Takfir sentinelle par Lakhdar Belaïd. (notice bibliographique)

Gallimard, Série noire, 2002, 255 p.

Après l’enthousiasmant Sérial Killers (cf H&M, n’ 1229, janvier – février 2001), le couple détonant formé par Khodja le journaliste et Bensalem, le lieutenant de police est confronté à de dangereux intégristes, version islamistes. Ce livre n’a pas l’originalité du premier. Peut-être parce que la trame de l’intrigue s’inspire d’un fait réel : l’histoire du « gang de Roubaix ».

Roubaix, « la ville la plus musulmane de France », là où les filières internationales, basées au Pakistan, en Afghanistan ou ailleurs, financées par l’Arabie Saoudite et consorts ont tenté d’enrôler une jeunesse lasse de fournir des preuves d’intégration, mais qui s’est assez vite montrée inapte à respecter des règles morales contraignantes et les consignes drastiques d’une organisation clandestine. « Les seuls à nous avoir rejoints sont des petits jeunes. Des gars de tout juste vingt ans. Des délinquants pour certains. [ … ] Alors je me suis dit que c’était formidable ! Que ces ex-chapardeurs rachetaient leurs pêchés en s’engageant dam le jihad en défendant avec nous la zakat révolutionnaire auprès des autres fidèles. Stupide que j’étais ! Pour nous rejoindre, ces petites frappes ont réclamé un ‘intéressement aux bénéfices’ ! Résultat, je n’ai qu’une poignée d’hommes sous mes ordres dont un trio qu’il faut sans cesse garder à l’oeil. Tù parles d’une guerre sainte ! »

L’écriture est nerveuse, vive, le vocabulaire bigarré et chatoyant mais, ici, sans volonté d’esbroufe. Les mots crépitent à longueur de dialogues, la tchatche vivifiante d’une génération qui déborde d’énergie envahit toutes les pages. C’est de l’intérieur que Lakhdar Belaid décrit ce groupe de jeunes combattants, À l’image de Christian, devenu Oualid par ressentiment, par une exaspération nourrie de l’injustice sociale ou de Laurent, dit Abou Hamza, certains se sont engagés dans un combat au nom de ce qu’ils croient être la cause de l’Islam. L’auteur raconte la montée du terrorisme moral dans les quartiers, les menaces et le passage à l’action violente. Mêlant enquête journalistique (l’auteur est journaliste), investigation policière et récit romanesque, il reconstitue les filières des « stages de formation » au Pakistan ou en Afghanis tan et autres « séjours humanitaires » en Bosnie.

Lakhdar Belaïd montre comment les réseaux internationaux des mouvements islamistes, l’histoire de l’Afghanistan des vingt dernières années et la mainmise pakistanaise opérée via les Talibans sont des clefs pour comprendre des événements survenus… en terre ch’timie !

Comme dans son premier livre, l’auteur n’est pas tendre avec les pratiques journalistiques qu’il attribue à ses confrères parisiens. Sa ‘phobie des journalistes de la capitale » est concentrée sur Raphaël Sentinelle, personnage louche et sans scrupule. Même attitude à l’égard des responsables politiques, ici campés par Monique Barby ci-devant ministre de la Ville et de la Solidarité et présidente de la communauté urbaine de Lille. Toutes ressemblances avec une personnalité, existante n’étant sans doute pas le fruit du hasard, le livre raille les dérives et les impasses d’une politique spectacle et clientéliste, qui ne « voit que les caméras et les gros titres des journaux ».

Sur l’islam, nul manichéisme ou simplifications qui satisferaient les opinions déjà prêtes ou préparées. Khodja et sa femme sont eux mêmes musulmans, on le savait déjà. Il y a aussi cet Ali Sbahi. Lui aussi est musulman, et pas partisan de la version light ! Prédicateur, ancien d’Afghanistan, ex organisateur de « stages » pour les futurs combattants de la foi, c’est pourtant lui qui permettra à nos deux enquêteurs de percer le mystère. L’homme est à mille lieux du mode de vie de Khodja ou de Bensalem, mais son intégrité morale est entière.

Et puis, surtout et enfin, les dessous de l’enquête révéleront que sous couvert d’islam se cachent bien d’autres enjeux. Voilà qui rappelle que les guerres dites « saintes », croisades et autres djihad, servent trop souvent à masquer de bien autres et plus prosaïques intérêts.

M. H.

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