Je ne résiste pas au plaisir de commencer mon intervention en vous lisant un extrait des « Lettres Persanes » de Montesquieu. C’est donc une lettre envoyée par ce persan, qui était à Paris, à l’un de ses amis :
« Je me trouvais l’autre jour dans une compagnie où je vis un homme bien content de lui. Dans un quart d’heure il décida trois questions de morale, quatre problèmes historiques et cinq points de physique. Je n’ai jamais vu un décisionneur si universel. Son esprit ne fût jamais suspendu par le moindre doute. On laissa les sciences, on parla des nouvelles du temps. il décida sur les nouvelles du temps. Je voulais l’attraper et je me dis en moi même « il faut que je me mette dans mon fort. Je vais me réfugier dans mon pays. Je lui ai parlé de la Perse, mais à peine lui ai je dit quatre mots qu’il me donna deux démentis fondés sur l’autorité de Monsieur TAVERNIER et Monsieur CHARDIX Ah Bon Dieu dis je en moi même, quel homme est ce là. Il connaîtra tout à l’heure les rue d’Ispahan mieux que moi. Mon parti fut bientôt pris. Je me tus, je le laissai aller et il décide encore »
C’est vous dire combien la problématique de l’interculturel n’est pas nouvelle en France. Elle est passionnante car le regard sur les autres est un regard qui nous implique dans notre savoir, notre formation et notre idéologie, surtout si vous voulez tout savoir sur le migrant sans avoir osé le demander complètement. Vous pratiquez les difficultés des autres et, par la force des choses, vous devez rencontrer vos propres difficultés, ce qui est logique, et c’est dans ce petit espace que je voudrais intervenir ; tout le monde n’a qu’à bien se tenir, migrants et non migrants compris ! Il va falloir que nous travaillons ensemble afin de savoir ce qui se passe quand on est impliqué dans la relation interculturelle et que ça ne marche pas vraiment, que l’on s’en rend compte et que l’on n’ose pas trop le dire ou se le dire.
Je voudrais reprendre avec vous des notions qui me paraissent capitales, même dans un contexte humoristique. Le concept d’acculturation, que tout le monde manipule comme un « revolver » dans le contexte de l’interculturel, et qui signifie « vers une culture », (je ne dis pas « aller vers une culture » ce qui supposerait déjà qu’il y a un point de départ précis et supposé intéressant par rapport à l’endroit d’où l’on part) « vers une culture », sans préjuger que ce soit’ du bas vers le haut, du moderne vers le traditionnel et inversement, ou du sauvage vers le civilisé. Ne tombons pas trop vite dans le discours ethnocentriste d’un côté comme de l’autre. Cette précaution prise, dans le langage populaire, dans le discours de l’ethnologue moyen ou de l’éducateur angoissé, on traite les gens d’acculturés quand on a envie de les frustrer un peu. Quand bien même on sait que ce terme a une connotation non péjorative, inconsciemment on aurait tendance à penser qu’un acculturé est plutôt une espèce que l’on voudrait en voie de disparition plutôt que de quelque chose d’intéressant et de particulièrement porteur d’espoir.
Il est vrai que les temps changent et de plus en plus on perçoit l’acculturation comme quelque chose qui, pour la société qui accueille, n’est ni menaçant, ni véritablement psychopathologique, déstructurant, ou confusionnel. Je pense qu’il ne s’agit pas là d’une position défensive contre le discours nosographique, mais plutôt d’une clairvoyance quant au discours psycho anthropologique préliminaire sur les gens en situation de transculture avant de foncer dans le discours psychopathologique, fâcheuse tendance chez les « psy » qui, quand bien même maîtrisant le contre transfert, parfois se laissent aller à des supputations qui n’ont rien de psychologique mais qui sont idéologiques. Est ce leur faute ? Ils en sont au même point que n’importe quel soignant ou n’importe quelle personne qui travaille dans le soutien ou la solidarité. Si on ne réfléchit pas dans un contexte de contrôle, d’analyse, de formation sur ce que l’on véhicule vers les gens que l’on veut aider au niveau culturel, il y aura pas mal de dérapages.
Les sociologues aussi ne sont pas épargnés dans le discours sur l’acculturation sur les modèles qu’ils proposent aux populations migrantes et réfugiées car il faudrait qu’une fois pour toutes on puisse regarder cette population de gens déplacés, que ce soit pour des raisons économiques ou personnelles ou pour des raisons d’exil, comme une population importante non seulement comme une donnée quantitative, mais également tenir compte de leur diversité personnelle, individuelle. Il faut dire oui au regard sur la population migrante comme une sorte de grand partenaire de la société française, dans laquelle il y a une diversité de « francéïtés » absolument étonnante. Qu’y a t il comme variétés de français pour ces migrants et ces réfugiés à qui l’on propose des modèles d’identification, des circuits de formation, des modèles professionnels. On attend de chacun d’entre eux, du moins le croient ils, qu’ils puissent utiliser des modèles d’identification ou des modèles de fonctionnement.
Quels modèles ? Les français anthrolopogiquement gaulois, dans le sens de plusieurs siècles d’appartenance au sol dans l’hexagone avant LOUIS XIV ? Les français d’origine migrante ? Il y en a beaucoup, les pieds noirs d’Algérie, les harkis, les français des DOM TOM, les français naturalisés et particulièrement les français issus de la génération de l’après guerre, français d’origine italienne, polonaise, espagnole qui, il y a encore 35/40 ans étaient les ritals, les polacs, …
Il n’y a pas une personne qui ne « traîne » pas une idéologie raciste. Par contre, il y en a certainement beaucoup qui ont une hygiène mentale par rapport à la technique raciste et antisémite entre autres, puisqu’il faut bien lier les deux. Il y a des gens qui ont travaillé sur eux mêmes pour ne pas donner dans les stéréotypes avec les gens qui ne leur ressemblent pas, et pas uniquement envers les migrants mais aussi envers certaines couches sociales… On n’est pas, de par son statut professionnel de la santé, du soutien ou de l’assistance sociale, dédouané de nos stéréotypes sur les noirs, les arabes, les jaunes, les français, les auvergnats, les bretons, les corses, les pieds noirs, les harkis,… Qui ne fonctionne pas sur des a prioris, sauf quand il est soit issu de cette communauté, soit qu’il a travaillé sur ce terrain et vu combien les pièges sont nombreux.
Dans ce domaine, Albert MEMMI fait une analyse du racisme qui nous éclaire sur la « nécessité » pour certains d’être raciste. C’est un comportement qu’il présente comme ayant une utilité foncière, dans le sens de l’intérêt, et en même temps il montre les privilèges que chacun d’entre nous peut tirer d’un acte raciste ou d’hétérophobie. Pouvoir stigmaser l’autre est toujours rentable.
En situation interculturelle, on regarde l’autre avec sa culture, son génie personnel, ses problèmes, ses magouilles, son trafic pour fonctionner et en même temps ses réponses, tordues parfois, à la société qui le stigmatise, qui l’agresse. On retrouve aussi des réponses extrêmement adaptées et des réussites qui sont utilisées comme faire valoir auprès du monde de la migration pour bien démontrer que le « migrant nouveau est arrivé » et qu’ils ne sont pas tous dans la misère et que les entrepreneurs, les grands patrons, les médecins, les découvreurs, les économistes, bientôt les hommes politiques peuvent se recruter également en Afrique, au Maghreb et en Asie. Quelques associations démontrent que ce sont des réalités. Le phénomène de FRANCE PLUS vaut ce qu’il vaut, mais il a démontré qu’il peut y avoir des Conseillers Municipaux, français d’origine étrangère, toutes tendances confondues en France. Cela devrait un peu plus nous interpeller, nous qui nous interrogeons sur la façon dont nous allons aider l’autre, le migrant, le réfugié, celui qui traîne toute une série d’informations et de messages verbaux et méta verbaux, qui nous rappellent un certain exotisme ou qui évoquent chez nous une culpabilité, ou qui nous mobilisent au niveau de certaines dynamiques comme la honte, la pudeur, le déni…
Cest de cela dont je voudrais vous parler, et dont on ne parle pas assez, dans la relation transculturelle. Il faut bien sûr des théories, des repères pour cette relation, mais je voudrais me situer un peu plus clairement par rapport à ma technique de déstabilisation de la pensée. Ce sont des interrogations anxieuses d’un individu qui est sur le terrain, particulièrement de la psychopathologie, mais qui est également très sollicité par des gens comme vous, au niveau d’avis culturels, au niveau de décryptage en ce qui concerne des relations d’adolescents avec leurs parents dans des conditions de placements ou de mesures éducatives en milieu ouvert, ou bien de relation thérapeutique qui fait blocage parce qu’apparait l’obstacle de la culture et pas seulement de la langue, …
Tout cela m’a poussé à réfléchir à la solidité des théorisations sur le transculturel pour voir si elles étaient validées par la pratique ou si elles étaient plutôt destinées à voler en éclats, pour laisser la place plus à la vie des gens qu’à la théorisation sur eux. Ce n’est pas non plus de la « frilosité » par rapport à la théorisation, elle est nécessaire, et j’utilise le discours anthropologique. Il n’y a rien là qui exclut une approche intellectuelle ou cognitive, mais j’aimerais souligner que ni les migrants, ni les non migrants, spécialistes de ces problèmes, ne peuvent s’imaginer un instant qu’ils ont affaire à un champ de travail et de recherche que l’on peut figer dans un contexte tout à fait défini. Il y a là, une permanente tentative d’échapper à cette attitude, qui enferme d’une certaine manière, qui prescrit des médicaments autant que des indications, alors que c’est souvent parfaitement illégitime. Quelle formulation dramatique que de vouloir intégrer les migrants et les réfugiés ? C’est une volonté louable, mais à chaque fois que l’on a voulu intégrer quelqu’un dans une fonction ou dans une situation c’est souvent à son corps défendant, dans des techniques de pression. Alors que c’est là où l’humour pourrait s’instaurer dans la relation, là où on pourrait véritablement se moquer de soi dans les démarches stéréotypées, ou les lapsus. Il faut admettre une fois pour toutes qu’il faut poser le problème en amont et se dire « Qu’est ce que l’interaction entre la société française, actuellement avec sa diversité, qui accueille, et la société migrante et réfugiée actuellement avec sa diversité, qui fonctionne dans cet accueil ? Qui vous dit que les migrants et les réfugiés veulent être intégrés ? Certains migrants vous refusent le droit de penser à leur place et ne comprennent pas pourquoi vous leur proposez des modè ‘ les via leurs enfants. Us immigrés de première génération sont parfois offusqués de voir les propositions faites par les équipes médico éducatives sur la façon dont il faut éduquer les adolescentes. Je prends l’exemple des jeunes filles maghrébines parce qu’il défraye la chronique. Il y a d’énormes dérapages. Je ne dis pas qu’il faut se cantonner au discours du respect de la différence. Ce n’est pas le problème. Il faut accepter l’idée d’une interaction entre les jeunes qui proposent et ceux qui éventuellement disposent. Ce n’est pas parce que la société française, par l’intermédiaire de ses penseurs, chercheurs, de son monde associatif, fait des propositions générales pour la migration que forcément la population migrante ou réfugiée va s’y engouffrer.
Je voudrais maintenant vous rapporter quelques histoires humoristiques qui sont parfois destructurantes. C’est ce que j’entends dans l’univers culturel maghrébin et également dans l’univers culturel du monde asiatique et aussi de ce que je glâne, puisque je vis moi même une expérience interculturelle, je fréquente un milieu interculturel ; je suis donc sensible à ce qui peut se dire en dehors du processus psychopathologique et vous n’êtes pas sans savoir ce que FREUD, ce grand émigré, a dit a pu dire sur l’humour et ses rapports avec l’inconscient. Il y a là des choses qui sont tout à fait admises dans le bon sens populaire. Ce qui peut se dire sur l’autre par la voie humoristique est parfois très intéressant et permet d’éclairer des relations, mieux qu’un discours.
La première blague est assez difficile, elle a affaire à l’extrême et incrimine Mr LE PEN qui, sortant d’un soirée légèrement arrosée, se voit privé de son chauffeur qui avait forcé sur la dose et ne pouvait manifestement pas conduire. Il est donc obligé de prendre le volant pour rentrer chez lui, mais dans cette anxiété de se savoir sans chauffeur il n’a pas très bien vu ce qu’il faisait et accélérant un peu trop il entend un grand choc devant lui ; il a renversé quelqu’un. Il descend, effaré par cet accident, et se rend compte qu’il a écrasé un maghrébin. Il se dit « jamais je ne pourrai faire croire que je ne l’ai pas fait exprès, ce n’est pas possible ». Voyant qu’il n’y a personne, il monte le blessé dans son coffre et il se dirige vers l’hôpital car son extrémisme ne va pas jusqu’à laisser agoniser un maghrébin pour des raisons idéologiques. Un barrage de gendarmerie malheureusement situé sur le trajet de l’hôpital l’oblige à s’arrêter et comme les gendarmes font les choses avec rigueur, ne laissant aucun passe droit à qui que ce soit, ils demandent à voir le coffre de la voiture. LE PEN se confond en excuses en essayant de dire qu’il est pressé… Ils ouvrent le coffre et voient ce maghrébin blessé. LE PEN se dit que sa carrière est finie. Mais il s’entend alors dire sévèrement par le gendarme « Alors Mr LE PEN, on braconne ? ». C’est très violent mais cela montre bien comment un certain nombre de choses limites peuvent être acceptables dans l’humour et par ce biais traduire une réelle angoisse ou un souci majeur devant un certain laxisme de la loi (la loi du surmoi) devant l’hétérophobie.
Deuxième anecdote, qui reste dans la violence car il faut que passe en vous l’idée que ce sont des choses dont on rit et dont on peut structurer des savoirs et des stéréotypes, mais cela peut aussi permettre à certains de s’autoriser des discours qu’ils ne s’autorisaient pas par culpabilité ou par peur. Donc il s’agit d’un groupe de touristes qui visitent l’Afrique du Sud et qui veulent voir tout ce qui s’y passe. On leur a dit que l’apartheid était insupportable, mais certaines média leur ont affirmé que c’était des discours pervertis. On leur fait visiter le pays, et on termine l’excursion par une visite en hélicoptère dans l’intérieur du pays ; c’est Peter BOTA en personne qui a drivé ces touristes. Ils voient, sur un grand lac, deux blancs avec un hors bord et deux noirs qui suivent, comme s’ils faisaient du ski nautique. Les touristes sont fascinés ; manifestement il s’agit d’un loisir bourgeois qui n’est pas à la portée de tout le monde ; voilà une sorte de cohabitation fantastique. Peter BOTA n’en peut plus de joie, il est le premier étonné, mais profite de l’aubaine et par haut parleur, il dit aux deux sud africains blancs « Je suis fier de vous, vous montrez une image fabuleuse de l’Afrique du Sud, je voudrais vous féliciter, Les deux sud africains sont étonnés, puis une fois que l’hélicoptère s’est éloigné, l’un des deux sud africains dit « Il est quand même extraordinaire ce Peter BOTA, il n’a rien compris à la chasse aux crocodiles ».
Il y a là aussi tout un discours sur la cohabitation.
S’entendre dire par le jeu dangereux à stigmatiser le noir en l’occurrence dans un contexte d’apartheid qui n’est pas négligeable. C’est un contexte de violence permanente, qu’y a t il de plus extrême comme interculturel que ce qui se passe en Afrique du Sud ? Il y a des passages qu’il ne faut pas hésiter à prendre avec bien sûr le courage de légitimer ce genre d’humour en acceptant l’humour sur soi. Il va de soi que si un migrant se permet d’entrer dans une relation humoristique par rapport à des pratiques culturelles gauloises, ou francophones ou françaises de l’hexagone, ou même autres, il faut être en mesure d’en rire. je vois plus souvent l’inverse, c’est à dire des migrants capables de rire d’eux mêmes et de leur situation parfois dramatique. Uexpérience que j’ai au niveau de vécus destructurants d’assistantes sociales ou d’éducateurs qui n’ont pas supporté qu’un migrant algérien ou vietnamien puisse leur parler brutalement, avec un petit sourire, de la colonisation qui est un fait historique. Les mécanismes de défense sont tels qu’on se demande ce qui peut autoriser les gens, même s’ils vivent cette histoire là où s’ils l’ont partagée avec leurs parents, à tant d’années d’intervalles, à réagir aussi violemment. Si j’en parle c’est pour qu’on puisse, d’une certaine manière, mettre cela à plat.
un migrant qu’il y a une dette à payer à cause de la décolonisation est un discours banal, qu’on entend chez beaucoup de migrants mécontents ou déçus. On leur propose des modèles thérapeutiques ou des modèles de soins qui ne sont pas les leurs. Ou alors on fait des propositions « argumentées » de placement de leurs enfants pour « leur bien ». Mais quand on demande aux équipes exactement de quoi il s’agit, on entend rarement jusqu’au bout l’argumentation. On nous parle de violence, souvent réelle, mais parfois le fantasme des cultures qui « battent » est exagérément à la place du réel. J’entends aussi beaucoup d’humour sur les arabes qui battent leurs femmes, sur l’exotisme fascinant de la femme orientale. Certains peuvent le dire en se rendant bien compte qu’ils sont dans une fascination problématique.
Certains fonctionnent sur le stéréotype. Ils vont tenir un discours hautement technique, saturé en concepts psychanalytiques, systémiques ou autres, mais quand vous leur dites « Pourquoi pensez vous qu’il faut placer cette jeune fille ? Pourquoi pensez vous qu’elle est en danger de mort dans son milieu familial ? » Il y a là des impasses terribles. Il n’y a pas d’explications suffisamment argumentées tranquillement pour que ce soit faisable dans un contexte non agressif. Il faut que cela se fasse dans la violence. Souvent on regrette. Les adolescents qu’on a séparés de leurs parents fuguent 6 mois après du foyer pour retourner dans leur famille, nous interpellant sur notre place d’assistant d’une certaine oppression et nous renvoyant aussi à nos regards culturels sur nous mêmes, qu’on soit un thérapeute migrant ou non, ou une assistante sociale qui partage leur culture.
Revenons à la dimension que je qualifie d’humoristique mais qui est dévastatrice. Elle n’est pas vraiment humoristique au sens où on pourrait en rire franchement. C’est grinçant et c’est comme cela qu’il faut que ça fonctionne. C’est l’histoire d’un jeune israélien qui voyage avec son père. Il sort pour la première fois en Europe et il est très curieux. Arrivés en Autriche, il lui demande « Où sont les juifs ici ? ». Son père lui dit « Non, ici il y a des chrétiens ». Ils arrivent en Belgique « Mais où sont les juifs ici ?’, « Non il y a des chrétiens ici aussi ». Ils arrivent en France « Où sont les juifs ici ?’, « Non ici également il y a des chrétiens ». Le jeune israélien s’exclame alors « Ces chrétiens les pauvres, comme ils sont dispersés.. ».
C’est tout à fait intéressant de savoir que parfois le regard de celui qui a toujours été connoté comme diaspora ou minorité, un jour a la capacité de pouvoir penser l’autre en tant que minorité ou diaspora. Où est le drame ? Il est dans la tête de celui qui n’a jamais pu imaginer qu’il pouvait être en diaspora ou en situation d’excentration par rapport à sa culture, qui ne peut pas imaginer que se déstabiliser par rapport à sa propre culture est un risque logique à prendre quand on travaille avec des gens d’une autre culture.
Il ne faut pas toujours travailler avec un filet. Il faut savoir accepter certaines entreprises d’aide, en dehors de la thérapie, l’aide qui consiste à être capable d’accueillir quelqu’un qui n’est pas d’ici. Cette capacité à pouvoir se mettre en situation d’interculture ne se voit pas partout. C’est difficile. Je veux bien qu’on dise que les « psy » ont un avantage parce qu’ils sont dans des fonctionnements où ils sont contrôlés, analysés, … Ce n’est pas une excuse. Il est évident que l’interculturel de demain sera européen par la force des chose, cela veut dire que les migrants et les non migrants vont peut être se trouver à égalité devant l’adaptation en Europe. Alors gare car nous les migrants allons partir avant vous, les non migrants. Quand je dis « nous », je situe les migrants, donc j’inclue les français migrants, je ne stigmatise pas une ethnie quelconque. Quand je dis « vous » je ne vous mets pas en position de minorité, vous qui n’avez cependant pas beaucoup voyagé… !
Au démarrage de la relation statutaire sociale de l’Europe de demain, les migrants ne seront pas en reste. Ils sont là, ils persistent et signent. Ce sont des partenaires dans le monde du travail et peutêtre même dans le monde de l’entreprise. Les asiatiques sont des gens qui vont assez vite à ce niveau. Ils ont des structures anthropologiques familiales avec des systèmes de business qui leur permet de ne pas être tributaires de l’argent de l’état ou de tel ou tel sponsor. C’est leur mode culturel depuis des millénaires, pourquoi le changeraient ils parce qu’en France il faut attendre l’argent des subventions.
Le problème est donc au niveau de capacités adaptatives à de nouvelles situations et pour la première fois depuis que la France reçoit des migrants on peut honnêtement dire par rapport à la migration dont nous connaissons les démarches sociologiques et les retombées démographiques qui se situent au début du siècle, que la société qui a accueilli des migrants va se retrouver elle aussi en situation obligatoire transculturelle. Il va falloir se débrouiller avec les allemands, travailler avec les italiens, les espagnols qui n’ont pas une très grande opinion sur les capacités adaptatives des français. Il ne faudra pas leur dire « Vous êtes des immigrés, rentrez chez vous » car ils sont chez eux, en Europe.
Le français « anthropologiquement gaulois » n’est jamais aussi créatif que lorsqu’il a le dos au mur. Il faut donc espérer que devant cette nouvelle difficulté seront transcendées les petites histoires de migrants et non migrants, et on peut dire, sans connotation idéologique ni politique, qu’avec les enfants que feront les migrants qui deviendront des français, avec le génie des français et des nouveaux français et des migrants qui le resteront s’ils le veulent dans l’Europe, l’ensemble de la communauté française hexagonale avec toutes ses forces vives pourra jouer un rôle différent en Europe. Sinon il y a là un frein énorme et inutile et l’on voit mal comment il pourrait y avoir une Europe sans que l’interculturel puisse se placer à un autre niveau que celui dont nous parlons encore actuellement, c’est à dire un interculturel qui serait « kidnappé » par le savoir psychiatrique, il faut se méfier également des anthropologues derrière un bureau, qui n’ont jamais visité le moindre pays dans leur existence, et qui sont extraordinairement prolixes sur les cultures.
Il faut relativiser ce savoir là et laisser de plus en plus le discours aux gens qui sont sur le terrain avec les migrants et qui sont dans une dynamique de théorisation possible de l’interculturel qui pose les choses à des niveaux acceptables, qui sont des niveaux d’interaction où l’on reconnaît les gens. Il faut essayer d’oeuvrer dans le sens du financement de tout ce qui va vers une formation des migrants et des réfugiés quels qu’ils soient. Il ne faut pas penser les choses seulement en termes de seconde génération ou de jeunes beurs ou de jeunes africains ou asiatiques qui eux seraient un bon produit et les autres ne le seraient pas. Lcs migrants de la première génération et les réfugiés qui refuseront toute intégration, que ce soit par la voie de la naturalisation ou autre sont des partenaires également.
Il faudrait être en mesure de laisser la main aux acteurs et autour de ces acteurs, accepter que nous soyons capables de nous dessaisir du discours sur eux pour parler de la relation que nous avons avec eux. Sans quoi nous allons continuer à inventer de nouveaux concepts sur eux. Il faut sortir de ce modèle nosographique sur l’intégration de populations quelles qu’elles soient.
Ce n’est pas le discours médical, ni psycho pathologique qui fournira les bonnes solutions, mais le discours psycho anthropologique. Il faut s’inscrire en faux par rapport au stéréotype qui colle à la peau des migrants qui ne savent pas s’exprimer en langue française et qui privilégient un langage du corps parce que ne sachant pas dire les mots, ils les disent dans leur corps. Assez, il faut avoir eu le courage au moins une fois dans sa vie d’entendre quelqu’un parler de ce problème dans sa langue. Quand il ne parle pas bien le français, il vous pose un problème à vous qui ne parlez pas sa langue. S’il parle suffisamment bien la langue française pour pouvoir dire sa souffrance, il y aura peut être des problématiques culturelles qui surgiront ça et là. Quand on est futé et formé on arrive à travailler avec quelqu’un. Mais très honnêtement le nombre de gens qui conduisent des relations psychothérapeutiques ou de soutien, … dans un sabir intolérable et insupportable, ça ne devrait plus exister.
Lorsqu’on voit quelqu’un s’orienter sur la voie de ce corps qui parle à la place de l’individu, il faut lui dire « arrête, c’est ton corps qui bégaie, ce n’est pas le sien. C’est toi qui ne parles pas sa langue, qui bafouilles, mais ne dis pas qu’il s’exprime par le corps parce qu’il lui manque les éléments d’expression par rapport à la souffrance. Qu’il y ait un langage non verbal, d’accord. Nous avons tous un langage non verbal. Si l’un d’entre vous se retrouve en Islande pendant un voyage d’affaires et qu’il déprime, et qu’il veut parler de son malaise existentiel à un « psy » islandais, si vous ne parlez pas un mot d’islandais et qu’il ne fonctionne pas du tout en français ou que vous parlez un anglais limite, allez donc lui exprimer votre malaise intérieur, vos supputations problématiques, vos métaphores et vos idées implicites. Cela risque de finir par une prescription et un jugement du genre « Ces français alors, qu’est ce qu’ils s’expriment mal ! » Je ne veux pas vous jeter la pierre en disant que parfois vous pouvez avoir ce genre de jugement, mais parfois on en n’a pas conscience tant on est rempli de stéréotypes sur les capacités qu’on a à traiter la souffrance dans un cadre universel.
Non, ce n’est pas parce qu’on est formé dans une technique psychothérapeutique qu’on est compétent pour toutes les langues et toutes les cultures. Oui, quand on a une formation suffisante dans l’interculturel et dans la relation à l’autre, on est capable d’entendre la souffrance à travers les cultures. Le culturel s’inscrit quand il doit s’inscrire ; ce n’est pas en l’évacuant avec un grand geste de la main, du style « tout cela a affaire avec l’inconscient et se règle dans le transfert et le contre transfert » ou en culturalisant à outrance, que s’élabore une solution. Rappelons nous qu’il n’y a pas de rencontre entre les cultures, mais d’interaction entre des personnes porteuses et interprètes de leur culture.
Ne nous posons plus la question de savoir si le processus d’acculturation est quelque chose qui doit bien finir ou mal finir, est ce qu’il y a des voies « royales » qui mèneraient vers une intégration particulière, ou est ce qu’il y aurait des voies particulièrement problématiques qui mèneraient vers la déviance, la toxicomanie, la délinquance. Il y a effectivement une autre subtilité qui consiste, plutôt que de penser que s’intégrer doit faire le bonheur des gens, leur apporter une vision culturelle du bonheur ou du confort mental, de la santé mentale, d’un équilibre, à s’interroger de manière paradoxale à la manière de Paul WATCLAWICK, digne émule de WOODY ALLEN autant que de Grégory BATESON, si rendre les gens heureux cela leur faisait forcément du bien !
La question est peut être finalement de savoir ce que ressent la personne à un moment donné de son fonctionnement avec la société qui l’accueille. C’est à partir de ce type d’approche qu’il faut essayer de voir la dynamique d’acculturation parce qu’elle n’est pas une sorte d’objectif final, ça n’existe pas, ça n’est pas possible. Il n’y a pas des gens qui sont en fin d’acculturation, il n’y a pas de retraite dans le processus d’acculturation.
C’EST UN TRAVAIL SUR SOI PERMANENT. C’est ce qui explique les interrogations qu’on a parfois devant des gens qu’on connaît bien, dont on disait qu’ils étaient parfaitement intégrés, et dont on apprend brutalement qu’ils ont décidé de quitter la société qui leur « faisait du bien », pour revenir dans leur société d’origine ou pour partir dans un autre pays en dénigrant totalement la société dans laquelle ils fonctionnaient et dans laquelle on croyait qu’ils étaient parfaitement à l’aise. Il n’y a pas véritablement d’acculturation finie ni réussie, il n’y a qu’un travail d’acculturation qui met véritablement en chantier toute une énergie psychique dans laquelle je pense qu’il faut un peu privilégier l’aspect humoristique, où l’humour transcende l’aspect clownesque et prend sa dimension ironique.