Pierre-André Michaud : Résilience à l’adolescence : un concept en (10) question(s)

Revue Médicale Suisse No -496

Contact de(s) l’auteur(s) : Pr Pierre-André Michaud Unité multidisciplinaire de santé des adolescents CHUV 1011 Lausanne Pierre-Andre.Michaud@ hospvd.ch

La résilience peut être comprise comme un processus dans lequel un ensemble d’attributs personnels et environnementaux sont mis en jeu, qui permettent à des enfants et des adolescents durablement soumis à une situation potentiellement pathogène de mener une existence satisfaisante et productive. Les individus résilients bénéficient d’un tempérament associant notamment sens des responsabilités, flexibilité, humour, séduction et créativité. A ces qualités s’ajoutent des caractéristiques environnementales, surtout l’existence de liens forts et significatifs d’une certaine durée avec un adulte de référence, la qualité du réseau social et notamment aussi du climat scolaire. Les soins aux adolescents peuvent utilement s’inspirer de ce concept : le travail sur les ressources de l’adolescent et de son environnement est particulièrement fécond à une période de la vie marquée par les processus d’autonomisation. Dans une large mesure, les approches de prévention et de promotion de la santé s’inspirent de la même philosophie. L’article conclut sur les limites et les enjeux éthiques de la résilience.

Dans les milieux médicaux et surtout socio-éducatifs, on fait appel de plus en plus souvent au concept de résilience, mais qu’entend-on par là exactement ?

Depuis plusieurs décennies, de nombreuses recherches centrées sur la santé des enfants et des adolescents ont fait appel à la notion de « comportements à risque » ou de « sujets à risque ». Ce glissement progressif dans l’utilisation du concept de risque n’est pas dépourvu d’effets pervers : alors que la notion de risque au départ était avant tout de nature statistique et donc dénuée de connotation morale, de plus en plus d’études, notamment celles consacrées aux adolescents, utilisent ce terme dans une acception beaucoup plus comportementale.1-4 Plus récemment, en réaction à cette tendance, un certain nombre de chercheurs ont tenté d’inverser la question habituelle du risque en se demandant quels étaient les facteurs qui permettaient à un individu donné de maîtriser une situation de stress et d’en éviter ainsi les conséquences néfastes du point de vue de la santé et du bien-être. Les circonstances et les stratégies mises en place dans un tel processus d’adaptation ont été regroupées par divers auteurs anglo-saxons sous le terme de résilience, un vocable qui n’a pas encore trouvé de traduction satisfaisante en français et qui renvoie à la capacité physique de certains corps solides de plier sans rompre lorsque soumis à une charge exceptionnelle. En d’autres termes, la résilience peut être définie comme un processus dans lequel un ensemble d’attributs personnels et environnementaux sont mis en jeu, qui permettent à des enfants et adolescents durablement soumis à une situation potentiellement pathogène de mener une existence satisfaisante et productive.5-8 Le concept de résilience est à l’origine issu de recherches anglo-saxonnes, telles celles d’Emily Werner,8,9 qui a mené il y a trente ans une étude auprès d’une cohorte d’enfants de l’île de Kauai, étude qui s’est par la suite prolongée durant plus de vingt ans. Cet auteur avait constaté que certains enfants, alors même qu’ils étaient soumis à une situation de stress chronique et présentaient de ce fait un risque important de problèmes de comportement ou de santé mentale, étaient parvenus à mener une existence saine et pleine de sens (meaningful). Depuis dix ans, sous l’impulsions d’un groupe francophone très actif dans ce domaine,10-14 ce concept a suscité l’intérêt des professionnels de la santé, du social et de l’éducation, notamment des pédiatres.4,15 Plus récemment encore, le grand public a été sensibilisé à ce processus grâce aux publications de B. Cyrulnik.16,17

Mais au fond n’est-ce pas une autre manière de parler de mécanismes déjà connus comme celui du coping ? (a)

On peut le dire, mais comme nous le verrons, alors que le coping se limite à un mécanisme individuel d’adaptation, la résilience implique très souvent aussi des facteurs environnementaux ;18 le coping s’applique souvent à des problèmes aigus, alors que la résilience implique une adaptation réussie à des stress durables, dans des situations et circonstances spécifiques : affection chronique lourde, maladie mentale d’un parent, guerre civile, déplacement forcé, etc. La résilience est donc un processus interactif qui minimise les effets de diverses situations pathogènes, une forme d’immunité (fig. 1),19 qui apparaît dès lors que l’individu est soumis à des circonstances très défavorables. Sans stress, sans menace, pas de résilience. Il faut réaliser que ce n’est pas seulement la gravité objective des conditions de vie mais aussi l’interprétation qu’en fait le jeune qui va expliquer une évolution plus ou moins positive. Enfin, la résilience n’implique en aucun cas un évitement ou un déni du risque ; au contraire, à l’image des processus liés aux fonctions immunitaires, c’est bel et bien l’exposition au risque qui provoque la mise en jeu des mécanismes de résilience. On peut ainsi faire l’hypothèse que le fait d’avoir surmonté une épreuve renforce les capacités de résistance de l’enfant et de l’adolescent, un peu comme l’exposition à une maladie ou à un vaccin immunise contre certains microbes.7,19 Par exemple, des enfants, ayant connu des séparations « heureuses » (se déroulant dans de bonnes conditions) dans leur petite enfance, supporteront mieux les effets pathogènes éventuels d’une hospitalisation de longue durée.

Quelles sont les caractéristiques des enfants et des adolescents résilients ?

Il est intéressant de constater une relative uniformité des caractéristiques mises en évidence par des recherches et des interventions menées dans toutes sortes de contextes et de cultures différentes.6,10,13,18,20,21 On retrouve chez les jeunes résilients un certain nombre de qualités et de caractéristiques personnelles comme : une bonne image d’eux-mêmes, leur capacité à attirer l’attention d’autrui, à susciter la sympathie, leur sentiment d’avoir un contrôle sur leur vie et les événements qui s’y rapportent, la créativité, l’indépendance, l’humour, l’imagination, un certain sens « inné » de l’organisation et des responsabilités ou aussi une maturité sociale au-dessus de la moyenne qui se manifeste par la capacité à nouer des relations et l’esprit d’initiative. L’histoire nous donne de très nombreux exemples d’enfants ayant vécu des situations gravissimes et ayant pu les dépasser en développant leur génie propre, souvent dans le domaine des arts : Anne Frank, Dickens, Beethoven, la Callas, Barbara…

En fait, les enfants et adolescent résilients ne sont ni plus intelligents ni forcément plus heureux que les autres. Ils ne sont pas non plus invincibles ou invulnérables, comme on a voulu le croire il y a 10-20 ans ; ils présentent surtout des caractéristiques particulières de tempérament qui favorisent l’adaptation aux situations potentiellement pathogènes et incitent leur entourage à s’occuper d’eux et à les soutenir.

Si je vous comprends bien, on est résilient ou on ne l’est pas ?

Dans une certaine mesure en effet, la résilience apparaît comme constitutionnelle, propre à l’individu. Il y a des bébés qui « savent » se faire aimer et faire en sorte que l’on s’occupe d’eux, et d’autres qui ont plus de difficultés à attirer la sympathie de leur entourage. Mais heureusement, la littérature met aussi en évidence de nombreux facteurs environnementaux associés à la résilience. En d’autres termes, au-delà des facteurs constitutionnels sur lesquels il est difficile d’agir, on peut imaginer de favoriser l’émergence de la résilience en créant des conditions propices à son émergence. Au premier plan de celles-ci, il y a l’importance cardinale du lien, d’un lien durable avec un adulte de référence. Dans des familles dont l’un des parents est gravement touché mentalement (dépression chronique, schizophrénie, abus d’alcool, etc.), c’est souvent la qualité du lien avec l’autre parent, ou avec un oncle, une grand-mère, voire un adulte très proche qui va faire la différence. On se rend compte que dans certains cas, ce sont des enseignants, un voisin, un soignant qui ont pu jouer le rôle de « tuteur de résilience », comme le dit volontiers B. Cyrulnik. Plus globalement, des attentes réalistes des parents et des adultes en matière de réussite scolaire, la possibilité pour l’enfant de prendre des responsabilités dans la vie familiale ou dans d’autres contextes, le partage de croyance et de valeurs morales ou religieuses (indépendamment des pratiques) sont très souvent retrouvés dans les recherches publiées à ce jour. A ces facteurs s’ajoute plus spécifiquement la qualité du climat scolaire et de l’environnement communautaire. M. Rutter et plus récemment l’équipe de G. Patton ont montré par exemple l’influence positive du climat scolaire et de la qualité pédagogique de l’enseignement sur le développement d’adolescents vivant des situations difficiles.22,23

Vous avez dit que les facteurs mis en jeu dans le processus de la résilience étaient les mêmes dans différents contextes. Est-ce vraiment le cas ?

Il est vrai que des investigations menées dans des cultures aussi différentes que l’Ile d’Haïti, les Etats-Unis, le Bangladesh ou la Colombie aboutissent en gros toujours aux mêmes constats de base concernant les mécanismes mis en jeu dans les processus de résilience, et c’est bien là l’un des aspects fascinants de ce concept. Cette affirmation mérite d’être nuancée. Par exemple, les études portant sur la résilience montrent que les mécanismes en cause peuvent varier d’un type de problématique à un autre.6,8,21 Certains contextes ont une influence positive sur des sujets déprivés émotionnellement ou ayant vécu dans un milieu familial troublé, alors qu’ils ne joueront pas de rôle majeur pour des enfants n’ayant pas vécu de telles expériences. Il en va ainsi de l’armée… et de l’école ! Ainsi, pour des jeunes gens issus de milieux défavorisés, le fait de s’engager dans l’armée constitue un mécanisme de protection, ce qui n’est pas le cas pour des jeunes issus de milieux favorisés.24 Dans la même perspective, la qualité des systèmes pédagogiques, comme l’a démontré M. Rutter, semble avoir une influence protectrice déterminante, essentiellement sur des sujets ayant vécu des situations à risque.23

Dans la même perspective, existe-t-il des différences en fonction de l’âge ou du sexe ?

Vous avez raison : ce ne sont pas toujours les mêmes caractéristiques personnelles qui s’avèrent opérantes chez le garçon et la fille ou chez les enfants et les adolescents. Par exemple, un certain degré de comportement antisocial peut dans certaines situations permettre à un adolescent de survivre (si l’on pense par exemple aux favelas des grandes métropoles sud-américaines), alors que ce même comportement, dans un autre contexte ou chez un plus jeune enfant, risque de le marginaliser.

Et l’adolescence dans tout cela ?

Les praticiens ayant affaire aux adolescents ont manifesté tôt un intérêt pour le concept de la résilience20,25-27 et ce n’est pas surprenant : un des éléments qui se trouve au cœur des processus développementaux propres à l’adolescence est l’autonomisation. Dans ses efforts pour se dégager d’une relative dépendance à l’égard de ses parents et des adultes, l’adolescent cherchera la plupart du temps, lorsqu’il affronte un problème, à le résoudre lui-même, sans assistance. Cela explique que bien des jeunes vivant des situations difficiles refusent de demander de l’aide, ou lorsqu’on les confronte à leur situation, refusent toute démarche thérapeutique. En se centrant exclusivement sur les risques et les avatars de leur vie, les professionnels font fuir leurs jeunes consultants ; il en va de même souvent lorsqu’ils cherchent à les conseiller, les parents en savent d’ailleurs quelque chose. Travailler dans le contexte de la résilience, c’est pour tout intervenant s’appuyer d’abord sur les ressources propres des adolescents, en recensant avec eux les possibilités qu’ils entrevoient pour répondre à telle ou telle problématique. Le concept de résilience peut ainsi constituer un cadre de référence fort efficace dans toute intervention auprès de jeunes de cette classe d’âge, une forme de nouveau paradigme.

Justement, venons-en à des aspects plus pratiques : que peut nous apprendre la résilience en matière de soins ?

Soyons clair, il n’y a pas eu de tentative explicite de mesurer l’impact d’une approche s’inspirant de la résilience dans les activités de soins auprès des adolescents, en les comparant à des approches plus traditionnelles. Il serait probablement un peu vain de vouloir utiliser ce concept comme une recette. Les travaux sur la résilience devraient plutôt inspirer une philosophie des soins dans laquelle l’accent se déplace de la seule mise en évidence des dysfonctionnements, des problèmes et des handicaps (ce à quoi porte la formation médicale) vers le recensement systématique des ressources de l’enfant et de l’adolescent, ainsi que de son entourage. Le regard se porte sur le développement, les potentialités des jeunes consultants, en faisant de ceux-ci des sujets et non de simples objets. Concrètement, une telle approche consiste, une fois les problèmes identifiés, à intégrer dans le diagnostic et le traitement les dimensions essentielles que nous livrent les travaux sur la résilience.

Chez leurs patients, surtout ceux qui souffrent d’une affection chronique,5,28,29 les praticiens pourront inclure dans leur anamnèse diverses questions axées sur les aspects positifs du développement et de la santé de leur patient, comme par exemple : « qu’est-ce qui marche bien dans ta vie en ce moment ? » ; « que pourrais-tu améliorer à ton avis dans ta vie, ta manière de vivre ? » ; « quelles sont tes activités préférées ? tes loisirs préférés ? » ; « y a-t-il quelqu’un que tu admires beaucoup ? qui ? pour quelles raisons ? » ; « quelles sont les principales qualités que les autres te reconnaissent ? » ; « comment te fais-tu des camarades habituellement ? » ; « vers qui te tournes-tu habituellement lorsque tu cherches à résoudre un problème ? » ; « quelles sont à ton avis tes principales qualités ? » ; « as-tu un exemple d’une situation difficile que tu as réussi à maîtriser avec succès ? » ; « peux-tu me citer un exploit dont tu es fier ? » « que fais-tu de bien pour te maintenir en bonne santé ? » ; « quelles responsabilités prends-tu dans la vie ? à la maison ? à l’école ? ailleurs ? », etc.

A travers ces questions, les praticiens seront à même de renforcer les qualités de caractère et les compétences (skills) de leurs jeunes malades, de leur proposer de prendre plus de responsabilités face à leur traitement ou d’imaginer avec eux des stratégies d’adaptation, bref de leur donner ainsi des possibilités de maîtriser leur situation, leur maladie. Une approche identique sera développée avec l’entourage de ces patients : une relation suivie avec les mêmes soignants, un soutien régulier de la famille, une information régulière aux adultes clés du système scolaire ou professionnel : un tel travail de réseau facilite la communication et les échanges, ce que nos confrères anglo-saxons appellent la connectedness.28 Dans cette perspective, le terme de « prise en charge », si souvent utilisé dans le monde médical, devrait sans doute être fortement remis en question : ne s’agit-il pas au contraire de favoriser l’émergence de comportements autonomes, dans un travail axé à la fois sur le patient et le cadre dans lequel il évolue ?

Vous présentez là une démarche dans le secteur des soins. Existe-t-il d’autres domaines dans lesquels on peut s’inspirer du concept de résilience ?

Bien entendu, c’est aussi tout le travail de prévention et de promotion de la santé qui peut être développé dans la même perspective, une perspective d’ailleurs très proche de celle adoptée il y a plus de dix ans à Ottawa.30,31 En fait, les activités de prévention se centrent encore trop souvent sur les problèmes et les risques en matière de santé (lutter contre l’usage de tabac, l’excès d’alcool, les mauvaises habitudes alimentaires, etc.). Sans vouloir minimiser l’utilité d’une information sur ces thèmes, ce que nous apprennent les travaux sur la résilience, c’est à donner plus d’importance à des approches moins spécifiques et centrées sur les compétences en matière de choix de vie.25 Il faut imaginer des actions qui favorisent l’émergence de qualités telles que sens des responsabilités, créativité, capacité d’adaptation, humour. De nombreux programmes, notamment ceux axés sur l’approche par les pairs,32 visent à fournir aux enfants et aux adolescents des moyens de prendre des décisions autonomes par rapport à leurs choix de vie, à leur fournir un éventail de stratégies non spécifiques leur permettant d’affronter diverses situations stressantes ou comportant des risques. Une telle approche ne saurait cependant se limiter à l’individu : elle intéresse beaucoup les milieux de l’enseignement et incite à réfléchir au cadre et aux conditions dans lesquels évoluent les enfants et les adolescents. La mise sur pied de systèmes pédagogiques attractifs et participatifs favorise l’insertion socioprofessionnelle ainsi que l’épanouissement des élèves, surtout, comme nous l’avons vu, ceux qui proviennent de milieux peu favorisés.22,23,33

A vous entendre, la résilience pourrait être une forme de panacée

Pas vraiment ! En fait, certains auteurs et intervenants s’élèvent contre une instrumentalisation rigide de ce concept et ceci pour des raisons pratiques et surtout éthiques : d’abord, si la résilience se fonde sur un ensemble de caractéristiques touchant à la fois au tempérament et aux ressources de l’individu et aussi à la qualité du support familial et social, il apparaît difficile de regrouper toutes ces variables dans une dimension unique, utilisable de façon ponctuelle dans des études de moyenne envergure. Il n’existe pas à notre connaissance actuellement d’instrument validé permettant d’apprécier globalement la résilience. Par exemple, Vanistaendal34 insiste sur le rôle de l’humour dans le processus de la résilience et le livre d’Alexandre Jollien, ce jeune homme souffrant d’une diplégie spastique devenu philosophe35 nous en donne un bel exemple. La mise à distance d’affects trop violents qu’implique l’humour, la capacité de la personne qui en est dotée de relativiser l’impact des événements, de garder le cap tout en prenant du recul, autant d’éléments qui nous confortent dans le sentiment que l’humour est une des clefs de la résilience. Mais comment mesurer l’humour, et surtout peut-on enseigner l’humour ?

Mais ce sont avant tout des scrupules d’ordre éthique qui doivent rendre prudent face à une utilisation trop « naïve » de cette notion. D’abord, selon quels critères de réussite décider qu’un enfant ou un adolescent peut être qualifié de résilient ? Le choix des critères de résilience pose problème. Comment en effet définir la réussite, le succès, l’ajustement social ? Faut-il se féliciter de ce que les enfants des favelas d’Amérique du Sud survivent dans un milieu très défavorisé grâce à de surprenantes capacités d’adaptation, mais au prix du vol et de l’agression, ceci dans une véritable stratégie de survie qui a fait parler de « résilience hors la loi » ? Ou faut-il plutôt dénoncer des systèmes pervers dans lesquels ne surnagent que les délinquants ? Les adolescents de milieu à haut risque qui sont parvenus à se faire admettre dans les jeunesses hitlériennes étaient-ils résilients ? L’enjeu éthique d’un tel questionnement est celui d’une définition totalement normative du bonheur, de la vie. Un glissement vers une définition trop univoque de tels critères aurait des conséquences désastreuses, surtout dans les contextes multiculturels dans lesquels nous vivons de plus en plus.

Le principal enjeu éthique cependant serait lié à une centration excessive sur les facteurs de « tempérament », d’ordre éventuellement génétique, signant une prédisposition innée à la résilience.36 Il y aurait ainsi des gagnants, ceux qui naissent avec les attributs de la résilience, et des perdants, ceux qui en sont dépourvus (qu’on pourrait appeler les « vulnérables »). Une telle attitude, stigmatisante s’il en est, se traduirait par une forme de démission de la part des adultes : « Que voulez-vous, il est né sous une mauvaise étoile ». Dans le climat politique actuel, le risque de dérive totalitaire est évident. Il y aurait les gentils, les résilients, dont il vaut la peine de s’occuper, et les autres, les pauvres, qui ne sont malheureusement pas résilients et qui doivent s’en accommoder… Ainsi, il serait sans doute ingénu de vouloir méconnaître l’influence de facteurs constitutionnels dans le développement de l’enfant, il importe, dans l’interprétation des travaux sur la résilience, de s’intéresser à l’accueil émotionnel, familial et social du petit d’homme. Bronfrenbrenner,37 parmi d’autres, a bien montré l’influence de l’environnement proche et distal de l’enfant sur son développement. L’exigence éthique est de porter le regard sur la plasticité de l’enfant et de l’adolescent, sur la qualité humaine et structurelle de son voisinage, de réfléchir aux conditions dans lesquelles des jeunes placés en situation difficile peuvent profiter au maximum des ressources dont ils disposent et de celles que la société peut leur offrir.

(a) Le coping a été diversement traduit en français par des expressions comme la capacité d’adaptation ou la capacité à faire face

Bibliographie :

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