Qu’est-ce que la résilience ?
Source : Michel Lemay M.D. Psychiatre, Hôpital Ste-Justine. Équilibre en Tête, Vol.14, No.4
Le terme de résilience est utilisé dans le domaine de la physique pour traduire la résistance de matériaux à la pression. On dira ainsi que la coque d’un sous-marin est résiliente lorsqu’elle se révèle capable de supporter des pressions considérables lors de ses plongées et lorsqu’elle reprend sa forme primitive.
On le retrouve également dans la langue anglaise « resiliency » pour décrire la capacité de réussir de manière acceptable pour la société en dépit d’un stress qui comporte normalement le risque grave d’une issue négative. La résilience sera définie ici comme la capacité pour un sujet confronté à des stress importants au cours de son existence de mettre en jeu des mécanismes adaptatifs lui permettant non seulement de « tenir le coup » mais de rebondir en tirant un certain profit d’un tel affrontement. La mise en évidence de tels phénomènes de résilience ne veut évidemment pas dire que la souffrance de la personne soit minimisée. Tout doit être fait sur le plan préventif pour empêcher que des événements pathogènes puissent survenir. Par exemple, un abandon pour un enfant, une situation de négligence, des abus sont toujours traumatiques. Il faut cependant constater que les répercussions de telles difficultés sont très différentes selon chaque individu. Certains sujets sont profondément atteints et souffrent de séquelles presque définitives. D’autres trouvent en eux-mêmes et dans leur environnement les forces nécessaires non seulement pour résister au stress, mais pour développer à partir d’eux de nouvelles capacités adaptatives. La résilience ne doit pas non plus être considérée comme une qualité appartenant à une espèce particulière de surhommes. Elle est variable dans le temps. Elle peut exister à un moment donné de la vie et ne plus surgir à une autre période. Elle peut être trompeuse dans le sens que la personne semble être sortie indemme des événements pathogènes puis se met à présenter, bien des années plus tard, une fragilité particulière. En dépit de ces réserves, il est intéressant d’étudier les processus résilients mis en place, car ils permettent de mieux comprendre certaines formes d’ajustement apparemment inexplicables et donnent des pistes d’interventions pour favoriser la formation de tels mécanismes lorsqu’ils ne surgissent pas spontanément.
Le concept de résilience a déjà été abordé dans les décennies antérieures. On a parlé ainsi d’invulnérabilité. Pour expliquer autant les fragilités que les aptitudes à résister aux conditions défectueuses de l’existence, on a utilisé les termes de constitution, de terrain, d’équipement, en voulant ainsi montrer que selon les périodes, les âges, les contextes, les organisations de la personnalité, chacun de nous possédait ou ne possédait pas à un moment donné les capacités de faire face positivement aux aléas de son développement. La reprise récente de cette idée a permis de mieux cerner le phénomène en observant avec plus de précision les processus adaptatifs et défensifs mis en jeu. Parmi ceux-ci, il faut distinguer les forces construites par le sujet lui-même et celles qu’il peut tirer de son environnement. Les forces bâties par la personne peuvent se regrouper en plusieurs secteurs. Devant les agressions subies, on voit apparaître chez certains sujets des manifestations qui sont essentiellement corporelles. Le sujet se réfugie momentanément dans la maladie et grâce aux soins que cette affection entraîne, il construit une sorte de cocon protecteur lui permettant de se mettre dans une position d’attente. Par la résurgence d’un symptôme à première vue gênant, il forme une sorte d’abcès de fixation qui l’autorise à déposer son trop-plein d’angoisse impossible à gérer. Par l’agitation en elle-même désordonnée, il lutte contre les éléments dépressifs et parvient à les maîtriser. Au bout d’un certain temps, ces comportements se régularisent et s’intègrent de façon plus harmonieuse à la manière d’être et de faire du sujet qui, par exemple, devient plus attentif aux malaises des autres, module son instabilité en orientant ce dynamisme d’abord anarchique vers des tâches socialisées…
Une autre des manières de lutter contre les situations traumatiques est de se forger un monde imaginaire qui permet d’échapper aux dures réalités de la vie. L’enfant utilise spontanément cette façon de faire dans le déroulement de ses jeux. Il peut ainsi se bâtir des peurs à première vue terrifiantes, mais, comme il peut les doser au cours de ses réalisations ludiques, en répéter l’émergence puis le contrôle, les partager avec ses pairs, il parvient à gérer son anxiété par la création d’un tel espace psychique. Par la suite, il associe certains thèmes pour en faire des scénarios qui enrichissent la palette de ses évocations. Bien des romanciers, des artistes, des compositeurs sont conscients qu’une partie de leur richesse littéraire, musicale ou graphique a pris ses racines dans un tel processus. Cette fuite dans l’imaginaire peut déboucher momentanément sur des phases de coupures inquiétantes, sur des périodes de fugues inadéquates, sur l’élaboration de fantasmes de parents idéaux qui interdisent temporairement de s’attacher aux personnes de son entourage, mais, en fin de compte, les mécanismes qui pouvaient apparaître paralysants, et qui l’étaient effectivement pendant un certain temps, ont contribué à permettre l’affrontement à des difficultés apparemment insurmontables, tout en créant une zone privilégiée d’expression secondaire.
D’autres phénomènes adaptatifs vont dans le sens d’une prise de distance par rapport à l’événement pathogène. On le relativise en niant les émotions soulevées, ce qui est parfois dangereux pour l’équilibre personnel, mais ce qui permet aussi de « tiédir » l’ardeur de celles-ci afin de métaboliser secondairement. On axe son attention sur quelques détails en s’isolant ainsi du contexte. Bien des personnes confinées dans une cellule savent qu’elles doivent leur salut psychique à des mécanismes d’obsessionnalisation qui les amenaient à rabâcher un thème ou à canaliser toute leur énergie sur l’analyse d’une craquelure du mur ou sur l’attente de l’arrivée régulière d’un insecte. On se centre sur une évocation, ce qui permet de faire le vide autour de soi…
Si le sujet lui-même peut se créer des « systèmes de survie » qui deviennent par la suite des paramètres utilisés pour son évolution personnelle, il peut bien sûr s’appuyer sur l’environnement actuel ou sur des souvenirs de son environnement antérieur pour « tenir le coup ». Plus un être humain a pu connaître un creuset familial dans lequel il s’est attaché à des personnes significatives, plus il peut s’appuyer sur les images de ces personnes, même si celles-ci sont disparues depuis longtemps, lorsqu’il se trouve, par exemple, dans une situation de solitude ou d’abandon. Plus il a pu rencontrer à un moment donné de son existence un partenaire empathique, respectueux de sa personnalité, capable de croire en son évolution positive, plus il devient capable de supporter une injustice puisqu’il garde au fond de lui la croyance inébranlable qu’un autre de ses semblables a su le voir comme un sujet à part entière, digne d’estime. Sur ce plan, la mise en évidence des mécanismes de résilience montre la responsabilité des intervenants vis-à-vis des personnes en difficultés. Il faut certes poser un diagnostic, puis édifier des interventions thérapeutiques cohérentes, mais si la démarche consiste à cataloguer un sujet et d’en faire un être étrange et étranger, elle devient mortifière puisqu’elle ne croit plus en la capacité créatrice d’un sujet et ne le place plus dans le statut d’un acteur de son devenir.
La résilience n’est donc pas une sorte de vision utopique ou éthérée des personnes cotoyées.
Elle est d’abord une constatation : on peut se sortir de situations apparamment désespérées.
Elle est mise en garde : toutes les théories sur les aléas du développement de l’être humain ne peuvent pas expliquer sur un plan singulier l’aventure de chacun. Il demeure une part d’imprévisible, d’indicible qui dépasse nos connaissances.
Elle est un message d’espoir : le symptôme, au moment où il apparaît est bien lourd à porter. Il peut enfermer le sujet dans les rets morbides d’une maladie mentale. Il est parfois un mouvement gênant mais fécond dans une évolution et il faut alors savoir l’accompagner sans vouloir le supprimer.
Elle est un rappel de nos forces et de nos limites : autant il ne faut pas minimiser les effets pathogènes de maintes situations qui se prolongent, autant il faut savoir reconnaître avec humilité que nos anticipations, telles que plan d’intervention, pronostic sont des hypothèses destinées à savoir reconnaître les obstacles et non des certitudes.
Elle est porteuse d’un dynamisme. Celui qui souffre, celui qui lutte, celui qui semble sombrer à un moment donné de son existence est à écouter dans sa propre démarche pour que celle-ci, reconnue, génère de nouvelles pistes d’action.
Elle est une affirmation : sans nier l’importance de nos interventions thérapeutiques, c’est dans le sujet lui-même qu’il faut d’abord rechercher les signes annonciateurs de la guérison.
Elle transmet un message paradoxal : on ne peut pas toujours faire l’économie de la souffrance pour étayer sa créativité et c’est parfois après une telle démarche souffrante qu’on peut actualiser des forces demeurées jusqu’alors latentes et inconnues.
Virage, Volume 6 Numéro 2, Hiver 2000
L’Association canadienne pour la santé mentale – Chaudière-Appalaches