Serge TRIBOLET : « Plotin et Lacan : La question du sujet »

Editions Beauchesne, 2008. 86 p.

Serge TRIBOLET est docteur en philosophie (Université de Paris IV-Sorbonne) et psychiatre des Hôpitaux à Paris, titulaire d’un DEA de psychanalyse. Ses thèmes de recherche et son enseignement (cours et cycle de conférences) portent sur la folie qu’il nous faut entendre comme le lieu d’un savoir.

Qui pense lorsque nous disons je pense ? Que signifie « je » ? Qui est le sujet ? Question éthique par excellence que celle du sujet. Concept clé de la psychanalyse, l’un des plus malmenés, sans doute, les plus interprétés ! Non seulement il s’oppose radicalement à toute conception psychologique qui naîtrait du cogito cartésien, mais encore il s’inscrit dans le projet d’une véritable anti-psychologie. Dans l’inconscient « ça parle », dit Lacan, mais le lieu d’où cette parole advient n’est pas celui désigné par la philosophie moderne sous le concept de sujet. Ce qui apparaît comme sujet dans l’enseignement de Plotin trouve un écho dans la conception lacanienne du sujet. La philosophie de Plotin est une invitation à devenir ce que nous sommes, à ne pas nous contenter du mensonge que constitue le monde d’ici-bas. Plotin nous invite à chercher en nous ce qui est plus que nous. Or cette intériorité plotinienne n’est pas fermeture mais échappement. Le lieu d’une conscience qui se fermerait sur elle-même pour trouver la vérité en elle-même. Plotin nous montre le ciel où vivent les dieux et ce ciel est pensée pure. Cette pensée là-bas est « nôtre », et il nous appartient de le savoir ou de l’ignorer.

[EXTRAIT DU LIVRE]

Retour aux Grecs

Ce livre est né d’un impératif : le retour aux Grecs, c’est-à-dire le retour à une pensée qui non seulement fonde la nôtre, mais aussi tient en elle notre devenir. Cette pensée de l’origine, celle qui pose les grandes questions philosophiques, est la pensée grecque. À la manière des vestiges de l’architecture grecque qui gardent éternellement un aspect juvénile, elle est une pensée éternellement originelle. Elle constitue une source inépuisable de réflexion et de découverte sur l’être, notre être. Elle questionne sur l’essence même de l’être. Qu’est-ce que : être Qu’est-ce que : être homme ? Qui sommes-nous, nous autres humains ?

Cette pensée s’exprime dans sa langue, le grec, une langue qui approche au plus près la question de l’Etre. Philosophia, dit Heidegger, est un mot qui parle grec. C’est par la langue grecque que nous pouvons entendre quelque chose de l’être, c’est par elle que Freud nous fait entendre quelque chose du rêve d’un patient : « À propos de bois, nous ne réussirons pas à comprendre la raison qui en a fait un symbole du maternel, du féminin, si nous n’invoquons pas l’aide de la linguistique comparée. Le mot allemand Holz (bois) aurait la même racine que le mot grec ϋλη, qui signifie matière, matière brute. Mais il arrive souvent qu’un mot générique finisse par désigner un objet particulier. Or, il existe dans l’Atlantique une île appelée Madère, nom qui lui a été donné par les Portugais lors de sa découverte, parce qu’elle était alors couverte de forêts. Madeira signifie précisément en portugais bois. Vous reconnaissez sans doute dans ce mot madeira le mot latin materia légèrement modifié et qui à son tour signifie matière en général. Or, le mot materia est un dérivé de mater, mère. C’est donc cette vieille conception qui se perpétue dans l’usage symbolique de bois pour femme, mère. » Je tiens comme axiome fondamental cette remarque de Gilbert Romeyer Dherbey, auteur de La Parole archaïque : « Si nous ne connaissons pas les langues anciennes, notre inconscient, lui, les connaît. » La parole grecque est dite archaïque « dans le sens où elle est parole de l’arche, du commencement fondateur qui, bien que parfois latent dans les ténèbres de l’oubli, ne cesse de nous parler et de penser en nous, même si nous n’y pensons pas. »

Il s’agit donc d’entendre dans la parole grecque quelque chose de l’Etre qui nous permettrait de dire « c’est là que nous sommes » ; et aussi de répondre à cette exhortation de Pindare dans la Deuxième pythique : Puisses-tu devenir ce que tu apprends à être.

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