Psychothérapie de l’adolescent

Professeur de psychiatrie à l’Université de Paris VI, Chef du service de psychiatrie de l’adolescent et du jeune adulte à l’Hôpital International

L’individualisation parmi les méthodes psychothérapiques d’un chapitre consacré à l’adolescent correspond à un besoin nouveau. Celui-ci est probablement l’expression de la reconnaissance de la fréquence des conduites psychopathologiques à cet âge, des risques immédiats qu’elles font courir à l’adolescent, comme des conséquences sur sa vie future d’adulte. Ces dernières décennies, un certain nombre de facteurs ont en effet conjugué leurs effets pour rendre de plus en plus nécessaire et inévitable la singularisation d’une psychologie et d’une psychopathologie propres à étape de la vie. Ces facteurs sont multiples. Ils sont probablement davantage liés aux transformations qui ont affecté notre société qu’à d’éventuelles modifications récentes de la psychologie des adolescents.

Les changements socio-économiques, qui ont touché les pays occidentaux, ont contribué à accorder de plus en plus d’importance à l’adolescence et à en faire un phénomène de masse, notamment en en allongeant la durée et en donnant à l’entité  » jeunes  » l’image d’un ensemble suffisamment cohérent pour lui conférer une certaine identité et la force d’un modèle uniformisant. Mais en même temps les adolescents sont de plus en plus livrés à eux-mêmes sans repères stables ni modèles pertinents.

On se trouve ainsi devant cet apparent paradoxe que plus l’adolescence s’impose dans sa durée et sa spécificité comme une donnée sociale essentielle et une étape majeure de la vie d’un individu, plus l’image des adolescents devient floue et composite.

La perte d’un consensus social sur les règles qui régissent les rapports parents/enfants laissent à chaque famille le soin de les recréer. Tâche difficile qui a le plus souvent pour conséquence d’imbriquer et d’enchevêtrer les générations entre elles, renforçant les rapports de dépendance réciproque et compliquant la tâche d’autonomisation.

Ce n’est pas le fait du hasard si les apports les plus récents et les plus novateurs en psychopathologie proviennent, en plus du champ de l’adolescence, des interactions mère-nourrisson et de l’approche familiale. Ces trois domaines ont en effet en commun d’avoir pour enjeux essentiels les issues possibles des oppositions dialectiques dépendance/autonomie, besoin des autres/affirmation de soi. Comment, dès lors, ne pas voir dans leur vogue actuelle l’expression de la difficulté de notre société à gérer ces problèmes et le besoin d’un recours à de nouvelles formes de médiation ?

Ce rapprochement avec le nourrisson n’est pas sans significations si l’on considère qu’il s’agit de deux étapes cruciales de la formation de la personnalité, caractérisées par l’ampleur des changements qui affectent la vie psychique et la vulnérabilité de l’individu aux événements et aux attitudes de l’environnement. Il n’est pas étonnant de retrouver à l’adolescence une partie des enjeux de la première enfance (2e processus de séparation-individuation de l’école développementale anglo-saxonne de M. Mahler), et une réactivation des conflits et traumatismes de l’enfant ( » après-coup  » de Freud).

Existe-t-il une spécificité de la psychothérapie des adolescents ? Et si oui, où la situer ? Sûrement pas au niveau des méthodes, dont aucune n’est propre à cet âge, même si certaines peuvent paraître plus appropriées. Parmi les modèles théoriques qui servent de référence à ces méthodes, aucun n’a été conçu spécifiquement par rapport à l’adolescence, ni même ne s’y réfère dans sa démarche originale : que ce soit la psychanalyse, les théories comportementale, cognitiviste ou systémique. Par contre, l’expérience révèle qu’on peut être conduit à en modifier les règles d’application, sinon la finalité, quand il s’agit d’un adolescent. En effet quelle que soit la méthode psychothérapique employée, on perçoit, dès qu’il est question de son application à l’adolescence, qu’elle doit tenir compte des particularités relationnelles de cet âge, de la place originale qu’y occupe l’environnement, notamment familial, ainsi que des risques psychopathologiques qui font qu’avec l’adolescent on oscille d’un optimisme à l’égard de ses conduites déviantes, attribuées à la  » crise d’originalité juvénile  » (Debesse), à une hantise de la maladie mentale et d’un enfermement dans les conduites pathologiques.

L’adolescent oblige ceux qui s’occupent de lui à un effort constant d’adaptation pour trouver la bonne distance relationnelle ; être suffisamment présent sans devenir contraignant ni intrusif ; faciliter les changements sans induire une dépendance. La spécificité de la démarche psychothérapique se situe donc plutôt du côté de l’adolescent dans les particularités de son fonctionnement mental et de ses modalités relationnelles, dans la nature des transformations psychiques liées à l’actualité de la puberté et dans les enjeux qui engagent l’avenir. Les méthodes auront à tenir compte de ces données et à s’infléchir en conséquence.

L’adolescence est susceptible, sinon de sceller totalement le destin de l’adulte, du moins de peser lourdement sur la capacité de celui-ci à utiliser ses potentialités, que ce soit dans le domaine des apprentissages, de la vie affective et relationnelle, de son harmonie avec son corps et de sa sexualité. La psychothérapie appliquée aux adolescents dépasse ainsi indéniablement la seule dimension thérapeutique. Elle a valeur de prévention de la santé de l’adulte, dans l’acception la plus large et la plus pleine du mot, celle qui a pour objectif non pas le seul évitement de la maladie, mais l’épanouissement des potentialités de l’individu. A ce titre, elle peut être vue comme un moyen moderne de renégociation des rapports familiaux, une modalité actuelle d’aménagement des conflits inhérents à cette étape de la vie et pourquoi pas une forme d’initiation à la vie adulte hors de tout endoctrinement et idéologie, qu’il faut savoir proposer et utiliser suffisamment tôt avant que l’expression des conflits n’ait fait place aux comportements pathologiques.

La psychothérapie peut être considérée comme l' » ensemble des moyens psychologiques qui peuvent être mis en oeuvre dans un but thérapeutique  » (Guyotat). Elle suppose donc la recherche de changements par des moyens appropriés, en l’occurrence ici purement psychologiques. La référence à la théorie apparaît comme la garantie minimale quant à la nature des moyens utilisés et la finalité des changements recherchés. C’est cette référence qui différencie les psychothérapies des endoctrinements et des techniques de manipulation. Mettre en oeuvre un processus de changement suppose en effet inévitablement une vectorisation de ce changement et donc une dimension normative. Celle-ci, comme l’a fait remarquer D. Lagache, est inhérente au développement de la personnalité dès lors que le nourrisson, à partir de cette activité minimale de jugement qu’est la dichotomie plaisir/déplaisir, devient capable de discriminer le bon et le mauvais et de développer des processus psychiques d’intériorisation du bon et de rejet à l’extérieur du mauvais. Cette activité normative basale se complexifiera avec la culpabilité et l’apparition d’une activité réflexive qui, en développant un regard critique possible sur le sujet lui-même, ouvrira la voie de l’image de soi, de l’idéal du moi et de leur articulation avec les idéaux parentaux et sociaux.

La psychothérapie n’échappe pas à cette constante des relations humaines. L’appartenance à un corpus théorique est la limite, sinon le garant, à une dérive trop personnelle de la relation psychothérapique. C’est qu’en effet celle-ci est prise entre deux dangers : celui d’en rester au niveau de la demande la plus superficielle du patient et de n’induire ni changement, ni apport nouveau ; ou celui de conduire le patient au détriment de son intérêt vers ce qui intéresse le thérapeute en ne respectant plus le cheminement propre du patient, ni même sa liberté. Mais ne nous y trompons pas, la marge est souvent étroite entre ces deux extrêmes. Seuls l’approfondissement réciproque de la théorie et de la pratique et l’échange avec des tiers peuvent permettre d’en accroître les avantages sur les risques.

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