Werner BOHLEBER : « Homogénéité ethnique et violence, réflexion sur la xénophobie et le radicalisme de droite en Allemagne »

In : Le Coq Héron, n° 170, 2002/2003.

Exposé présenté au Congrès sur « les points de vue psychanalytique sur le néo-fascisme et la politique d’anti-immigration : tendances en Europe et aux Etats-Unis », à l’Université de Berkeley, Californie, les 6 et 7 Mai 1995.

Werner BOHLEBER est un psychanalyste allemand, professeur à l’Université de Frankfurt-am-Main.

La Réunification de l’Allemagne en 1989 a donné lieu à de grandes tensions sociales et économiques. Le peuple allemand, désormais réunifié, est face à la question de l’identité nationale. De plus, on observe une importante arrivée de demandeurs d’asile, fuyant la pauvreté et les guerres civiles. Dans ce contexte, une vague de violences xénophobes se déploie, dès 1991, sur l’Allemagne.
Le discours politique refuse le sujet, contribuant à la diffusion de la peur irraisonnée de l’étranger, et à la construction de la xénophobie comme un tabou. La population s’habitue peu à peu à cette violence xénophobe, l’intégrant peu à peu dans la vie quotidienne.

Bohleber interroge l’image que les allemands ont d’eux-mêmes à travers l’interrogation psychanalytique de la notion d’homogénéité. Comment l’idéologie d’une homogénéité ethnique a t-elle survécu à l’époque nazie ? Le regard de la psychanalyse sur la xénophobie, le nationalisme et l’antisémitisme doit permettre de prendre en compte à la fois les facteurs sociaux, historiques et affectifs. « Les émotions collectives sont un facteur politique important, c’est pourquoi une approche pluridisciplinaire permet d’éclairer au mieux les phénomènes complexes du racisme et du nationalisme. Parce que « Le pogrom, nous le savons, commence dans l’esprit », on se doit d’analyser ce qui se passe dans l’esprit, face à l’étranger, celui qui n’est pas nous, et qui nous rappelle toujours et encore à notre « inquiétante étrangeté ». « Quelle dynamique donne aux gens la capacité de mobiliser une agressivité si puissante contre d’autres gens ? » : cette question est la question principale de cet article.

Bohleber étudie d’abord la peur de l’étranger au niveau du psychisme individuel. Pour l’enfant, l’attitude vis-à-vis de l’étranger dépend de la relation avec la mère. Dans le cas où l’enfant n’est pas sûr de l’image familière qu’il a de sa mère, il est pris par l’angoisse de séparation et la peur de la perte de l’objet, qui devient finalement peur de l’étranger. À l’âge adulte, l’étranger est celui qui rappelle la perte de l’union narcissique avec la mère. Cette notion se diffuse dans l’imaginaire collectif. L’image de la mère est celle de la mère patrie, le pays d’origine. L’étranger devient alors un objet de soulagement : il nous présente l’étranger en nous-mêmes, celui qui a quitté sa mère patrie, qui a transgressé les limites. Il est ce sentiment toujours présent de l’inquiétante étrangeté.
Sur le plan collectif, il est donc soulagement, quand la population projette sur lui tout ce qu’elle n’aime pas en elle. Ainsi se construit le sentiment d’intégrité narcissique.
Sur le plan socio-politique, la peur de l’étranger relève de trois types de fantasmes :

- Les fantasmes oraux : le groupe est une unité individualisée, nourricière et dévorante, comme une mère collective. La notion d' »assimilation » de l’étranger fait alors appel aux notions orales et anales de dévoration, et de digestion, vers une uniformité, un dépouillage de l’identité, de la spécificité. Ces notions se lisent dans le champ lexical utilisé par le langage xénophobe : « ces étranger qui viennent manger notre pain », etc.
- Le fantasme de pureté : l’étranger est ambigu. Il n’est pas un ennemi, dans le sens où ce n’est pas un groupe identifié séparé. Il est donc impur, et son impureté met en jeu l’identité. Le processus qui entre en jeu est celui de l’identification narcissique unifiante, qui appelle à la standardisation et à l’homogénéisation. Adorno nomme cette peur du mélange, de la fragmentation de soi, le « totalitarisme psychologique ».
- Le fantasme de l’unité nationale : la nation est une communauté immaginaire, relevant à la fois d’un fantasme corporel, elle est un corps, une substance, et d’un fantasme familial, celui d’un lien naturel.

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