Synapse n° 222 – Février 2006

Journal de Psychiatrie et Système Nerveux Central.

Editions N. H. A. Communication S. A. S.

ÉDITORIAL : « Histoire naturelle des psys de France »

Grands spécialistes de l’élevage et de l’éducation des névrosés, les psys sont répartis dans tous les pays du monde. En France, les principaux psys sont des Psys du Divan (le Psy Lacanien, le Psy Freudien, etc.). Si tous les naturalistes connaissent cette espèce, beaucoup les confondent avec d’autres espèces et cette famille ne compte pas moins de dix variétés, en raison des différences légères et subtiles qui existent entre les diverses espèces. Ainsi le Psy Lacanien se distingue des autres par sa jactance hermétique, très curieuse et très pittoresque, et sa consultation très courte. L’ensemble de ces deux caractères spécifiques (jargons abscons, et rapidité des consultations) est appelé la « jactulacanation précoce ».
Cependant, depuis une vingtaine d’années, les Psys des Champs (ou Psys Técécéistes) venus d’outre-Atlantique semblent s’implanter en Europe et il est vraisemblable, à moyen terme, que l’équilibre écologique soit profondément bouleversé. Leur comportement social est très développé, et leur jactance est assez mécanique, étalant fréquemment des questionnaires ou des calculs statistiques impressionnants. Notons que les plus jeunes – mais aussi certains vieux territoriaux -, possent parfois des cris simplistes qui s’éloignent du chant scientifique habituellement proposé. Cependant ces leurres grossiers peuvent influencer le choix de certains névrosés.
Certains croisements entre psys peuvent donner des espèces aberrantes (les Psys Littéraires, les Psys Ésotériques, les Psys Scientistes, les Psys Oméga-3, etc.). Signalons que des inversions de rôles peuvent s’observer entre espèces, un névrosé décidant de devenir un psy après un rapide apprentissage des gestualisations. Ce mimétisme peut atteindre à la perfection, mais il est évident que ces phénomènes de camouflage sont généralement plus aggravants qu’équilibrants, au niveau écologique.
Comme beaucoup d’animaux sociaux, l’organisation du psy peut se modifier en fonction des fluctuations de la population. D’une organisation « solitaire » chez certains, les psys peuvent se mettre en « clans » lorsque la densité de la population augmente. Dans ce cas, ils adoptent un comportement sectaire en suivant généralement un vieux dominant, et ils développent une attitude territoriale très marquée envers les autres clans.
Certains psys grégaires développent des séquences comportementales franchement comiques. Nous vous proposons quelques expériences éthologiques facilement vérifiables.
Dans la première, vous présentez d’abord à des Psys des Champs un rapport de l’Inserm portant sur l’efficacité des thérapies. Aussitôt, ils commencent à parader avec ostentation, en gloussant fréquemment. Puis, vous supprimez subitement ce rapport : aussitôt les petits gloussement deviennent de véritables cris. Si l’on analyse ces signaux acoustiques on constate qu’ils indiquent la détresse et la colère, mais au niveau sémantique on capte parfois des cris scientistes, et beaucoup de quiproquos : et après quelques heures, certains sujets commencent à dire n’importe quoi.
Deuxième expérience : on présente à des Psys du Divan un livre polémique, écrit par des Psys des Champs, et évoquantles dérives de la théorie freudienne. Bien qu’il plus amusant de polémiquer entre des collègues d’obédiences différentes que de déblatérer des banalités dans un cartel, ce stimulus déclenche automatiquement une réponse aversive. On assiste à une grande gesticulation et un comportement territorial, la plupart des individus marquant leur empreinte dans des journaux tout en exécutant des ritualisations maniaques et/ou médiatiques. Certains décortiquent frénétiquement les pages de l’ouvrage pour extraire tout élément éventuellement antisémite (est-ce un reste phylogénétique du comportement d’épouillage des primates ?), alors que d’autres poussent des cris de pucelle tout en libérant des productions hermétiques et verbeuses, généralement déformées et en totale méconnaissance du domaine visé.
Dans ces deux expériences de frustration, on assiste à une dégradation intellectuelle marquée, avec probablement une réduction des connexions synaptiques dans certaines régions cérébrales.
De fait, s’il existe chez la plupart des psys une morale tacite et informelle régie par des normes (telles que le respect de l’autre, la coopération, et même l’humilité), en réalité l’effet de la frustration inhibe ces exigences intellectuelles et altruistes.
Deux stratégies d’esbroufe sont fréquemment utilisées : soit le sujet nie sa propre méconnaissance et se considère sincèrement comme très brillant, soit le sujet est conscient de sa propre limite mais tente d’utiliser au maximum la communauté, en considérant que leurs occupants sont nécessairement plus stupides que lui. Notons que dans certaines universités quelques psys plus ou moins arriérés utilisant des stratégies d’esbroufe ont pu néanmoins grimper dans les hiérarchies jusqu’à occuper des postes enviables. Par exemple, quelques universitaires du divan, élitistes et pontifiants, ont exercé une domination intellectuelle excessive : ce qui peut expliquer actuellement le territorialisme extrême de certains Psys Técécéistes.
Mais sur le terrain, de nombreuses observations psycho-éthologiques vérifient quotidiennement un déséquilibre écologique, l’arrivisme et la compétition économque remplaçant la recherche des soins psychiques, tout en masquant les possibilités de collaboration.
Cependant, ces dominants ayant peu d’idées des effets psychiques de la domination qu’ils exercent, on peut espérer qu’ils seront bientôt boudés par les névrosés. Contraints à s’isoler et à explorer un petit territoire à ressources naturelles limitées, ces individus extrémistes auront une faible capacité de transmission de leurs variabilités individuelles, la réduction de la fécondité intellectuelle de cette espèce va contribuer à une sélection naturelle, au sens darwinien, en réduisant les risques de dérives et en stabilisant la structure de la communauté des psys.
On peut donc s’interroger quant à l’évolution future des psys, ainsi que les possibilités de mutation. En effet, tous les psys ont probablement une souche commune, mais éteinte : le Sage des Cavernes. En théorie, en croisant les diverses variétés des psys, on pourrait obtenir au bout de quelques générations un type morphologique reproduisant l’ancêtre commun.
Cependant les multiples tentatives n’ont donné, à ce jour, qu’une multitude de névroses universitaires.

Alinus MUSCA. Traduit par Alain MOUCHES, Maître de conférences à l’Institut de Psychologie et de Sociologie appliquée ; enseigne les neurosciences et les thérapies comportementales et cognitives. IPSA, UCO, Angers.

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