MEMORANDUM POUR L’ETUDE DE L’ACCULTURATION

Robert REDFIELD, Ralph LINTON & Melville J. HERSKOVITS

In Américan Anthropologist, vol. 38, 1936, pp. 149-152 La traduction est de Evelyne LAVENU.

Reconnaissant l’importance de l’acculturation et la diversité des points de vue dans l’approche de ce problème, le Social Science Research Council a nommé au début de l’année dernière, un comité formé des soussignés, dont la mission est d’analyser le travail déjà effectué dans ce domaine, d’étudier les implications du terme « acculturation » et d’explorer de nouvelles pistes de recherche. A l’issue de plusieurs réunions, le guide suivant a été élaboré à titre de première étape de clarification du problème et servant d’aide à la classification des études déjà réalisées.

Le travail du Comité serait facilité et son rapport final n’en serait que plus complet si ses membres avaient connaissance du plus grand nombre d’études possible sur l’acculturation. À cette fin, nous proposons ce guide, conçu comme aide à l’organisation de notre travail, dans l’espoir que des informations sur ces études parviennent au Président ou à n’importe quel membre du Comité à l’adresse ci-dessous. Il serait particulièrement utile, lors de l’envoi de documents, de préciser dans quelle mesure ces travaux entrent ou non dans les catégories de ce guide. Le Comité s’engage à communiquer les résultats de son travail à toute personne entrant en relation avec lui, et de même à fournir la liste des chercheurs et des problèmes sur lesquels ils travaillent, pour un échange d’informations et de méthodes.

GUIDE POUR L’ÉTUDE DE L’ACCULTURATION

I. Définition

« L’acculturation comprend ces phénomènes qui résultent de ce que des groupes d’individus ayant des cultures différentes se trouvent en permanence en contact direct, entraînant des changements importants dans les modèles culturels de l’un ou l’autre groupe ou des deux ».

(NOTE : Selon cette définition, il faut distinguer l’acculturation du changement culturel. qui n’en est qu’un aspect, et de l’assimilation, qui est parfois une étape de l’acculturation. Il faut aussi la différencier de la diffusion qui. bien qu’elle existe dans tous les cas d’acculturation, n’en est souvent qu’un phénomène apparaissant sans correspondance avec le type de contact entre les personnes spécifié dans la définition ci-dessus, mais qui, elle aussi ne constitue qu’un aspect du processus d’acculturation.)

II. Approche du problème

A. Inventaire des documents disponibles

1. Documents publiés : sur les contacts préhistoriques (pour montrer comment l’acculturation a caractérisé les contacts humains depuis des temps reculés), ainsi que sur les contacts entre groupes primitifs, et entre groupes primitifs et groupes acquis à l’écriture (industrialisés ou non) et entre groupes acquis à l’écriture de l’une ou l’autre catégorie ou des deux.

2. Travaux sur l’acculturation non publiés, achevés ou en cours.

B. Classement de ces documents

1. Ces travaux traitent-ils de cultures dans leur ensemble ou de phases de culture spécifiques ?

2. Dans le cas d’études à champ restreint, quelles phases sont-elles traitées ?

3. Quelles sont les motivations des études (dans la mesure où elles affectent le type de matériel traité), par exemple, sont-elles scientifiques ou sont-elles destinées à aider à l’élaboration d’une politique administrative, éducative ou caritative ?

C. Techniques mises en oeuvre dans les études analysées

3. Observation directe de l’acculturation en cours.

4. Étude de l’acculturation récente au moyen d’entretiens avec des membres de groupes acculturés.

5. Utilisation de sources documentaires offrant un témoignage historique sur les premiers contacts qui ont conduit à l’acculturation.

6. Déductions à partir d’analyses et de reconstitutions historiques.

III. Analyse de l’acculturation

(NOTE : La signification du genre physique utilisé pour repérer les attitudes à l’oeuvre dans l’acculturation, ainsi que l’importance de l’apparition concomitante du mélange racial et de son interdit, ne doivent pas être ignorées en tant que facteurs pouvant imprégner toute situation, tout processus ou résultat envisagé dans cette section.)

A. Types de contacts

1. Les contacts se produisent entre groupes entiers ou entre une population entière et des groupes sélectionnés d’une autre population, par exemple : missionnaires. Marchands, administrateurs, artisans, pionniers et leurs familles. et immigrés masculins (en tenant spécialement compte pour tous, des éléments de culture susceptibles d’être rendus accessibles par les membres de ces groupes à la population dans laquelle ils vivent).

2. Les contacts sont amicaux ou hostiles.

3. Les contacts se produisent entre groupes de taille comparable ou entre groupes de taille notablement différente.

4. Les contacts ont lieu entre des groupes caractérisés par des degrés inégaux de complexité des aspects matériels ou non matériels, ou des deux, ou dans certaines phases des uns ou des autres.

5. Les contacts résultent de l’arrivée de porteurs de culture dans le milieu de vie du groupe receveur, ou de la mise en contact du groupe receveur avec une nouvelle culture dans une nouvelle région.

B. Situations dans lesquelles l’acculturation peut apparaître

1. Les éléments de culture peuvent être imposés à un peuple, ou être reçus volontairement par lui.

2. Situations où il n’y a aucune inégalité sociale ou politique entre les groupes.

3. Là où existe l’inégalité entre groupes, il peut alors en découler l’une des situations suivantes :

a. Domination politique d’un groupe sans reconnaissance de sa domination sociale par le groupe sujet ;

b. Domination politique et sociale d’un groupe ;

c. Reconnaissance de la supériorité sociale d’un groupe par un autre sans que le premier exerce une domination politique.

C. Les processus d’acculturation

1. Sélection de traits d’acculturation

a. l’ordre selon lequel sont sélectionnés les traits (dans certains cas)

b. les relations possibles qu’il faut discerner entre une sélection de traits dans les différents types de contacts menant à l’acculturation, et les situations dans lesquelles l’acculturation peut advenir (telles que décrites en III A et B ci-dessus) ;

c. présentation partielle de traits d’acculturation forcée ; a’. types de traits autorisés ou interdits au groupe receveur ; b’. techniques employées par le groupe donneur pour imposer ses traits . c’. types de traits dont l’acceptation peut être imposée d’. limites de l’acceptation imposée ;

d. résistance du groupe receveur aux traits qui lui sont présentés a’. raisons de cette résistance ; b’. signification de la résistance consciente à ces traits, comme de leur acceptation ;

2. Détermination des traits présentés et choisis dans des situations d’acculturation :

a. traits présentés par le groupe donneur à cause :

a’. d’avantages pratiques, tel que le profit économique ou la domination politique . b’. le désir d’amener à la conformité des valeurs du groupe donneur, tel que idéaux humanitaires, tempérance, etc. c’. de considérations éthiques ou religieuses

b. traits choisis par le groupe receveur à cause a’. d’avantages économiques ; b’. d’avantages sociaux (prestige) ; c’. de la congruence avec des modèles culturels existants ; d’. de la rapidité et de l’étendue des changements de culture rendus nécessaires par l’adoption de traits en relation fonctionnelle ;

c. traits rejetés par le groupe receveur.

3. Intégration de traits dans les modèles de la culture d’accueil :

a. le facteur temps qui s’est écoulé depuis l’acceptation du trait

b. l’aspect conflictuel produit au sein d’une culture par l’acceptation de nouveaux traits en rupture avec ceux d’origine et le degré de conflit qui en résulte ;

c. le processus d’ajustement de l’acculturation : a’. modification et réinterprétation des traits adoptés ; b’. modification des modèles d’origine résultant de l’adoption de nouveaux traits ; c’. remplacement d’anciens traits d’un modèle par de nouveaux ; d’. « conduites de survie » ; e’. transfert de sanctions ; f’. changements de foyers culturels causés par l’acculturation.

IV. Mécanismes psychologiques de sélection et d’intégration de traits d’acculturation

A. Le rôle de l’individu

1. En tant que membre du groupe qui opère des choix ; personnalité des premiers individus qui acceptent des traits étrangers et leur position dans la société en raison de son influence sur le choix et l’acceptation de nouveaux traits.

2. En tant que membre du groupe donneur ; personnalité des individus en contact avec le groupe receveur, leurs attitudes et points de vue, et comment leur groupe d’appartenance est considéré par les membres du groupe receveur, favorisant ou non la réception des traits.

3. En tant que membre d’un groupe particulier dans sa société (clergé. fratrie. société secrète, etc.) et sa position dans ce groupe dans la mesure où elle accélère ou retarde l’acceptation de nouveaux traits.

B. Existence possible de types cohérents de personnalité parmi ceux qui acceptent ou rejettent de nouveaux traits.

C. Sélection et acceptation différentielle de traits selon le sexe, l’origine sociale, le type de croyance et la profession.

D. L’hostilité initiale et la réconciliation ultérieure des individus à la nouvelle culture comme facteur d’intégration des nouveaux traits culturels, et causés par

1. l’intensité du contact ;

2. la durée du contact et l’habituation à de nouveaux éléments culturels qui en résulte ;

3. les avantages sociaux, économiques ou politiques qui découlent de l’acceptation.

E. Conflit psychique résultant d’efforts pour concilier des traditions de conduite sociale divergentes et les différents dispositifs de sanction sociale.

V. Les résultats de l’acculturation

A. L’acceptation : si le processus d’acculturation se termine par l’adoption d’une part plus importante d’une autre culture et de la perte de la majeure partie de l’héritage culturel ancestral, avec l’accord de la part des membres du groupe consentant, et, par suite, assimilation non seulement des modèles comportementaux mais aussi des valeurs intrinsèques de la culture avec laquelle ils ont été en contact.

B. L’adaptation : si les traits originels et étrangers se combinent pour faire un tout culturel fonctionnant harmonieusement de ce qui n’est en fait qu’une mosaïque historique : avec soit un brassage des modèles des deux cultures en un tout significatif et harmonieux pour les individus concernés, soit la rétention d’une série d’attitudes plus ou moins conflictuelles et des points de vue qui se réconcilient dans la vie quotidienne quand l’occasion se présente.

C. La réaction : si, à cause de l’oppression ou de conséquences imprévues de l’acceptation de traits étrangers, naissent des mouvements contre l’acculturation ; maintenant leur force psychologique (a) comme des compensations à une infériorité imposée ou assumée, ou (b) à travers le prestige qu’un retour à des conditions d’avant l’acculturation peut apporter à ceux qui participent à un tel mouvement.

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