Race et Histoire. Par Claude Lévi-strauss. (1999 [1952, UNESCO ; 1972, Plon], Seuil, collection Point.

Né en 1908, Claude Lévi-strauss enseigne pendant deux ans la philosophie dans des lycées de province, puis quitte la France en 1935 pour occuper une chaire de sociologie à l’Université de Sao Paulo. Dès son arrivée au Brésil, il prend contact avec les populations indiennes de l’intérieur. Sur le terrain, il se transforme progressivement en ethnologue, et dirige plusieurs expéditions scientifiques au Mato Grosso et en Amazonie méridionale. De retour en France en 1939, il est mobilisé, et parvient à gagner les États-Unis quelques mois après l’armistice. Il enseigne à New-york, où furent écrits ses premiers ouvrages. A la libération, il se voit confier les fonctions de conseiller culturel près de l’Ambassade de France, dont il démissionne en 1947 pour se consacrer à ses travaux scientifiques, d’abord au Musée de l’Homme, puis à l’école des Hautes Études. Il est, depuis 1959, titulaire de la chaire d’Anthropologie sociale au Collège de France.

Au cœur de cet article repose ce qui constitue vraisemblablement le principal fondement des relations entre l’ethnologue, son milieu d’origine, l’Occident, et son milieu d’accueil, les « populations traditionnelles ». La qualification de ces dernières résume à elles-seules le fond du problème : il a souvent été question de « sociétés primitives » voire de « sociétés exotiques ». Lévi-Strauss fait donc le point sur les notions de progrès, de culture, ou encore de « sens de l’histoire ». Ne rejetant pas toute utilisation du vocable « race », il n’a de cesse de montrer les liens étroits qui unissent le racisme, pris dans une acception neutre d’une conception de la division de l’humanité en races, et d’ethnocentrisme. L’Occident, plus que tout autre civilisation, a à souffrir de la critique de Lévi-Strauss, compte tenu de la position dominatrice qu’elle impose sur tout mode de pensée.

Par ailleurs, Lévi-Strauss revient dans ce texte sur les dangers et les limites que pose la méthode historique – longtemps critiquée pour ses verbiages descriptifs et ses récits sans conclusion – reprenant ça et là les observations proposées dans son article de 1949, « Histoire et Ethnologie ». Race et Histoire nous replace en ce sens dans un débat vieux de quelques années, opposant l’histoire à l’ethnologie, et qui trouve ses sources dans les articles de Henri Hausser et François Simiand, respectivement, « L’enseignement des sciences sociales » (1903), et « Méthode historiques et science sociale » (1903).

Ainsi, l’anthropologie structurale permet, par l’établissement d’une « structure », d’établir un modèle de la face « inconsciente » d’une société, ne se bornant pas à de simples considérations générales ethnographiques mais autorisant la comparaison et l’analyse des différents modèles instaurés, cette comparaison avec « l’Autre » sans aucune référence ni au progrès, ni à l’évolutionnisme. Mais loin d’opposer l’histoire et l’ethnologie, Lévi-Strauss préfèrera toujours insister sur leur complémentarité : « c’est donc aux rapports entre l’histoire et l’ethnologie au sens strict, que se ramène le débat.

Nous nous proposons de montrer que la différence fondamentale entre les deux n’est ni d’objet, ni de but, ni de méthode ; mais qu’ayant le même objet, qui est la vie sociale ; le même but qui est une meilleure intelligence de l’homme ; et une méthode où varie seulement le dosage des procédés de recherche, elles se distinguent surtout par le choix de perspectives complémentaires : l’histoire organisant des données par rapport aux expression conscientes, l’ethnologie par rapport aux conditions inconscientes, de la vie sociale » (« Histoire et Ethnologie » in Anthropologie Structurale, 1985 [1956], p.31).

En conséquence, nous ne serons pas étonnés que les propos de l’ethnologue français aient déchaîné les foudres, peu enclines à accepter une relativisation des mérites de nos traditions. Nous souhaitons dans ce travail rétablir le plus honnêtement possible le contenu d’une pensée souvent mal comprise, mal acceptée, mais néanmoins extraordinairement révolutionnaire et subtile.

Il nous faudra alors répondre cette question posée par le document de l’UNESCO de 1952 : y-a-t-il une contribution des races humaines à la civilisation mondiale ?

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