In : Revue de Médecine Psychosomatique, 1992, n° 29 : 49-58
Rachid BENNEGADI est Psychiatre anthropologue, Centre Françoise MINKOWSKA (Paris), Secrétaire Général de la Section Transculturelle de l’Association Mondiale de Psychiatrie (WPA-TPS).
RÉSUMÉ
L’auteur analyse l’interaction entre les phénomènes de l’urgence et le phénomène migratoire. Au delà de la notion de technicité, se pose parfois la notion abrupte de communication dans un contexte d’urgence. Certains aspects trop souvent banalisés ou ignorés peuvent générer dérapage, souffrance, gâchis ou mauvaise orientation. Dans les urgences, tous les dysfonctionnements classiques de l’interculturel peuvent être décuplés ou devenir caricaturaux. Au-delà des questionnements de cet interface urgence migrations, l’auteur souligne la nécessité d’introduire dans la formation des professionnels de la santé l’enseignement de l’anthropologie médicale clinique, et signale des structures de réflexion et d’action du système de soins et d’accueil des migrants et réfugiés, trop peu interpellés.
MOTS-CLÉS
Urgences/migrations – Obstacle linguistique – Compétence interculturelle – Anthropologie médicale clinique – Système de soins.
Bien sûr, les urgences, que ce soit pour des migrants ou des autochtones, soulèvent les mêmes angoisses et les mêmes gestes techniques immédiats et efficaces des personnes chargées de répondre à ces « accélérations » dans la souffrance physique, psychique ou sociale. Il s’agit en effet de bien réaliser qu’il faudrait, plus particulièrement chez les migrants, ne pas oublier que le concept d’urgences dépasse celui de la défaillance organique, de la rupture psychique avec la réalité, ou de la marginalisation, « urgence chronique » s’il en est.
Bien entendu, il ne s’agit pas de toucher à trois choses qui sont la base même du travail admirable fourni par le système de soins malgré ses difficultés financières actuelles surtout, mais également dans la gestion des ressources humaines.
Répondre à toute urgence vitale concernant n’importe quel citoyen ou résident en France, quelles que soient les considérations administratives ou autres, est une des choses les mieux appréhendées par le système de soins en France.
Améliorer les gestes, les techniques, que ce soit pour le transport, l’acte opératoire ou la réanimation, reste le souci permanent de ceux dont le métier est de gérer le monde des urgences, à quelque niveau que ce soit, hôpitaux ou cliniques, publics ou privés.
Former les gens de terrain à intervenir aussi par la parole, appréhender certaines situations en analysant correctement l’urgence qui nécessite l’intervention de la technique sans tarder, fait aussi du geste qui sauve une attitude qui préserve l’après crise, l’après accident, l’après tentative de suicide, l’après attentat.
Logique des urgences
Comme il a été formulé ci dessus, le monde de l’urgence et celui du migrant connaissent toujours l’adéquation dans la spirale du temps déconnecté par l’urgence, du temps ritualisé par le pari toujours plus fou (dans le sens de formidable) de gagner du terrain sur les ratés du processus vital.
En toute logique, il n’y aurait pas, en principe, à isoler quoi que ce soit dans cet espace temps ; et pourtant les exemples de dérapage ne sont plus rares et il convient, dans le calme le plus déontologique, de faire la part de l’inévitable la fatalité, l’agitation, l’incompréhension et des méconnaissances. Il est de plus en plus nécessaire de se défaire d’un certain nombre d’images mythiques et de faire une lecture plus sophistiquée de ce scénario (si intense en significations et en actes) que représente un migrant se « présentant » ou « présenté » aux urgences. Volontairement, je ne distingue pas les urgences médicales, chirurgicales, psychiatriques, obstétricales, pédiatriques, car je n’ai pas la prétention de produire des chiffres ou des cas cliniques dans chacune de ces disciplines.
Je ne pense pas qu’il y ait à réfléchir sur la technicité des gestes mis en place pour faire un diagnostic en urgence, ni pour l’indication opératoire nécessaire dans les conditions de traumatologie ou obstétricales qui sont éclairées par le processus pathologique évident dès le premier contact.
Bien sûr, des informations sont toujours nécessaires pour être sûr de ce que l’on fait, mais dans la majorité des cas on agit, on réfléchit en même temps dans un souci majeur d’efficacité. Quand donc peut-il y avoir un problème ?
Trois conditions défavorables sont classiquement retrouvées :
Le lieu des « urgences » est organisé par le tour de garde autour d’un système auquel il manque soit une part de compétence, soit une part de la maîtrise dans la relation, soit une défaillance dans la capacité à réagir devant une situation inconnue ou mal connue.
Le « consommateur » de l’urgence se présente comme une urgence, mais n’en présente pas les lignes classiques, les stigmates évidents, en tout cas ne suggère aucun comportement pathologique, n’appelle aucune technique habituelle, ritualisée, maîtrisée par l’équipe qui gère l’urgence. Cela va de la douleur qui ne ressemble à rien, des ventres pas très clairs, des douleurs erratiques, jusqu’aux grands hystériques, aux hypocondriaques insupportables, aux douillets impénitents qui réveillent le désir sadique, fort heureusement souvent réprimé, de « punir » celui qui vient titiller le système pour « rien ».
L’urgence n’est pas médicalement justifiée, mais très vite, d’autres aspects apparaissent comme le désir de parler, de récriminer contre la société, ou apporter par l’appel aux urgences, la preuve de la « crise de vie » qu’un individu traverse.
Logiques transculturelles…
Il est utile de dire que le plus souvent, c’est dans le monde des migrants que l’on retrouve le concept d’urgence tant le capital santé apparaît comme une donnée fondamentale, du point de vue de l’intégrité tant physique que psychique.
Bien sûr, ce n’est pas uniquement dans ce cadre là que le migrant maghrébin, africain, turc, le réfugié vietnamien, cambodgien ou sri lankais fait la connaissance du système de soins. Mais c’est un sujet différent qui occupe suffisamment les chercheurs et cliniciens qui veulent mieux comprendre la pathologie des migrants pour proposer une prestation compétente et solidaire. Mais pour privilégier l’aspect transculturel sur celui de l’écart socio économique, il est parfois très difficile, pour un service d’urgences médicales d’un hôpital général ou d’une clinique, de décrypter la sémiologie du migrant qui souffre et se plaint de douleurs abdominales ou lombaires, de céphalées intenses ou de difficultés respiratoires.
Lorsque le « pathos » peut être lu sans difficulté, en général le diagnostic ne fait pas de problème , ce sera au niveau de la « sanction thérapeutique » que l’on peut avoir à négocier de façon exaspérante.
En effet, un dème aigu du poumon, un abdomen aigu, une méningite aiguë, un infarctus du myocarde, une crise d’asthme, une crise d’épilepsie, une hémorragie digestive, une confusion mentale ne poseront pas trop de soucis à un médecin formé. Le seul problème avec un migrant est parfois de convaincre la famille ou les amis de la nécessité de l’intervention d’urgence. Le capital confiance est l’argument majeur qui baisse toutes les réticences et évacue tout risque de mauvaise appréciation de l’aide ou la solution préconisée par les médecins et leurs partenaires.
Par contre, lorsque le tableau n’est pas aussi parlant, les signes non pathognomoniques, il faut essayer d’en savoir plus, de rechercher les éléments sémiologiques qui feront l’appoint de l’examen clinique et qui orienteront soit les examens complémentaires, soit l’intervention par une méthode invasive ou un traitement à visée curative.
Et là, tout se complique dans deux cas classiques.
Décodages linguistiques
Le patient, migrant ou réfugié, pour des raisons variées dues au contexte migratoire ou d’exil, ne maîtrise pas suffisamment la langue française pour donner au dialogue entre le soignant (médecin, infirmier ou psychologue) et lui « matière à diagnostiquer ». Or, il est bien connu que nous avons plus de chance de rencontrer dans notre système de soins des personnes polycompétentes que polyglottes. Et puis, même lorsque nous sommes par chance bilingues ou trilingues, l’éventail des langues pratiquées par les migrants et les réfugiés fait que le risque de l’obstacle linguistique demeure une réalité fréquente.
Alors que faire ? Et en urgence, en plus ?
D’un point de vue pratique, la logique veut qu’on trouve un moyen pour rétablir la communication verbale de façon suffisamment valable pour ne pas risquer la « bavure » médicale (opérer précipitamment un patient qui présente un ensemble de somatisations qui peut leurrer, prendre pour de l’exagération hystérique une expression de la douleur sur un mode inhabituel ou rencontré pour la première fois. Il faut dire que l’hystérie est encore hélas ! , particulièrement quand il s’agit de migrants ou de catégories défavorisées, synonyme d’exagération fonctionnelle, de marginalisation, de falsification consciente de la relation.
Faut-il rappeler qu’il s’agit d’une pathologie psychiatrique !
L’urgence, dans cette situation d’urgence, consiste… à utiliser les moyens disponibles pour assurer un interprétariat au mieux possible (il existe des organismes qui peuvent tenter de répondre à cela, même si dans le cadre de l’urgence on ne peut pas trop attendre : I. S. M.) en faisant appel soit à quelqu’un parmi les accompagnateurs, soit en ayant l’esprit d’initiative en cherchant dans le personnel soignant une éventuelle aide. En tout cas, se suffire d’un langage non verbal minimal (mal là…, là, là ?… la tête… beaucoup mal…. pas bien marcher… toi vomir… etc.), c’est entrer dans une zone de grandes turbulences. Je ne pense pas que cette situation soit confortable pour le soignant, ni bien sûr profitable pour le patient. Cela fait partie bien sûr pour le migrant du risque à vivre dans un environnement nouveau où il suffit d’un apprentissage minimal de la langue du pays d’accueil.
Pour prendre le métro ou aller au restaurant, cela peut suffire, mais lorsque l’urgence exige une finesse de l’information, une exactitude des expressions de la souffrance et que l’on n’a que le langage non verbal pour expliquer, les risques sont majeurs. On peut alors argumenter sur le fait que, si l’obstacle linguistique est le propre de migrants ou réfugiés récents, pourquoi donc certains migrants maghrébins entre autres parlent si mal ou si peu le français, alors qu’ils sont là depuis si longtemps (15 à 30 ans) ? C’est une bonne question. Cela le laisse perplexe, mais la sociologie a des misons que la relation thérapeutique ignore. On considère actuellement, à tort, comme exagéré l’argument de l’obstacle linguistique : la raison est complexe, mais tout au moins reconnaissons que le discours volontariste français consiste à continuer à croire que les étrangers qui arrivent en France ont le devoir d’apprendre la langue française s’ils veulent se sentir partie prenante de la société. Du moins, c’est ce que l’on dit et c’est ce qui se confirme auprès de plus en plus de migrants qui ont bénéficié de circonstances « suffisamment bonnes » pour qu’ils investissent dans le plaisir d’être « chez soi ailleurs ».
Ce chapitre sur l’obstacle linguistique me paraît être l’un des gages d’un désir authentique de se situer dans une relation soignant soigné éthiquement recevable. Ne pas dénier le trouble majeur de la communication lorsqu’il existe, c’est un bon point, même en cas d’urgence. Il est urgent de se donner les moyens d’intervenir en urgence. Et puis, c’est une garantie pour celui qui soigne, qui écoute, qui opère, ne de pas se hasarder dans la représentation culturelle de la santé et de la maladie avec le seul désir de soigner, car cela peut jouer de vilains tours.
Transculture ou transes culturelles
À un degré plus éloigné, ce n’est plus d’un obstacle linguistique qu’il s’agit, mais de « galimatias culturel ».
Volontairement, j’emploie le mot de galimatias pour signifier l’extraordinaire gâchis de vie humaine que peut provoquer un acte opératoire inutile (injustifié serait le terme plus adéquat) sur une personne dont la seule erreur aura été de « signifier » sa souffrance dans un contexte d’urgence. Lorsque le contexte sémiologique est flou, et plus fréquemment, disons le, évocateur d’une « participation psychique », la réponse du monde des urgences ne reste pas encore assez élaborée.
Il existe des urgences psychiatriques et des médecins capables d’écouter, même en cas d’urgence, « l’appel à l’aide » d’une personne qui considère son cas comme urgent, n’en déplaise à la surcharge de travail des équipes, mais la difficulté vient de l’appréciation de la pathologie en contexte transculturel. L’aspect culturel du discours « psychosomatique » est un élément important de l’appréciation diagnostique et des indications thérapeutiques. Imaginons le risque d’erreur dans l’évaluation de l’urgence en contexte transculturel. Le langage du corps du migrant ou du réfugié n’est qu’un élément de l’ensemble sémiologique, au même titre qu’il l’est pour n’importe quel patient, quelles que soient ses représentations culturelles. L’expression culturelle propre à la gestuelle ou la description imagée du trouble ou de la douleur, ne doit pas occulter la possibilité de symboliser par le langage, pour peu que l’occasion, le cadre (même en urgence) puisse permettre de métaphoriser, de reprendre avec des images riches ce que signifient pour tel ou tel patient ce mal, cette douleur, cette suffocation ou cette somatisation.
Lorsqu’on accepte en sémiologie le terme de somatisations « erratiques », qui est vraiment dans l’erreur ou dans l’errance ? Si on se réfère au discours de l’anthropologie médicale clinique, on peut distinguer l’idée, simple mais géniale, que l’errance définit cet espace non reconnu entre la représentation culturelle de la maladie, du mal, du manque de santé, du migrant ou du réfugié et la représentation que se fait le soignant de la maladie et de l’urgence dans le cas qui nous intéresse.
Modèles explicatifs
Chacun a un modèle explicatif en tête. Comment ne pas résister à cette idée simple qui consiste à se demander si nous formons suffisamment les soignants aux différents abords de la pathologie. Non, cette question n’est ni de la provocation ni de la naïveté. Il n’est pas difficile de se former aux approches transculturelles, parce qu’il n’est pas question de se spécialiser dans toutes les cultures, mais il est essentiel de percevoir ses propres modèles explicatifs et de se donner les moyens d’honorer un contrat moral avec les patients en ayant pour objectif un échange humain et non pas « machinique ».
Pour cela, deux conditions sont nécessaires : introduire l’enseignement de l’anthropologie médicale clinique pendant les années où l’on commence à pratiquer la clinique médicale et para médicale. Rester imperturbable devant les sollicitations immédiates de la facilité, de l’ethnocentrisme mal contrôlé (et pourquoi un soignant serait-il en-dehors de ce mal actuel qu’est la stigmatisation abusive, version classique du « scape goa(1) Scape goat : ting »(‘) ?) et de la pression exercée par le système de soins bouc émissaire. quand il s’affole.
Interculture et système de soins
Le système de soins fonctionne comme une immense structure dont la dynamique est « métastable ». En termes cybernétiques, tout ce qui a une cohérence est explicable par les termes du système, et tout ce qui ne « parle pas » la langue, le code du système, a un maximum de chances d’être, « marginalisé ». Lorsque les « bruits de fond » sont trop importants, la bonne marche de la structure se sent menacée. Mais ce système qui a sa cohérence en termes de planification, s’appuie sur des individus dont la souffrance ne peut être planifiée et non sur des machines. Malgré toutes les aides au diagnostic que nous apportera la « computation », rien ne pourra définir la « complexité » de la relation transculturelle.
Si chaque soignant tient compte quand il le faut, en urgence ou semi-urgence, de la dimension transculturelle parce qu’il en perçoit la nécessité, à chaque fois qu’il le fera avec compétence, il met en cause la « cohérence » du système métastable. Cela est mal supporté. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à voir avec quelles difficultés on évoque la possibilité de faire intervenir un interprète alors que cela s’avère crucial, et quels dérapages se reproduisent parfois dans l’accueil aux urgences de certains migrants. C’est que subrepticement, un discours de plus en plus sérieux (et à considérer comme organisateur de clivages dans la société) s’installe. Insidieux mais inacceptable : les migrants ou les réfugiés sont de plus en plus identifiés comme des éléments consommateurs abusifs ou illégitimes du système de soins. Les urgences n’étant qu’un lieu où les indicateurs de rejet sont parfois plus visibles parce que plus spectaculaires.
D’une analyse systémique des dysfonctionnements aux solutions concrètes
Loin de moi l’idée de négliger les conditions de travail dans les urgences. Il ne s’agit pas de se situer dans une stigmatisation défensive. En poussant la réflexion plus loin que le contexte de l’urgence classique, je reste persuadé que l’explication des dysfonctionnements de la communication entre soignants et soignés dans un cadre transculturel, relève d’une argumentation systémique et non purement anthropologique ou sociologique. Le migrant ou le réfugié ne serait qu’un indicateur de l’incapacité qu’aurait le système à tenir compte de nouvelles données ou conceptions sur la santé, la maladie. Facile !
Et combien cela nous dédouanerait au niveau individuel, de répéter que dans un contexte européen, en France, le système de soins reste parmi les plus équitables grâce à son fondement solidaire !
Cependant, beaucoup reste à faire au niveau de l’amélioration des conditions dans lesquelles l’autre cassé, blessé, traumatisé, dépressif, doit être abordé.
Car enfin, comment admettre que des restes de discours ethnocentriques continuent à avoir droit de cité dans le système de soins ? Comment accepter que depuis si longtemps, le système de soins « planche » sur l’accès aux soins des migrants ou de populations défavorisées, sans jamais aboutir à des solutions concrètes ? Entre le discours brillant et le discours concret, nous avons trop tendance à privilégier le brillant et donc à continuer à « bricoler » devant le concret.
Si l’on pouvait pousser la réflexion encore plus loin, on pouffait se demander si une mise à plat des réalités épidémiologiques ne serait pas salutaire. En santé publique, les choses devraient être simplifiées : il y a une population, un besoin, il y a un système de soins organisé qui produit une réponse. Il y a une logique interne à l’interaction entre le consommateur de soins et le producteur de prestations. C’est le principe de l’accès aux soins pour tous, « habillé » d’une idéologie noble, la solidarité. Encore faut-il pouvoir admettre que la population migrante connait des besoins plus larges à cause du processus migratoire lui même. C’est une banalité de dire qu’en situation de changement culturel et social, il y a fragilisation ; mais il n’y a pas lieu de poser cette fragilisation comme organisatrice systématique de pathologie. L’expression des besoins peut être différente, les personnes qui servent de référence au départ peuvent ne pas appartenir au système de soins officiels, l’observance thérapeutique peut rester tributaire autant de la qualité de la relation soignant soigné que de la compétence transculturelle ; bref, il peut exister de multiples biais dont les chercheurs tiennent compte pour aborder la consommation des soins par la population migrante et réfugiée.
En conclusion, il y a probablement des zones d’interaction difficiles entre l’urgence et l’individu migrant. Nous avons vu que si la migration est récente, faite dans des conditions difficiles, si l’environnement du pays d’accueil s’est avéré plus hostile qu’accueillant, si la connaissance des filières de soins est mauvaise, si la langue française est mal ou pas maîtrisée, si le cadre des urgences fait l’économie d’outils de communication comme l’interprétariat linguistique ou le décryptage culturel, cela peut donner les conditions pour que s’installe un climat complexe, peu enclin à fournir une prestation clinique satisfaisante. Il serait utile de dire combien les services d’urgence rencontrent de problématiques « exprimées dans l’urgence », mais dont la réponse doit être « différée » en garantissant une bonne orientation thérapeutique. Cela nécessite souvent, des professionnels des urgences, la connaissance des différents lieux qui proposent des pratiques dans un espace transculturel, sans avoir à se poser la question ô combien factice du risque de ghetto ou de stigmatisation. Cette question est à mon avis une fausse question générée par un système qui, encore une fois, ne veut entendre la solidarité qu’en « aplanissant » les différences culturelles. Donner à une personne migrante en situation de crise (et cette affirmation est en effet plus valable d’un point de vue psychiatrique ou médico-éducatif) l’alternative d’approches cliniques qui peuvent être complémentaires (lieux de soins avec des soignants formés à l’interculturel) est la preuve que l’on peut tenir un discours « d’intégration » positif réduisant au minimum les inégalités d’accès aux soins, et en même temps considérer que l’individu, dans sa démarche singulière, ne disparait pas derrière un discours planificateur utopique. Il y aura toujours des personnes qui viendront interpeller en urgence la société via le système de soins.
Si je reste optimiste, bien qu’ayant mis l’accent sur les aspects où la relation soignant soigné dans le cadre de l’urgence dérape, c’est que d’une part (et je l’ai souligné) le système globalement marche, mais d’autre part qu’il existe déjà des lieux de réflexion sur le rapport étranger maladie système de soins thérapie et des lieux d’action.
Le développement de lieux, de structures, de compétences interculturelles, font partie intégrante du système de soins, et il est urgent de le rappeler, car combien de services d’urgence savent interpeller ces structures. Du point de vue purement « économie de la santé », il s’agit d’un manque à gagner. Pour le migrant, car mieux orienté, mieux écouté, il est sûrement mieux soigné. Pour le praticien des urgences et du reste du système de soins, car la gratification d’un acte de soins ou d’accueil réussi n’est pas une chose négligeable.
ANNEXES
A. Lieux de réflexion
1) Monde universitaire :
CNRS ;
INSERM ;
CREDA (Centre de recherche et d’études des dysfonctions de l’adaptation).
2) Monde associatif :
Migrations Santé ;
Centre Françoise Minkowska ;
ARIC (Association pour la recherche interculturelle) ;
ISD (Institut Santé et Développement) ;
ISM (Inter Service Migrants).
B. Lieux d’action
1) Interprétariat :
ISM (Inter Service Migrants).
2) Clinique :
Centre Françoise Minkowska ;
COMEDE ;
AVRE ;
France Terre d’asile ;
Consultation R. M. I. de Villetaneuse ;
Hôpital Avicenne de Bobigny.
C. Pour en savoir plus
Centre de documentation Migrations Santé ;
Fonds d’action sociale pour les immigrés et leurs familles ;
ADRI.