Rachid BENNEGADI : « L’intégration : Considérations psycho-anthropologiques »

In : Migrants Formation, 1989, N° 78 : 58-69

Rachid BENNEGADI est Psychiatre anthropologue, Centre Françoise MINKOWSKA (Paris), Secrétaire Général de la Section Transculturelle de l’Association Mondiale de Psychiatrie (WPA-TPS).

L’auteur aborde le problème de l’intégration à travers les concepts de E. T. Hall : systèmes formel, informel et technique. L’intégration, moment du « travail d’acculturation », est une dynamique et le regard doit se porter sur le couple Français – migrant et pas seulement sur le migrant. C’est à cette condition que pourra avancer le grand chantier de l’interculturel.

À l’heure où la France se prépare à faire son entrée dans l’Europe, où manifestement il sera question d’interculturel à l’échelon du vieux continent, la population migrante vit un moment crucial de sa dynamique et de ses ambitions. Cette population migrante est d’ores et déjà un enjeu économique, démographique et culturel. La principale caractéristique de ce groupe de minorités ethniques, mouvant, complexe, divers, est le questionnement qu’il pose à la population française de l’Hexagone, qui est par définition une société accueillant des migrants Français et étrangers.

Cette population de migrants est en effet très diverse. Il y a des migrants d’origine étrangère, du Maghreb, de l’Afrique noire et Sahélienne, de l’Asie du Sud Est, de l’Europe du Sud, de l’Amérique du Sud, de l’Europe de l’Est, il y a également les réfugiés d’Asie du Sud Est, de l’Amérique latine, de l’Afrique noire, de l’Europe de l’Est et du Sri Lanka.
Ces gens ont des motivations bien différentes et la raison de leur séjour en France varie de la raison économique à l’exil forcé ! Il va de soi que l’intégration dans la société française ne les concerne pas tous de la même manière et au même niveau. Comme partenaires incontournables de cette population de migrants et réfugiés, il y a les Français : la belle affaire ! Les Français : mais qui sont les Français ?

Qui sont les Français ?

Il y a les Français de l’Hexagone, sédentaires depuis plusieurs décades ou siècles, qui diffèrent essentiellement par des variétés régionales de langues, car ils souscrivent à peu près tous au même moule culturel, au sens de la civilisation : les Bretons, les Occitans, les Alsaciens, les Franciliens, les Corses…, tout cela existe lorsque l’on gratte un peu derrière le vernis de la culture française univoque et globalisante.

Il y a également les Français d’origine migrante. D’abord les générations issues des Italiens, des Espagnols et des Polonais immigrés de l’après guerre et qui maintenant se sentent, se disent, se vivent, s’expriment et se comportent comme des Français à part entière, la petite touche culturelle rappelant le pays d’origine ne faisant ni problème, ni soucis, à la limite pouvant même être un élément de valorisation.

Il y a également les Français rapatriés à la suite des soubresauts et des tourments de la décolonisation. La population pied noir d’Algérie par exemple continue à se considérer comme culturellement quelque part différente du moule de la Métropole, mais sans que pour autant il y ait stigmatisation quelconque ou revendication culturelle exacerbée. Une rencontre récente de la communauté pied noir montrait que l’une des caractéristiques de cette population était l’adaptation, la réussite sociale, au niveau national et international, sans renoncement culturel mais sans emblèmes ethniques non plus.

La population des Antillais est également concernée par la dynamique migratoire. L’adaptation et l’intégration des Français issus des Dom Tom se révèle très diverse en fonction de facteurs socio économiques, de facteurs phénotypiques et de facteurs culturels. Cependant, leur intégration dans la communauté française hexagonale ne se fait pas sans preuve et sans combats.

Les Harkis sont également partie prenante de ces Français d’origine migrante, souvent défendus dans leur droit par la communauté pied noir qui se sent solidaire de leurs difficultés d’intégration.

Les Français d’origine asiatique, venus après les événements d’Indochine, sont aussi un élément de cette mosaïque qu’est la société française, sous couvert de la culture républicaine.

Les Français par naturalisation, qui sont de plus en plus nombreux.

Devant cette diversité géographique, il y a également une diversité confessionnelle dans un état laïc où la liberté religieuse est garantie. Les chrétiens sont les plus nombreux. Les musulmans sont au deuxième rang par le nombre. Les juifs, les protestants ont également une activité notable au niveau de la croyance monothéiste. Les autres religions sont également représentées. Le bouddhisme et le shintoïsme ont leurs nombreux adeptes et, au delà des religions officielles, les croyances des un et des autres s’expriment sans difficultés.
Ajoutons que la laïcité reste la trame de la société française et nous aurons ainsi au moins donné un aspect moins monolithique de cette prétendue société monoculturelle.

Une saturation de stéréotypes

Il est donc plus facile de repérer que les interactions de la population migrante avec la population française de l’Hexagone sont en fait d’innombrables interactions interpersonnelles dont il est presque banal de dire qu’il n’est pas possible de décrire en termes quantitatifs des productions comportementales et affectives relevant du qualitatif.

Un migrant turc arrivé récemment en France met en place avec son employeur français ou étranger un système de relation interpersonnelle qui va dépendre des deux partenaires et des conditions dans lesquelles se développera ce partenariat.

Un Français d’origine italienne (3e génération) sera certainement plus proche d’un migrant d’origine maghrébine qui aura séjourné quelque temps en Italie. Un Français pied noir mettra en place un système de relation endoculturel avec un Maghrébin plus facilement que ne le ferait un Français d’origine polonaise. Il n’y a là que simples constats et il serait peu sérieux de balayer tout cela d’un revers de la main sous prétexte d’humanisme et de transcendance des cultures. Rien n’est plus dangereux pour l’Autre que de le vouloir le même, car c’est le mettre dans une situation confusionnelle.

Hall dans son approche anthropologique des cultures a bien repéré l’aspect fondamental de la bonne qualité de la communication interculturelle.

L’un des vrais problèmes du couple société française population migrante et réfugiée c’est qu’il y a saturation des stéréotypes et multiplicité d’injonctions paradoxales.
Quand on apprend quelque chose sur la culture africaine noire par l’intermédiaire d’un migrant malien, on n’extrapole pas cela à toutes les ethnies noires. Quand on a découvert un mode de fonctionnement de la culture française par l’intermédiaire d’un collègue de travail français, on n’extrapole par cela à tous les Français. À l’instar des sociétés multiculturelles comme la société canadienne ou américaine, il faudrait pouvoir accepter la communication interculturelle comme véritable base de la relation et non pas tenter de l’annuler soit en l’évacuant soit en le survalorisant.

La triade de Hall

Hall, dans son effort de théorisation basée sur de nombreuses recherches et de nombreux voyages, a dégagé une triade qui pour la compréhension du phénomène de l’intégration est très éclairante.
L’idée que nous pouvons fonctionner sur un mode fonnel, infonnel et technique est très proche de ce que nous repérons souvent dans la communication interculturelle.
Le système formel serait ce qui est appris dès le jeune âge, sans qu’il y ait à expliquer le contenu de l’apprentissage, et qui se situerait à un niveau inconscient bien sûr.
Au niveau de la connaissance formelle, Hall explique que l’adulte « modèle l’enfant à l’aide de schémas qu’il n’a jamais contestés … par les méthodes d’enseignement des activités formelles que sont l’injonction ou la remontrance »… La communication est alourdie du fait qu’aucune autre forme ne saurait être acceptée ».
Il n’y a donc pas d’alternative pour l’enfant à ce niveau là. Cela finit, selon Hall, par mettre en place un système formel que personne ne remet en question.

Le système informel se caractérise par le fait que « l’agent principal est un modèle utilisé en vue d’une initiation. On apprend en une seule fois tout un ensemble d’activités fiées entre elles, souvent sans savoir qu’on apprend quelque chose ou que ce quelque chose est gouverné par des schémas ou des règles. »

Enfin le système technique reste caractérisé par une transmission souvent à sens unique de la connaissance ; les termes sont explicités, la transmission se faisant de professeur à élève, oralement ou par écrit. « Contrairement à l’apprentissage informel, il dépend moins de l’aptitude de l’élève ou de la sélection de modèles adéquats, [mais] plus de l’intelligence avec laquelle est analysé et présenté le sujet ».

L’acculturation, une dynamique

Cette triade permet de pouvoir comprendre l’origine de certains malentendus interculturels. (Relevons cependant que Hall insiste sur le fait que les trois types de système peuvent exister en même temps, étant entendu que l’un de ces trois types dominera toujours les autres). C’est dans le changement qu’apparaissent les difficultés culturelles. L’intégration est de toute manière, et quelle que soit l’approche, psychologique, sociologique ou anthropologique, un changement pour lequel se met en place une dynamique. Cette dynamique c’est l’acculturation (ad culturem). C’est un processus obligatoire, car à partir du moment où il y a interaction entre deux individus porteurs de deux systèmes différents, il y a travail d’acculturation.

Grâce à ce support théorique, il est moins difficile de repérer où sont les ratés de la communication interculturelle et surtout plus facile de mettre en place des moyens, des outils, des programmes permettant d’améliorer la relation interculturelle, donc d’œuvrer dans le sens positif du travail acculturatif, positif dans le sens de gratifiant pour les uns, (ceux qui proposent l’intégration) et pour les autres (ceux qui sont concernés par l’intégration).

Prenons l’exemple d’un migrant de la première génération, ayant migré pour des raisons économiques, décidé à revenir dans son pays d’origine, soit par décision du clan, soit à cause de la fin de son contrat.
Il peut, et il en a le droit, mettre en place un système minimal d’échanges avec la culture française et s’organiser autour soit d’un ghetto sécurisant (oui : cela existe !), soit auprès d’une diaspora bien structurée, soit dans le cadre d’une stratégie valorisant essentiellement la culture et le pays d’origine. Ce système fonctionne bien tant qu’il ne sera sollicité qu’au niveau technique au sens de Hall et les réponses seront plus ou moins adaptées, en fonction de la complexité de la situation.
Mais la nécessité de s’impliquer à un niveau informel ou formel rend la communication interculturelle plus risquée : tant qu’il n’y avait pas trop d’émotion d’affects dans les échanges, la superficialité et la ponctualité de la relation ne mobilisaient aucune anxiété ni confusion. La manière de se conduire en situation de groupe, si le groupe n’est pas homogène culturellement, fait intervenir des attitudes, des manières de parler, de gesticuler, de s’approcher de l’autre, de le toucher, qui mobilisent le système informel. Le langage non verbal intervient souvent dans les dérapages de la communication. Telle intention chaleureuse là est perçue comme une intrusion dans la bulle de l’autre. Cela ne s’explique pas et pourtant cela joue un rôle parfois sérieux dans les interprétations abusives. Un regard appuyé peut transformer le désir d’enrichir la communication verbale en une tentative de séduction intempestive.

Le respect de certaines démarches dans la relation amoureuse fait partie souvent du système informel et parfois le fait de brûler les étapes peut disqualifier la démarche.

Encore une fois, c’est tous les jours que nous sommes utilisateurs de ce système informel qui, pour être inconscient, n’en est pas moins repérable. C’est peut être là que le discours de Hall, s’appuyant sur Sullivan, diffère de l’inconscient freudien, qui, lui, ne peut être accessible que par la parole.
Mais cela n’exclut en rien que la prise de conscience de son propre système informel et même formel soit le résultat d’une psychanalyse.

Prenons aussi l’exemple de certains items culturels sur lesquels se déchirent les tenants de l’interculturel quant à leur maintien ou leur disparition au nom du progrès social et culturel. La notion d’excision chez les Africains, de circoncision chez les sémites (juifs et arabes), fait partie de ce système formel dont parle Hall. Impossible de pouvoir l’évoquer en soi sans une grande anxiété ; en tous cas, pas question de remettre en cause ce qui va de soi ! Et pourtant rien de plus étranger et difficile à concevoir que l’excision pour les non excisés et la circoncision pour les non circoncis. Aborder cet aspect dans le cadre interculturel n’a jamais été sans excès ! C’est que chacun se réfère à son système formel et verrouille toute possibilité technique de pourvoir échanger.

Si l’intégration est un objectif partagé par les partenaires que sont les Français et la population migrante étrangère, il faudrait pouvoir dégager des intérêts communs aux deux parties. La discussion sur les aspects économiques et sociologiques ne rebute personne et là dessus les avis techniques ne manquent pas. Mais sitôt que l’on parle d’identité, c’est-à-dire que l’on se situe au niveau de l’informel et du formel, ça ne passe plus.

D’un point de vue pratique, un soutien réel à la dynamique de l’intégration passe par l’adaptation des moyens propres pour que cette dynamique ne tourne pas court en fonction des préjugés, des outils inadaptés.
La formation, qui est l’un des meilleurs atouts, devrait concerner les migrants qui en ont besoin, mais aussi les partenaires français qui en ont tout aussi besoin ; car sinon que de gâchis ! L’énergie et le temps perdus à vouloir transmettre des informations qui se heurtent aux résistances des destinataires seraient plus judicieusement dépensés si l’aspect interculturel était pris en compte, tant au niveau informel que technique.

Mieux étudier les systèmes formels et informels des autres

Il est donc plus que nécessaire de mieux étudier les systèmes formels et informels des individus appartenant à telle ou telle culture. Il va de soi qu’il ne s’agit pas d’enquêtes ethnologiques ponctuelles, mais de processus d’explication des modèles qui sont à l’origine de ces systèmes informels. Si on sait comment dans telle ou telle culture, le temps, l’espace, la relation hiérarchique, la sexualité… s’articulent en systèmes informels et formels chez tel ou tel membre de cette culture, on est mieux à même (à condition d’être en situation d’échange, d’interaction) de rendre performant la relation interculturelle.
Il nous faut encore plus savoir sur le Maghreb, l’Afrique, l’Asie, l’Europe pour nous dégager de cette spirale du fou qu’est le choix entre « assimilation » ou « intégration » ou retour dans le pays d’origine.
C’est V. Jankélévitch qui est dans le vrai et très proche de cette approche de Hall quand il se demande si on ne peut pas « revendiquer à la fois la différence impondérable et l’intégration sincère à la communauté nationale. « Par delà l’alternative du tout ou rien, dit il, la vérité différentielle récuse toute mise en demeure ».

Ce même souci de l’intégrité de l’individu dans ses tentatives personnelles de répondre aux interrogations de l’environnement est partagé par A. Memmi qui, dans son œuvre, ne cesse d’interpeller l’Autre pour échanger avec lui des réponses mais aussi des questions. A. Memmi n’est cependant pas resté dupe quand aux perversions de la relation interculturelle, en particulier le racisme. C’est, dit il, « la valorisation généralisée et définitive de différences réelles ou imaginaires au profit de l’accusateur et au détriment de sa victime, afin de légitimer une agression ou des privilèges ».
Le racisme utilise son système à un niveau technique pour accuser le système au niveau informel et formel de celui qu’il désigne comme bouc émissaire.

Si nous n’arrivons pas à nous dégager de cette victimologie, l’intégration n’est qu’un alibi et il faudrait y laisser tant de plumes que le processus en serait épuisant.

Les antécédents des migrations et des diasporas

On peut également prendre appui sur les antécédents des populations des différentes vagues migrantes en France. Le temps a joué, certes, mais les enjeux étaient différents, les phénotypes aussi, les bases religieuses et les appartenances également. Mais je ne passerai pas sous silence le fait que les populations migrantes européennes : Italiens, Polonais, Espagnols, ont payé le prix. Les exactions racistes contre les « Ritals » ou les Tollaks » ont été de tristes réalités.

L’exemple des diasporas à travers le monde est aussi une référence possible, et ce sont peut être les structurations qui ont le mieux répondu aux exigences de la dynamique d’acculturation. La communauté, tout en étant solidaire et regroupée, laissait aussi la possibilité de s’organiser avec la société d’accueil dans un contexte moins risqué pour l’individu. Mais là aussi les choses ne sont pas simples. Les diasporas chinoise et juive (sans oublier l’arménienne) sont parmi les plus anciennes et leur histoire ne se confond malheureusement pa avec la sérénité et la reconnaissance de l’Autre.

L’antisémitisme ne s’est pas alimenté seulement des résultats du système d’équilibre de la diaspora juive ; le but des pogroms était également de déstabiliser des entités qui avaient semblé gérer efficacement la communication interculturelle.

Moïse Mendelssohn, philosophe juif du XVIIIe siècle, père de la Haskala (1), qui se voulait la philosophie de la conciliation et du moyen terme, exaltait à la fois la fidélité aux origines et l’ouverture à la culture occidentale.

C’était à l’époque la réponse la plus adaptée à l’alternative du repli sur soi ou de l’assimilation.

Quelle stratégie pour l’enfant de migrant ?

Revenons à la triade de Hall, qu’il résume ainsi : « Le processus formel est de nature bipolaire. L’élève essaie, se trompe et est corrigé […] L’apprentissage formel contient une forte dose d’émotions. L’apprentissage informel se fait en grande partie par le choix et l’imitation de modèles, quelquefois volontairement, le plus souvent inconsciemment. »

L’apprentissage technique se fait dans la direction opposée. La connaissance est du côté du professeur. Son savoir faire est fonction de ses connaissances et de ses facultés d’analyse. Si son analyse est suffisamment claire et minutieuse, H n’a même pas besoin d’être présent !

Voyons ce qui se passe pour l’enfant de migrants né en France, scolarisé à l’école de la République et adolescent négociant l’univers culturel des adultes avec des informations culturelles venant de systèmes informels et formels variés, parfois congruents mais souvent contradictoires. Là aussi les tenants de la psychologie et de la sociologie risquent de continuer à ferrailler longtemps. Est ce le changement psychologique qui sera le garant de la stabilité identitaire (choix de base d’une culture ou d’une autre) ? Est-ce une progression vers un biculturalisme fragile (mais à étoffer) qui permettrait de garantir les bons choix, ou est ce une implication socio économique et sociopolitique qui assurera la protection contre l’exclusion ou la marginalisation ?

Dans cette affaire, qui oserait conclure ? Oui à l’engagement responsable dans la société, mais oui également aux stratégies plus individuelles, plus secrètes, plus fragiles. Oui également à tout ce qui entraîne et vivifie le discours contre le racisme et l’antisémitisme. L’intégration d’individus nés en France semble un pléonasme, vu de loin, mais plus on se rapproche des sujets, plus on repère leur culture (dans leur aspect informel), plus le phénotype devient visible, plus le projet migratoire de leurs parents semble s’alourdir en préjugés.

L’interculturel, une aubaine

Mais ce n’est pas anodin, car la génération des enfants issus de l’immigration, qu’elle soit maghrébine, africaine, asiatique, européenne ou autre, sera démographiquement l’aubaine pour ce vieux pays d’Europe qu’est devenu la France. À ce titre, celle ci partage le sort de la RFA et d’autres pays du nord de l’Europe. Mais l’affaire ne s’arrête pas là, car on pourrait croire que seule la fécondité et la fertilité seraient à considérer comme un avantage. L’interrogation permanente de la société française hexagonale par ces groupes ethniques dans leur démarche d’acculturation stimule la culture française et il n’est que de voir les apports culturels et artistiques qui de plus en plus sont mis à la disposition de ceux qui veulent y goûter.

Une France multiraciale ? Allons donc ! Qui va encore nous servir le concept de race quand on sait que ce à quoi l’individu tient plus qu’à sa peau c’est le système formel dans lequel il a grandi et le système informel avec lequel il navigue dans sa trajectoire d’adaptation à son environnement.

Une France multiculturelle ? Même question, même réponse. Ce sont des stades dans un processus, ce ne sont pas des fins, avouées ou inavouées. Quel Français ne se pose pas la question de l’interculture dans l’aventure prochaine de l’Europe ? Non, il ne s’agira pas seulement de savoir si on pourra assister à une représentation de Molière en espagnol ou en allemand, ni entendre enfin Shakespeare en Anglais ; il faudra trouver un moyen pour parler comportement et attitudes au niveau des systèmes informels. Le management interculturel deviendra une réalité pratique, tant la communication interculturelle risque de coûter cher en cas de dérapage.

Mais ce n’est pas là un argument revanchard du style « l’arroseur arrosé ». Bien au contraire, la longue expérience de l’interculturel d’une société qui n’a cessé de se frotter, avec plus ou moins de bonheur, avec les autres (migrants, réfugiés ou Français d’origine migrante) ne peut qu’être un plus dans la connaissance des futurs habitants des Etats Unis d’Europe. C’est dans cette projection futuriste et géopolitique que le processus de l’intégration peut prendre un sens systémique et non entrer sous un rapport de dépendance pourvoyance ou de dominant dominé, comme le démontre si bien A. Memmi.

Faut-il encore parler des Français comme l’historien Zeldin qui nous en a brossé des tableaux assez vrais malgré sa tentative infructueuse de retrouver le Français moyen ? Je souhaiterais pour ma part que le Français en sache plus sur la culture des autres et que le migrant en apprenne plus sur les cultures de la France.

Dans un contexte où les informations sont disponibles, contextualisées, relativisées, acheminées par les canaux les plus adéquats (linguistique, anthropologique), on perçoit mieux pourquoi il est nécessaire d’entourer le « travail d’acculturation » du plus grand soin et de ne pas le saturer en interrogations perfides ou perverses, de ne pas favoriser les réactions de prestance ou de condescendance.

Combien d’entre nous, Français ou migrants, fonctionnent avec des stratégies informelles que l’on rationalise comme techniques ? Là où l’on interpelle l’inconscient, là où on provoque une réaction anxieuse ou de structurante, on ne veut voir qu’une manière normale de « procéder ».

La stigmatisation est l’un de ces mécanismes fondamentaux. A l’occasion d’un travail de recherche en Californie, j’ai été réellement surpris par la capacité des gens à mettre au second plan le repérage des origines (en privilégiant d’autres items bien sûr). C’est seulement hors contexte que j’ai pu me rendre compte combien en France cette question des origines conditionnait la relation.

Mais ce sont là impressions d’un vécu individuel et, encore une fois, il ne serait pas inutile que les chercheurs en psycho anthropologie apportent des arguments culturels fiables aux décideurs, aux tutelles, aux responsables du monde associatif, aux migrants eux mêmes, aux Français, afin de fournir du « grain à moudre » pour que l’interculturel ne tourne pas au désastre.

NOTE

(1) Mouvement né au sein des communautés juives de l’Europe de l’Est à la fin du XVIIIe siècle dont le mot d’ordre était « Sois juif chez toi et homme au dehors ». Elle a correspondu à une époque où les juifs émergeaient des ghettos. L’antisémitisme lui porta un coup fatal.

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