Will KYMLICKA : « La citoyenneté multiculturelle, une théorie libérale du droit des minorités »

Edition La Découverte, coll. Texte à l’appui / Politique et société, Paris, 2001, 37 p. 23 €

Philosophe spécialiste de la question multiculturelle au Canada, Will KYMLICKA est Docteur en philosophie à l’Université d’Oxford, en Angleterre. Il a enseigné à Princeton, aux Etats-Unis, au Canada, à Toronto et à Ottawa, et à l’Institut Universitaire Européen de Florence.

La tradition libérale est, pour Kymlicka, née des guerres de religions. Pour mettre fin au conflits religieux, on n’accorda pas de droit aux minorités, et l’on sépara l’Eglise de l’Etat. Ainsi, le libéralisme défend une neutralité, séparant le domaine du privé du domaine public, l’Etat. Cette solution libérale aux conflits interculturels et inter-religieux prétend défendre les libertés culturelles. Nous pouvons observer une expression de la tradition politique libérale occidentale dans la Déclaration Universelle du Droit des Personnes de l’ONU : il n’y est fait aucune référence au droit des minorités.

Les sociétés culturelles sont de plus en plus le lieu de rencontre d’une multiplicité de groupes culturels, chacun revendiquant une reconnaissance sur la scène publique, et la préservation de leur identité culturelle. L’unité de l’Etat-nation moderne, tel que le décrit Arendt, dans Les Origines du totalitarisme [5] est mise en jeu. La solution libérale, ne reconnaissant pas les groupes culturels dans leur spécificité, paraît désormais insuffisante. La liberté et les droits individuels, culturels et collectifs sont mis en tension. Comment respecter la liberté individuelle sans porter atteinte à la collectivité ? Faut-il mettre en avant des droits culturels au risque d’accroître l’incommunicabilité des cultures ? Le communautarisme, entendu comme repli communautaire, fermeture aux autres, est ici un risque contre lequel entend se défendre la solution libérale. Mais elle risque de neutraliser les spécificités culturelles.
Le multiculturalisme s’oppose, en théorie, au libéralisme. Il entend fonder une société multiculturelle, faisant une place à chaque culture dans sa spécificité. Will Kymlicka se propose de dépasser ce clivage. Tout en étant multiculturaliste, son projet est de montrer que le libéralisme politique n’est pas en contradiction avec la reconnaissance des groupes minoritaires.
Comment se constitue un Etat multiculturel ? « Une théorie complète de la justice dans un Etat multiculturel comprendra des droits universels, accordés aux individus indépendamment de leur appartenance à un groupe, et certains droits déterminés en fonction de l’appartenance aux groupes ou des statuts spéciaux élaborés à l’intention des minorités culturelles » [6]. Se plaçant au cœur du débat très concret du droit des minorités, et pour éviter les malentendus de la notion même de « Multiculturalisme », il fait deux distinctions primordiales. Il distingue d’abord la minorité nationale du groupe éthnique :
La minorité nationale est un groupe culturel autonome intégré à un moment donné dans un Etat plus large.
Le groupe éthnique a immigré dans un Etat déjà existant.

Il distingue ensuite l’Etat multinational de l’Etat polyethnique :
L’Etat multinational est un Etat comprenant plusieurs minorités nationales,
L’Etat polyethnique est un Etat avec plusieurs groupes ethniques.

Selon Kymlicka, cette différence est essentielle, dans la mesure où les revendications ne sont pas les mêmes. Ainsi, la réponse à la demande ne doit pas être la même. Il distingue alors deux types de droits multiculturels : les droits nationaux, comme droit à la protection externe, sans restriction interne, comprenant le droit d’autogestion et le droit à l’autodétermination, pour la minorité nationale, et les droits polyethniques, comprenant le droit d’intégration, pour le groupe ethnique. Par la protection externe sans restriction interne, il s’agit de protéger l’existence d’une identité distincte au sein d’une société plus large, sans limiter les libertés politiques fondamentales de l’individu. Ainsi, Kymlicka parvient à lier les droits individuels aux droits collectifs, dans la protection de la culture et de l’individu, à la fois dans sa culture, et hors de sa culture, comme individu.

La défense culturelle est primodiale pour Kymlicka : par la société multiculturelle, il s’agit, dans le fond, de garantir une culture-cadre pour exercer sa liberté. Kymlicka base sa théorie sur le lien établi entre la liberté et la culture. La culture y est cadre de liberté.

Notes :

1. Hannah Arendt, Les Origines du totalitarisme, publié en trois tomes aux Editions du Seuil, Point Essai, Paris, 1972 (Nouvelle Edition Gallimard en 2002).

2. Kymlicka, p. 16.

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