Rachid BENNEGADI & François BOURDILLON : « Migration health : What does the future hold ? »

In : International Migration, 1992, n° 30 : 199-205

Rachid BENNEGADI est Psychiatre anthropologue, Centre Françoise MINKOWSKA (Paris), Secrétaire Général de la Section Transculturelle de l’Association Mondiale de Psychiatrie (WPA-TPS).

Il paraît utile en introduction de cet exposé d’apporter quelques précisions sur la notion de migrations. Une migration signifie qu’il y a des migrants. Le terme de « migrants » recouvre la notion de personnes en mouvement, mais ne prend pas en compte celles qui se sont installées dans le pays d’accueil depuis de nombreuses années. Le visage de l’immigration s’est depuis la dernière guerre considérablement modifié ; l’immigration dans les pays occidentalisés est maintenant très limitée et contrôlée. L’immigration de main d’œuvre n’est plus de mise, le regroupement familial, les mariages avec un conjoint étranger, l’arrivée de réfugiés l’ont fait évoluer vers une immigration de peuplement. Il convient donc d’utiliser d’autres vocables que « migrants », trop limitatifs, pour caractériser ces populations :

Le terme « étranger » défini par une nationalité différente de la société d’accueil, ne prend pas en compte les jeunes issus de l’immigration ayant le plus souvent la nationalité du pays où ils sont nés.

Le terme « personne d’origine étrangère » ou « membres de minorité ethnique » a l’avantage de regrouper des entités plus distinctes et plus ouvertes et autant que possible de permettre un travail épidémiologique dont le but serait de mieux documenter par population les problèmes de santé ou les difficultés d’accès aux soins.

Cependant la réalisation d’étude nécessitant la prise en compte des populations en fonction de leur nationalité ou de leur origine pose problème. En effet de nombreux gouvernements pour des raisons de liberté individuelle et des droits de l’homme rejettent cette possibilité. La réalisation d’études dans le domaine de l’immigration est pourtant nécessaire si on veut pouvoir s’assurer de l’efficacité des politiques visant à réduire les inégalités et ainsi œuvrer dans l’esprit de la déclaration d’Alma Ata de 1978 sur la santé pour tous en l’an 2000. Il convient donc de se donner les moyens dans le respect des libertés de réaliser des études et de mettre en place des systèmes de surveillance par population.

QUELLES POLITIQUES, VIS-À-VIS DES PERSONNES D’ORIGINE ÉTRANGÈRE, METTRE EN ŒUVRE POUR RÉDUIRE LES INÉGALITÉS EN MATIÈRE DE SANTÉ ?

Il faut distinguer la santé des primo-arrivants et celles des résidents.

La santé des primo arrivants

Elle varie en fonction des origines, des nationalités et des conditions de l’exil. Les pathologies rencontrées sont très diverses, la pathologie infectieuse reste toujours d’actualité.

C’est dans ce contexte que la visite médicale d’entrée sur le territoire prend tout son sens. Ces visites dans la plupart des pays d’accueil sont des contrôles sanitaires visant à déterminer si l’étranger remplit ou pas les conditions sanitaires exigées par les réglementations de chaque pays d’accueil. Ne faut il pas, lorsque l’on connaît l’inefficacité des barrières sanitaire aux frontières et les problèmes de santé posés par ces populations faire évoluer ces visites médicales ? Des visites médicales élargies à un travail de promotion et de prévention de la santé n’auraient elles pas plus d’impact en terme de santé publique et ne répondraient elles pas plus aux besoins de santé des populations accueillies.

Ne serait-il pas nécessaire de :

- élargir les dépistages à d’autres affections que la tuberculose et la syphilis. Le dépistage pour certains étrangers d’affections telles l’hépatite B, les anémies, les hémoglobinopathies, par exemple, devrait pouvoir être envisagé. Ces dépistages devraient pouvoir être ciblés en fonction du niveau de risque. La mise en place de tels dépistages ne doit pas être un moyen supplémentaire pour renforcer le contrôle de l’immigration. Le dépistage des anticorps anti VIH, y compris sur des bases volontaires, compte tenu des possibilités de dérive ou de dérapage vers un dépistage systématique de séjour ne paraît pas à l’heure actuelle devoir être envisagé.

- saisir l’opportunité de ces visites médicales pour faire un travail d’information et de sensibilisation sur des thèmes de santé. L’infection VIH compte tenu de son développement épidémique et de la nécessité de responsabiliser chaque individu, qu’il soit positif ou négatif, devrait être un thème prioritaire. Des possibilités de dépistage en dehors du cadre des visites d’entrée sur le territoire devraient pouvoir être offertes.

- enfin d’orienter correctement les personnes concernées vers le système de soins existants. La pathologie dépistée est en effet très diverse et nécessite une prise en charge que ce soit un bilan, un traitement ou un suivi médical. Une couverture efficace par le système de protection sociale apparaît dès ce moment comme fondamentale.

La santé des personnes d’origine étrangère résidentes

Il persiste, pour ces populations, un certain nombre d’inégalités en matière de santé. Ces inégalités varient d’un pays à un autre ou d’un groupe national ou ethnique à un autre. On note ainsi dans certaines populations un moins bon suivi de grossesse, une pathologie périnatale plus élevée, des hospitalisations d’enfants plus fréquentes, un nombre élevé d’accidents domestiques. Pour les migrants âgés se pose avec acuité les problèmes de suivi médical et de protection sociale. Des difficultés de prise en charge peuvent devenir très complexes dans le cadre de la pathologie mentale. Enfin les travailleurs d’origine étrangère sont très exposés aux accidents du travail dont les conséquences physiques et psychologiques sont parfois graves.

Une partie de la population d’origine étrangère ou des groupes ethniques vit dans des conditions de vie difficile et appartient aux catégories socio économiques les plus défavorisées avec lesquelles ils partagent les difficultés d’accès aux soins. Les obstacles à surmonter sont nombreux :

- les obstacles administratifs et financiers la complexité des procédures la méconnaissance des droits,

auxquels se surajoutent pour ces populations :

- les difficultés de communication avec en particulier les barrières linguistique et culturelle. Cette dernière est souvent difficile à évaluer mais les représentations de la santé de la maladie sont différents d’une culture à l’autre, les symptômes ne s’expriment pas de la même façon…

- les discriminations fondées sur la xénophobie, le racisme. Il arrive que des personnes d’origine étrangère soient traitées de façon consciente ou inconsciente avec condescendance, rudesse et grossièreté. Ces attitudes ne peuvent qu’aggraver les difficultés à faire valoir ses droits et à accéder aux soins.

Une autre partie souvent minoritaire est en situation irrégulière vis à vis du séjour et de fait ne peut bénéficier d’aucune protection sociale. Faute de moyens ils ne peuvent accéder aux soins dans des conditions normales, alors que leurs besoins en matière de santé, compte tenu de leurs conditions de vie extrêmement difficiles sont souvent supérieurs aux autres populations. Ils ont souvent recours aux organisations non gouvernementales, bénévoles, caritatives, voire aux urgences des hôpitaux où ils n’ont pas besoin de faire une avance financière…

Il est devant ce constat nécessaire de développer des actions visant à améliorer :

* les réponses des services de santé aux besoins des populations ethniquement et culturellement différente.

* les demandes d’aide ou de prestations de soins par les personnes concernées.

I. Améliorer les réponses des services de santé aux besoins des populations ethniquement et culturellement différentes

Plusieurs actions apparaissent comme prioritaires : la formation initiale et continue des personnels soignants.

1) La formation initiale

Il devient indispensable d’intégrer dans les cursus de formation des futurs professionnels de santé (médecins, infirmières, assistantes sociales, psychologues) une ouverture sur l’univers socioculturel et socio anthropologique des populations d’origine étrangère au pays d’accueil.
En effet dans toute pratique de soins la connaissance du milieu social et socio culturel est tout aussi déterminante que la clinique ; et il apparait indispensable de préparer les futurs professionnels à accueillir et à soigner des populations étrangères qui feront partie de leur clientèle.

Un exemple : la maternité

Il n’est de secret pour une personne qu’il existe au niveau des maternités, au delà des problèmes strictement médicaux de périnatalité, de nombreux problèmes d’accueil, et de compréhension liés à ce que :

- pour une femme étrangère accoucher dans un pays qui n’est pas le sien n’est pas simple : absence du soutien familial (au sens élargi), difficultés de communication liées à la langue, position d’accouchement inhabituelle, examens médicaux réalisés par des hommes, incompréhension de la nécessité d’une surveillance médicale…

- le personnel n’a pas été formé à la connaissance du milieu, aux représentations de la maternité, et des maladies dans d’autres cultures ; ni informé sur les raisons de l’immigration. Ces ouvertures permettraient aux soignants de mieux s’interroger et comprendre les demandes des autres et par conséquent de rendre une prestation cohérente et efficace.

2) La formation continue

Elle vient bien sûr en complément de la formation initiale. Elle doit être intégrée en politique de formation des établissements de soins, notamment ceux situés dans zones à forte concentration d’étrangers.
Il ne s’agit pas de proposer des formations noyées dans un programme, vaste catalogue de formation, mais de mettre en place des formations visant à toucher dans un service ou une discipline l’ensemble du personnel. Ce n’est qu’à ce prix que des objectifs retrouvés dans la plupart des stages de formation proposés tels que « améliorer l’accueil et la prise en charge des populations d’origine étrangère » ont une chance de pouvoir être atteint.

Ces formations doivent s’articuler, outre sur une actualisation des connaissances médicales et socio- anthropologique, sur un travail de réflexion :

- sur les situations interculturelles, sur la relation, sur la communication visant à mieux comprendre ses propres réactions ainsi que la demande et les besoins des patients.

- sur les actions à mener visant à améliorer le service rendu en essayant d’amener le personnel de santé à faire ses propres propositions. Ces formations ne doivent pas non plus se limiter aux systèmes de soins mais toucher également les médecins de prévention et en particulier les médecins du travail.

3) Information et éducation pour la santé en direction des populations migrantes

Faut-il adapter des méthodes d’information pour les populations d’origine étrangère ?

Dans une première approche avaient été distinguées parmi ces populations celles qui sont dans les circuits d’informations classiques, et celles qui n’y sont pas, qui appartiennent le plus souvent aux populations de bas niveaux de qualification.
Les messages de campagnes de sensibilisation (télévision, radio, presse) sont souvent peu ou pas intégrés par les populations peu ou pas scolarisées ou illettrées qui sont justement les personnes à risque. Le phénomène est encore aggravé pour les étrangers qui maîtrisent mal la langue du pays d’accueil et par conséquent ne peuvent exprimer au mieux par le biais des représentations culturelles leur souffrance.

Il devient indispensable de soutenir les messages diffusés par des animations en petits groupes, avec l’aide d’un support pédagogique.
Ceci implique des actions à plusieurs niveaux :

- identifier les principaux lieux de socialisation, des populations d’origine étrangère à l’échelon des quartiers.

- adapter ou de créer du matériel de sensibilisation ou d’information, d’éducation pour la santé. L’outil audiovisuel avec utilisation de la langue vivante semble être une des approches les plus pertinentes.

- définir des stratégies d’interventions qui « marchent » c’est à dire le plus souvent menées par du personnel formé sur des petits groupes de manière interactive. C’est au niveau de ce savoir faire qu’il y a actuellement une énorme carence. De telles stratégies doivent bien sûr être soutenues au niveau politique.

4) L’interprétariat

Il est nécessaire dans un grand nombre d’activité lié à la santé allant de l’examen clinique, aux démarches administratives ; en effet les barrières linguistiques et culturelles rendent parfois les situations extrêmement complexes :

- pour l’accès aux soins, car elles aggravent les barrières administratives.

- pour le patient qui ne peut exprimer sa souffrance au médecin, y compris parfois lorsqu’il parle la langue du pays d’accueil car un symptôme est toujours à replacer dans un contexte culturel ; il existe des codes bien précis dans chaque culture qui permettent d’exprimer maux et souffrances.

- pour le soignant qui a du mal à percevoir, à comprendre son patient, et ne peut fournir une prestation de soins de qualité. Comment réaliser un interrogatoire dans de telles conditions, et comment l’information délivrée sur le diagnostic ou le traitement a t elle été comprise ?

La communication avec des personnes d’origine étrangère parlant peu ou pas la langue du pays d’accueil n’est possible que grâce à un proche ou à un malade, ce qui n’est pas satisfaisant et pose des problèmes au niveau du secret professionnel.
L’interprétariat est un vrai métier. Les traductions posent de réels problèmes : mauvaises paraphrases, interactions interprètes patients, ou médecins interprètes, absence d’équivalent linguistique pour certains mots, attitudes ethnocentriques, minimisation ou accentuation de certains symptômes… De plus cet interprétariat linguistique et culturel nécessite également une certaine pratique du jargon médical.

À défaut d’interprètes, certains suggèrent de recruter des personnels de santé issus de l’immigration. Cela peut être une alternative efficace en fonction des nécessités, tout en restant attentif à d’éventuelles stigmatisations : le soignant issu de l’immigration ne doit pas resté cantonné à la seule prise en charge des personnes d’origine étrangère, et inversement, il ne doit pas être un alibi pour les autres soignants afin de ne pas prendre en charge des étrangers.
Dans le cas particulier d’une pathologie psychiatrique un thérapeute de la même culture devrait être utilisable soit au moment du diagnostic soit comme référent culturel soit enfin dans une approche psychothérapeutique. Il va de soit que cette démarche doit être négociée autant avec le patient qu’avec le thérapeute. Il ne s’agit pas de créer des structures spécifiques mais d’utiliser des personnes ressources dont la compétence interculturelle sert à mieux valoriser le système de soins national.

II. Améliorer les demandes d’aide ou de prestations de soins par les personnes concernées

Pour que le système fonctionne il faut également intervenir sur le partenaire étranger pour qu’il sache au mieux utiliser le système de soins. Car, si on améliore le système de soins, il faut savoir que pour autant, la personne d’origine étrangère ne fera pas appel obligatoirement aux structures officielles dans une première intention. La notion de maladie diffère de la notion de manque de santé. L’entourage est souvent le premier sollicité. En fonction du degré de l’urgence il n’est pas rare de voir un patient consulter seulement après un périple dans la médecine traditionnelle. Sans porter de jugement sur cette démarche on remarque cependant que le recours aux systèmes sanitaires officiels est plus rapide et plus adapté lorsque l’information aux personnes d’origine étrangère est transmise en tenant compte des représentations du soin et de la maladie. Cela sous entend une bonne connaissance de la population concernée et de ses problèmes de santé, une bonne maîtrise de la communication interculturelle et la capacité à faire passer un message d’éducation pour la santé adapté.

EN CONCLUSION

Le constat fait au cours de cette conférence montre qu’il existe encore à l’aube de l’an 2000 des inégalités en matière de santé entre nationaux et personnes d’origine étrangère.

Il apparaît nécessaire de développer des politiques :

- pour entreprendre des études épidémiologiques et anthropologiques sur la santé des populations d’origine étrangère,

- pour privilégier la formation initiale et continue des personnels de santé,

- pour développer l’information et l’éducation pour la santé en direction des personnes d’origine étrangère,

- pour mettre en place des organismes professionnels d’interprétariat,

- renforcer le réseau international d’information et de contacts des experts en la matière.

Aller au contenu principal