Rojas Raphaël : Adoption et Culture – Nervure, oct 2004

In Nervure, journal de psychiatrie. Numéro 7, Tome XVII, Octobre 2004.

www.nervure-psy.com

Le sujet exact de notre propos est, plutôt, une interrogation sur les éventuelles particularités qui comporteraient des origines culturelles spécifiques dans l’adoption internationale, en l’occurrence les enfants d’origine colombienne.

C’est donc une question, car l’accès aux éventuelles particularités de l’adoption de ces enfants-là, n’est pas facilement dissociable de la particularité propre aux adoptions d’enfants étrangers. Dans un premier temps formulons cette question de la manière suivante : Qu’est-ce qui fait que des candidats à l’adoption s’orientent vers telle culture d’origine plutôt que vers une autre ?

L’accès aux particularités de telle ou telle origine culturelle des enfants adoptés est biaisé par de nombreux facteurs :

- en premier lieu, le contexte propre au pays d’accueil ; ici la législation française sur l’adoption et l’importance du nombre de candidats à l’adoption (en France environ 20000 actuellement) a l’égard du nombre d’enfants adoptables d’origine française (environ 1000 adoptions par an). Selon un rapport officiel(1) au moins «  35% des familles agréées ne se verront pas confier un enfant d’origine française  » ;

- ensuite, le contexte international (la paix et la guerre, les conflits internationaux,…) et l’évolution saccadée de la législation internationale sur l’adoption qui « oriente » de fait, les demandes d’adoption vers telle ou telle destination. La Convention de La Haye, en date du 29 mai 1993, qui encadre la pratique de l’adoption n’était ratifiée au 1er juillet 2000 que par 28 pays et 10 autres y avaient adhéré ;

- aussi le contexte du pays  » donneur  » d’enfants adoptables avec ses effets sur le plan législatif national sur le plan culturel et surtout la réalité actuelle de chaque pays (situation économique, guerre civile, conflits internationaux, mouvements religieux, intégratifs oit culturels).

C’est-à-dire que tel enfant de telle origine culturelle est plus ou moins accessible (adoptable) en fonction d’autres critères que ceux qui seraient directement liés à sa propre culture.

Par ailleurs, certaines incertitudes , d’ordre quantitatif et d’ordre qualitatif, relatives à l’adoption internationale, attirent l’attention.

Sur le plan quantitatif, selon les informations transmises par des sources différentes (notamment des journaux spécialisés dans le droit social comme A.S.H. ou Le journal de l’Action sociale) le nombre d’enfants adoptés, annuellement, en France oscillerait entre 4 000 et 5 000 : dans le premier cas 3/4 de ces enfants sont d’origine étrangère, dans le second cas, 2/3.

La France a tissé des liens relatifs à l’adoption avec, environ, une soixantaine de pays. 62% des adoptions internationales seraient menées individuellement sans l’intermédiaire d’un organisme agrée pour l’adoption (O.A.A.). En ce qui concerne la Colombie, en 2001, 392 enfants ont été adoptés par des français. Ce chiffre fait de la Colombie le premier pays quant au nombre d’enfants d’origine étrangère adoptés en France pour cette année-là. Selon nos sources (la Lettreinfo de l’APAEC il y a une stabilité de l’adoption en Colombie depuis une vingtaine d’années, avec une moyenne de 247 enfants adoptés par an.

Sur le plan qualitatif nous ne pouvons pas omettre la question relative à la manière dont est perçue l’adoption internationale par les différents acteurs concernés.

Pour le gouvernement français l’adoption internationale c’est  » une nécessité  » à moderniser, faciliter, sécuriser. Ce sont les axes principaux du projet de réforme «  L’accompagnement de l’adoption « , présenté par la ministre déléguée à la Famille et à l’Enfance voici quelque temps. On peut ajouter aussi que dans le cadre juridique français, une fois terminée la procédure d’adoption plénière, la famille adoptive devient une famille comme les autres.

La plupart des organismes agrées pourl’adoption (O.A.A.) et les associations de familles adoptives avancent le côté naturel, voire humanitaire de l’adoption c’est d’une certaine manière l’aspect non problématique, la réduction du risque.

Du côté de la recherche clinique, malgré son caractère aléatoire, on penche plutôt, devant nombre de constats, pour la prise en compte des difficultés et la réalité des crises chez les adoptés et chez les familles adoptantes (2).

La différence de leurs positions peut parfois tourner à des prises de position opposées et contraires à l’intérêt d’une clinique de l’adoption (pas obligatoirement une pathologie de l’adoption) et à la mise en place d’actions et projets de suivi et de soutien des enfants et des familles vivant l’expérience de l’adoption (3).

Pour mieux expliciter la nature de ces différends, nous allons évoquer un point sur le plan pratique de l’adoption qui a attiré notre attention. Cette question oppose davantage des candidats à l’adoption, le gouvernement et certaines O.A.A. et consiste en ce qui a été dénommé la «  deuxième sélection » ou le » second tri « .

Lorsque des candidats à l’adoption en possession de leur agrément du conseil général, ont recours à des des O.A.A., ils doivent subir à nouveau une deuxième sélection (souvent sous forme d’entretiens). La position de ces derniers soutient que l’adoption d’un enfant étranger n’entraîne pas les mêmes difficultés que celle d’un pupille de l’Etat. Leurs arguments majeurs font référence à la différence de la couleur de la peau de l’enfant et celle des futurs parents et à leurs positionnements vis-à-vis de sa culture d’origine. Ces deux arguments constituent les premiers vecteurs de notre réflexion et de notre questionnement que nous allons essayer de développer.

Mais avant d’y procéder restons, encore un moment, sur le plan pratique de l’adoption afin d’évoquer quelques points importants.

Tout le monde semble s accorder sur le principe de base, qui a été rappelé dans le rapport officiel cité plus haut comme quoi il s’agit avant tout d' »accompagner le mieux possible les futurs parents sur le chemin qui mène de l’enfant imaginaire à l’enfant réel« . Cependant il y est aussi indiqué que dans les pratiques départementales en matière d’agrément, seulement une partie réduite de départements (en fait 15 sur 74 qui ont répondu à une enquête portant sur un échantillon de 100 au départ), aborderaient les aspects psychologiques et ( 12 départements)les problèmes culturels. Un mot sur le profil actuel des candidats a l’adoption : ils ont en moyenne 38 ans (avec une fourchette de 22 a 71 ans). Dans 79% des cas il s’agit de couples mariés, les autres étant des couples de fait ou des célibataires. Enfin dans le cadre de l’adoption nationale la durée d’attente est de 4ans, sauf pour l’adoption d’un enfant agé ou atteint d’un grave handicap, voire une fratrie, en plus des délais nécessaires pour la procédure d’agrément. Dans celui de l’adoption internationale ce délai tombe à 2ans.

En ce qui concerne la Colombie, la Lettre-info de I’APAEC du mois de juillet 2001 nous apprenait que le délai pour l’adoption d’enfants colombiens était raccourci à 16-18 mois à partir de la mise sur liste d’attente à l’organisme d’Etat (I.C.B.F.) contre 24 mois précédemment.

Nous sommes donc amenés à nous interroger sur l’incidence réelle, car fort aléaloire, de telle ou telle particularité de la culture d’origine des enfants adoptables, qui permettrait ou orienterait définitivement les candidats à l’adoption vers un choix réel précis.

N’oublions pas, non plus, que la plupart des candidats à l’adoption connaissent peu ces cultures d’origine : souvent ils les découvrent au moment où les démarches pratiques et la réalité l’adoption les amènent d’abord vers l’adoption internationale, puis vers tel ou tel pays.

Pour terminer, disons qu’il y a peut-être quelques cas de figure qui nous démentiraient et/ou nous feraient comprendre autrement cette question.

Le premier cas de figure qui nous est venu à l’esprit est celui des futurs parents avant résidé longtemps dans le pays d’origine de l’enfant et qui, en connaissance directe de la culture, décident d’une adoption. Ou, à l’inverse, le cas de couples mixtes constitués dans le futur pays d’accueil et qui décident d’emblée d’une adoption dans le pays d’origine de l’un de conjoints.

Le deuxième cas de figure est celui des adoptions postérieures à une première adoption dans une famille qui chercherait un autre enfant d’origine identique au premier. Leurs motivations seraient renforcées fortement.

Enfin le cas de candidats en contact régulier avec des familles adoptives ou avec des associations de parents adoptifs de telle origine culturelle et qui feraient un choix d’adoption dans la même culture, s’appuyant sur cette référence directe. Ils peuvent penser que leur choix, mieux soupesé, serait plutôt indépendant des biais évoqués mais, en fait leurs modèles portent déjà, à leur insu, la marque de l’aléatoire.

Nous sommes, maintenant devant une certaine manière de constater que des facteurs considérés comme des particularités de telle ou telle culture d’origine culturelle ne peuvent se saisir, dans le meilleur des cas, que dans l’après coup. C’est plutôt une clinique de l’après coup de l’adoption qui doit être envisagée, car elle ne peut saisir que l’enfant réel de l’adoption qui serait lui-même l’après coup de l’enfant imaginaire, de l’enfant mythique de l’adoption.

Mais cette clinique tout comme l’enfant réel de l’adoption ne pourra jamais se dépendre du mythe ; la dimension mythique sera ici chargée des complexités existantes dans la culture d’accueil et dans la culture d’origine. Mais surtout, elle sera chargée de leur confrontation voire de leur combinaison. Aussi de l’inconnu.

Elle sera soutenue par divers processus, entre autres des mécanismes de déplacement et la permanence de l’inquiétante étrangeté.

Voilà deux facteurs, encore, qui soutiennent notre réflexion : l’après coup et la dimension mythique, plus incontoumable dans l’adoption qu’ailleurs. Elle y est même nécessaire.

l’adoption interraciale ou interethnique

Sur cette question essentielle, le travail de Françoise Maury sur l’adoption interraciale nous a apporté beaucoup d’éléments intéressants et nous a servi, en même temps, des limites quant à la recherche d' » une spécificité spécifique  » de l’appartenance culturelle de l’enfant adopté. Et pourtant, il nous reste encore une question quant à la particularité de la Colombie, relative à la variété ethnique existant dans sa population. En effet, la population colombienne présente un fort degré de métissage entre plusieurs groupes ethniques, notamment des populations blanches (principalement espagnole), noires (plusieurs ethnies africaines) et une diversité de peuples indiens, sans compter l’apport successif de libanais et d’autres origines dans des proportions moins fortes. Le métissage lui-même est présent dans des nuances qui vont du plus léger au plus fort. C’est dire que les phénotypes présents dans la population sont fortement variés et parfois inimaginables…

Au départ, c’est surtout cette question qui avait attiré notre attention, à savoir la construction de l’enfant imaginaire dans l’esprit des candidats à l’adoption et le risque de surprise phénotypique. Mais le fait de mieux comprendre, à présent, que beaucoup de choses dans l’adoption se jouent dans l’après coup nous a permis de relativiser nos angoisses face à l’inconnu et à nos questions. Dans l’état actuel de notre recherche, nous ne nous engageons pas aujourd’hui à répondre à cette question. Peut-être arriverons-nous à avancer quelques éléments de réponse. Des époques et des milieux culturels ont considéré, avec plus ou moins de conviction, la stérilité plus comme un handicap humiliant que comme une souffrance affective. On a même cherché à séleclionner les futurs enfants adoptifs en fonction de la ressemblance physique acec les candidats à l’adoption. L’adoption pouvait ou devait rester un secret de famille qui était souvent dissimulé à l’adopté lui-même. On ne le divulguait pas à des tiers.

L’adoption interraciale non seulement est différente mais elle contraste avec l’adoption traditionnelle et introduit des questions telles que : l’autre culture, les autres cultures notamment à travers la différence de l’autre.

Car elle est visible et impossible à dissimuler.

Elle interpelle par la différence d’origines et par la différence perceptible. En plus, elle oblige à penser au déracinement culturel et à s’interroger sur la manière dont des parents et des enfants d’origines différentes vont pouvoir se rencontrer, se reconnaÎtre mutuellement comme des proches et non pas comme des étrangers ; si leurs différences sont compatibles ou incompatibles.

Mais ces questions sont intriquées à d’autres questionnements propres à toute démarche de l’adoption d’un enfant à l’étranger. Qu’est-ce qui fait que les candidats ou parents adoptants puissent gérer les tensions qui impliquent le passage d’une dimension de l’intime, dans la nécessité d’assurer leur filiation au travers de l’adoption, à une dimension du public, même de l’universel se soutenant souvent de motivations humanitaires ou idéologiques ? Qu’ils puissent passer de la sphère du privé, dans ce qui relève d’une frustration douloureuse quant à filiation biologique, à une dimension du social, dans ce qui relève du processus de l’affiliation ?

Les motivations des candidats à l’adoption interraciale

Nous avons déjà évoqué, rapidement, la question de l’évaluation et de la sélection des candidats à l’adoption quant à son hétérogénéité et ses carences. Nous ne traiterons pas ici de ce chapitre de la procédure. Rappelons, simplement, que les candidats n’ont pas choisi délibérément la variété ethnique mais qu’ils se sont plutôt adaptés aux contraintes pratiques et de réalité. Il existe, certes, des motivations non spécifiques à l’adoption interraciale et communes, pratiquement à tout candidat à l’adoption. Parmi celles-ci on retrouve principalement : la stérilité primaire et secondaire, les risques génétiques, le choix d’adopter, célibat, stérilité, divorce.

Par contre, disons que le désir d’enfant est une donnée plus certaine chez les adoptants que chez nombre de géniteurs dont certains ne deviennent parents qu’à leur corps défendant.

Il parait difficile de dire s’il y a une différence ou non entre le désir d’enfant d’un parent biologique et celui d’un parent adoptif, Pour les parents adoptifs il y a un deuil à faire – qui n’est pas toujours fait – et à assumer le fait que leur sexualité soit sans but procréatif. Le désir d’inscription dans la continuité d’une lignée peut permettre à un sujet de s’investir dans un rôle parental mais cela n’aura pas le même sens selon que cette inscription soit seulement de l’ordre symbolique et légal, et selon qu’elle soit aussi est soutenue par l’ordre génétique.

Ce qui paraît démontrable, c’est que le désir d’enfant est, en moyenne, plus intense chez les adoptants que chez les parents biologiques. Dans la recherche sur l’adoption interraciale que nous avons cité plus haut, F. Maury rappelle nombre de paramètres qui soutiennent ce point de vue. C’est pratiquement une évidence que, dans la société française, il est plus difficile d’adopter un enfant que d’en procréer un. Or, malgré les difficultés, le nombre d’enfants par couple, chez les adoptants, serait supérieur à la moyenne nationale. Dans les familles adoptives, certains parents ont une motivation si intense qu’ils ne souhaitent jamais s’arrêter d’accueillir des enfants. Si leurs ainés ont été adoptés pour résoudre leur problème de stérilité, les derniers sont souvent des enfants « à parlicularités « .

Mais il existerait un désir spécifique d’enfant adopté, qui peut être très précoce, soit fondé sur des motivations altruistes ou des motivations à l’adoption ressenties depuis leur enfance. Certains parents adoptifs déclarent que depuis leur enfance, ils voulaient, soit avoir des enfants biologiques et des enfants adoptés, soit se consacrer spécifiquement à l’adoption des enfants parfois avec une motivation précise : des enfants d’origine étrangère.

La décision d’adopter des enfants semblerait se jouer, déjà, dès l’enfance ou l’adolescence. Désir d’adoption si intense qu’elles n’envisageaient d’épouser qu’un partenaire qui accepterait de le partager.

La stérilité apparaît comme la motivation principale de l’adoption des enfants français (81% des cas). Pour les enfants étrangers les pourcentage sont plus faibles et les motivations humanitaires prennent de l’importance, bien que ces derniers puissent se déplacer vers d’autres formes d’actions ou vers d’autres enfants (handicapés par exemple).

Nombre de couples frappés par une stérilité élaborent un enfant fantasmatique à leur ressemblance et qui correspondrait surtout à l’enfant biologique qu’ils auraient pu concevoir. Alors qu’il faudrait d’abord laisser les parents assumer leur stérilité, faire le deuil de l’enfant biologique qu’ils n’auront jamais, puis ré-élaborer un autre enfant fantasmatique, adoptif celui-là.

Le travail de perlaboration qui attend les parents consiste à déterminer quels sont les critères auxquels ils tiennent absolument et les particularités qu’ils peuvent accepter. Surestimer leur tolérance à certaines particularités peut les amener à se confronter à des problèmes insolubles. Dans l’adoption interraciale, le risque est maximum pour que l’enfant fantasmatique et réel soient très différents.

Accepter un enfant d’une autre ethnie nécessite un remaniement fantasmatique important.

Le fantasme du bon parent réparateur

Il y a toujours chez les candidats à l’adoption, plus exactement en rapport avec leur histoire, une sensibilisation précoce au malheur d’autrui, transmise par l’éducation, l’exemple des personnes proches, la rencontre d’enfants malheureux ou par des difficultés personnelles vécues dans la douleur, pàrfois dans le traumatisme.

Dans la parentalité biologique, il n’existe qu’exceptionnellement la satisfaction de « réparer » ses propres enfants. Au contraire, les parents biologiques, s’il y a des difficultés (handicap ou difficultés comportementales ou éducatives), peuvent se sentir coupables et alors réparer, pour eux, veut dire, à tort ou à raison, réparer leur propre faute, et cela ne comporte aucune satisfaction.

Dans l’adoption, les choses semblent s’inverser pour les parents : c’est un enfant blessé par d’autres, handicap ou blessure narcissique causée par l’abandon, qu’on accueille. A la place de la culpabilité, il apparaît une satisfaction narcissique, celle de pouvoir réparer un enfant innocent victime, et d’être reconnu comme capable de le faire.

Souvent, cela fonctionne car, même inconsciemment, le bon parent rérateur, se répare lui-même. Bien que cela soit commun à tout type d’adoption, le fait que dans l’adoption internationale les candidats à l’adoption aient à justifier, souvent, leur choix d’adopter un enfant d’une autre race et d’une autre culture, fait apparaître trois catégories de motivations conscientes : a) que dans l’adoption nationale les enfants deviennent rares ; b) les motivations « altruistes » et les motivations philosophiques ou idéologiques, c) l’adoption concrétiserait un engagement.

L’acceptation du principe de réalité peut se faire par une sorte de mouvement en dégradé.

C’est, dans un premier temps, l’espoir qu’une possibilité d’adoption puisse exister dans une ethnie proche, même si l’enfant est étranger ou, encore, que l’enfant d’un autre pays source, plus lointain et plus exotique, ne soit pas très typé. Puis peuvent venir certaines concessions, tellement le désir d’enfant est fort, telle une culture d’origine pas trop étrangère à la culture d’accueil ou une acceptation d’un phénotype différent, à condition que l’enfant n’ait pas de handicap. La plupart des candidats n’ont pas de préférence pour une ethnie ou une autre le temps passant et ils connaissent souvent très sommairement les cultures et pays d’origine susceptibles de leur proposer une enfant à l’adoption. Donc, le choix est fortement déterminé par des questions pratiques ou fantasmatiques : surtout l’idée qu’on se fait de certaines cultures, proches ou éloignées. En France l’enfant asiatique ou l’enfant latinoaméricain correspondraient au meilleur compromis avec le principe de réalité. Cependant, pour certains adoptants l’acceptation simple d’un enfant typé serait soutenu par un désir de transparence, de clarté vis-à-vis des tiers, de leur propre culture et, ici, l’intérêt même de l’enfant adopté serait évoque. Il est très probable que cette position, qui peut faciliter la rencontre, ne soit plus compliquée qu’on ne le pense si on tient compte de ses liens probables avec le fait que la différence de phénotype contredit l’institution d’un secret sur les origines et peut solliciter certaines distances et limites nécessaires à la reconnaissance de la différence.

L’élaboration de l’enfant fantasmatique dune autre race peut être un processus sous-tendu par des variables différentes selon les couples et les personnes. Nous avions déjà évoqué quelques cas de figure en introduction qui contrediraient l’idée d’une homogénéité dans cette expérience de l’adoption.

Bien que l’histoire et la littérature nous apportent des éléments sur la capacité imaginaire, idéologique et parfois hélas concrètes relatifs à la croyance de  » catégories supérieures  » d’enfants, en fonction des origines ethniques ou encore de fantasmes défavorables autant aux enfants typés qu’aux autres (enfants handicapés, mères malades, etc.) nous ne développerons pas ici cette question.

Par contre, ce qui a attiré notre attention, c’est la question de savoir comment certains parents adoptifs auraient élaboré d’emblée un enfant fantasmatique étranger, souvent typé, c’est-à-dire dans la différence avant tout fantasme d’identique ou de forte ressemblance. Cela se manifesterait par le sentiment soutenu par des rêves ou rêveries diurnes comme quoi leur enfant biologique aurait un phénotype différent ou, tout au moins, il serait autant à leur image, autant typé.

F. Maury pense que la familiarisation avec le phénotype d’enfants d’origine étrangère banaliserait la fantasmatisation de leur propre enfant sous d’autres traits. Ou encore, que le fantasme d être le parent d’un enfant d’une autre race rejoint celui du bon parent réparateur Mais il s’en différencie car l’adoptant qui a un enfant fantasmatique de tout autre type physique, ne cherche en rien à réparer mais seulement à avoir enfant qui représente pour lui l’idéal.

Nous laissons ouverte la question sur les liens de ces fantasmes avec les fantasmes classiques de normalité ou non normalité de l’enfant à venir. Aussi avec le retour du refoulé du roman familial sous sa forme inversée.

Dans le cas particulier de l’adoption interraciale il reste beaucoup d’inconnues relatives aux motivations dites  » secondaires  » alors que celles considérées comme motivations  » importantes  » ou nécessaires sont mieux connues, surtout parce qu’elles sont en général communes avec tout type d’adoption. Il est clair qu’ici nous ne touchons qu’à une partie du problème : les motivations des candidats à l’adoption ou parents adoptants. Les motivations des enfants à être adoptés par des parents d’autres origines et d’autres cultures est une autre histoire. Leurs réactions sont mieux connues.

Le pays d’origine comme mère biologique

Le rapprochement entre les notions de patrie et de mère peut apparaître comme banal mais il suggère l’existence de fantasmes, conscients ou inconscients, opérant une confusion entre mère-patrie et mère génitrice.

Bien que, dans la réalité, l’enfant adoptable a été déjà abandonné, dans les fantasmes de beaucoup de personnes surtout des ressortissants des pays sources, mais pas uniquement, il s’agit toujours d’arracher un enfant à sa mère, une mère qui ne peut pas être considérée comme carentielle ni clairement différente de la mère patrie. En général quand il s’agit de cette thématique mythologique, dans le discours manifeste, il n’est pas question de mère, mais de pays d’origine ou de pays d’accueil ; au niveau inconscient, la confusion peut être totale.

Il a été constaté un rapprochement fréquent entre le pays d’origine et la mère biologique chez les adoptés, ce qui s’exprime clairement dans les discours portant directement sur leurs parents, discours qui contiennent presque des termes identiques à ceux employés à propos du pays d’origine, soit dans le rejet soi dans l’idéalisation.

Ce qui est intéressant c’est que chez les adoptants le pays d’origine est aussi assimilé à la mère biologique. Bien qu’en général les adoptants ont peu d’informations directes et objectives sur les parents de naissance des enfants adoptés à l’étranger, leurs préoccupations sur les géniteurs, souvent provoquées par les questions des adoptés, sont reportées sur la patrie, souvent par le biais culturel.

Au-délà de l’intérêt culturel plus ou moins important pour le pays d’origine de l’enfant, il existe chez les parents adoptifs, un lien inconscient, beaucoup plus conflictuel que ne le laissent entendre leurs discours. Le rejet, le mépris, la rivalité, l’ambivalence, l’intérêt passionné, le sentiment d’avoir un lien de parenté (émigration d’anciennes générations vers les pays sources) tellement leur investissement peut être fort y sont entremêlés.

Ce pays d’origine leur a donné un enfant et dans la fantasmatique parentale, cette patrie occupe symboliquement la place de la mère biologique et elle sera l’objet des mêmes pulsions, des mêmes projections, de la même ambivalence que la mère génitrice. Les adoptants sont reconnaissants d’avoir reçu un enfant et ils se lient d’amitié avec le pays, la culture d’origine de l’adopté. Ils souhaiteraient même se faire parfois adopter par ce pays, ils peuvent appartenir à la même famille que les parents biologiques, en créant des liens mythologiques historiques (des ascendants communs).

Ces pays sources peuvent aussi devenir des  » mauvaises mères  » qui abandonnent, qui maltraitent les enfants et cela peut justifier des attitudes d’indifférence, de méfiance, de rejet qui prédominent chez certains parents.

Mais aussi la culpabilité vis-à-vis de la mère dépossédée se traduit parfois par des cadeaux compensatoires : des dons et des parrainages.

La rivalité est parfois gérée par l’apport de preuves comme quoi l’enfant est bien élevé, l’adoption est réussie, qui peuvent être transmises soit aux organismes intermédiaires de l’adoption, soit envoyées directement aux orphelinats.

F. Maury nous rappelle, enfin, que remplacer inconsciemment la mère génitrice par la mère-patrie est un processus d’évitement, beaucoup moins angoissant que la confrontation directe avec la question des parents biologiques favorisée par l’adoption internationale, qui protège les adoptants d’angoisses et de sentiments de culpabilité. De faibles préoccupations qui chez les adoptants pour les parents biologiques seraient contrebalancées par un investissement plus ou moins fort, parfois passionné de la culture du pays d’origine : la mythologie y prend sa place de droit. Citons pour terminer un témoignage de parents adoptifs d’un enfant Colombien : « Partir en Amérique du Sud tom- bait sur le sens pour nous deux, nous voulions à tout prix choisir un pays vers lequel nous étions attirés, dans le but de pouvoir parler à notre enfant de son pays avec amour, avec les yeux qui pétillent et le coeur en voyage, bref nous voulions adopter son pays et sa culture en même temps que lui car ils font partie de lui. (…) » (5).

Raphaël Rojas

Psychologue clinicien, Psychothérapeute.

Notes

(1) L’accompagnement de l’adoption, Rapport remis à Ségolène Royal par le Conseil supérieur de l’adoption le 9 avril 2002.

(2) L’adoption à l’étranger et la souffrance des liens. L’étrange étranger à l’épreuve de la filiation, Etudes et recherches n’5, AERES Diffusion, 54 rue de Garches, 92420 Vaucresson.

(3) C’est avec cet objectif que s’est créée l’Association ENTER, L’accompagnement de l’adoption, L’Arbre Vert, 4 rue d’Annarn, CSAF, 75020 Paris.

(4) F. MAURY, L’adoption interraciale, Paris à 1999, L’Harmattan.

(5) La Lettre-Info APAEC (Association des parents adoptifs d’enfants colombiens), juillet 2002, n*37.

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