Psychiatrie transculturelle au sein d’un secteur de santé mentale : pour quoi faire ? Par Smaïl Cheref*

In : Nervure : Journal de psychiatrie, Mai 2003. Disponible à l’adresse : http://www.nervure-psy.com/

*Praticien adjoint, Département médico- psychologique Dr F. Caroli, Centre Hospitalier Sainte Anne, Paris.

Si l’on considère que la psychiatrie comme toute autre spécialité médicale a pour mission et tâche principales d’établir un diagnostic, de proposer des traitements et de développer des stratégies de prévention des troubles, elle est plus que toute autre spécialité médicale influencée par les aspects culturels des patients dont elle a la charge tant au niveau diagnostique, du traitement que de la prévention. Cette prise en compte de la culture dans les soins psychiatriques prodigués aux patients non- francophones devient une donnée reconnue par une majorité des intervenants en santé mentale, donnée qui aujourd’hui est intégrée dans diverses enseignements et formations et ce, malgré l’apparition de polémiques récentes, ce qui ne peut que confirmer a posteriori l’intérêt porté à ce sujet.

Cependant, le concept transculturel a été pendant longtemps réduit à un problème de définition nosographique dite universaliste : l’exemple le plus souvent donné est celui des patients d’origine maghrébine dont la symptomatologie est dominée par des plaintes somatiques. En utilisant le DSM IV, on rangerait l’ensemble de ces troubles sous la rubrique « troubles somatoformes », et risquerait de méconnaître la diversité des détresses psychiques que recouvre la répétition des symptômes. La question de la classification apparaît certes primordiale car elle réunit l’orientation diagnostique, thérapeutique et de pronostic, mais n’est-elle pas, elle même, sujette à un biais majeur si on la résumait à la seule barrière culturelle ?

L’abord culturel du patient- migrant ou réfugié se doit d’être au sens large et d’intégrer des dimensions multiples telles que familiales, professionnelles, la culture et les croyances d’origine, les conditions de transplantation, de vie en pays hôte et les éventuels traumatismes. Allant dans ce sens, les actuelles orientations en santé mentale insistent sur la nécessité de contextualiser les pratiques psychiatriques et incitent à prendre en compte ces facteurs afin d’adapter au mieux les réponses thérapeutiques aux usagers. Dans le système de soin actuel, la psychiatrie publique et privée dispose et propose un large panel de possibilités de prise en charge du patient-migrant ou réfugié. Les structures de soins apportent, le plus souvent, des réponses adaptées aux différentes situations tant sur le plan du diagnostic, de la thérapeutique que du social.

Cependant dans certains cas, la barrière linguistique représente un obstacle majeur à la mise en place d’un véritable cadre thérapeutique.

Cette barrière linguistique se décline selon de multiples aspects : la non maîtrise de la langue française qui se pose comme une impossibilité de mise en place d’un travail thérapeutique ; la maîtrise de la langue française existe mais subsistent des difficultés de représentation d’ordre culturel dans l’abord des troubles présentés, du diagnostic ou des thérapeutiques qu’elles soient médicamenteuse, psychothérapique, systémique ou psychanalytique.

Est-il besoin de souligner que ces difficultés langagières peuvent intéresser le patient lui même, mais aussi les membres de sa famille ? Au sein du département médico- psychologique du XIVème arrondissement de Paris, ayant en charge un secteur géographique qui a une population importante d’origine des pays arabes et, en particulier, des pays du Maghreb, il est apparu comme une nécessité de se doter d’une consultation transculturelle à support linguistique en kabyle et en arabe, afin de tenter de répondre aux particularités culturelles, sociales et historiques de cette communauté. La maîtrise de la langue par le thérapeute permettra de se focaliser sur la compréhension de la pathologie et d’engager un travail thérapeutique et autorisera le patient à s’affranchir du problème linguistique et, donc, à exposer ses difficultés d’une manière plus explicite, avec les nuances de sa langue maternelle, mais aussi accéder à des références culturelles ou des représentations psychiques qui seront comprises par le thérapeute.

L’objectif de cette consultation est d’optimiser les possibilités d’accès aux soins et donc du centre médico- psychologique pour une frange de la population dont les défauts de maîtrise de la langue française pourrait les laisser sur « le pas de la porte sans oser la franchir », de favoriser une interface entre le secteur de santé mentale et la communauté arabophone et kabyle de l’arrondissement et de développer des stratégies de suivi et de prévention. Il apparaît, au demeurant, certain qu’une telle démarche peut rencontrer des écueils.

Le premier de ces risques serait la dénaturation pure et simple d’un dispositif de soins psychiatriques de santé publique, donc accessible et applicable à tous sans discrimination, mais où la singularité de l’individu à travers sa singularité clinique est toujours recherchée, à un système de soins où le sujet est abordé par le biais du groupe culturel auquel il appartient, ou une déclinaison selon le contexte socio-économique.

Par ailleurs, et dans le registre de la pratique psychiatrique, la menace viendrait d’une clinique qui privilégierait la dimension culturelle et groupale au détriment de la singularité clinique de la personne et risquerait de renforcer les stéréotypes culturelles comme déterminant unique de la pathologie mentale.

Bibliographie

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