Tout au long de cette session, la question du bilinguisme, celle de l’ « entre deux langues » pour reprendre I intitulé, a été abordée sous différents angles et différents regards : anthropologique, clinique et psychanalytique.
Anthropologique d’abord avec le Docteur Rachid Bennegadi et les deux notions développées par l’anthropologie médicale que sont « L’llnes » et le « Disease » (c’est-à-dire tout le registre de la maladie exprimée par le patient et la réponse du soignant après diagnostic) et l’inter activité entre les deux (relation soignant-soigné).
Avec le Docteur Julio Martino nous avons fait un détour par les consultants francophones de la consultation hispanophone, interpellés par l’acte d’adoption. Certains parents adoptants font table rase du passé de l’enfant qu’ils adoptent. II existe un silence imposé par le clivage des deux langues. Clivage qui serait : d’un côté la bonne langue, la nouvelle, l’actuelle, la positive : celle de l’avenir, de l’autre, la mauvaise langue, celle du passé , la négative qu’il vaut mieux oublier, pour l’enfant et ne pas apprendre pour les parents.
Dans ces prises en charge, il est nécessaire qu’il y ait une alliance thérapeutique avec les parents.
On retiendra dans cette intervention que le terme de « biglottisme » a été préféré à celui de bilinguisme.
Dans la psychologie asiatique on a perçu avec le Docteur Can Liem Luong que le silence a un sens. Il laisse l’imaginaire, imaginer sans contrainte sémantique.
Souffrance et silence sont liés à l’indicible du discours, aux phénomènes inconscients, mais aussi à cette part de l’homme qui fonctionne sans langage. Pour la mentalité orientale, souffrir en silence est une réalité psychique permanente au-delà du langage qu’il ne faut pas dénier ou même sous estimer. C’est un point de départ d’existence pour aller à la recherche de la sagesse. Les ratages de cette démarche apparaissent avec la dépression et exprime le déséquilibre entre le yin et le yang.
Avec l’ apport de quelques cas cliniques et dans une approche psychanalytique, Yolanta Tijus-Glazewski (pour l’Europe Centrale et de l’Est) a situé le bilinguisme dans tout le processus de travail psychique. Elle nous a montré que l’articulation entre la langue d’origine et la langue d’accueil était possible. Comment ? A travers la créativité. Par exemple l’entre-deux langues de Françoise, un des cas cités, a été la peinture. un troisième langage ? En tout cas le passage du langage d’origine à l’originalité , la créativité, ici la peinture.
Le Docteur Zorka Domic (intervenant aussi pour l’Europe centrale et de l’Est) a évoqué le paradoxe de venir parler du bilinguisme en tant que thérapeute du Centre F. MINKOWSKA » car nous parlons la même langue que nos patients, comme tout thérapeute est à l’écoute de son patient dans toute autre consultation. » Le travail des thérapeutes va au-delà de la non francophonie de nos patients. Malgré la barrière linguistique, la relation à l’autre, le transfert parvient à fonctionner même dans le « silence
Un troisième langage est aussi à inventer pour ne pas faire appel aux interprètes.
Contrairement à la consultation d’Afrique Noire où le Docteur Jean-Pierre M’Barga a axé son intervention sur la nécessité (prudente) et le rôle de l’interprète avec un détour sur le passé colonial.
Pour ce qui concerne les colonies françaises, les langues maternelles étaient « péjorées », parfois interdites au profit du français, la langue du colonisateur. On retiendra ici le terme de « glottophagie » de ces langues à l’égard de celle du colonisateur. Des différences sont notées dans les colonies anglaises ou belges où les langues locales pouvaient être utilisées et enseignées.
Pour résumer très brièvement ce travail triangulaire, médecin-patient interprète, on peut dire que le patient présente un symptôme, une maladie , il en parle, l’interprète traduit : c’est l’interprétariat et le psychiatre traduit, ou s’efforce de traduire ce qu’il entend , comprend et voit en une vérité du sens : c’est l’interprétation.
Enfin nous avons terminé par un après-midi portugais avec la parole du migrant portugais et toutes les formes de souffrance qu’elle peut véhiculer. Les « mots » et les « maux ».
Avec le Docteur Fabio Lopes nous avons retenu quelques réflexions de jeunes patients tel ce jeune garçon de 15 ans : « Je veux bien vous voir mais je ne parlerai que le français »., ou cet autre âgé de 17 ans : « Je voudrais bien parler le portugais, mais j’ai honte » et enfin ces parents qui accompagnaient leur enfant de 5 ans, adressé à la consultation pour « troubles de l’acquisition du langage » « Si tu ne parles pas , on te coupera la langue ».
Ils sont entre-deux langues Ils sont entre-deux ou nulle part, position peu confortable.
Avec Manuel Dos Santos nous sommes revenus aux enfants portugais des années 1960/70 restés au pays avec leurs grands parents maternels (matri centrisme) alors que leurs parents émigrent en France. Eux, sont restés au pays pour relever le défi du mythe de référence : celui de parler, de s’habiller comme un Docteur (en fait, être comme celui qui a fait des études – qui est donc comme un Docteur).
Ces « enfants du Rêve » sont en fait apparus au groupe comme des enfants du cauchemar, tant leurs symptômes, à leur arrivée en France, bien souvent après le décès des grands-parents, sont significatifs.
Pour terminer, faisant un parallèle avec le nouveau né qui va entrer dans le langage, Helena d’Helia Pereira nous a invité à méditer sur une proposition de réflexion sur l’entre-deux. Ce nouveau-né va être dans un bain sonore – un bain de sons avant d’être un bain de langues – avec d’un côté, la dépendance totale du nouveau-né et de l’autre le sujet pariant, sujet soumis à la loi du désir. Il y a un intervalle, cet entre-deux.