Résumé : Cet article se propose de rendre compte d’un débat qui oppose les chercheurs épidémiologistes américains et français aux chercheurs cliniciens interculturels concernant le trouble du sommeil chez le jeune enfant et le mode de coucher. Le contact de proximité entre la mère et l’enfant ainsi que le co-sleeping serait pourvoyeur de trouble pour les premiers, tandis que pour les seconds le contact distal, plus souvent pratiqué en Occident, serait générateur de trouble. A travers les conclusions contradictoires d’une étude comparative transculturelle menée à l’île de la Réunion et à Lyon, cet article vise à montrer que le débat ne tient pas compte de la dimension culturelle. En effet, chaque culture attribue un sens au sommeil. La représentation de la solitude qu’implique le sommeil renvoie à celle de la mort et influe sur les pratiques du coucher. La représentation de la mort introduit un référent fondateur dans chaque société qui relie les générations entre elles et participe à la symbolisation de la perte, de la séparation. Le trouble du sommeil ne serait pas lié directement au mode de coucher mais à la gestion de la séparation dans chaque culture. Elle est gérée dans la réalité par l’isolement du bébé dans le coucher en Occident, alors qu’elle est symbolisée à travers les croyances culturelles das le co-sleeping dans les sociétés extra-occidentales. Une question se pose : le trouble de sommeil de l’enfant ne correspondrait-il pas plutôt à une dynamique de déculturation en cours qui s’exprime dans les modes de coucher et expose l’enfant à une rupture généalogique pouvant aller jusqu’à mettre en péril sa santé mentale ?
L’évolution psychiatrique 69 (2004) 49-65 www.elsevier.com/locate/evopsy www.sciencedirect.com