Article paru dans la revue L’autre. Cliniques, Cultures & Sociétés, mai 2006.
Rachid BENNEGADI est psychiatre anthropologue, Centre Françoise MINKOWSKA, et Secrétaire Général de la Section Transculturelle de l’Association Mondiale de Psychiatrie (WPA-TPS).
L’excision, une coutume à l’épreuve de la loi, aux éditions A3.
Lorsque, lors d’un colloque à Dakar en novembre 1997 sur le thème « Pratiques traditionnelles ayant des effets néfastes sur la santé des femmes et des enfants », l’O. M. S. s’attaque aux mutilations sexuelles et notamment l’excision en prônant leur disparition, on voit clairement où est le dilemme. Pour les femmes migrantes concernées, les coutumes, faisant force de loi pour le sujet, défient la loi de la société d’accueil qui, ontologiquement, dénie toute valeur à des gestes considérés comme castrateurs, vestiges, selon les contre-transferts, soit d’un archaïsme groupal, soit de règlements de compte inconscients entre le patriarcat et le matriarcat.
L’enjeu est énorme, le sujet est tout entier envahi par les structures imaginaires en même temps que l’on taille dans le vif de son corps. On pourrait évoquer ou convoquer toutes les postures et se laisser aller à des déchaînements discursifs s’il ne s’agissait de trajectoires de vie désarticulées, désocialisées et souvent enjeux involontaires de conflits acculturatifs. Le livre de Marie-Jo BOURDIN nous propose de dérouler ces trajectoires de vie en nous emmenant sur le terrain pour écouter les prises de paroles des partisans, forcément partisans, d’une coutume à l’épreuve de la loi. Il n’y a pas de positionnement intermédiaire, ou alors ce serait par un acharnement sophiste avec le respect forcé de la culture comme paradigme. La loi de la migration, c’est aussi le changement, processus inéluctable de la dynamique de l’acculturation qui est le moteur des renoncements ou des emprunts. Renoncer plus ou moins consciemment, selon la marge dont dispose chaque individu, à des pratiques douloureuses pour le corps et pour la psyché, c’est l’un des premiers acquis de la personne. Encore faut-il que la société d’accueil veille, par le biais des professionnels concernés (travailleurs sociaux, éducateurs, psychologues, avocats, philosophes, personnalités religieuses représentatives, politiciens), à ne pas maltraiter le corps d’une petite fille sous prétexte de la conformer à un fantasme, fût-il consolidé par l’alibi obsessionnel de la culture.
Le livre de Marie-Jo BOURDIN nous ouvre les yeux sur ce dilemme et nous rappelle, sur le registre de la responsabilité, que c’est un indicateur de santé publique que d’amener une enfant à l’adolescence sans une amputation dans son schéma corporel. Les arguments des défenseurs de l’identité culturelle, en l’espèce, paraissent pathétiques tant le geste est décalé, les contre-arguments sont tout aussi bouleversants car on touche à des aspects éthiques paralysants, tant le discours de la culpabilité est difforme. Ni la honte ni la culpabilité n’arrivent à valider l’idée d’ « être normale même si l’on n’est pas coupée ». Seule la responsabilité assumée et accompagnant le processus de distanciation de ces « magmas tabous » demeure une vraie solution. C’est ce que Marie-Jo BOURDIN nous demande de faire implicitement.