« Pas d’Arabes au Capitole ! » Ce slogan, lancé par des partisans du candidat Philippe Douste-Blazy en pleine campagne électorale des municipales de mars 2001, les Motivées de Toulouse ne l’ont toujours pas digéré. Un an après, dans un petit recueil de témoignages à voix multiples, Motivés, motivées, soyons motivées, rédigé « de l’intérieur » par Fabien Maguin et Fred Lisak, leur tête de liste Salah Amokrane accuse encore le coup : « Pendant la campagne, déjà, j’avais reçu une quinzaine de lettres d’insultes ; ça ne m’était jamais arrive.
Mais cette semaine entre tes deux tours, avec ces ‘Pas d’Arabes à ta mairie, m’a complètement cassé. [ … ] On se bat depuis trente ans pour dire qu’on est français, et puis voilà… » Le ton est aussi à l’autocritique : « On a eu tellement peur de passer pour des communautaristes, que du coup on a oublié ce thème (ta défense des immigrés) dans ta campagne On n’a pas osé, on a eu tort. »
« Si on avait assumé comme les féministes ont pu le faire sur leurs propres luttes, Motivées dans son ensemble aurait porte’ notre parole », ajoute-t-il. « Notre » parole, c’est celle des Arabes, une identité qui en la circonstance englobe les Kabyles, les Noirs, les immigrés, de nationalité française ou non. Comme pour vérifier si la toute récente communauté d’expérience des Motivé-e-s était capable de porter cette soudaine et forte affirmation identitaire, Salah Amokrane a insisté pour récidiver à l’occasion des législatives de 2002. Résultat : au premier tour, ils font un score non négligeable de 8 % dans une circonscription du centre-ville de Toulouse. Mais on est loin de la dynamique des municipales, couronnée par un score de 12,38 % et l’élection au deuxième tour de quatre conseillers municipaux d’opposition dans le cadre d’une liste de « coalition’ avec la gauche plurielle, La relative discrétion de cette deuxième campagne contraste avec l’irruption sur la scène politique de ceux et celles qui n’ont pas voulu être pris pour des « têtes de dindons » ou des « langoustes », comme l’ont scandé Madjyd Cherfi et le groupe Zebda dans « Allez ouste », le tube de l’entre-deux tours des municipales distribué sous forme de CD à douze raille exemplaires.
La réalité est amère : tout le monde n’a pas suivi. Au-delà des réticences à l’égard d’élections à dimension nationale et du sentiment d’un certain reflux après l’euphorie, l’engagement en demi teinte dans ces législatives témoigne d’un trouble persistant chez beaucoup à l’idée de s’identifier pleinement à un candidat issu de l’immigration maghrébine, porteur à la fois d’intérêts spécifiques et de l’intérêt général.
Cette défiance plus ou moins consciente vis-à-vis de l’altérité, des Arabes, perçue comme douteuse ou irréductible et donc, incompatible avec le mythe républicain français, éclaire sous un autre jour les interrogations autour de la nature de la liste Motivé-e-s, et du refus initial de réduire son image publique à « la liste Zebda » ou à une « liste des quartiers ».
Les auteurs de Motivés, Motivées, seyons motivées racontent, « sans volonté de pousser l’analyse trop loin », la genèse du mouvement et sa montée en puissance. Dans le dédale des origines, où s’entrecroisent squatteurs et acteurs culturels, travailleurs sociaux et associatifs anti-Le Pen, nouveaux syndicalistes, militants antimondialisation et autres sans (sans-papiers, sans-logis et sans-travail), ils soulignent que l’impulsion déterminante provient bien du désormais célèbre groupe Zebda et de son association, le Tactikollectif. Le ‘IhctW’ est entré en politique comme, par effraction. En effet, les jeunes du quartier des Izards (à Toulouse) qui, en 1985, avaient monté le groupe de rock Zebda Bird pour les besoins d’un petit film de l’association Vitécri, ne supportaient plus d’être montrés comme les « singes savants » de la nouvelle politique sociale et culturelle des quartiers, ni comme les « enfants chéks » de sa « dame patronnesse » locale, Françoise de Veyrinas WDF). Pour s’affranchir de ces tutelles et avoir « une véritable indépendance financière, datte d’action », ils laissent tomber l’association de quartier traditionnelle et créent le Tactikollectif. En 1997, leur CD « Motivés » est un succès. La chanson- titre éponyme est la reprise d’un texte de Joseph Kessel et Maurice Druon, chanté par les partisans pendant la guerre de 1939-1945 (« Le Chant des partisans »). Cette nouvelle dynamique permet au collectif de se passer de subventions. C’est même lui qui, désormais, subventionne nombre d’actions culturelles des associations locales !
Politiquement, en lançant Vidée d’une liste aux municipales, le Tactik entend rompre avec la logique des partis et des chapelles, quand bien même ils y comptent des amis, comme à la LCR ou chez les Verts, « On, veut faire ta différence avec des gens qui n’ont pas l’habitude de partir organisés, avec un discours précis », dit Madjyd Cherfi. Un engagement individuel prévaut, et comme on n’a pas réponse à tout, il est permis de « douter ensemble ». La culture n’est plus un alibi mais une composante à part entière de l’action politique. Le journaliste Jean-Paul Besset (7but-7bulouse, Le Monde) explique en quoi, selon lui, il ne s’agit pas d’une « candidature de témoignage » à la différence des « listes d’Arabes », comme le dit alors Tayeb Cherfi du « l’actik » ; « Il y avait une dynamique culturelle, donc politique, de par le ralliement d’un certain nombre d’individus porteurs d’histoire, de secteurs d’opinion. Il y avait là en germe un nouveau paysage politique, à la fois très diversifié et très singulier. »
Du Tactik à Motivées, on « commençait à être envahi par lés intellectuels, les travailleurs sociaux ou associatifs » tempère Abdel, chômeur, qui participe alors à une tournée des quartiers « . Problème : les jeunes ne sont plus vraiment perçus comme des acteurs-citoyens conscients, mais comme des gens dont il faut faire l’instruction civique, par exemple pour les inciter à voter. Cette tendance à donner la leçon, en contradiction avec les idéaux proclamés des Motivées, ne pouvait qu’aller dans le mur. D’autant que, dans leur programme électoral, l’absence de références à la lutte contre les discriminations ou à la condition ouvrière d’aujourd’hui est par trop flagrante. Cela, le livre ne le dit pas, mais ses auteurs reconnaissent la « nécessite de formaliser, de mettre en ordre des idées », au contact d’autres expériences. C’est aussi pour cela que Motivées organise des Diversités d’été, et participe à un réseau national, l’Inter-locale.
Mogniss H. Abdallah