Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent sourd : 20 ans de clinique.

Par Dr. M. Ibad-Ramos, B. Virole, J. Blanchard

Premier secteur de psychiatrie infanto-juvénile de Paris (Médecin-chef : Docteur Jacques Fortineau) – Hôpital Esquirol

Résumé : la surdité infantile n’est pas en soi un facteur déterminant de la survenue de troubles psychopathologiques. Le rattachement direct et automatique de la clinique de l’enfant et de l’adolescent sourd au champ de la psychiatrie n’est pas légitime. Cependant, la clinique de l’enfant sourd montre que la surdité est bien un facteur fragilisant pour beaucoup de difficultés psychopathologiques. Lorsqu’un trouble psychopathologique est avéré, la surdité profonde est toujours un facteur spécifiant. La mise en place d’une réponse thérapeutique implique ainsi une spécialisation de l’équipe soignante en ce qui concerne la connaissance approfondie du monde de la surdité (aspects perceptifs, phénoménologiques, linguistiques, sociaux et culturels). Il en résulte la nécessite de l’organisation d’équipes spécialisées à l’intérieur du champ de la psychiatrie de secteur et un travail en réseau.

Mots-clefs : surdité, psychiatrie infantile, psychopathologie, réseau de soins.

On écrit alors Sourd avec un S majuscule pour désigner l’appartenance de ces personnes à la communauté linguistique et culturelle des personnes parlant cette langue véhiculaire.

Introduction

Qu’est ce que la surdité ?

Tout en appartenant au champ du handicap, La surdité sévère ou profonde touche en les enfants sourds peuvent être amenés à France plus d’un enfant sur mille d’après les développer des troubles psychologiques ou normes actuelles en matière d’épidémiologie psychiatriques appelant une réponse – et une de la surdité. Pour les surdités profondes, seul prévention – en termes de santé mentale. les sons de très grande intensité sont perçus et depuis près de 20 ans, la consultation Surdité encore souvent uniquement de façon et Santé mentale du Premier Secteur de vibratoire. Les enfants présentant des surdités Psychiatrie infanto-juvénile s’est spécialisée sévères peuvent entendre la voix humaines dans les soins médico-psychologiques pour uniquement au travers de systèmes les enfants et adolescents sourds de la région prothétiques. Les surdités légères et parisienne.

Nous présentons les grandes moyennes, moins incapacitantes en ce qui lignes de l’analyse de notre file active en concerne l’apprentissage du langage oral, montrant la forte prévalence des troubles chez représentent 3% de la population soit 300 000 les jeunes sourds et en analysant les différents enfants de trois ans à la fin de la scolarité. Les configurations cliniques rencontrées. Enfin, surdités sévères et profondes représentent 2 nous soulèverons les questions d’ordre pour mille de la population soi 25 000 enfants théoriques et pratiques inhérentes à la de la naissance à 18 ans. Les surdités de constitution d’une psychiatrie de l’enfant et transmission, temporaires et réversibles, de l’adolescent sourd toujours légères ou moyennes sont essentiellement des obstructions tubaires 45 % et des séquelles d’otite 40 %.

Les surdités de perception (cochléaire) définitives peuvent être soit acquises des suites d’infections ou d’autres atteintes de l’oreille interne soit innées du fait de malformations génétiques de structures. L’existence d’une transmission génétique des surdités est maintenant bien connue. Elle se manifeste en particulier par l’existence de familles de personnes sourdes où les transmettent la surdité à leur enfant parfois sur plusieurs générations. Ces aspects posent de nombreuses questions d’ordre anthropologique et éthique. Actuellement, on considère que 20 % des cas de surdités de l’enfant sont dues à des causes intrinsèques, 20 % d’origine inconnue et 60 % d’origine génétique.

Du fait de l’altération définitive de l’épithélium neurosensoriel, la surdité ne peut être corrigée que dans de faibles proportions par les systèmes prothétiques ou les implants cochléaire. Les enfants porteurs de ces déficiences auditives profondes se développent donc dans un monde perceptif quantitativement et qualitativement distinct de celui des enfants entendants.

La déficience auditive entraîne de surcroît un remaniement important dans la construction du langage. Dès que la surdité est profonde, bilatérale, congénitale ou bien acquise dans les premiers mois de la vie de l’enfant, le développement du langage ne peut s’étayer sur le canal audio-phonatoire et s’oriente vers le canal visuel gestuel. Ce fait d’observation, constant, s’explique par la nécessité adaptative d’une communication immédiate et d’une prise de signification efficace sur le monde. Un des apports les plis importants de l’étude de la surdité est le constat que le langage ne se développe pas sur des bases proto-phonologiques mais comme une extension des compétences interactionnelles du nourrisson en relation avec so environnement parental. Ce développement est biologiquement indépendant de la nature du canal.

Des sourds isolés de tout contact avec les communautés linguistiques de sourds signants développent des systèmes de signes gestuels pour communiquer avec leu entourage. Toutefois, au travers des implantations cochléaires, des systèmes prothétiques, de la rééducation audiophonologique, de nombreux enfants sourds profonds parviennent à acquérir un langage oral de qualité leur permettant de communiquer avec les entendants, en particulier grâce à l’aide de la lecture labiale combinée aux informations auditives perçues par les systèmes prothétiques.

Beaucoup cependant ne parviennent pas à ces résultats du fait de contingences cliniques, éducatives ou sociales. Leur développement linguistique et cognitif utilise alors principalement la voie visuo-gestuelle. Ils deviennent alors des locuteurs de la langue des signes. A l’âge adulte, ils deviennent alors membres d’une forme de communauté sociolinguistique, celle des Sourds utilisant la Langue des Signes Française (LSF)1. Cette communauté présente de nombreux traits remarquables et originaux qui font l’objet aujourd’hui d’attention particulière de la par des sociologues et des anthropologues.

Tous ces enfants sourds profonds ou sévères relèvent d’une éducation spécialisée qui peut prendre la forme d’une intégration à l’école normale avec un soutien spécialisé ou bien plus souvent, d’une insertion dans un école spécialisée pour enfants et adolescents sourds. Généralement ces écoles possèdent une double dimension, pédagogique avec des enseignants spécialisés, et thérapeutique avec des orthophonistes, médecins ORL et personnels médico-éducatifs. Cependant, ces établissements n’ont généralement pas la vocation de pouvoir traiter les difficultés et troubles psychologiques que peuvent rencontrés par les enfants et adolescents sourds.

La consultation spécialisée.

Devant le constat fait à la fin des années 1970, du manque absolu en France de soins psychologiques spécialisés pour les enfants et adolescents sourds, une équipe pionnière a créer une consultation « surdité et santé mentale » qui assure encore aujourd’hui l’accueil et le soins sur Paris et la région parisienne. Historiquement rattachée à l’hôpital Perray-Vaucluse, où existait un pavillon spécialisé pour les enfants sourds psychotiques, la consultation est maintenant rattachée à l’Hôpital Esquirol.

Tous les membres de l’équipe connaissent, à des degrés divers, la langue des signes des sourds (LSF). Les enfants déficients auditifs n’utilisant pas la LSF peuvent bénéficier d’approche différente de la communication (Langage oral, lecture labiale, Langage Parlé Complété d’aide à la lecture labiale). La plupart des enfants présentent des déficiences auditives sévères ou profondes. Les demandes sont adressées par les écoles ou établissements d’enfants sourds, le associations de parents, les CDES, les parents directement, etc. Pour les enfants sourds présentant des troubles sévères les consultations médicales permettent une orientation vers des structures de soin adaptées (hôpitaux de jour, placements familiaux thérapeutiques) ou un conseil technique spécialisé en direction des équipes de secteur ne connaissant pas les problèmes spécifiques de la surdité. Les groupes thérapeutiques sont conçus comme des structures souples s’adaptant rapidement dans leur thème et leur organisation aux besoins des enfants pour lesquels la dimension d’échanges en groupe est fondamentale. La thématique de médiation des groupes est définie selon les besoins spécifiques des patients. Un autre groupe reçoit des adolescents sourds en grave péril psychologique et social. Un certain nombre d’interventions sont consacrées à aider au maintien d’enfants sourds en intégration dans des classes d’enfants entendants.

Prévalence des troubles psychiatriques chez les enfants et adolescents sourds.

Depuis sa création en 19832, la consultation spécialisée « surdité et santé mentale » s’est vue l’objet d’une demande croissante. Celle-ci peut certes dénoter l’impact de l’évolution démographique sur la région parisienne qu touche par conséquent le nombre d’enfants sourds mais elle dénote aussi la persistance d’une réalité : beaucoup d’enfants et d’adolescents sourds présentent des difficultés psychologiques. La prévalence précise est difficile à établir. Il n’existe à ce jour aucune étude épidémiologique institutionnelle réalisée et les seules données disponibles sont issues des analyses de file active des équipes soignantes ou des études réalisées par des associations.

Une étude réalisée à notre initiative3 en 1995 nous a permis d’estimer à 30 % d’enfants et adolescents sourds présentant des troubles psychologiques sortant du cadre de la variation de la normale selon l’appréciation des cliniciens travaillant dans les sites éducatifs spécialisés de l’Île-de-France (psychologues et psychiatres d’établissement éducatif, à l’exclusion des établissements de soins). Ce nombre est minimum dans la mesure où les cas signalés présentent avec certitude des troubles alors qu’il peut exister en plus d’autres cas dans les effectifs globaux qui n’ont pas été porté à la connaissance du clinicien, en particulier dans le établissements scolaires à fort effectif. Portant sur 413 enfants, et sur des établissements diversifiés, représentatifs de l’ensemble des établissements, ce chiffre peut être de faço légitime extrapolé sans trop de risque à l’ensemble de la population de enfants sourds. Cette étude atteste également que la prévalence des troubles psychologiques est plus forte chez les garçons (62 %) que chez les filles (32 %) alors que dans la population de référence des enfants sourds scolarisés la distribution inter sexe est de 50 %.

Même si nous manquons des données épidémiologiques plus conséquentes, il est clair que les données disponibles nous invitent à penser que les enfants sourds sont fortement exposés à la survenue de troubles psychologiques.

L’analyse par classes d’âge de la file active montre que la consultation reçoit majoritairement des préadolescents et adolescents, mais également des jeunes adultes. Très généralement, ceux-ci sont d’anciens cas qui continuent à être suivis par notre équipe ou qui reviennent consulter après une interruption. Le nombre relativement plus faible d’enfants de la classe d’âge de 0 à 5 ans (Cf. tableau 5) s’explique par l’effet de masquage spécifique des difficultés psychologiques chez les jeunes enfants sourds. Ces difficultés sont souvent mises sur le compte des effets propres à l surdité. Ces enfants sont aussi suivis étroitement sur le plan audiophonologique par les médecins ORL et les orthophonistes. Des contacts réguliers ont lieu avec les services ORL hospitaliers faisant le dépistage audiométrique des surdités. Il faut rajouter à ces classes d’âge, les prises en charges familiales de suivi psychologique et de guidance.

Spécificités cliniques.

Lorsqu’on analyse sur le plan du diagnostic, les cas qui se sont présentés à la consultation « surdité et santé mentale « de Paris – cas venant de l’ensemble de région Ile-de-France – on observe une distribution classique des différents troubles psychopathologiques de l’enfance. Les formes sémiologiques prises par les troubles de l’enfant sourd ne diffèrent donc globalement pas des formes prises chez les enfants entendants.

Toutefois, il faut faire une place particulière à certains troubles du comportement présentés de faço typique par des enfants ayant été infectés par le virus de la rubéole ou par celui du cytomégalovirus. Bien que forts variables dans leur ampleur, ces troubles comportent généralement une instabilité motrice, des difficultés de concentration et d’autres déficits neuropsychologiques liées directement ou indirectement aux séquelles des lésions cérébrales. A coté de ces traits neuropsychologiques, la personnalité de ces enfants sourds est souvent immature, marquée par les difficultés d’intégration et des modes défensifs de clivage. Ces traits se retrouvent aussi souvent chez les enfants ayant présenté des méningites ou des encéphalopathies. Enfin, mentionnons les cas rencontrés d’enfants trisomiques dont on sait qu’ils présentent souvent des surdités moyennes à courbe audiométrique plate et pour lesquels l’aide de la consultation est régulièrement requise.

Les traumatismes psychologiques précoces.

L’annonce faite aux parents de la surdité de leur enfant génère un impact traumatique considérable. Cet impact modifie en profondeur les relations d’attachement entre les parents et l’enfant du fait de l’anxiété maternelle. Le désarroi des parents devant la surdité de l’enfant n’est pallié qu’en partie par les soutiens spécialisés (guidance parentale).

Même si les attitudes parentales devant l’enfant sourd parviennent à se techniser de façon adéquate (communication en face de l’enfant, utilisation du LPC, de la LSF, attentions aux ébauches de langage de l’enfant, etc.), il n’en reste pas moins que les relations sont souvent infiltrées d’une angoisse parentale intense dont on sait qu’elle a des répercussions négatives sur le développement psychique de l’enfant.

Les retraits relationnels.

Un certain nombre d’enfants sourds développent ainsi des retraits relationnels s’apparentant, sous leur forme sévère, à de retraits autistiques secondaires. Ces enfants, ne regardent pas le visage des autres, fuient la relation, sont attirés par les jeux de lumière, etc.

Les « pseudo-psychoses ».

Depuis sa création, la consultation a régulièrement été amenée à rencontrer, au rythme au moins de deux à trois cas par an, des enfants présentés comme psychotiques et manifestant effectivement des comportements inquiétants,une étrangeté de contact et un refus total des approches pédagogiques. Il s’est avéré que ces enfants étaient fréquemment des enfants sourds soumis depuis leur plus jeune âge à des tentatives de rééducation orale inadéquates et à l’absence d’utilisation de la langue des signes par les parents et les professionnels, alors que cliniquement cet usage s’imposait depuis le début.

Les raisons de cet ordre de fait tiennent à la collusion entre les demandes, légitimes, des parents que leur enfant puisse apprendre à parler avec un certain type de représentations des professionnels de la surdité persuadés de la justesse de leurs choix méthodiques. Il existe ainsi une incontestable iatrogénie de méthodes éducatives, abusivement dogmatiques, qui vont à l’encontre des intérêts de certains enfants fragiles ou sur exposés à des difficultés psychiques. Heureusement, ces cas restent rares et ils sont généralement d’un bon pronostic thérapeutique, à partir du moment où un inflexion du projet éducatif est réalisée et que les parents acceptent l’utilisation de la langue des signes. Ce fait se comprend mieux si on mesure que les signes gestuels de la langue des signes correspondent aux éprouvés perceptifs des personnes sourdes. Ainsi, les signes gestuels présentifient figurativement les indices visuels correspondant à la prise de signification particulière que réalisent les personnes sourdes sur les objets du monde La plupart des enfants sourds profonds et sévères ont besoin de cette prise de signification immédiate que donnent le signes gestuels de la langue des signes car il ne peuvent la trouver dans le langage oral. En effet, celui-ci ne devient accessible aux enfants sourds profonds qu’au travers d’un effort cognitif important et parfois objectivement impossible à réaliser (fusion des indices acoustiques et labiaux, hypothèses de sens pour pallier aux trous du message, perte de signifié par focalisation sur le signifiant phonique, etc.)

Syndromes et tableaux neuropsychiatriques.

Il faut laisser ici une place importante aux tableaux cliniques de troubles psychopathologiques associés à des syndromes génétiques associant surdité, des retards mentaux parfois diffus et méconnus, et des troubles de la personnalité. Enfin, nous avons rencontré des cas d’enfants présentant des surdités associés à des tableaux résultants d’encéphalopathie accompagnées ou non d’épilepsie. La fréquence de ces configurations cliniques où s’entrecroisent des facteurs somatiques et psychiques nous ont amené à développer des liens nombreux avec des correspondants neuropsychologues.

Le problème est alors souvent la définition d’une ligne de conduite thérapeutique nette et d’éviter les doubles diagnostics contradictoires qui désorientent les familles. Pour notre part, nous considérons que la neuropsychologie clinique doit permettre d’éclairer les traits sémiologiques relevant de troubles innés ou acquis de la sphère cognitive ou instrumentale mais que la ligne globale d’orientation de soins relève de la compétence du médecin psychiatre. En effet, seul celui-ci est à même de connaître la globalité et les intrications complexes des problèmes cliniques, psychiques, familiaux, sociaux et culturels associés à un cas donné.

Le modèle psychoaffectif.

Le modèle théorique majeur permettant de comprendre la survenue des troubles psychopathologiques chez l’enfant sourd est le modèle psychoaffectif. Le premier instant critique dans la vie d’un enfant sourd est celu de l’établissement des relations affectives précoces. On sait que l’établissement de ces relations se construit sur une modalité biologique, celle de l’attachement, mais qu’il ne s’y réduit pas. Ces relations s’établissent au travers d’un processus inconscient mettant en œuvre des mécanismes projectifs et introjectifs. De façon schématique, ce que le petit enfant ressent comme dangereux et toxique dans son moi encore primitif doit être expulsé à l’extérieur au travers du comportement. Le contenu de ces expulsions doit être compris par la mère, symbolisé par elle et retranscris sous un autre mode chez son enfant pour que celui-ci puisse l’introjecter dans sa constitution psychique.

Ce processus, décrit par la psychanalyse et dont les psychothérapies d’enfants confirment constamment la pertinence, est mis à mal par l’existence de la surdité. En effet, du fait de l dépression post diagnostic chez la mère, qu’elle soit manifeste ou masquée, ces échanges inconscients sont généralement grandement altérés. L’enfant et sa mère ne peuvent avancer ensemble dans une synergie des échanges inconscients. Cela peut être dû à la perte du sentiment naturel chez la maman prise dans des représentations rééducatives de la surdité ou à un excès réparateur, ou encore à d’autres modalités comme l’agressivité inconsciente contre l’enfant porteur de malheur. Tout ceci, qui a été maintes fois décrit, est d’une importance capitale pour l’enfant sourd car ces moments déterminent les fixations les plus profondes. Celles-ci vont déterminer ultérieurement sa personnalité, son caractère, sa confiance en lui et évidemment la qualité affective de ses relations avec les autres. Cette période critique qui court dans les deux premières années voit l’installation d’un sorte de cycle dynamique faisant alterner des moments d’échanges, de moments de dépression et des moments de création. Cette structure cyclique est aussi celle qui sous-tend la maturation psychoaffective de l’enfant dont le moment le plus crucial est le complexe d’Oedipe.

On sous-estime l’importance majeure de ce complexe y compris sur le développement des fonctions cognitives et linguistiques. Ce n’es en effet que très abusivement que l’on sépare d’un coté le développement affectif et d’un autre coté le développement cognitif. En réalité, le complexe d’Oedipe est un dynamique qui draine l’ensemble du développement, y compris cognitif. Or, chez l’enfant sourd, le complexe d’Oedipe subi une interférence majeure. L’enfant, de part son sentiment d’être marqué d’une différence, construit un roman des origines qui tente d’expliquer ce marquage par différents fantasmes. De plus, l’absence de partage entre une référence sémantique interne qui n’es pas celle de ses parents (excepté les cas d parents sourds) génère un trouble important des identifications inconscientes. L’enfant sourd est ainsi très exposé sur le pla psychopathologique bien que ces éléments soient souvent banalisés par le milieu professionnel focalisé excessivement sur la rééducation. Sur le plan thérapeutique, la réponse adéquate consiste à proposer une consultation thérapeutique parents enfant qui peut s’orienter ensuite vers un soutien parental par un clinicien et une psychothérapie individuelle pour l’enfant. Compte tenu des spécificités de l’enfant sourd, il convient que le thérapeute puisse connaître en profondeur le monde de la surdité dans tous ses aspects tant psychiques que sociaux et puiss évidemment parler la langue de son patient (langue des signes généralement ou langue orale pour les sourds parlant).

Pour les jeunes enfants sourds ou ceux dont la pathologie touche aussi la construction linguistique, le thérapeute doit avoir recours à l’ensemble des procédés de symbolisation (mimique, pantomime, dessin, pictogrammes, etc.). Dans le cadre de la thérapie, l’attention aux dimensions symboliques des signes gestuels, très proches des structures hiéroglyphiques et idéogrammatiques, constituent une voie royale d’accès aux matériaux inconscients signifiants, en particulier dans les configurations cliniques de troubles dits « psychotiques ».

Le modèle cognitif.

Depuis plusieurs années se développent l’idée que l’on doit considérer un certain nombre de troubles psychologiques comme la conséquence de troubles cognitifs. L’enfant se sentant incompris dans ses difficultés d’apprentissage développerait de façon réactionnelle des troubles de l’humeur ou du comportement. Il est indéniable que ce modèle trouver une certaine pertinence en ce qui concerne l’enfant sourd. La dépression scolaire de l’enfant sourd est une réalité très fréquente. L’enfant se présente comme triste, isolé, fuyant les sollicitations pédagogiques ou éducatives de l’adulte. Fréquemment, ces tableaux cliniques sont associés à une désadaptation du projet scolaire par rapport aux compétences et aux besoins de l’enfant. Le cas le plus fréquent est celui de l’apprentissage du français écrit ou oral à des enfants sourds dont le monde cognitif interne s’est massivement structuré sur une expérience représentative visuelle et gestuelle. Les signes graphématiques et les réalisations phonologiques lui paraissent radicalement hétérogènes à son monde interne et il a beaucoup de mal à les assimiler. Devant les attentes parentales et professionnelles fortes sur ce plan de ces acquisitions jugées impératives, certains enfants sourds n’ont plus que le retrait ou le développement de symptômes comme unique solution.

Sur le plan thérapeutique, cette dimension cognitive impose une analyse de l’adéquation du projet scolaire et éducatif pour cet enfant donné dans son contexte clinique particulier. En cas de non adéquation, une réflexion avec les parents et l’école s’avère nécessaire et est initiée directement par la consultation.

Le modèle ethnoculturel et ses limites.

La surdité n’est pas uniquement une déficience organique mais aussi un phénomène d’ordre socio-culturel. Les sourds adultes signeurs, locuteurs de la langue des signes, constituent un groupe sociolinguistique dont la spécificité n’est pas toujours reconnue comme telle par les pouvoirs publics, (même s’il existe depuis peu des avancées notables) ainsi que par certaines branches du milieu professionnel impliqué dans la surdité. La dimension socioculturelle inhérente à la surdité est une dimension majeure de la compréhension de la psychopathologie des sourds. Il est cliniquement incontestable que beaucoup de jeunes sourds dépressifs ou vivant des situations d’isolement et de renfermement ont vu leurs difficultés s’amender dès lors qu’ils ont pu s’insérer harmonieusement dans la communauté des sourds.

Constatant cette donnée fondamentale, notre consultation a proposé un axe thérapeutique permettant à des jeunes sourds de rentrer en relation avec la communauté des sourds. Un des groupes thérapeutiques tient spécifiquement compte de la dimension culturelle de la surdité au travers d’une collaboration avec le centre socio-culturel de sourds (IVT). Une éducatrice spécialisée sourde est également intégrée à l’équipe et assure une fonction soignante essentielle. Cependant, il est illusoire de penser que la seule mise au contact de jeunes sourds en difficulté psychique avec la communauté des sourds signants suffirait à les « soigner ». La détermination des troubles psychiques chez les enfants et adolescents sourds est pluri dimensionnelle. Elle croise des données d’ordre génétiques, environnementales, psychiques, sociales et culturelles et toute monovalence d’une explication – et d’un axe thérapeutique – est vouée à l’échec.

Conclusions.

Vingt ans de clinique en psychiatrie de la surdité nous a surtout appris la grande souffrance que la surdité génère tant dans les familles que pour beaucoup d’enfants et adolescents pris au piège entre leurs conflits internes et la dureté de la vie dans un monde fait par les entendants pour les entendants. Le dévouement des professionnels, pédagogues, orthophonistes, les ressources extraordinaires de nombre de parents et la meilleure acceptation de la dimension sociolinguistique de la surdité n’atténuent qu’en partie ces difficultés.

Malgré les progrès entrepris dans la prise en charge psychopathologique des enfants et adolescents sourds en France, de nombreux points restent encore à améliorer en particulier dans la prévention des trouble précoces de l’attachement des enfants sourds qui sont parfois banalisés comme étant acceptables dans les contextes de surdité. Or, une meilleure prévention et prise en charge de ces troubles précoces devraient limiter la survenue ultérieure de difficultés psychiatriques beaucoup plus difficiles à traiter ultérieurement.

Enfin, il faut constater que le dispositif de soins actuel, tel qu’il est mis en place, ne permet pas d’aider véritablement les adolescents en difficultés psychologiques. Placements familiaux spécialisés et hôpitaux de jour manquent ainsi cruellement. Une meilleure articulation entre les structures de soins et le tissu associatif travaillant sur l’insertion des sourds dans la société serait aussi vivement souhaitable.

De façon générale, la psychiatrie infanto juvénile pour la surdité se doit de se constituer en réseau permettant d’offrir à l’intérieur de la psychiatrie de secteur une capacité de soins accrue. L’expérience nous a aussi appris que les liens structurels entre l’équipe « surdité et santé mentale » et les autres équipes du secteur de psychiatrie étaient fondamentaux pour maintenir la dimension proprement psychiatrique de notre travail.

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