ou à des aspects particuliers d’un même type d’objet :

« le concept aussi bien que le fait participent à la formation de l’objet de l’une et l’autre science, mais dans un cas (celui de la science empirique), nous utilisons les concepts pour connaître les faits, alors que dans l’autre (celui de la science générale), nous utilisons les faits pour connaître les concepts eux-mêmes » (Vygotski, 1927/1999,115).

Si on se représente par un cercle le système des connaissances que couvrent l’ensemble des disciplines psychologiques, la science générale constitutive d’un système scientifique en psychologie se situera au centre de la circonférence. Tant que la discipline générale n’est pas assurée on assistera à un conflit entre les disciplines spécialisées et leurs théories. Chacune peut prétendre à cette centralité, si bien qu’on se retrouve avec une confrontation entre les sous-disciplines prétendant à ce statut. A ces différents centres correspondent alors des circonférences, des objets, des méthodes, différentes.

Fig.1 La psychologie en tant que science générale et différents centres conflictuels (parmi d’autres)

- > La science générale doit être centrale.

- > Des concepts essentiels sont au centre de chaque système : certains peuvent être en intersection, mais leur sens et leur valeur sont déterminés par le système auquel ils appartiennent.

- >En cas de conflit : il peut y avoir plusieurs disciplines aspirant au statut de centre.

- >Chaque nouveau centre constitue un point périphérique de la circonférence précédente.

- >La psychologie appliquée et les pratiques sont la force motrice qui permet de départager les centres par la confrontation entre théorie et terrain : c’est de là que viendra l’obligation d’intégration dialectique.

- >Un problème doit être posé dans le cadre des recherches internes à un système et la tâche doit être construite, formulée et interprétée à la lumière de ses propres principes. Au point d’intersection de deux systèmes, au point où deux circonférences se touchent, et, où l’un de leurs points appartient simultanément à deux systèmes, sa place, son sens et sa valeur seront déterminés par sa position dans le système de référence qui y fait appel.

Toutefois, se pose alors la question de départager les centralités en compétition. Suivant Vygotski, seul l’appel à la psychologie appliquée est susceptible de constituer la force motrice qui permettra de fonder une telle psychologie générale en obligeant les théories à se confronter avec les pratiques concrètes.

Dans de tels cas, chaque nouveau centre devient en même temps un point périphériquedela circonférence précédente et de la circonférence qui le suit. Nous obtenons donc plusieurs circonférences en intersection dont le débat devrait ouvrir sur la science générale (cf. Fig. 1 ci-dessous).

Or, tant dans les années 1920 qu’actuellement, la psychologie académique ne montre que peu de reconnaissance de la psychologie appliquée, la considérant, le plus souvent, comme science semi-exacte. Pourtant, si l’on suit Vygotski, elle serait la meilleure voie motrice dans le développement de la psychologie. En effet, ce sont bien les pratiques : psychopathologie, psychopédagogie, psychologie criminelle, psychologie du travail et des organisations, etc., qui, en dernier lieu, permettent de confronter une psychologie théorique et quelque peu idéaliste avec les effets du terrain. Ici, la pratique psychologique n’est ni considérée comme un simple terrain d’application des théories, ni comme le point de conclusion de celles-ci ; c’est au contraire leur ancrage et leur boussole dans les avancées de la science psychologique :

« La pratique s’insinue dans les fondations les plus profondes de la démarche scientifique et la transforme du début à la fin ; la pratique propose les tâches et sert dejuge suprême de la théorie, de critère de vérité -, elle dicte la manière de construire les concepts et de formuler les lois » (Vygotski, 1927/1999, 235).

Ce sont tous les champs de pratiques psychologiques qui permettent de dépasser l’idéalisme empirique qu’il soit causaliste/objectif ou mentaliste/subjectif. On ne peut guérir, en se guidant sur la seule introspection, bien que celle-ci nous apprenne comment le patient conçoit son monde ; de même qu’on ne peut orienter et comprendre le développement du travail par la seule étude des essences, ni par les seules expérimentations limitées et isolées du contexte. D’ailleurs remarque Vygotski, bien des psychologues idéalistes, finissent par poser les bases d’une psychologie concrète dès qu’ils sont confrontés aux pratiques (Munsterberg (1914) comme Stem (l 924) par exemple).

Ainsi, la « crise de la psychologie » est-elle extrêmement complexe et il est stérile d’opposer purement et simplement des courants, car, dès que les théories s’intéressent aux pratiques, elles s’infléchissent en faveur des aspects concrets en prenant en compte l’homme en situation. Cependant, ce n’est pas pour autant qu’elles modifient leurs fondements théoriques qui ne correspondraient alors plus à leurs applications !

D’où la nécessité d’appliquer en psychologie des méthodes d’analyse du travail et des pratiques.

En effet, les contradictions les plus complexes de la méthodologie psychologique se trouvent en fait transplantées sur le terrain de la pratique, lorsque les chercheurs s’y risquent ; c’est là seulement qu’elles peuvent faire leurs preuves et trouver une résolution. Pour reprendre Vygotski : la pratique restructure toute la méthodologie de la science.

Si l’on suit ces postulats, on voit alors se dégager les risques d’une autre partition en deux psychologies, l’une bénéficiant aux pratiques et l’autre aux purs calculs théoriques servant les intérêts d’une science de plus en plus éloignée des préoccupations réelles de l’homme concret. Cette partition subsumerait, somme toute, l’opposition factice entre méthodes objectives et subjectives ; elle opposerait une psychologie idéaliste à une psychologie concrète.

En ce sens, quelle qu’elle soit, la méthodologie n’apportera donc ni l’unité, ni le salut. La seule voie reste la rupture avec un empirisme idéaliste qui prétend étudier (objectivement vs. subjectivement) les faits sans s’intéresser ni aux concepts qui les construisent, ni aux réalités concrètes qui les fondent ni aux instruments qui permettent de dégager des lois et de les interprêter.

3.2. Se doter d’instruments, vers une coopération entre pratiques et théories ?

Or, de même qu’en 1927, la psychologie n’a encore que très superficiellement posé le problème de l’appareil et des instruments qui ne contrôleraient ni ne renforceraient l’introspection, mais nous en libéreraient, (comme le thermomètre nous émancipe de la sensation pour étudier la chaleur).

En effet, pour Vygotski, tout comme la physique se libère des éléments anthropomorphes, c’est-à-dire des perceptions sensorielles spécifiques, et procède en excluant complètement l’oeil, au bénéfice de l’instrument, la psychologie doit travailler avec le concept de psychique tout en excluant l’introspection directe (comme ce fut le cas pour la sensation musculaire en mécanique et pour la sensation visuelle en optique). Ainsi, Vygotski, ramène la question de l’introspection à une question de technique et non de principe ; il s’agit d’un instrument parmi un ensemble d’autres instruments, comme l’oeil pour les physiciens :

Le psychisme sélectionne des éléments stables de réalité au sein du mouvement universel… Il est l’organe qui choisit, le tamis qui filtre le monde et le transforme de telle sorte qu’il soit possible d’agir. C’est en cela que réside son rôle positif, non dans le reflet … mai s dans le fait de ne pas toujours refléter fidèlement, c’est-à-dire de distordre subjectivement la réalité en faveur de l’organisme. ( … )

La tâche de la psychologie est de comprendre à quoi cela sert que l’oeil ne voie pas nombre de choses connues en optique » (Vygotski, 1927/1999,167).

On le voit, il ne s’agit pas ici d’une négation de l’importance du psychisme chez l’être humain, mais bien de l’affirmation qu’on ne peut l’étudier directement sans instruments qui nous permettent de dépasser la seule sensation. Pour Vygotski, il ne peut y avoir de science de ce qui n’existe pas, des fantômes ou des reflets par exemple, mais on peut tenter d’expliquer les uns comme les autres et l’étude du psychisme devrait suivre cette voie analogique :

« Le subjectif en soi, en tant que spectre, doit être compris comme une conséquence, un résultat, un bienfait de deux processus objectifs. Comme l’énigme du (reflet dans le) miroir, l’énigme du psychisme se résout non en étudiant les spectres, mais en étudiant les deux séri es de processus objectifs, de l’interaction desquels les spectres surgissent comme des reflets apparents de l’un dans l’autre. En soi, l’apparent n’existe pas » (Vygotski, 1927/1999, 279).

Dépasser résolument les limites de l’expérience immédiate reste actuellement une question de vie ou de mort pour la psychologie. La démarcation et la séparation du concept scientifique par rapport à la perception spécifique ne peut s’effectuer que par le biais de la méthode indirecte. Celle-ci doit clarifier non l’ensemble des sensations vécues, mais un de leurs aspects seulement : elle isole, analyse, sépare et abstrait une seule propriété. Ici interpréter signifie recréer le phénomène d’après ses traces et ses influences en se basant sur des régularités établies auparavant.

D’où la nécessité d’instruments et de dispositifs nous permettant la mise en place de cette méthode indirecte.

Pour autant, Vygotski, bien qu’en faisant appel aux seuls instruments disponibles de son temps dans lapsychologie, les épreuves psychotechniques, n’entretient aucune illusion sur la qualité et la fiabilité de ces dernières. Cependant, il considère que seuls des dispositifs indirects analogues et des instruments mis en place par la psychologie dans ses pratiques nous apporteront, par les questions qu’ils soulèvent, la réponse à la question plus générale des fondements d’une science psychologique :

« Aussi mauvais que soit le test lui-même, en tant qu’idée, en tant que principe méthodologique, en tant que tâche, en tant que perspective, sa valeur est énorme. Les contradictions les plus complexes de la méthodologie psychologique sont transplantées sur le terrain de la pratique et c’est là seulement qu’elles peuvent trouver leur solution. Là le débat cesse d’être stérile, il parvient à son terme. « Méthode » signifie « voie » ; nous la concevons comme un moyen de connaissance ; mai s la voie est en tous point déterminée par le but auquel elle conduit. C’est pourquoi la pratique restructure toute la méthodologie de la science » (Vygotski, 1927/1999,236).

Pour conclure

Envisager la cause de « la crise en psychologie », non pas comme un manque de données empiriques, ni comme relative à la confrontation de méthodes, mais bien comme un indice de l’évitement de la coopération entre chercheursempiristes et chercheurs-praticiens, nous paraît non seulement novateur (du temps de Vygotski), mais également comme heuristique pour la problématique de notre XXIe siècle.

Si, dans les années 1920/1930, la cause principale de l’émergence des questions concernant la crise de la psychologie est inhérente au développement de la psychologie appliquée et aux questions qu’elle a adressées à une psychologie idéaliste (objectiviste comme subjectiviste), on peut alors s’interroger sur notre actualité.

Les oppositions entre méthodes objectives et subjectives ne viendraient-elles pas masquer la scission de plus en plus marquée, y compris aux niveaux des sociétés représentant la psychologie dans le monde, entre pratiques et théories ? Si l’on suit alors les analyses de Vygotski, le développement et l’extension des pratiques et des applications reste le seul moteur qui finisse par provoquer une collaboration entre pratique et recherches théoriques et qui favorise une réorganisation, toujours nécessaire de :

« toute la méthodologie de notre science sur la base du principe de la pratique, c’est-à-dire sa transformation en science naturelle. Ce principe exerce une forte pression sur la psychologie et la pousse à l’éclatement en deux sciences ; il garantit le bon développement de la psychologie matérialiste dans le futur. La pratique et la philosophie deviennent des pierres angulaires » (Vygotski, 1927/1999, 243).

En l’état actuel, comme à l’époque de Vygotski, l’unification semble méthodologiquement et épistémologiquement impossible ; aussi seule la tension dialectique évite l’écueil et la tentation du syncrétisme et permet d’accepter la dualité inhérente au stade du développement de notre science psychologique :

« L’ unité dialectique de la méthodologie et de la pratique, appliquée à la psychologie par les deux bouts, est le destin et le sort d’une des psychologies. Le refus total de la pratique et la contemplation des essences idéales sont le sort et le destin de l’autre. La rupture et la séparation totales sont leur sort et leur destin commun. Cette rupture a commencé, se poursuit et se terminera, parallèlement au cheminement de la pratique » (Vygotski, 1927/1999, 243).

Pour Vygotski, deux voies sont possibles pour la psychologie, oubien elle s’oriente vers la voie de la science qui tient compte de la situation concrète historico-développementale et refuse l’idéalisme théorique, tout en cherchant des instruments lui permettant d’expliquer le phénomène, ou bien elle poursuit une connaissance fragmentaire et réductrice confondant experience et savoir et alors, la psychologie renforce sa dualité, et… elle ne peut exister en tant que science.

Si l’on reprend les questions actuelles présentées en introduction, seul le recours aux confrontations pratiques/théorie peut éviter :

- une poursuite du conflit entre méthodologies (objectives/subjectives) masquant leur base commune et la nécessité d’avancées vers des méthodes indirectes (y compris pour étudier les reflets, qui peuvent être plus réels pour le sujet que la réalité physique),

- les prétentions hégémoniques d’une théorie sur les autres, quelles qu’elles soient (cognitive, culturelle, affective ou autre) ;

- la récupération de la « psyché » dans une optique exclusive qui, dès lors, ne privilégierait qu’un des aspects (celui psycho-physiologique) de la manifestation, à laquelle on « donnerait un supplément d’âme » grâce à une phénoménologie empiriste, au risque d’enlisement dans un subjectivisme solipsiste.

NOTES

1. Cet article constitue le développement d’une communication orale tenue au XXXVIIe Congrès International de Psychologie, Stockholm, (Santiago-Delefosse, 2000).

2. Les paginations correspondent à l’édition actuelle.

3. Il faut remarquer, sur ce dernier point que Vygotski s’attaque principalement aux courants personnalistes et phénoménologiques de son époque, auxquels il reproche un idéalisme spiritualiste et une méthode exclusivement introspective qu’il faut différencier de l’approche davantage réflexive de certains courants phénoménologiques actuels, qui ne méconnaissent pas l’intersubjectivité foncière de l’être humain.

L’ introspection renvoie à la perception intérieure, à la notation du déroulement du flux intérieur par le sujet lui-même. Alors que la réflexivité phénoménologique est un effort pour dégager le sens d’une expérience vécue en s’attachant au détail de sa description dans « tous les états » par lesquels passe ce vécu. (Merleau-Ponty, 1964 ; Vermersch, 1999 ; Santiago-Delefosse, 2001b).

Vygotski distingue très justement la joie et la compréhension introspective de cettejoie, l’acte en soi et l’acte tel qu’il apparaît au sujet qui le vit. L’introspection ne saurait alors nous donner le psychisme. L’ acte en soi relève de l’étude objective, mais il reste l’étude du subjectif même, c’est-à-dire des modes de déformation subjective des objets, dans lesquels la méthode de recueil phénoménologique se révèle pertinente, mais qu’il ne faut pas confondre avec l’étude de l’acte même.

RÉSUMÉ

Tout au long de ses travaux L.S. Vygotski (1896-1934), a poursuivi l’objectif de reformuler la théorie psychologique. Il adopte une démarche génétique et dialectique prenant en compte histoire et développement. Son analyse dialectico-développementale de la « crise de la psychologie », met en évidence, qu’au-delà des oppositions entre deux grands courants méthodologiques « objectivo/explicatif » et « subjectivo/compréhensif », la psychologie est surtout influencée par ses fondements emp i rico -sensu a listes. Cette influence constitue enfait le ciment et la base de la discorde puisqu’elle entretient l’obligation des deux courants. Seule une conception générale de l’être humain en développement permettrait, par sa confrontation aux applications, d’orienter la psychologie vers une science générale. Psychologie générale qui pourrait alors rechercher des instruments pour une méthode indirecte permettant de dépasser l’empirisme.

Mots-clés : Objectivisme/Subjectivisme Développement – Empirisme – Crise de la psychologie – Vygotski

Notes de lecture

Marie SANTIAGO-DELEFOSSE

Personnalité et maladies. Stress. coping et ajustement, M. Bruchon-Schweitzer & B. Quintard. Paris : Dunod. (2001). 350 p.

Cet intéressant ouvrage peut être considéré comme une suite à l’Introduction à la psychologie de la santé (Bruchon-Schweitzer, Dantzer, PUF, 1994). Si ce dernier, de manière fort claire, exposait les concepts fondamentaux de la psychologie de la santé, le présent ouvrage, Personnalité et Maladies, en constitue le complément appréciable puisqu’il offre un aperçu des perspectives ouvertes par ces concepts dans l’étude de maladies et d’atteintes spécifiques.

Le lecteur apprécie tout particulièrement la part consacrée aux facteurs psychosociaux et à leur rôle dans la survenue et/ou la stabilisation de la maladie. De même qu’il apprécie la prudence de chaque auteur dans les résultats livrés. En effet, les différentes recherches citées, pour intéressantes qu’elles soient, ne vont pas toutes forcément dans le même sens et c’est avec une grande honnêteté que les auteurs nous rapportent les résultats et les questions qu’elles soulèvent. Au point de vue méthodologique, pour que les résultats concernant. par exemple, les traits de personnalité soient probants. et surtout comparables, dans les différentes recherches, il faudrait que nous ayons des définitions consensuelles, uniques et dont la validité comme la fidélité soient démontrées, d’un certain nombre de facteurs psychologiques considérés comme indicateurs tels que : l’optimisme, l’affirmation de soi, voire même « la dépression », etc. De même, il faudrait davantage d’études prospectives que rétrospectives, en particulier sur les facteurs prédicteurs. Ces remarques méthodologiques, n’affectent en rien l’intérêt de l’ouvrage, puisque les auteurs n’omettent pas la discussion de ces limites dans leurs conclusions. De plus, l’ouvrage constitue une source d’information remarquable pour quiconque souhaite se tenir au courant des travaux en cours et lui donne les outils pour analyser, par lui-même, un certain nombre de résultats, ce qui est le propre d’un travail scientifique au sens noble.

Les différents chapitres abordent tour à tour, la symptomatologie la plus fréquente dans les pays occidentaux, soit : les maladies cardiovasculaires, les cancers, les lombalgies, les diabètes, la polyarthrite rhumatoïde, les maladies fonctionnelles digestives. On remarque également des chapitres plus spécifiques sur les atteintes infectieuses (HIV) ou accidentelles (traumatismes médullaires), ainsi que sur le tabagisme chez les jeunes.

Faute de pouvoir détailler tous les travaux, on relèvera tout particulièrement l’intérêt du dernier chapitre, plus général, et concernant l’apport de la psychoneuroimmunologie (Robert Dantzer). En effet, l’auteur commente de manière claire quelques travaux de ces vingt dernières années. Il montre, non seulement combien les recherches dans ce secteur sont passionnantes et certainement prometteuses, mais au-delà, il démontre, s’il le fallait, la nécessité de collaborations pluridisciplinaires qui maintiennent pour chaque intervenant leur spécificité. En effet, nul psychologue ne saurait remplacer un neuroimmunologiste, de même que nul immunologiste ne saurait remplacer l’éclairage du psychologue sauf, pour les deux, à changer de spécialité. Si leur collaboration ne peut être que fructueuse, les explications des deux parties ne se situent pas au même niveau et il reste justement à articuler le passage des réactions physiologiques à leur interprétation psychologique qui peuvent avoir des effets modérateurs ou au contraire, aggravants ; d’où l’intérêt des recherches cités concernant l’homme en situation (27 1). Il est vrai, cependant, que les liens causaux restent toujours très difficiles à interpréter et que les résultats se montrent encore peu stables, mais les études restent prometteuses et on ne saurait trop encourager lesjeunes chercheurs psychologues intéressés parces travaux à se former afin de collaborer avec des neuroimmunologistes, tout en préservant le niveau explicatif psychologique. Un pari pour l’avenir certes de la psychologie, mais surtout pour les avancées dans notre connaissance des liens entre niveaux sociologique (être mis en présence de congénères peut atténuer les effets de stress), psychologique (percevoir le stress peut comporter des effets très différents suivant le vécu des sujets et, peut-être, suivant la « qualité » attribué à ce stress) et, neuroimmunologique (les indicateurs de stress restent, semble-t-il, de même nature quelle que soit la « qualité vécue » du stress). A suivre donc, peut-être pourun troisième volume ?

Bernard CASTRO

Dictionnaire de psychothérapie cognitive et comportementale, D. Nollet & J. Thomas, éditions Ellipses, Paris, 221p., 2001.

Assurément une belle initiative qu’ont pris ses auteurs que de répertorier par ordre alphabétique les concepts de la psychologie cognitivo-behaviorale !

Compacter sous un volume relativement modeste la masse des notions et définitions utilisées en Thérapie cognitivo-comportementale est le véritable défi qu’ont relevé Daniel Nollet et Jacques Thomas.

Ce vrai dictionnaire raisonné de la matière cognitive et comportementale collige les définitions et données précises utiles aux spécialistes même du domaine… tout en étant entièrement accessibles aux psys ne se reconaissant pas des courants de pensée comportementalistes…

Et de plus, il est agréable à lire ! Par sa rédaction et par cette présentation, l’ouvrage évite entièrement l’austérité prévisible dans le domaine. Un amusant systèmes d’icônes permet de repérer instantanément l’information issue de la psychologie cognitive, de la psychothérapie cognitive ou d’une technique thérapeutique spécifique. Des vignettes cliniques illustrent la plupart des concepts.

Comprendre les fondements théoriques et les pratiques des thérapie cognitivo-comportementale devient un peu plus à la portée de chacun.

De l’abstraction sélective à la vulnérabilité cognitive, lu d’une extrémité à l’autre… ou en surfant d’entrée en entrée, on s’imprègne sans effort des données et concepts.

Un ouvrage qui a sa place dans les rayonnages de chaque praticien ? Non ! le dictionnaire de psychothérapie comportementale et cognitive ne se range pas. Il reste sur le bureau – et à portée immédiate. Chaque lecteur qui l’aura en main en fera l’expérience : on ne reste jamais bien longtemps sans lire et relire les articles du Nollet- Thomas.

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