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Retour sur le colloque « Faut-il avoir peur de l’interprétariat en santé mentale ? »

 

 

 

 

 

 

 

 

Faisant suite au projet de recherche « Améliorer la prise en charge en santé mentale des patients non-francophones. » mené par le Centre Françoise Minkowska et financé par la Fondation de France, le colloque « Faut-il avoir peur de l’interprétariat en santé mentale ? » s’est tenu le 8 avril dernier au Ministère des Solidarités et de la Santé.

 

Conclusion de la journée par Stéphanie LARCHANCHE

Anthropologue médicale, coordinatrice du pôle enseignement et recherche au Centre Françoise Minkowska / présidente ISM-Interprétariat Paris

 

« A l’issue de cette journée, il est devenu clair que la question à se poser est plutôt la suivante : quels risques courrons-nous en tant que professionnels de la santé mentale, et quels risques faisons-nous courir à nos patients – et par extension à notre société, en n’ayant pas recours à l’interprétariat professionnel, et en ne formant pas nos cliniciens à cet outil indispensable ?

Commençons par les enjeux éthiques, exposés par ce matin par Eric Fiat. Ne devons-nous pas à nos patients l’hospitalité ?

 

 

En 2016, l’hospitalité est même devenue un label qui permet aux usagers de l’hôpital d’être mieux informés sur le niveau de qualité de prise en charge, incluant le soin et le prendre soin. Les services engagés dans la démarche doivent satisfaire une liste de critères fondés sur les attentes du patient comme l’accueil, la propreté, le confort, les prestations de service, de même que la qualité de la relation. Doit-on en conclure par le non-recours à l’interprétariat que les patients non-francophones sont exclus des critères de l’hospitalité ?

 

Dans le cadre institutionnel, le recours à l’interprétariat relève d’une démarche éthique, du droit de la personne à pouvoir exprimer ses besoins et ses intentions. Or trop souvent encore on sous-estime l’importance de ce pouvoir d’expression, en préférant pour des raisons d’ordre pragmatique se reposer sur différentes stratégies, depuis le langage des signes, à l’appui sur des compatriotes, ou sur les enfants scolarisés dans la langue française. Ces stratégies ne peuvent en aucun cas être des leviers, ni de reconnaissance, et encore moins de soin. Au contraire, elles poussent les individus à devoir filtrer leur message, de peur de perdre la face, de trahir un secret, de trop impliquer le proche engagé en tant qu’interprète. Elles débouchent donc sur un sentiment de frustration de la part des interlocuteurs, pouvant être vécu sur le registre du mépris et de la condescendance de la part des institutions. Elles peuvent ainsi amener à aggraver une souffrance existante, ou à déboucher sur la maladie.

 

Un des obstacles à surmonter : dépasser la catégorie « migrants » « réfugiés » et reconnaître la personne. Alors à ce moment-là pourra-t-on se poser la question comme l’a fait Dr. Bennegadi ce matin : peut-on soigner sans comprendre, qui plus est en santé mentale !

Ce nécessaire décentrage et cette approche phénoménologique du soin, si cher au Fondateur de notre Centre, Eugène Minkowski, est la condition sine qua non pour pouvoir soigner en situation de transculturalité.

 

La communication interculturelle ne s’improvise pas. C’est une compétence à laquelle il faut être formé, y compris les interprètes professionnels. Maîtriser une langue ne fait pas de soi un interprète professionnel, car elle n’engage pas l’exercice de décentrage et de gestion de la confrontation des représentations en situation interculturelle. Nous pouvons tous nous y former, dès lors que nous acceptons de décaler notre regard, et de faire un peu de place à l’incertitude face à la différence. Accepter l’incertitude dans la rencontre, sans se laisser happer par le besoin d’assigner une identité à l’autre, c’est se donner la capacité d’être curieux, de laisser à l’autre la liberté de se définir à moi par et pour lui-même, d’établir une relation de confiance dans la réciprocité et la reconnaissance mutuelle. C’est la porte d’accès pour reconnaître en l’autre – en l’occurrence, le patient non-francophone – le même, c’est-à-dire l’humain, la personne. Promouvoir cette reconnaissance dans nos institutions à travers la formation des professionnels et le recours à l’interprétariat professionnel est donc un outil puissant pour la promotion de la santé mentale des personnes en situation de migration.

 

 

Aujourd’hui nous avons les outils et les compétences, comme la dernière table ronde de cet après-midi a pu le mettre en évidence. Dans de nombreuses régions, les programmes de formation continue comme les DU proposent une formation à la compétence culturelle – dont la connaissance du travail avec l’interprète fait partie. De la même manière, de nombreux programmes se développent à l’intention des interprètes afin de les professionnaliser et d’approfondir leurs compétences dans des champs d’interventions précis comme celui de la santé mentale. Alors quelles pierres manquent encore à l’édifice ?

 

J’en mentionnerai deux essentielles pour conclure cette journée : la formation des professionnels de santé et la reconnaissance du statut d’interprète médico-social.

 

Dans une société mondialisée comme la nôtre, la compétence culturelle en santé et le recours à l’interprétariat ne devraient pas être considérés comme de simples appoints à la formation médicale : ces sujets devraient être enseignés dans les cursus initiaux de toutes nos professions, et ce afin de préparer d’entrée nos professionnels à pouvoir accueillir la diversité linguistique et culturelle de leurs patients.

S’appuyer sur la diversité linguistique et culturelle des soignants eux-mêmes ? Pourquoi pas ? Mais à condition de les former et de ne pas les mettre en porte à faux avec leur métier de soignant. Comme nous l’avons vu ce matin, l’interprétariat occasionnel peut être un levier intéressant, mais uniquement dans les situations d’accueil et d’évaluation d’urgence. Bien entendu, un clinicien psychiatre ou psychologue bilingue pourra recevoir des patients directement dans une autre langue que le français, mais à condition là aussi, comme l’a expliqué le Dr. Bennegadi ce matin, d’être formé à la compétence culturelle.

 

 

Mais cela restera un vœu pieux sans la reconnaissance et la professionnalisation du métier d’interprète du médico-social. Car la logique du recours à l’interprétariat est elle aussi soumise aux logiques managériales du système de santé 

Et là j’en appelle aux décideurs publics : aucune économie n’est faite en se passant de l’interprétariat professionnel en santé. Bien au contraire. Les retards dans l’accès à la prise en charge et aux soins pour raison d’obstacle linguistique ne débouchent que sur des situations de maladie aggravées, ou des passages à l’acte auto et hétero agressifs qui coûtent bien plus cher, pas simplement à notre système de santé, mais qui coûtent à la société au sens large.

Alors bien entendu, financer l’interprétariat est nécessaire, pour toutes les raisons évoquées au long de cette journée. L’interprétariat n’est pas un simple accessoire du soin : il participe de l’acte de soin lui-même ! En cela, il devrait pouvoir être considéré comme tel, et pourquoi pas, faire partie des prestations remboursées par notre système de soin.

 

Je suis consciente que nous avons beaucoup progressé sur ce terrain, grâce à la mobilisation d’acteurs clés du champ associatif et du Ministère des Solidarités et de la Santé et avec l’intégration d’un article dans la dernière loi santé ainsi que la participation à l’élaboration d’un guide publié par la Haute Autorité de Santé.

 

Mais veillons à garantir la qualité de notre interprétariat. En devenant un marché lucratif, le risque est de voir s’étendre le nombre de prestataires recrutant des interprètes au lance-pierre, sans formation ni déontologie, pour casser les prix du marché.

La concurrence oui, mais pas au prix d’un interprétariat sauvage qui risque de mettre à terre tous les progrès réalisés jusqu’ici.

Pour cela, reconnaissons à l’interprète médico-social la même importance et exigence de qualité qu’un interprète de conférence. Accordons-lui le diplôme, le statut et la reconnaissance qui pourront garantir son exercice dans un cadre éthique indispensable dans le cadre du soin. »

 

Stéphanie LARCHANCHE

Anthropologue médicale, coordinatrice du pôle enseignement et recherche au Centre Françoise Minkowska / présidente ISM-Interprétariat Paris

 

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