Philippe STAB, Pascal STACCINI, Michel LAMBOTIN, Patrick RAMPAL, Franck M’MADI & Dominique PRINGUEY : « La téléconsultation en psychiatrie : évaluation d’une expérience originale dans le haut-pays niçois »

Thèse de médecine, 2001. Université Louis Pasteur, Strasbourg.

Philippe STAB : Hôpital local de Tende, Alpes-Maritimes, France.
Pascal STACCINI : Département STIC, Faculté de Médecine de Nice, France.
Michel LAMBOTIN : Service de Psychiatrie et Psychologie Médicale, CHU de Nice, France.

Abstract : telepsychiatry could be defined as the use of videoconferencing to deliver psychiatric care to distant patients. If this applying of telemedicine is becoming more widespread in the United States, in Australian and in Canadian countries, it remains a few unknown in France. The first experiment of teleconsulting in psychiatry has been settled in october 1999 between physicians and patients, respectively from the university hospital of Nice and the hospital of Tende located in the surrounding mountains of Nice. Every week, a psychiatric physician meets his patients by the means of a videoconferencing equipment provided by the university of Nice. This paper reports the methodology and the first results of this experiment. It describes the activity and gives a proposal of basic rules for a hospital to provide this telecare service.

Keywords : telemedicine ; Remote consulting ; Psychiatry

Introduction.

L’American Psychiatric Association (APA) définit la télépsychiatrie comme l’utilisation des nouvelles technologies d’information et de communication (NTIC) comme support aux soins cliniques et psychiatriques [1]. Cette définition fait référence de façon très large à toutes les modalités techniques comme le téléphone, la télécopie, le courrier électronique, le réseau Internet et la visioconférence en temps réel. Plus proche de nos préoccupations en matière de téléconsultation par visioconférence, Brown [2] propose de qualifier la télépsychiatrie comme l’utilisation des NTIC pour relier simultanément et en temps réel un patient et un professionnel de santé mentale, ou deux professionnels de santé, au travers de la visioconférence, permettant ainsi la réalisation d’une activité diagnostique, thérapeutique, formative ou toutes autres activités de soins. Cette pratique de téléconsultation reste encore méconnue dans notre pays à ce jour. La première expérience française de téléconsultation en psychiatrie a été mise en place à l’hôpital local de Tende (chef-lieu de canton de l’arrière-pays niçois) en Novembre 1999. L’objectif était d’améliorer l’accès au soins et le suivi de patients éloignés des centres psychiatriques spécialisés, localisés dans une zone géographique difficile d’accès en hiver. Grâce à ce dispositif de prise en charge, un psychiatre du pôle médico-universitaire de Nice peut chaque semaine recréer « le colloque singulier » avec un patient tendasque par le biais de la visioconférence.

Avec l’évaluation de ce projet pilote nous avons souhaité vérifier la faisabilité organisationnelle et technique d’une telle démarche, décrire l’activité du praticien, recueillir les impressions du patient et de son thérapeute, en précisant les avantages et les limites de l’introduction de cette nouvelle médiation pour le patient, le thérapeute et la société.

2. Les expérimentations en télépsychiatrie.

Les débuts de la télépsychiatrie se confondent avec les débuts de la télémédecine aux USA en 1958. A cette date, un service médical fonctionne sur la base d’un lien par ondes hertziennes reliant deux psychiatres de l’Université du Nebraska à 8 groupes de 4 à 5 patients hébergés chacun dans une institution psychiatrique éloignée de 160 kilomètres environ [3]. L’expérience de Wittson compte à son actif plus de 300 heures de sessions cliniques. Elle fut interrompue du fait de son coût exorbitant (plus de 48 000 $ par an).

Les conclusions montraient déjà la facilité d’acceptation par les utilisateurs et la pertinence de la technique vidéo pour les consultations et les enseignements cliniques. C’est également à cette époque que la Nasa et le service de la Santé Publique mirent en chantier un système visant à apporter des soins de santé décentralisés sur tout un vaste territoire situé dans la partie sud-ouest des Etats-Unis, la réserve des Indiens Papagos [2]. Ce système de vidéo interactive devait permettre, à l’époque, de tester en vraie grandeur les technologies de télécommunication de pointe en matière de soins médicaux devant être prodigués aux astronautes du programme spatial. Même si la réussite fut totale, le développement de la télépsychiatrie a suivi celui des NTIC : chaotique, sporadique et expérimental dans les années 1960-1970 ; sur le déclin dans les années 1970 à 1980 pour connaître un réel essor à partir de 1990 avec le perfectionnement des logiciels et des techniques de visioconférence, l’apparition des réseaux numériques et la diminution des coûts d’investissement et de fonctionnement. A titre d’illustration, citons Brown [2] qui ne recense en 1995, soit après 30 ans de développement aux Etats-Unis, que 9 projets de télépsychiatrie (dont six sont réellement opérationnels), et qui concernent des programmes d’enseignement pour les psychiatres, les médecins généralistes, les infirmières et autres travailleurs sociaux. Progressivement ces programmes on laissé la place à l’activité clinique pure de téléconsultation, qui reste peu importante avec seulement 504 téléconsultations recensées jusqu’en 1995. Aujourd’hui, ce sont plus de 25 programmes de télépsychiatrie qui sont identifiés sur le territoire avec quelques 3460 téléconsultations répertoriées. Ce chiffre passe même à 8640 téléconsultations par an en 1999 [1].

Le développement de la télépsychiatrie depuis cette époque se mesure aussi par l’engagement des professionnels de la santé : le nombre de psychiatres impliqués dans les programme de télépsychiatrie est passé de 4 en 1990 à 80 en 1998. Brown explique cet engouement par plusieurs facteurs [2] :

1) amélioration technologique du matériel de visioconférence ;

2) baisse des coûts de ce même matériel ;

3) meilleure implication des autorités de tutelle. Bénéficiant ainsi d’un meilleur cadre organisationnel avec l’APA, les projets de télépsychiatrie se sont multipliés depuis 1995. Vinikor [4] utilise la télépsychiatrie dans le suivi de patients alcooliques. Les patients jugeaient à 95% la téléconsultation plus aisée qu’une consultation classique et désiraient continuer leur suivi par visioconférence dans 55% des cas. Frieden [5] rapporte l’usage de la visioconférence pour apporter un soutien psychiatrique aux patients sourds avec un psychiatre qui parle la langue des signes. Notons également l’utilisation de la télépsychiatrie en médecine pénitentiaire reliant des Départements de Psychiatrie de l’Hôpital de Boston aux prisons avoisinantes [6] sans oublier de citer les applications militaires de suivi psychiatrique des troupes engagées sur les différents fronts.

Les Etats-Unis ne sont pas le seul pays à avoir développé les téléconsultations en psychiatrie. Quelles que soient les réalisations, la motivation initiale était liée au facteur géographique et à l’isolement des populations ciblées. L’exemple Australien est le plus abouti, avec la création d’un département de télépsychiatrie au sein du service de santé mentale du sud australien. Ce dernier enregistre plus de quatre mille téléconsultations à son actif [7].

3. Matériel et méthode.

Notre méthodologie d’évaluation s’appuie sur deux questionnaires destinés aux patients et au psychiatre, visant à évaluer les indicateurs d’activité, les indicateurs de fonctionnement et les indicateurs de résultats de ce mode de consultation. Un troisième questionnaire apprécie la perception et l’impact de cette téléconsultation sur les médecins généralistes de la vallée. L’étude, menée sur 12 mois, (novembre 1999-novembre 2000), a concerné 8 patients du haut pays. Sept patients sur huit ont profité d’un télésuivi et un patient a bénéficié d’une téléexpertise diagnostique à la demande du médecin de l’hôpital local.

4. Résultats.

L’âge de ces patients varie entre 20 et 80 ans. Les pathologies en cause lors de cette expérience sont majoritairement des syndromes anxio-dépressifs (6 patients sur 8). Les autres pathologies et pathologies associées sont principalement : l’alcoolisme, l’agoraphobie, des crises d’angoisse paroxystique et des épisodes délirants. Un total de 25 téléconsultations représentant 18 heures de visioconférence ont été menées à bien. Une téléconsultation dure entre 20 et 50 minutes. La fréquence de téléconsultation par patient varie de 1 fois par semaine à 1 fois par mois. L’organisation mise en place proposait deux rendez-vous hebdomadaires.

La technique a été évaluée selon 5 axes : la qualité vidéo, la qualité audio, la synchronisation image/son, la fréquence des dysfonctionnements et leurs conséquences immédiates sur la consultation :

- La qualité vidéo est jugée satisfaisante par 5 patients sur 7, moyennement satisfaisante par 1 patient. Un patient ne s’est pas exprimé.

- La qualité audio est jugée satisfaisante par 3 patients sur 7, moyennement satisfaisante par 3 sur 7.Un patient ne s’est pas exprimé.

- La synchronisation audio-vidéo est jugée moyennement satisfaisante par 4 patients sur 7 et satisfaisante par 3 patients sur 7.

- Des problèmes techniques sont apparus souvent ou assez souvent chez 6 patients, mais n’ont dérangé que 3 patients. Devant la fréquence des dysfonctionnements, nous avons changé notre matériel en cours de projet. Le nouveau matériel a été jugé satisfaisant sur tous les paramètres. Les dysfonctionnements ont disparu.

La qualité et le résultat de la prise en charge ont été évalués. La qualité de la prise en charge est jugée par le patient sur sa faculté d’interagir et sur le bénéfice clinique mesuré sur l’écoute, la compréhension et l’aide ressentie par le patient :

- la faculté d’interagir est jugée bonne par 5 patients et très bonne par 1 patient (2 n’ont pas souhaité s’exprimer)

- l’écoute a été très majoritairement appréciée, comme la compréhension et l’aide.

- autre critère de la qualité de la prise en charge, la meilleure accessibilité au spécialiste est évoquée unanimement.

- le psychiatre consultant de l’étude juge satisfaisante la réponse soignante qu’il a apportée à ses « télépatients ».

Le résultat de la prise en charge a été apprécié sur l’aide, les progrès ressentis par les patients (utilisation d’une échelle visuelle analogique) et leur satisfaction globale :

- l’aide est appréciée à 8/10.

- le progrès est apprécié à 8/10.

- 5 patients se déclarent très satisfaits, un patient satisfait, un patient reste moyennement satisfait.

Nous avons également demandé aux patients de comparer téléconsultation et consultation en face à face :

- 6 patients sur 7 préfèrent utiliser la visioconférence que de se rendre chez le psychiatre à Nice ;

- 6 patients sur 7 préfèrent utiliser la télépsychiatrie que d’attendre un rendez-vous tardif en consultation en face à face ;

- aucun patient ne préfère la téléconsultation au face à face avec le psychiatre.

Discussion.

Si les limites de cette évaluation sont essentiellement liées au faible nombre de patients inclus, la poursuite de cette activité à ce jour, programmée une fois par semaine pour les patients déjà concernés, atteste de sa faisabilité technique, de sa bonne acceptation et de son acceptabilité clinique. D’autres facteurs doivent être mentionnés qui expliquent ce faible recrutement :

1) une difficulté à comprendre le rôle du médecin traitant dans cette partie à trois avec le médecin coordonateur local et le psychiatre distant ;

2) la disponibilité d’un seul psychiatre et d’une seule plage horaire hebdomadaire (2 consultations d’une heure) n’a pas motivé plus les médecins traitants à proposer ce type de suivi. De cette évaluation pragmatique peuvent cependant être proposés des conditions de mise en place d’une telle démarche, et ce à trois niveaux : l’organisation, les structures mises en relation et la technologie.

L’organisation requiert un médecin capable de coordonner le niveau local avec le centre hospitalier spécialisé de référence (lignes directrices et politique promotionnelle) Le médecin sera assisté – du moins dans la phase initiale – d’un technicien compétent dans l’utilisation et la maintenance des dispositifs de visioconférence numérique. Dans le déroulement des consultations, la prise de rendez-vous doit être bien codifiée. Il faut au minimum quatre créneaux de rendez-vous disponible en téléconsultation par semaine. La notion de « session d’introduction » est primordiale. La salle, le matériel et le concept de la téléconsultation doivent être présentés auparavant. La session est dirigée par le médecin coordinateur ou mieux par le médecin traitant. La salle du thérapeute sera filmée et présentée au patient. Cela renforce l’impression d’espace virtuel partagé entre le thérapeute et le patient. Une procédure en cas de panne doit être adoptée, avec mise à la disposition du patient d’un téléphone pour poursuivre l’entretien ou permettre au thérapeute de conclure en continuant de dialoguer avec le patient.

Concernant les structures de soins mises en relation, les salles de téléconsultation doivent être les plus chaleureuses et accueillantes possibles, recréant au mieux une salle de consultation classique. Le psychiatre devrait pouvoir intervenir dans la personnalisation de cette salle de consultation. La préservation de la confidentialité doit être la priorité première dans le choix des deux salles (insonorisation acoustique).

La technologie doit être la plus conviviale et la plus simple possible (ce qui n’est pas toujours compatible). Le plus haut débit doit être recherché pour assurer une qualité et un confort à la téléconsultation tant pour le patient que pour le thérapeute, avec une préférence pour les micros multidirectionnels. Le zoom à distance et le pilotage de la caméra patient par le thérapeute sont des options techniques intéressantes mais de maniement clinique délicat.

Sur le plan déontologique, dans le cadre de cette expérience pilote, la téléconsultation de psychiatrie entre un pôle de référence et un hôpital local en zone montagneuse peut être assimilée à une opération de téléassistance, telle que définie dans la directive du Conseil des Communautés Européennes du 31 mars 1992, relative aux « prescriptions minimales de sécurité et de santé pour promouvoir une meilleure assistance médicale à bord des navires » [8,9]. L’aspect médico-légal et juridique doit être affiné pour mieux décrire le rôle et la responsabilité des professionnels engagés dans la démarche.

Conclusion.

Dans le cadre de notre étude, la téléconsultation a diversifié l’accessibilité aux soins de santé mentale pour les patients des zones éloignées en préservant un niveau de qualité de soins. Dans ces zones reculées, le sentiment d’isolement et d’éloignement vis-à-vis des soins spécialisés ressentis par les médecins généralistes installés peut être aujourd’hui contrebalancé par la téléconsultation, lien permanent et interactif avec un pôle d’expertise. Pourtant, il semble que les médecins généralistes ont une perception réservée voire négative de ce nouveau mode de consultation. Même si les principes fondamentaux devant présider aux développements de la téléconsultation ont été posés, les aspects médicolégaux et juridiques restent à débattre tant sur le plan de la forme (téléconsultation), que du fond (la psychiatrie, la déontologie), et que de l’argumentaire (équité, économie, égalité des soins). La télé consultation ne remplacera jamais la consultation classique en face à face, mais, comme l’auguraient les expériences anglo-saxonnes citées au début de notre travail, elle est – à la disposition du thérapeute – un outil qui peut diminuer la distance entre le patient et son médecin, un outil qui aura sa place dans la médecine de demain.

Références.

[1] American Psychatric Association. Apa Resource Document On Telepsychiatry Via Videoconferencing. http://www.psych.org/pract_of_psych/tp_paper.cfm (dernière visite le 2/02/2002).

[2] Brown FW. A survey of telepsychiatry in the USA. J Telemed Telecare 1995 ; 1(1):19-21.

[3] Wittson CL, Benschoter R. Two-way television : helping the Medical Center reach out. Am J Psychiatry 1972 Nov ; 129(5) : 624-7.

[4] Vinikor RL, Perrault J. Alcohol follow-up counselling via interactive television. In : Parler LA, Olgren CH (eds). Teleconferencing and interactive media. University of Wisconsin. Extension Centre for Interactive Programs, 1980 ; 270-4.

[5] Frieden J. Telepsychiatry can improve care for rural deaf. Clinical Psychiatry News 1998 ; 26(1) : 30.

[6] Brown FW. Rural telepsychiatry. Psychiatric services 1998 ; 49(7) : 963-4.

[7] Hawker F, Kavanagh S, Yellowlees P, Kulucy RS. Telepsychiatry in South Australia. J Telemed Telecare 1998 ; 4 : 187-94.

[8] Directive 92/99/CEE du Conseil du 31 mars 1992. J.O.C.E.E. n° L 113/19

[9] Dusserre L, Allaert FA. La télémédecine est-elle légale et déontologique ? Informatique et Santé : Springer-Verlag France, Paris, 1996 (8) : 67-76

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