M.J. BOURDIN : L’excision – Entre l’argument culturel et le crime – Quel compromis ?

Female circumcision : between Cultural Argument and Crime – Where’s the compromise ?

In : REVUE INTERNATIONALE D’ÉTUDES TRANSCULTURELLES ET D’ETHNOPSYCHANALYSE CLNIOUE , DÉCEMBRE 1998 N° 2. Les dossiers des migrations, de l’exil et des expériences interculturelles.

Marie Jo Bourdin, Assistante sociale, Centre Minkowska.

Mots clés : Excision Tradition ; Coutume ; Islam ; Éradication ; Afrique ; Occident ; Projet de loi ; Criminalisation Prévention

Key words : Female circumcision ; Tradition ; Practice ; Islam ; Éradication ; Africa ; West ; Bills criminalisation ; Prevention ; Fight

Résumé

Comment convaincre les ethnies concernées par l’excision des dangers de cette pratique et les amener à des changements de comportements ? En France les procès, qui se voulaient exemplaires, n’ont pas empêché sa pérennité. La criminalité française, les différentes législations européennes, les tâtonnements de l’OMS dans ses positions successives en passant par la médicalisation de l’excision ou sa pratique symbolique montrent la complexité de la lutte pour la disparition de cette coutume. En nous tournant vers les femmes d’un petit village sénégalais qui ont fait le serment de ne plus exciser, peut être pouvons nous envisager un espoir de solution.

Abstract

How is it possible to convince ethnic groups concerned with circumcision of the dangers of this practice and to push them to change their behaviour ? In France the trials which were meant to set an example did not prevent circumcision from continuing. The criminalisation of this cause in France, the various European legislation’s, and the fumblings of the W.H.0 in its various positions including medicalisation of the circumcision or turning it into a symbolic practise all illustrate the complexity of the fight for the elimination of this practise. The case of the women of a smail Senegalese village who promised not to circumcise anymore may provide some hope of a solution.

Article :

Peut-on espérer voir un jour émerger de nouveaux modèles culturels ? Certaines pratiques ancestrales, dont celle de l’excision, sont fondées sur la tradition et transmises oralement de génération en génération. Pour voir un jour disparaître ces coutumes qui ont souvent force de loi ne peut-on trouver un compromis entre l’attitude culturaliste qui fige les individus dans leurs comportements et l’universaliste qui écrase toute identité ?

Comment sortir de ce dilemme ?

Avant d’aborder toutes ces interrogations, et au risque de nous répéter, nous nous devons de dire quelques mots sur la pratique excisionnelle et la situer très brièvement dans son contexte géographique religieux et historique.

Selon les pays et les ethnies, ces interventions vont de la clitoridectomie (ablation partielle ou totale du clitoris) appelée circoncision SUNNA et classée depuis 1977 type I par l’Organisation Mondiale de la Santé, a l’excision complète de type II (ablation totale du clitoris, des petites et parfois des grandes lèvres) jusqu’à la plus drastique, l’infibulation ou circoncision pharaonique de type III (excision totale avec obstruction de l’orifice vulvaire permettant le passage de l’urine et du sang menstruel).

Cette dernière n’est pas pratiquée en Afrique occidentale ou très exceptionnellement au Mali, mais dans certaines ethnies de l’Afrique Orientale (Somalie, Djibouti…).

Ces trois types d’excision sont réalisés le plus souvent par des « forgeronnes » ou des femmes âgées, sans anesthésie et dans des conditions d’hygiène désastreuses. Elles peuvent entraîner des risques médicaux immédiats : hémorragies, blessures d’organes voisins, septicémies, tétanos. Plus tardivement ce sont les complications urinaires (infection, incontinence…) et gynéco-obstétricales (troubles de la menstruation, stérilité, kystes, difficultés d’accouchement nécessitant souvent des épisiotomies).

Si un de ces accidents survient ou si l’enfant décède, on se référera à la volonté divine, mais la dextérité de l’exciseuse ne sera jamais remise en cause.

L’excision dont l’origine est très hypothétique se pérennise dans plusieurs ethnies africaines de la zone sub-saharienne. Elle n’est pas limitée au seul continent africain mais survit dans la péninsule Arabique, en Asie, Indonésie, Malaisie, au sud Yemen jusque dans quelques tribus indiennes de l’Amazonie péruvienne et vénézuélienne (1). Elle est pratiquée en milieu animiste, chrétien, chez les juifs (falashas) d’Ethiopie, et les coptes d’Egypte.

Par contre, elle est méconnue des grands pays musulmans tels que le Maghreb, l’Iran ou la Turquie.

L’EXCISION : PHÉNOMÈNE CULTUREL OU RELIGIEUX ?

Du point de vue religieux, l’Islam a intégré cette pratique qui lui est antérieure. La religion musulmane ne la recommande pas expressément mais ne la déconseille pas pour autant. Cette attitude a laissé régner une grande ambiguïté participant ainsi à la survivance de ce rite ancestral. En effet, elle n’est pas prescrite dans le Coran mais un hadith(les Hadiths font autorité après le Coran en désignant les actes et les paroles du prophète) suggère une excision légère du clitoris pour embellir la fille. Ce hadith rapporte que le prophète ayant vu une exciseuse opérer, il lui aurait recommandé d’intervenir avec prudence avec ces paroles : « effleure mais ne l’épuise pas » (2). L’excision serait donc licite sans être obligatoire.

L’absence de certitudes historiques fait que les origines authentiques de l’excision sont incertaines. L’époque pharaonique est souvent attestée par des égyptologues avant découvert des momies excisées. Nous retiendrons ici que cette pratique semble être apparue dans les sociétés sans écriture. Les premières traces écrites ont été découvertes sur des papyrus du deuxième millénaire Lie notre ère, dont un est conservé au British Museum, et qui témoignent de l’existence de l’excision.

Sans entrer dans les détails, nous signalerons simplement que des médecins occidentaux ont pratiqué la clitoridectomie à des fins thérapeutiques, pour guérir des patientes hystériques (3), et soigner la masturbation des jeunes filles en cautérisant leur clitoris (4).

Selon les ethnies, en dehors de l’argument religieux (croyance en la prescription coranique, impureté de la femme non excisée etc … ) les justifications de l’excision sont variées. Elles peuvent prendre appui sur de nombreux mythes fondateurs, (par exemple celui des Dogons du Mali ou des Mossi du Burkina Faso) (5). Pour d’autres, l’excision serait aussi nécessaire pour affirmer l’individu dans son sexe : il est impératif de modifier l’androgénie primitive en supprimant le clitoris, élément masculin chez la petite fille (mini-penis), et le prépuce, stigmate féminin chez le petit garçon : l’excision et la circoncision rétablissant l’ordre entre les sexes. Un autre exemple, celui des bambara (ethnie que l’on rencontre au Mali et au Sénégal), pour lesquels le clitoris est assimilé a un dard qui blesserait ou tuerait l’homme au moment de rapports sexuels. En cas de grossesse, ce dard pourrait au moment de l’accouchement tuer l’enfant. Enfin certains pensent que l’excision limiterait le désir sexuel de la femme, et éviterait l’adultère. Pour ces ethnies, une femme excisée est une épouse fidèle, elle est aussi plus féconde. Ailleurs, elle peut être une étape indispensable aux filles pour être intégrées dans la communauté des femmes. Encore très récemment, on pouvait entendre certaines dire qu’aucun homme n’épouserait une femme non excisée. En 1997 au Mali, le Conseiller juridique du Ministère de la Santé déclarait que : « l’excision pourrait être source, pour certaines populations féminines de bien être mental et social » et de citer le cas d’une étudiante de troisième année de pharmacie qui, lasse d’être marginalisée et ridiculisée (car impure) par sa communauté a choisi de se faire exciser (6). Heureusement, malgré l’attachement à cette pratique de certains groupes ethniques, on note quelques changements de comportements et les hommes commencent a épouser des femmes non excisees.

LES TENTATIVES ABOLITIONNISTES

Quant aux perspectives d’éradication, dès la fin du XIXe siècle des écrits font état de vaines tentatives abolitionnistes qui ont parfois donné lieu à Lies révoltes sanglantes de la part des indigènes (7).

Depuis les années 1940, des états africains ont tenté de dénoncer, voire d’interdire l’excision. Ces souhaits abolitionnistes n’ont guère été entendus. La plupart de ces pays qui désirent légiférer en la matière, ne parviennent guère à dépasser le stade de projets de loi. Peu d’états disposent d’une législation particulière (ce sont essentiellement la Sierra Leone, le Ghana, le Kenya…) Beaucoup s’interrogent sur l’efficacité de la répression dans un domaine ou surtout dans les villages la coutume a encore droit de cité ?

Pour ce qui concerne les pays occidentaux, certains ont adopté des lois spécifiques, c’est le cas de la Suède en 1982, la Suisse en 1983, l’Angleterre en 1985, et en 1996 les Etats-Unis et l’Australie. Depuis 1993, le Canada accorde le droit d’asile aux femmes menacées de mutilations génitales. Les Pays-Bas, avec l’arrivée des réfugiés Somaliens qui pratiquent l’infibulation, ont longtemps hésité entre prévention et répression. L’Italie quant à elle a fait le choix d’autoriser la clitoridectomie dans les services publics hospitaliers (8).

Paradoxalement, la France qui n’a jamais légiféré, malgré l’opportunité faite au législateur lors de la parution du nouveau code de procédure pénale, a lancé la machine judiciaire dès 1984 avec des procès devant les tribunaux correctionnels et depuis 1989 en Cour d’Assises. L’excision avant été criminalisée en août 1983, après un arrêt rendu par la cotir d’appel contre une mère bretonne qui, clins un accès délirant avait exciser sa propre fille. Bien qu’aucune loi n’ait été votée, cet arrêt a fait jurisprudence et c’est ainsi que cette coutume est devenue criminelle dans notre pays.

L’EXCISION EST-ELLE UNE MALTRAITANCE ?

Incontestablement la réponse est affirmative. Malheureusement pour quelques ethnies, viscéralement ancrées dans la tradition, elle est encore, selon un proverbe yoruba (7), « la coupure qui sauve ». Dans les villages, les grands mères restent les plus acharnées et considèrent comme un déshonneur que leurs descendantes ne soient « pas coupées ». Aucun raisonnement ne prévaut contre cette obscure croyance.

Dans la pure tradition et l’éducation ésotérique qui l’accompagne l’intégration sociale passe par certaines initiations. Pour être reconnu membre à part entière, on impose aux individus des rites d’intégration, ou pour reprendre la théorie de A. VAN GENNEP (9) des « rites de passage ». Le plus souvent ce sont des rites individuels ou collectifs qui reproduisent de manière immuable ce qui a été transmis par les ancêtres. Parmi ces actes initiaierrient violents, certains se sont commués en rituels purement symboliques. Pour d’autres, la violence physique perdure. C’est le cas des scarifications (qui peu à peu tendent à disparaître), de la circoncision et de l’excision, sujet qui nous préoccupe dans le présent article.

Au nom de la culture, on ne peut banaliser cette coutume transgénérationnelle. Il est nécessaire de chercher à comprendre, (ce qui ne veut pas dire cautionner ou excuser) le fondement de la résistance socio-culturelle à abandonner cette pratique qui se perpétue au delà du continent africain dans les pays d’immigration.

LA LUTTE CONTRE L’EXCISION EN AFRIQUE ET EN OCCIDENT.

A lui seul, L’exemple Egyptien traduit la complexité de la lutte pour l’éradication de l’excision. Depuis 1978 date à laquelle l’excision fut interdite dans les services hospitaliers, l’Egypte oscille entre interdiction et légalité. En 1994, elle est à nouveau autorisée par décret, à condition d’être pratiquée à l’hôpital. Puis elle est interdite en 1996 pour redevenir légale en juin 1997 dans les hôpitaux afin d’éviter des drames provoqués par l’incompétence des barbiers. Ce seraient des médecins réactionnaires et quelques intégristes religieux qui seraient à l’origine de cette décision. Pour le gynécologue Mounir FANZI, l’excision « serait hygiénique » et permettrait de limiter le désir sexuel de la femme a « un niveau iraisonnable » (En Egypte l’excision redevient légale – Libération 25 juin 1997). De vives réactions ont surgi avec cette nouvelle légalisation et à l’heure où paraîtra cet article, l’excision pourrait être interdite une nouvelle fois.

La lutte contre l’excision a dans de nombreux pays africains éveillé l’attention des pouvoirs publics. Les pays concernés, signataires pour la plupart de la convention internationale de 1989, relative aux droits de l’enfant, sont soucieux d’élaborer des programmes d’action pour accélérer l’élimination de cette pratique. Ils sont plus frileux pour promulguer une loi. Ainsi en mai 1994, plusieurs Ministres africains de la santé réuni au Caire avaient estimé inutile de légiférer pour interdire l’excision. Lors de cette réunion, le Sous-Secrétaire d’Etat égyptien au ministère de la santé, Nadil NASSAR déclarait : « il serait absurde de promulguer des lois qui ne seraient pas mises en oeuvre » et d’ajouter : « l’excision est une tradition, il est difficile de contraindre les familles à ne pas exciser leurs filles ».

Presque tous ces pays n’ont pas encore voté de loi. A la répression, ils préfèrent opter pour la prévention via des campagnes de sensibilisation et d’information. Tous sont conscients qu’il s’agit d’une oeuvre de longue haleine pour parvenir à changer les habitudes, les mentalités, les comportements. Au début de l’année 1996, huit pays africains de l’ouest partaient à l’assaut de ce tabou lors d’une rencontre à Ziguinchor au Sénégal. Le ministre Bissau guinéen de la promotion féminine et de l’Action sociale, Monsieur Assane DIOP qui co-présidait cette rencontre avec son homologue sénégalaise Madame Aminata MBENGUE NDIAYE ouvrait cette journée en engageant les pays africains à relever le défi suivant : « faire de l’éradication de l’excision un objectif commun Pour l’an 2000 » (10).

L’organisation Mondiale de la santé, a elle-mème cheminé dans plusieurs prises de positions. Nous reprendrons ici les plus récentes : En 1994, l’OMS remettait en question les efforts déployés dans le passé et souvent entravés par l’utilisation d’un langage inapproprié empreint de sensationnalisme et plein de distorsions  » … Nous ne sommes pas là pour critiquer ou condamner. Mais nous ne pouvons pas non plus rester passifs au nom d’une version affadie du multiculturalisme, a estimé le directeur général de l’OMS » (11).

Le Directeur Général de l’époque, le Docteur Hiroshi NAKAJIMA préconisait la mise en place de rites de substitution destinés à remplacer ces mutilations. Il soulignait alors :  » pour que les gens acceptent de modifier leur comportement, il faut que les pratiques nouvelles proposées aient un sens pour eux… Il faut convaincre les gens, y compris les femmes, qu’ils peuvent abandonner une pratique particulière sans pour autant abandonner des relations chargées de sens à l’intérieur de leur propre culture.  »

En novembre 1997, lors d’un colloque à Dakar sur le thème « pratiques traditionnelles ayant des effets néfastes sur la santé des femmes et des enfants », l’OMS s’attaquait aux croyances traditionnelles avec la déclaration du Directeur régional de l’OMS pour l’Afrique : « les mutilations sexuelles et notamment l’excision doivent disparaitre -. Le Docteur SAMBA dit avoir commencé à combattre ces pratiques il y a 33 ans ; lorsque j’étais chirurgien, dit-il « j’ai vu des enfants et des femmes infectés et tués par l’excision, une pratique qui date de plus de 3000 ans » et il ajoute sa conviction « que le développement du continent africain passe par la protection des femmes qui constituent 53 % de la population, en leur donnant leurs droits et en bannissant certaines pratiques qui ont des effets néfastes sur la santé » (12). A travers toutes ces déclarations d’hommes politiques, de médecins, de membres d’organisations internationales, on perçoit clairement les hésitations et les difficultés à s’attaquer à ce sujet encore tabou.

LA MÉDICALISATION UNE SOLUTION CULTURELLE ?

Dans toutes ces alternatives, certains prônent la médicalisation, c’est le cas de l’Italie en Europe. Dans les années quatre-vingt, des médecins anglais auraient, dans des cliniques privées de Londres, excisé des femmes surtout originaires du Nigeria, toujours pour « des raisons culturelles ou psychologiques. »(13)

L’Afrique n’échappe pas à cette tentation rassurante pour les conditions d’asepsie en milieu hospitalier et rassurante quant aux risques de mortalité. Dans le privé, certaines sage femmes reconnaissent que compte tenu des complications médicales qu’entrainent cette intervention, elles avouent préférer opérer elle même, pour éviter aux femmes de recourir à l’exciseuse qui utilisent le couteau ou la lame de rasoir. Rappelons nous que l’Egypte vient de l’autoriser en milieu hospitalier.

La médicalisation de l’excision tendrait plus à la perpétuer qu’elle ne l’aiderait à disparaitre. Pour cela elle ne peut être une réponse culturelle, ni représenter un moyen terme vers l’abandon de cette prescription autocratique des aïeules. Elle est, pour reprendre le commentaire d’une avocate de l’Association Enfance et Partage une « façon confortable de se débarrasser du problème ».

LES PROCÉS D’EXCISION

En France, depuis que l’excision a été criminalisée en 1983, un certain nombre de procès se sont déroulés dans les cours d’assises (essentiellement celles de Paris et de Bobigny). Sans entrer dans les détails d’audiences, l’exemplarité préconisée par les acharnés de procès, n’a guère porté ses fruits. Certes les condamnations, le plus souvent avec sursis en ont découragé certains pour ce qui est de l’excision sur le territoire français, mais pour autant le problème n’est pas réglé.

Geneviève GIUDICELLI-DELAGE, professeur de droit a l’université de Poitiers pense que  » la voie judiciaire a fait trop grand fi du conflit des cultures et pour cette raison, elle présente faiblesses et risques » (14). Elle y voit deux faiblesses « la première est une vision faussée de la réalité culturelle, un procès de la normalité pourrait s’intituler la deuxième faiblesse ».

Depuis 1995, il y a toujours des affaires d’excision mais les procès se sont raréfiés. Des vices de procédure stoppent beaucoup d’instructions de dossiers. Pour les parents, les condamnations se sont réduites à des peines avec sursis, à quelques cas de prison ferme (une année) avec de grands aménagements dans l’application des peines, et même à deux acquittements au grand dam des parties civiles.

Si ces procès n’ont pas réellement apportés les résultats escomptés, c’est qu’il existe un fossé entre la loi et la reconnaissance de la loi. Toute la difficulté réside dans la manière de poser l’interdiction. En effet, la compréhension d’une interdiction et de la sanction qui l’accompagne nécessite que l’acte réprime soit considéré et intégré comme une faute, selon un même code culturel de référence, d’ou la complexité du message. La difficulté majeure étant de comprendre le pourquoi de l’interdiction et de l’intérioriser. Malgré la répression, des exciseuses sévissent encore dans certaines banlieues et arrondissements de Paris. En 1990 lors d’un travail de réflexion sur l’impact des condamnations en milieu soninké, Jean Thierry MAERTENS ethnologue et psychanalyste (Enseignant au Québec, auteur d’un essai d’antropologie des inscriptions génitales : ritologiques II « Le corps sexcionné » – Paris. Aubier. 1998) affirmait que « l’excision pratiquée dans le cadre de l’immigration était un problème d’intégration avant d’être un problème d’interdiction ». C’était aussi, en janvier 1992, la conclusion des sages dans leur rapport du Haut Conseil à l’Intégration.

La criminalisation n’est peut être pas la solution la plus adaptée. En écrivant cet article, il nous vient en mémoire la réflexion d’un juriste burkinabé, dont les soeurs avaient été excisées et qui à propos de la criminalisation disait :  » si on fait l’hypothèse qu’idéologiquement l’excision fait partie du processus de domination de l’homme sur la femme, alors la cour d’assise la rend doublement victime : victime, en tant que femme puisque dominé par l’homme mais aussi victime, en tant que mère devenue criminelle, jugée et condamnée comme telle  » Il nous semble que cette réflexion de la part d’un homme africain nous donne à penser.

Pour autant, cela ne veut pas dire qu’il faut laisser exciser les petites filles africaines sur notre territoire, ni en dehors d’ailleurs.

Si la cour d’assises dont les condamnations (qu’elles soient fermes ou avec sursis) peuvent être dissuasives pour certaines, elles n’ont aucune visée pédagogiques car elles imposent mais ne proposent rien. Nous pensons ici plus particulièrement à l’exemple de Dalla FOFANA première femme malienne (soninke) a avoir éte jugée en Assise, et à sa totale incompréhension des raisons de l’interdiction d’exciser en France ce après plusieurs années de procédure et trois jours de procès, très médiatisés. (15)

Un avocat de la défense dans plusieurs procès, trouvait que les procédures en assises étaient trop lourdes, il préconisait un jugement en correctionnelle. Il pensait à une peine de principe qui serait avant tout un avertissement solennel. Cet avertissement pourrait plus aisément être repris, devenir pédagogique et pourrait amener les parents à mieux comprendre les raisons de l’interdiction, se les approprier pour mieux les intérioriser et repenser cette coutume pour pouvoir la dépasser.

Alors comment convaincre les populations concernées des dangers de cette pratique ? Toute la difficulté reste fixée à cette question. Nos procès ne semblent pas avoir fait école en Europe, ni en Afrique ou comme nous l’avons vu les lois ont du mal à voir le jour. Les moyens recherchés sont entravés d’obstacles qui nous ramènent à notre dilemme initial. D’un côté l’attitude universaliste avec les procès, leurs condamnations – condamnations, synonyme pour beaucoup d’africains du rejet de toute leur culture. Et pour avoir assisté à la plupart des audiences, nous pourrons témoigner de propos tenus sur l’universalisation des valeurs occidentales avec en toile de fond l’image du barbare et du civilisé. De l’autre, l’attitude culturaliste : le laisser-faire, fermer les yeux encourager ou même défendre l’excision au nom de la différence culturelle, comme a osé le faire Tobie Nathan, ethnopsychanalyste. En février 1995, il écrivait dans la revue  » Sciences et Vie  » L’excision pose d’énormes problèmes aux cliniciens. En effet, nombre de petites filles africaines, qui vivent en France et ne sont pas excisées, présentent de graves troubles. Or seul le rituel de l’excision permet de les soigner, de les reconstruire… « L’excision est en quelque sorte un mécanisme de prévention mentale, un bénéfice social extraordinaire, que la Société française devrait d’urggence reconsidérer ». Ces propos furent, tardivement vivement critiqués dans un article de presse (16).

Un compromis est-il donc possible ? Pour cela c’est vers l’Afrique et plus particulièrement vers le Sénégal que nous connaissons mieux que nous devons nous tourner. Dans ce pays, depuis les années 1980, des associations luttent contre la pratique de l’excision. C’est le cas par exemple du Comité National sur les pratiques néfastes à la santé de la femme et de l’enfant (CO SE PRAT, crée en février 1984) qui organisent des campagnes d’information et de sensibilisation – campagnes orientées en 1992 vers les risques de transmission du virus du Sida pendant l’intervention.

Dans certaines regions des séminaires ont été organisés réunissaient des politiques, des associations mais aussi, chose impensable quelques ,années auparavant, des chefs religieux et des exciseuses (par exemple le séminaire de Kolda en Casamance fin 1994).

Ces rencontres sont porteuses d’espoir. En effet, les chefs religieux sont des personnages incontournables pour lever toute l’ambiguïté islamique et dissuader les populations irréductibles sur cette question. Au même rang, les exciseuses restent à convaincre pour arrèter la pratique de cet acte. Pour la première fois, dans les séminaires il a été envisagé l’aspect économique, en étudiant la possibilité de leur reconversion dans les soins de santé primaire.

Peu à peu les conclusions de ces séminaires portent leurs fruits. Si beaucoup de chefs religieux sont encore réticents à prendre position devant leur communauté, d’autres s’engagent dans la lutte. C’est le cas d’El Hadj Mahamadou DIA venu en France parler aux émigrés halpular. « Texte à l’appui il a su réfuter une pensée populaire qui veut que l’excision et l’infibulation soient des pratiques ante islamiques, tolérées et recommandées »(17). L’Imam du Village bambara de NGERIGME, Malamine DIAGNE a lui aussi déclaré : « Il n’existe aucune référence explicite à cette pratique dans les enseignements du Prophète. La loi islamique range l’excision parmi les rites de bienséance au même titre que se couper les ongles » (18). Un autre Imam, Amadou TOURE avoue ne pas avoir fait exciser ses filles en expliquant qu’il ne s’agit pas d’une obligation.

Quant à Malimine DIAGANE il va au delà en avançant « Les mythes et les tabous existaient bien avant le prophète. Ce n’est pas l’Islam qui les a imposés, ce sont les hommes pour contrôler leurs épouses… Comme les parents qui disent a un enfant qu’il y a des hyènes sur la route pour lui faire peur et l’empêcher de sortir, alors que ce n’est pas vrai les hommes ont placé des interdits dans la vie des femmes en invoquant l’Islam » (19).

Il faut ici souligner l’importance des trois dernières déclarations de guides spirituels car il venaient donner leurs bénédictions et soutenir les femmes du village bambara de MALICOUNDA (situé en brousse à une heure de Dakar et près de la ville de M’BOUR sur la petite côte, paradis des touristes européens) et de NGERIGNE (près de Thiès) qui ont décidé de poser leurs couteaux, et d’abandonner cette tradition porteuse de danger. Cette décision est l’aboutissement d’un long et difficile travail, s’échelonnant sur plusieurs années avec une 0NG américaine, l’aide du gouvernement sénégalais et le soutien de l’Unicef.

Une goutte d’eau dans un océan diront certains. Mais nous pouvons retenir l’exemplarité de cette décision. C’est une première – qui permet de lever un tabou – de pouvoir aborder cette question même si d’autres pensent que ces femmes se « tubabisent » (deviennent comme les blanches) en les accusant de « brader la tradition, de propager des idées étrangères ou encore s’être laissé acheté » (19) vendues aux blancs pour de l’argent (18). Le gouvernement sénégalais quant à lui « aurait une belle carte a jouer dans cette affaire mais il garde un profil bas qui contraste avec ses prises de position officielles » (19). Le soutien des chefs religieux a aussi permis de lever le tabou de la religion.

De passage au Sénégal en juillet dernier, nous avons pu constater que la presse s’était fait écho, de ce qu’il est commun d’appeler maintenant « le serment des femmes de Malicounda » ; et qu’ici et là on en parle, on commente cette prise de position, porteuse d’un grand espoir de voir un jour disparaître cette coutume.

Dans le dilemme qui nous préoccupe, cet exemple, qui avec le temps peut faire tâche d’encre, laisse penser que l’abandon de l’excision est, à plus ou moins long terme, possible. Il tombe à point nommé pour être repris la bas comme ici dans le cadre de la prévention, dans les campagnes de sensibilisation. Un exemple opportun pour reprendre le dialogue en dehors de toute répression.

BIBLIOGRAPHIE

1 – WAISBARD SR.

Les indiens Shamas de l’ULAYA-LI et du TAMAYA -L’ethnographie – Paris nouvelle série 53. 1958 – 1959 page 18 à 74.

2 – Renée SAUREL

L’enterrée vive – essai sur les mutilations sexuelles Éditions SLAKINE 1981 (page 18 à 74).

3 – Andrew SCULL et Diane FAVREAU

Médecine de la Folie ou Folie de la médecine controverse à propos de la chirurgie sexuelle au XIXe siècle. Acte de la recherche en sciences sociales n° 68 – juin 1987.

4 – Mireille IRVOAS

Les mutilations sexuelles féminines – Thèse Doctorat en Médecin Paris XII

5 – Marcel GRIAULE

Dieu d’eau – 1966

6 – Difficile croisade contre l’excision – Jeune Afrique Économie n° 247 septembre 1997

7 – Michel ERLICH

La jeune blessée essai sur les mutilations sexuelles. Edition l’Harmattan, Paris

8 – Excisions « officielles » en Italie : Le Monde du 24 février 1988. (jean Pierre LECLERC).

9 – Arnold VAN GENNEP

Les rites de Passages – Paris Nourry 1909 – edition Picard 1981.

10 – SADIO Moussa

Le Soleil – (Journal senégalais du 10 janvier 1996)

Il – Afrique Express – mai 1994

12 – Afrique Express – 27 novembre 1997

13 – Le Quotidien du Médecin octobre 1982 (Pierre DAGUERRE).

14 – Geneviève GIUDICELLI-DELAGE Excision et droit Pénal– Revue Droit et Culture- ERASME 1991.

15 – Marie-Jo BOURDIN Les Blancs ont dit c’est pas bon pour les filles – Accueillir n° 1995 mars avril 1994.

16 – La dérive de l’ethno-psychiatrie – Libération -10 juin 1997- Alain POLICAN Directeur des Cahiers Naturalistes.

17 – Difficile croisade contre l’excision – Jeune Afrique Economie 1 au 14 septembre 1997, Ali BIYO- Moussa PAYE- Jeanne TIETCHEU et Gilbert TCHOMBA

18 – Point de vue 23/29 décembre 1997 (Raphael MONATA)

19 – Le serment de Malicourida– Le Monde du 14 octobre 1997 – Roland Pierre PARINGAUD

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