Par Dr Jean-Pierre Martin, Hôpital Esquirol.
Le thème de l’urgence est, depuis 20 ans, au centre du discours politique. Nous y voyons un des effets de la précarisation de larges couches de la population avec l’essor des politiques néo-libérales qui prônent les restructurations et la dérégulation de la protection sociale. Il en résulte la nécessité de faire face, en urgence, à cette précarité, ce qui introduit la notion d’urgences sociales.
Les urgences psychiatriques sont, en même temps, différentes dans leur nature et étroitement associées à cette demande sociale urgente.
Amalgame entre les notions d’ordre public et d’obligation de soins.
Historiquement le terme recouvre une nosologie centrée sur l’agitation psychotique ou anxieuse, sur les risques de suicide, et sur l’incapacité du sujet à faire face aux nécessités vitales. Il est institutionnellement lié à la décision d’hospitalisation et au texte juridique qui met en uvre les contraintes à soigner (loi du 27 juin 1990). Il apparaît, à ce stade, un amalgame entre les notions d’ordre public et d’obligations de soins que nous contestons comme fondé sur la seule dangerosité sociale et l’obligatoire hospitalisation.
Nouvelles pratiques cliniques.
La politique de secteur psychiatrique, pensée dans une perspective désalièniste et la remise en cause des asiles carcéraux, ouvre de nouvelles pratiques cliniques sur le territoire qui tendent à soigner précocement et à prévenir, avant même qu’apparaisse la catastrophe psychique. L’urgence devient alors d’être présent sur le terrain, au plus près des demandes de soins des personnes et de leur environnement. C’est le sens que nous donnons aux centres d’accueil et de crise qui permettent cet accès permanent aux soins (24h sur 24) et construisent un temps qui fasse continuité. Une telle perspective permet, en outre, aux services d’urgences des hôpitaux généraux d’articuler leurs réponses à ce travail de continuité.
Le terme d’urgence psychiatrique, très marqué du côté de la réponse médicale, perd de sa pertinence car c’est bien de relations à construire dans la réciprocité avec le sujet que cet accueil de première ligne propose pour faire continuité. La seule réponse technique au symptôme est ainsi transformée en démarche de connaissance du sujet, d’engagement thérapeutique dans le temps, de dédramatisation de ce qui fait catastrophe, les réponses techniques et d’hospitalisation n’étant que des moments à mettre en uvre avec la participation du patient et de ses proches. Nous constatons, de plus, combien une réponse technique d’urgence tend à rassurer faussement le patient redoublant le sentiment d’être objectivé dans son symptôme, indépendamment du sens de celui-ci.
La question de la relation avec les urgences sociales.
Il n’en reste pas moins que la question de la relation avec les urgences sociales reste posée. Est-ce de la compétence de la psychiatrie à s’y confronter ?
Le centre d’accueil par sa fonction d’interface entre la demande sociale de soins et les réponses institutionnelles et techniques thérapeutiques montre que la demande individuelle est toujours une demande sociale mobilisant les proches du patient et les autres intervenants médico-sociaux de terrain. L’accès aux soins même dans l’urgence reste profondément marqué par ce fait. C’est d’ailleurs sur cette base que se construisent les réels réseaux de soins centrés sur le patient.
La pratique d’approche des errants et des personnes en grande exclusion a fait apparaître, par ailleurs, que l’institution devait s’adapter aux effets de ce qui fait crise sur le plan social. Il est essentiel, de ce point de vue, d’entendre les demandes d’aides des élus locaux concernant la violence, les adolescents en errance et de la toxicomanie. L’entendre ne veut pas dire l’aborder dans le consensus ni comme une façon de répondre à leurs causes économiques, sociales, et politiques mais de permettre la mise en place par l’institution de moyens qui permettent d’aller vers les victimes de ces processus de précarité et d’exclusion. Par là même l’institution se subvertit et remet en cause le conservatisme de ce qui est établi. Notre expérience, en ce sens, indique combien une telle démarche anticipe ce qui fait urgence sociale par la prise en compte du sujet en souffrance.
Intégrer la psychiatrie à la vie sociale dans une participation éthique aux différentes demandes de soins et d’écoutes, au soutien des travailleurs du social et des associations, dépasse les réponses de la psychiatrie hospitalière traditionnelle d’être uniquement spécialistes de la psychose. Une politique dans ce sens est l’urgence même de la situation d’urgence quelle qu’en soit ses apparentes expressions.