Marie-Jo BOURDIN, Christophe PARIS : « Le soin dans le milieu social des migrants »

Migrations et Pastorale, novembre 2004 ; 313 : 28-31.

Marie-Jo BOURDIN est assistante sociale, attachée de direction et responsable du Pôle Formation au Centre Françoise MINKOWSKA.
Christophe PARIS est directeur général du Centre Françoise MINKOWSKA.

La précarité dans laquelle vivent certains des patients du Centre Françoise Minkowska fait que les problèmes sociaux sont au-devant de la scène et empêchent parfois tout travail thérapeutique. D’où cette double prise en charge : par le psychiatre et l’assistante sociale dans l’accompagnement du migrant en souffrance.

Nous illustrerons notre propos à partir de deux cas cliniques -suivis à la consultation africaine du Centre Françoise Minkowska.
Monsieur S. Malien soninké, âgé de 32 ans, en France depuis le mois de mars 2003, sans domicile fixe, sans papiers, n’a qu’une domiciliation administrative en France. Il est adressé au Centre Minkowska par un CHS après une hospitalisation en psychiatrie suite à une tentative de suicide. Il est fils d’un immigré ayant vécu 40 ans en France et décédé en 1990.

Au décès de son père, l’oncle paternel s’est approprié des biens de son frère. Lui s’est trouvé dépossédé et a décidé de venir en France. Il tient un discours stéréotypé sur le long séjour de son père en France et ses chances à lui d’y refaire sa vie, pour aider sa mère restée au pays. En fait, il n’arrive pas à faire le deuil de son père.

Nous le recevons régulièrement avec le psychiatre qui lui prescrit un traitement médicamenteux. Préoccupé pour son admission au séjour, nous l’encourageons et nous l’aidons, via un certificat médical détaillé, à faire une demande de séjour pour soins au titre de l’article 12bis 7- vie privée et familiale. Il est très préoccupé par l’attente de la réponse de la Préfecture au point que lors de certains entretiens, il est impossible d’aborder un autre sujet.

L’inquiétude est à son paroxysme lorsqu’il reçoit une convocation de la Préfecture avec une liste de documents à fournir dont un certificat médical d’un psychiatre agréé.

Peur et insécurité

Il dit ne pouvoir aller seul à la Préfecture : il a peur. Compte tenu de son état d’anxiété et des ses tentatives de suicide répétées (dont une au Centre) nous convenons qu’exceptionnellement (en effet le centre Françoise Minkowska n’étant pas sectorisé, nous ne pouvons pas assister tous les patients qui viennent de lieux géographiques parfois très éloignés) je l’accompagnerai en tant qu’assistante sociale dans cette démarche.

En remettant son dossier à l’employée de la Préfecture il me présente « c’est mon assistante, elle est venue avec moi et va vous expliquer » ! Ce que j’ai fait devant une employée très à l’écoute.

Sur le trajet du retour il n’a cessé de me remercier. Et les entretiens suivants il était toujours très préoccupé par cette nouvelle attente d’une réponse, qui a été positive. Il venait de recevoir un courrier pour aller retirer sa carte de séjour provisoire. Il voulait que je l’accompagne de nouveau. Là, le psychiatre et moi lui avons fait comprendre qu’il ne courait aucun risque, tout en sachant que la part de la pathologie renforçait son sentiment d’insécurité qui provoquait, malgré le traitement, des pulsions auto-agressives. Un travail de soutien et d’écoute a fini par le convaincre de la régularité de la procédure et le sentiment de persécution s’est estompé.

Il s’y est donc rendu seul. Au rendez-vous suivant, il arborait son titre de séjour avec autorisation de travailler disant au psychiatre « c’est grâce à elle »…

Il était déjà inscrit à l’ANPE et recherchait activement un travail. « Mon seul souci est le travail » disait-il.

Depuis, même si son état psychologique reste fragilisé, avec encore des troubles du sommeil, il prend son traitement plus régulièrement et il a donc été possible d’aborder son histoire et envisager un travail thérapeutique en dehors de l’urgence.

Madame K. patiente ivoirienne, âgée de 39 ans, vit en France depuis 1992. Célibataire, Madame K. avait deux enfants (garçon et fille) qu’elle avait confiés à une de ses deux soeurs ; ils sont décédés en décembre 2000 dans un accident de la route avec leurs deux tantes.

Madame K. a été adressée en septembre 2001 à notre consultation par le psychiatre d’un service hospitalier où elle avait été admise pendant dix jours pour « un syndrome dépressif majeur ».

Sans papiers, elle avait en 1997 sollicité l’asile politique dont elle a été déboutée. Elle a travaillé comme garde d’enfants mais a cessé cet emploi car elle ne supportait pas l’enfant qu’elle décrit comme « très opposant ». Elle a cédé sa place à une amie malienne et n’a plus retravaillé depuis.

En 2000 elle reçoit un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière qui a pu être annulé en 2001 au moment où nous faisons sa connaissance au Centre Françoise Minkowska.

Obsédée par sa situation administrative

Nous la recevons, un autre thérapeute de la consultation africaine et moi même. Dans cette double prise en charge il y a bien sûr le travail de deuil, de ses enfants et de ses soeurs, mais aussi elle est obsédée par sa situation administrative. Sans papiers elle craint, malgré la levée de l’arrêté préfectoral, une reconduite dans son pays en Côte d’Ivoire où dit-elle, en larmes, « je n’ai plus personne ; tous les miens sont morts ; qu’est-ce ce que je ferai là bas ? »

C’est alors que nous envisageons une régularisation de séjour pour soins qu’elle obtient en 2002, mais qui ne lui sera pas renouvelée (traitement possible en Côte d’Ivoire). A nouveau ce problème de papiers aggrave son état dépressif. Elle s’isole de plus en plus.

Nous sommes en 2003 et elle a plus de dix ans de présence en France, elle pourrait prétendre à l’obtention d’une carte de résidence de 10 ans. Mais nous nous heurtons, et nous en sommes toujours à ce stade aujourd’hui, à l’impossibilité de fournir les certificats de décès de ses enfants et de ses soeurs. Ils n’ont jamais été en sa possession et on ne les lui a jamais demandés. Elle connaît approximativement le lieu de l’accident (entre telle ville et telle autre), mais n’a pas de témoin qu’elle pourrait contacter.

Nous sommes en train de tenter avec l’assistante sociale de l’Ambassade d’obtenir des extraits d’acte de naissance sur lesquels pourraient être transcris les décès, mais le contexte politique et le lieu géographique (ville très éloignée et occupée par les rebelles) rendent ces démarches difficiles.

Actuellement, nous nous limitons, le psychiatre et moi-même, à la soutenir et à l’orienter dans ses démarches tout en écoutant sa grande souffrance.

Mais le travail thérapeutique de deuil ne pourra réellement se faire que lorsqu’elle pourra vivre en France en situation régulière sans cette épée de Damoclès que représente sa crainte d’être reconduite manu militari dans son pays où elle n’a plus aucune famille.

Un nécessaire travail de complémentarité

Ces deux cas cliniques viennent illustrer le nécessaire travail de complémentarité dans l’institution Minkowska.

En effet la flexibilité et la disponibilité à l’intérieur même de l’institution et des équipes permettent parfois de faire face à de réels imbroglios qui transforment souvent une pathologie mentale en une véritable détresse humaine.

La dimension éthique défendue par les objectifs même de l’association F. et E. Minkowski qui gère le Centre F. Minkowska nous permet de nous positionner sur le registre du soutien clinique comme garant de la démarche socio-administrative afin de rester dans le cadre du droit d’asile avec l’argument psychiatrique.

Il est parfois difficile de faire entendre à certains patients la part des choses. Nous ne renonçons pas cependant, à chercher les solutions qui apportent le soin en même temps que la protection de l’individu parfois doublement dissocié par la pathologie mentale bruyante et l’impossibilité d’accepter des décisions administratives qui apparaissent parfois persécutrices.

Cette réflexion est portée également par les instances du conseil d’administration de l’association en coordination avec la direction du Centre pour harmoniser les pratiques et surtout pour apporter des réponses cohérentes.
L’engagement associatif se fait dans le cadre du droit commun d’une part et d’autre part dans un souci permanent du lien entre le droit d’asile et l’intégrité psychique du sujet réfugié ou migrant.

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