Troubles bipolaires : nouvelles approches et perspectives par Vesselin PETKOV

Paru dans : Nervure : Journal de psychiatrie, avril 2004, p. 20. Disponible à l’adresse : http://www.nervure-psy.com/

Symposium organisé avec le soutien des Laboratoires Lilly, Avignon 23-24 mars 2004.

Le diagnostic de dépression unipolaire est porté à tort dans 43% des troubles bipolaires (TB) alors qu’un intervalle de 5 à 10 ans entre le début des troubles et le diagnostic est constaté. Les patients consultent, en moyenne, 4 médecins avant qu’un diagnostic correct de troubles bipolaire soit porté. La difficulté d’identifier la bipolarité vient du fait que les patients consultent, surtout, lors des phases dépressives et ne rapportent pas les symptômes hypomaniaques qui ne génèrent aucune plainte. Par conséquent, il apparaît important d’interroger l’entourage sur la survenue éventuelle d’épisodes d’hyperactivité euphorique, d’expansivité inhabituelle, d’irritabilité, d’hostilité ou d’agressivité.

Dans les dépressions il faut donc rechercher une hyperexpressivité, une utilisation de superlatifs (« Je suis hyper mal »), une syntonie à l’environnement, une hyperréactivité, une amélioration rapide après tentative de suicide, une labilité de l’affect qui peut être, à tort, étiquetée comme « hystérique » et une tachypsychie. En fait, la tonalité des affects semble peu discriminante entre la dépression unipolaire et les TB. C’est l’hyperréactivité émotionnelle qui permet de distinguer les deux troubles (Dr Chantal Henry). Les patients bipolaires ressentent les situations plus vivement (« Mon humeur varie beaucoup en fonction de mon environnement »). Le diagnostic de troubles bipolaires mixtes devrait être évoqué devant un patient dépressif, résistant à plusieurs antidépresseurs.

Le diagnostic du TB doit être évoqué devant un état dépressif présentant ralentissement psychomoteur marqué, hyperphagie, hypersomnie, irritabilité et des troubles comorbides : troubles anxieux (20 à 40%), abus de substances (40 à 60%), troubles des conduites alimentaires (5 à 10%) (Dr Jean-Albert Meynard). Les autres signes qui doivent alerter le clinicien sont les antécédents familiaux de bipolarité, des proches créatifs et originaux, les antécédents de syndrome dépressif précoce, de dépression du post-partum, de récurrences répressives, de dépressions saisonnières, de dépressions prémenstruelles, de labilité émotionnelle et de trajectoire de vie « orageuse » avec dépenses excessives, épisodes de désinhibition, conduites à risque (Dr Christian Gay). 40 % des TB se manifestent comme des états mixtes.

Le diagnostic différentiel entre TB et personnalités « borderline » est difficile, ces deux troubles présentant des manifestations communes : instabilité, impulsivité, recherche de sensations fortes, fluctuations typiques et abus de substances toxiques. 40% des patients diagnostiqués comme personnalités antisociales ont, en fait, des TB.

Les idées délirantes mégalomaniaques (47%), mystiques (39%), de persécution (28%), d’influence (15%) et les hallucinations auditives (18%), olfactives (17%) et visuelles (10%) sont plus fréquentes dans les TB que l’on ne le croyait. Elles constituent un facteur de gravité et peuvent orienter vers un diagnostic erroné de « bouffée délirante aiguë », de schizophrénie ou de trouble schizoaffectif.

Des études récentes montrent que 30 à 60 % des patients présentent un fonctionnement psychosocial global altéré durant les intervalles libres. 40% des malades ont perdu leur emploi, ont perdu des amis et subissent des difficultés financières.

La prévalence des TB est de 1% dans la population générale. Le risque d’en développer un est de 10% dans la fratrie, de 30% pour l’enfant de deux parents bipolaires, de 19% pour un jumeau dizygote, de 67% pour le jumeau monozygote. L’hérédité est de 80%. La transmission est complexe et polygénique dans un contexte d’hétérogénéité clinique et génétique. Une des approches de recherche génétique consiste à travailler sur un trait phénotypique précis. Le début précoce de la maladie bipolaire (avant 18 ans) est un « symptôme candidat » ayant une bonne validité génétique et permettant d’étudier des groupes ayant des caractéristiques homogènes (risque familial élevé et profil clinique sévère). Un lien a été mis en évidence entre le gène codant pour la monoaminooxydase, le gène de la tryptophane hydroxylase, le gène du transporteur de la sérotonine et le TB (Pr Marion Leboyer).

Une autre approche est basée sur les « endophénotypes » et utilise des me-sures biochimiques, cognitives, électrophysiologiques ou d’autres pour identifier des marqueurs-traits chez les apparentés non-atteints, mais porteurs de gènes de vulnérabilité. Les études montrent que les fonctions exécutives chez les apparentés de patients schizophrènes et bipolaires sont perturbées de façon similaire. La capacité à délirer est un marqueur-trait que l’on retrouve aussi bien chez les apparentés des patients schizophrènes que chez les apparentés de patients bipolaires. Ces résultats laissent penser qu’il existe des dimensions trans-anosographiques et qu’il faut privilégier une approche plutôt dimensionnelle que nosographique (Pr Marion Leboyer).

Selon le Dr Frédéric Kochman les TB représentent un groupe hétérogène de troubles qui évoluent depuis l’enfance, par exemple le trouble oppositionnel avec provocation (T.O.P.). Un des symptômes majeurs qui différencie le T.O.P. du trouble des conduites est l’hyperémotivité. Les enfants souffrant de T.O.P. sont hyperexpressifs, hypersensibles et présentent des fluctuations de l’humeur qui peuvent se transformer en crises de rage. Ces dernières, fréquentes, provoquent une hypertoxicité qui conduit au TB. On peut éviter cette évolution en utilisant des techniques psychothérapeutiques, en essayant de rendre l’entourage moins stressant.

Le TB est le trouble le plus à risque de suicide (Dr Frédéric Slama) puisque 25 à 50% des patients bipolaires font des tentatives de suicide, le risque suicidaire est multiplié par 30 par rapport à la population générale. Le taux de suicide est de 19%. Les états mixtes présentent un risque suicidaire majeur. Les autres facteurs de risque de suicide sont : le début précoce du TB, le nombre des décompensations dépressives, le virage sous antidépresseur, l’impulsivité et le changement brutal de contexte. Au bout de deux ans de traitement par lithium, le taux de suicide des patients devient identique à celui de la population générale (Pr Michel Walter).

Le risque de récidive est très élevé : 90% après un premier épisode maniaque. Il est, donc, nécessaire de proposer une prévention efficace. Les thymorégulateurs sont indiqués dans toutes les phases du TB.

Qu’est-ce qu’un thymorégulateur ? Il existe plusieurs définitions : médicament efficace dans les deux phases du TB, médicament efficace dans une des phases du TB qui n’aggrave pas l’autre, médicament qui diminue la fréquence, la durée et la sévérité des deux phases (Pr Jean-Michel Azorin).

Plusieurs récepteurs et neurotransmetteurs semblent impliqués dans la régulation de l’humeur : GABA, glutamate (modulation perceptive), blocage des récepteurs D1 (prévention de la sensibilisation comportementale), équilibre D2-5HT2A (stabilisation thymique), équilibre alpha1b-5HT2A (réactivité émotionnelle), second messager, plasticité neuronale (Pr Azorin).

Jusqu’à récemment le lithium était de première intention dans la prévention des rechutes du TB. Le Zyprexa® (olanzapine) vient d’obtenir une AMM européenne dans la prévention des récidives chez les patients souffrant de TB et ayant déjà répondu au traitement par l’olanzapine lors d’un épisode maniaque. Dans un essai randomisé, en double aveugle, portant sur une période d’un an, on observe deux fois moins de récidives maniaques chez les patients sous olanzapine que chez ceux sous lithium (14 vs 28%, p<0,01). Le taux des récidives dépressives s'est avéré comparable dans les deux groupes (Dr Mauricio Tohen).

La carbamazépine et le divalproate de sodium sont des traitements de deuxième intention dans la prévention des TB et sont indiqués en cas de résistance au lithium (Dr Jean-Pierre Kahn).

La lamotrigine aurait démontré, également, une efficacité en tant que thymorégulateur, mais n’a pas l’AMM en France.

Les interventions éducatives individuelles, de groupe et familiales diminuent le nombre des rechutes et la durée des phases intercritiques.

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