In : Lieux de l’enfance, 1986, N° 8 : 137-148
Rachid BENNEGADI est Psychiatre anthropologue, Centre Françoise MINKOWSKA (Paris), Secrétaire Général de la Section Transculturelle de l’Association Mondiale de Psychiatrie (WPA-TPS).
À quoi ça sert ?
D’une manière générale, la circoncision est classée par la nosographie occidentale comme une mutilation sexuelle. Si l’on s’arrête à cet aspect dans l’abord de cet « événement de vie » pour l’enfant, il est normal que le débat se pose lors de discussions psychosociales sur : faut-il l’éviter ou pas ? Les tenants du respect de l’intégrité corporelle dans le cadre du respect de l’enfant ont leurs arguments et ils sont recevables. Les tenants du respect de l’intégrité culturelle dans le cadre du respect de l’identité de l’enfant de migrant ont d’autres arguments et ils sont à entendre. Pour bien montrer le piège dans lequel il est devenu banal de tomber dès que l’on aborde un phénomène qui fait intervenir des composantes médicales et culturelles, il n’est que de se référer aux empoignades théoriques et sur le terrain concernant l’excision, une autre mutilation sexuelle. Si piège il y a, peut être (sûrement diront les sages) existe t il d’autres moyens d’aborder ce sujet : par exemple, avant de débattre de l’opportunité d’un tel acte (c’est avant tout un acte blessant le corps au niveau du sexe, que cet acte soit prescrit par la culture ou cautionné à posteriori par la culture), essayons de remonter un peu en amont pour situer, historiquement, quelle est la valeur de ce moment dans le trajet de vie de l’enfant de migrant et, phénoménologiquement, quelle est la coloration culturelle de cette « tranche de temps » (si j’ose dire).
Pour cela, il est impossible de faire seulement référence à l’histoire des civilisations. Bien sûr, il est préférable de situer l’origine ou la reconnaissance culturelle de la circoncision par un groupe social, car cela aide à saisir les bénéfices qu’en attend ce groupe et la manipulation qu’il en fait. Il n’est pas anodin effectivement de savoir que pour les ethnies maghrébines (c’est-à-dire les populations arabo berbères du Maghreb), il est difficile de dire si la circoncision était une pratique généralisée ou ponctuelle avant l’invasion des troupes musulmanes déferlant d’Arabie. Cela est d’autant plus intéressant que le fait de la circoncision est trop généralement (et à tort) lié à l’islamité et la notion de présence ante-islamique est même noyée dans une certaine ambiguïté de la part même des Maghrébins, comme si ce rite était récupéré par un inconscient ethnique (pas forcément collectif par rapport au monde musulman) qui dénie presque la réalité temporelle de l’ante-Islam, dénégation subtile par le biais de la désignation du pré Islam comme « la période de l’ignorance » (Jahiliya). Ce terme est exact si on se situe de l’intérieur de l’Islam. C’était une période d’ignorance… de l’Islam, mais pas forcément d’ignorance dans le sens du non savoir, de la non-connaissance. De même que l’inconscient musulman est un peu ethnocentriste, de même l’approche médicale seulement, ou l’approche psychologique isolée, ou la réflexion anthropologique cloisonnée (à l’anthropologie culturelle seulement) donnent l’impression d’une vision des choses très auto centrée, mettant en porte à faux les arguments, car partant d’un savoir de référence. Ils ont tendance à alimenter le raisonnement conscient ou refoulé du système, et finissent par démontrer plutôt que comprendre. Une manière plus ouverte, laissant devient un élément de la réalité sociale avec renforcement de l’identité juive ou tout simplement rappel de l’existence d’une judéité selon les moments ou les sociétés traversées par le peuple juif.
La caution culturelle
Ce point a été développé pour repérer des concepts passerelles comme l’alliance et la responsabilisation. Classiquement, le rite de la circoncision, pour l’enfant musulman, le Maghrébin en tout cas, au delà de l’impact physique et psychologique sur l’enfant, est censé avoir une répercussion socio anthropologique fondamentale, car il signifie à l’enfant et au groupe le lieu d’appartenance, de dépendance de l’un et l’autre. Au fur et à mesure que l’on dévide l’écheveau des croyances soutenues que ce soit par les systèmes anthropologiques, sociaux, psychologiques ou médicaux, on réalise que le discours contradictoire ou polémique sur la circoncision n’est finalement en avant que dans un contexte interculturel ; plus particulièrement dans une situation migratoire, il est aisé d’accepter que la rencontre interculturelle n’est pas neutre et qu’elle déchaîne parfois tout un monde refoulé de croyances et d’attitudes qui saturent les arguments en présupposés, jugements d’intention, amalgames, projections défensives, recherche de boucs émissaires, créations factices d’emblèmes ethniques, qui, au total, pervertissent bien sûr la relation mais, à mon avis, également le sens des rites tels qu’ils étaient repérés dans la culture, en situation non migratoire.
Ceci seulement pour appuyer le fait que cet event life qui était en harmonie en situation endoculturelle, et qui, malgré cela, était un phénomène complexe, nécessitant toute l’énergie du groupe pour lui donner un sens utile, justifiant l’épreuve, tout cela va basculer dans une dysharmonie qui empêche sa réinterprétation psychosociale adéquate. Peu importe presque l’événement lui-même, c’était la gestion collective qui lui donnait vie. Phénoménologiquement, la perception de ce rite devenait une image mentale chargée d’une symbolique qui avait des points d’ancrage dans l’inconscient ethnique et pouvait être réifiée dans le discours comme un moment maturant pour l’enfant et son environnement socioculturel : cette diffusion du sens de la circoncision sur le groupe et pas uniquement sur l’individu montre bien qu’il n’y a pas de catégories à établir en fonction de la catégorie socio professionnelle, du niveau de qualification ou de la qualité d’insertion de tel ou tel groupe familial maghrébin musulman immigré, mais qu’il faut porter un regard plus ouvert sur les capacités ponctuelles de gestion de cet événement et pour l’enfant et pour le groupe au moment où la circoncision est « commise ».
La raison migratoire
J’entends par là que la confrontation à ce rite a des répercussions psychosociales où l’aspect migratoire ne doit pas être réduit au simple éloignement ou déracinement. Pour mieux argumenter, je proposerai de sortir du modèle botanique des racines (il n’est pas anodin que déracinement dans ce sens là soit équivalent d’un risque vital, et que l’image même des racines hors de terre soit signifiante d’angoisse, de castration) et de présentifier à la conscience l’image mentale d’un réseau symbolique où les faits culturels s’enracinent (dans le sens de s’alimentent) dans un potentiel nostalgique du pays d’origine, du groupe d’origine ; cela aide à comprendre pourquoi le « ressourcement régulier » dans l’ambiance culturelle permet de mieux cerner les impasses, d’assouplir les défenses, de réinterpréter avec une plus grande liberté les faits sociaux, et enfin d’éviter le « scandale » déstructurant (dans le sens de la confusion, la désorientation) des multiples chocs culturels (non pas dans le sens du cultural shock dans les premiers moments migratoires, mais dans le sens des traumatismes répétés lorsqu’il y a antinomie entre l’interprétation d’un fait socio culturel par le migrant et le sens réel que lui donne la société d’accueil). L’enfant de migrant et « sa » circoncision, c’est un ensemble qui n’a de sens que si les deux entités sont préparées : en effet, l’enfant doit être « affranchi » d’un certain nombre d’arguments justifiant la démarche, apprenant ainsi tout le pouvoir des mots lorsqu’ils sont libellés par le groupe des pères (et non des pairs), apprenant également la puissance magique du verbe puisqu’il va s’inscrire sur son corps, son sexe, réalisant enfin l’enjeu de son amour et son attachement à sa mère. Ce n’est pas dévier un fait culturel dans un sens psychopathologique de dire (sans affirmer) que, pour peu que cette « leçon » vienne rencontrer une dynamique psychologique qui s’organise, la manière avec laquelle se fera l’articulation dans ce moment interactif, interpersonnel, va compter dans la structuration de la personnalité. Je ne vais pas jusqu’à dire que ce sera là un fondement de la personnalité et souscrire là avec légèreté à une typologie quelconque. L’idée même développée par Kardiner et ses collaborateurs, dans son séminaire sur les fondements culturels de la personnalité, de personnalité de base montre bien combien la tentation est grande de repérer quelques grands indicateurs invariants (et la circoncision pourrait en être un) qui seraient des passages obligés pour l’abord psycho anthropologique.
Cette option, pratique pour les anthropologues de surface, ne suffit plus dès qu’on réalise que ce qui donne un sens à un fait culturel à travers la’ personnalité, c’est comment s’effectue l’interaction entre ce fait et la personnalité en situation et pas en dehors d’une situation. Donc, en situation migratoire, la circoncision de l’enfant est à comprendre dans ce qu’en dit l’enfant, ce qu’en dit l’environnement familial de l’enfant, ce que l’enfant et sa famille en disent devant le groupe élargi, qu’il soit présent physiquement ou symboliquement.
Quant au « jeu social » auquel le groupe se livre pour « consommer » la circoncision de l’enfant, il fait partie de l’« enjeu socio culturel », et si le scénario ne répond pas à une unité de temps, de lieu et d’action, c’est parce qu’il est vital qu’il puisse être manipulé culturellement, bien sûr, pour l’adapter à tous moments : classiquement, les mauvais « sires » sont les oncles maternels qui sont supposés « kidnapper » l’enfant de manière à le « ravir » à sa mère (qui est supposée ne pas s’en remettre, bien qu’elle soit la pièce maîtresse de l’organisation de cette célébration) ; le père, lui, « sire triste » (mais qui peut devenir très vite le « triste sire »), est censé ne pas être au courant de cette mise en scène (bien qu’il en soit le financeur) ; tout cela, dans le meilleur des cas, laisse à l’enfant un souvenir cuisant dans sa chair (même lorsqu’il est procédé à une anesthésie générale, ce qui est exceptionnel) et une « expérience édifiante ». C’est d’ailleurs en général cette expérience édifiante que le groupe socio culturel met en avant. Il la veut maturante, explicative, bien que fulgurante (J’allais dire concise). Il attend de l’enfant la compréhension dans son être (nifs, dans le sens large de l’être vivant et non pas dans son corps, puis ensuite dans son esprit, quel que soit le biais) total du message suivant : « Nous te reconnaissons comme l’un des nôtres, tu fais partie d’un groupe à qui tu dois le respect et qui t’apporte la sécurité ; mais pour cela il fallait que tu saches que cela se monnaye » ! A la limite, la technique du passage par le corps est une technique répandue dans l’humanité, et il serait intéressant de pouvoir décrypter le sens de cette nécessité dans les aires culturelles qui la pratiquent encore. Cependant, là où l’on remarque que les groupes socioculturels sont d’abominables groupes d’intérêts c’est que, dans la foulée d’un rituel (qu’on pourrait admettre à la limite comme transitionnel) où l’enfant n’a pas tellement son mot à dire, on lui annonce un certain nombre de « lois » qui émanent des pères (dans les sociétés patriarcales et patrilocales également) où pêle-mêle on retrouve les principes de base de la loi mosaïque, mais aussi les interdits de l’inceste, les dogmes traditionnels et religieux, les croyances locales, les fantasmes régionaux et la menace de la castration en cas de transgression.
Cela fait certainement beaucoup pour une « initiation ». Il est vrai que cela fait l’objet par la suite d’une série de techniques comportementalistes variant de la gratification par la valorisation au renforcement de la menace de castration par allusions ou propos directs. La structuration désirée par le groupe sur un mode de fonctionnement psychique et social conforme est donc à ce prix. Il est superflu de dire que ce système socio culturel fonctionne, tant et si bien qu’il ne vient pas à l’idée de qui que ce soit qui a traversé cet espace culturel d’en contester la validité !
Faut-il trancher ?
Une question reste à poser un jour dans un cadre où participeraient des circoncis et des non-circoncis, sur les avantages que procure l’absence ou la présence préputiale. Bien sûr, les tentatives de réponses existent déjà : pêle-mêle et sans préjuger de leur validité, on retrouve l’hygiène, la puissance sexuelle, la nécessité des rites initiatiques, le respect de la différence, le risque de déculturation (si on ne coupe pas le prépuce, on risque de perdre la tête ! ou la face ! etc.), la nécessité d’être reconnu par ses pairs, le dogme religieux, l’augmentation ou la diminution de la sensibilité du gland (sous entendu le risque d’éjaculation précoce ou retardée), etc.
Dans tout cet argumentaire, il est rare que l’on puisse éviter l’amalgame d’explications faisant référence tantôt à une réalité anatomophysiologique, tantôt à une croyance, quelle soit idéologique, culturelle ou religieuse. C’est un terrain difficile, car l’illusion persiste de croire qu’on peut en parler sans y projeter quelque chose de ses représentations personnelles et de son refoulé également : Laplantine [7] dit que « les médecins comme les militaires se recrutent dans le civil » ; je le suivrai en ajoutant que les psychologues, sociologues, anthropologues également, et que, quoi que nous en disions, nous sommes obligés d’être ethnocentriques quelque part. Ce n’est pas une tare, c’est un fait biologico psycho social ; le tout est de le savoir et de maîtriser la mauvaise habitude de se référer à un système explicatif culturophage.
Il n’est d’ailleurs pas exclu que, par exemple, dans une même aire culturelle, la détention d’un savoir extérieur à cette culture ne soit utilisée pour rendre plus performant, plus moderne dans sa technique un rite qui autrefois était de la compétence de tradipraticiens ; par exemple, la circoncision est de plus en plus entre les mains de structures de soins, pratiquée par des médecins ou des infirmiers, selon une technique qui « garantit » un travail bien fait, avec une hémostase parfaite, évitant ainsi les affres d’une réouverture de la plaie dans les jours qui suivent la circoncision. Concernant les modalités, c’est effectivement plus confortable (diminuant incontestablement les classiques accidents infectieux et hémorragiques), mais le vécu de l’enfant n’en est pas amélioré pour autant.
À ce progrès manifeste de Paseptie (c’est une réalité), il aurait fallu que le conseil psychologique adapté au mode culturel soit un peu plus pertinent : pour avoir pratiqué en milieu semi nomade en Algérie des centaines de circoncisions, je reste étonné du silence total autour de l’enfant. Je ne me souviens pas non plus d’avoir ressenti le besoin d’un surplus d’explication autre qu’approuver le groupe socio culturel dans sa démarche. Cela montre combien on peut dénigrer les techniques traditionnelles, sources de « danger », pour vanter celle de la chirurgie et des soins à l’occidentale, mais sans jamais voir émerger l’ombre d’une critique quant à ce qui se passe ailleurs pour l’enfant.
S’il paraît difficile de proposer un appoint psychologique dans certaines difficultés découlant de la circoncision (troubles du sommeil, énurésie, phobie sociale) dans les pays du Maghreb, il me semble qu’en situation migratoire le problème se poserait différemment : il ne s’agit pas, bien sûr, de dire que toute circoncision devrait bénéficier d’un conseil psychosocial, mais qu’il est possible, quand c’est fait de manière compétente, de repérer le moment de la circoncision comme source de certaines difficultés d’adaptation de l’enfant de migrant, que ce soit dans son propre vécu de sa nouvelle situation, que ce soit dans son processus de socialisation, que ce soit dans ses relations avec la fratrie ou les parents.
Sacrifier au rite
Si l’on accepte le fait que la circoncision est un rite, voyons de quel type de rite il s’agit, et ce qu’en disent les anthropologues. D’une manière générale, tout le monde s’accorde sur la notion de rite privé et de rite public. Nous savons que toutes les sociétés, quelles qu’elles soient, organisent des rites, que ce soit pour préserver leur mode de vie ou s’organiser devant les dangers et les menaces réelles ou fantasmatiques. En tout cas, pour ceux qui prennent part à la célébration du rite, son importance est autant sociale, psychologique que symbolique.
La circoncision en milieu maghrébin est donc bien un rite public. Ce rite a une fonction expressive (par exemple, le scénario symbolique qui décode un certain nombre de valeurs clés et d’orientations culturelles). Cependant, comme l’explique Turner [11], il y a également une fonction créatrice, en ce sens qu’il permet presque la formulation ou la reformulation des modèles de conduite dans les sociétés.
Ce deuxième aspect, pour ce qui est de la circoncision au Maghreb, n’apparaît pas beaucoup. Ce rite sert essentiellement à exprimer une symbolique et à la communiquer aux autres membres du groupe. Par contre, en situation migratoire, on peut imaginer, avec les changements inévitables qui s’opèrent dans les familles migrantes, que ce soit par acculturation ou par contre acculturation, qu’il puisse y avoir une fonction créatrice du rite de la circoncision.
Nous savons que trois grandes variétés de rites publics sont repérées actuellement :
les rites liés au cycle cosmique, au calendrier, que ce soit des saisons ou du cycle lunaire ;
les rites de passages, où A. Van Gennep [121 retrouve trois niveaux : la séparation, la transition, l’incorporation ;
les rites liés à la maladie, au malheur.
Helman [6], reprenant les travaux de Van Gennep et de Leach établit le tableau suivant :
Statut social initial > Période de transition > Nouveau statut social
Rituels de séparation > Rites tabous et prescriptions sociales > Rituels d’incorporation
À la lumière de ce schéma, si on retrouve la dynamique de la circoncision, à peu près dans un rite de passage accompli du début à la fin et avec tous les ingrédients symboliques et sociaux, par contre, en situation migratoire, cela peut prendre un « profil bas », avec plusieurs conséquences :
Soit ce rite de passage se voit atténué dans son expressivité et son rôle communicatif de symboles, dans un groupe familial déjà à la recherche de nouveaux rites de passage plus ou moins consciemment adaptés à la société d’accueil, et, dans ce cas, la reformulation, l’aspect créatif dont parle Turner [11] devient le moteur de modèles intermédiaires avec, bien sûr, la part de risque quand on va à la pêche de nouvelles symboliques. En fait, le temps de la migration joue son rôle, et les interprétations nouvelles peuvent consommer des générations.
Soit ce rite de passage se trouve en porte à faux avec la société dans laquelle il tente de s’exprimer, et ceux qui y participent sont un peu dans la confusion devant la difficulté d’appuyer, de souligner, de charger de sens symbolique des rituels de séparation ou d’incorporation par exemple. Ce genre d’expérience provoque souvent des stratégies de « ressourcement » dans les pays d’origine, tant le manque de sens donne le vertige.
Une remarque encore sur la dynamique du rite de passage. La période de transition, qui se situe entre les rituels de séparation et d’incorporation, est une phase à mon sens très importante. C’est une période où l’identité est supposée ébranlée, vacillante, déchirée, mise à nu par la séparation, l’abandon d’un statut social antérieur. En attendant la période du rite d’incorporation avec un nouveau statut social, en général cette période de transition permet, au delà de l’application stricte de certains gestes et comportements, de méditer l’importance pour l’identité de l’interaction vitale avec le reste du groupe social. Si, en Afrique, la circoncision se fait à des âges avancés (jusqu’à l’adolescence) et dans un contexte d’initiation générale, il est important de ne pas oublier que pour l’enfant maghrébin elle se situe à un âge où il est obligé de privilégier la fonction protectrice et sociale au dépens de la fonction psychologique, introjectant ainsi le rôle démesuré du groupe social. C’est peut être selon cet éclairage qu’il faut comprendre P. Bourdieu lorsqu’il dit que le Maghrébin « répercute à l’infini un discours social ».
Certains ont pu voir dans la circoncision un rite de purification (Tahara en arabe voulant dire la purification) beaucoup plus dans le sens d’un rite positif au sens de Mauss [9]. Róheim a lui aussi repéré le côté initiation et changement de classe d’âge. Cependant, un aspect intéressant peut encore permettre une digression Cazeneuve [4] insiste particulièrement sur l’importance de la minutie qui permet d’éviter toute variation, la fixité étant la garantie contre l’échec du processus. La circoncision chez l’enfant maghrébin, migrant ou pas, n’est elle pas victime d’une certaine fixité ; caractéristique plutôt d’un rite privé alors qu’elle se présente comme un rite public ? Elle vient de si loin dans l’histoire de l’humanité, résistant à tant d’entreprises interculturelles qu’il faudrait s’interroger sur sa seule valeur de rite de passage et peut être lui accorder un rôle plus large. On peut se demander si ce n’est pas la fonction de bouc émissaire de l’enfant, par l’alibi de ce rite de passage, qui est en jeu. Dans un aspect plus ouvert, peut être faut il valoriser l’aspect indicateur d’acculturation dans la possibilité d’interpréter différemment ce rite en situation migratoire. Il est dans l’ordre de la dynamique psychologique interculturelle que ce qui semble fixé par la culture soit à débattre dans les rencontres interculturelles. La circoncision, passage obligé chez le musulman, ne doit pas S’ancrer de la même manière dans le discours du migrant musulman que dans celui du non migrant.
NOTES
1. BENNEGADI, R. – 1986. – « Identité et biculturalité ». In : Vie sociale et traitements, n° 164 : 44-49
2. BENNEGADI, R. – 1986. – « Un migrant peut en cacher un autre. L’acculturation : qu’en est-il et quels sont les rapports culture-personnalité mis en jeu ? ». In : Enfances et cultures, Toulouse, Privat : 83-96
3. CAILLOIS, R. – 1950. – L’homme et le sacré. Paris, Gallimard.
4. CAZENEUVE, J. – 1971. – Sociologie du rite. Paris, PUF.
5. GIRARD, R. – 1978. – Des choses cachées depuis la fondation du monde. Paris, Grasset.
6. HELMAN, C. – 1985. – Culture, health and illness. Bristol, Wright.
7. LAPLANTINE, F. – 1986. – Anthropologie de la maladie. Paris, Payot.
8. LEACH, E. – « Ritual. A summary of the various anthropological theories of ritual ». In : International Encyclopedia of the social sciences, New York, Free Press, MacMillan : 520-526
9. MAUSS, M. – 1985. – Sociologie et anthropologie. Paris, PUF, 9e édition.
10. SAPIR, E. – 1967. – Anthropologie. Paris, Minuit.
11. TURNER, V. – 1985. – « Ritual and the management of misfortune ». In : Helman, C., ulture, health and illness [6]
12. VAN GENNEP, A. – 1969. – Les rites de passage. Paris, Mouton.