Daniel SIBONY : « L’Autre incastrable. Psychanalyse – écritures »

Seuil, Paris, 1978.

Daniel SIBONY – Né en 1942 à Marrakech, de langue arabe et de culture hébreue. Emigré à Paris 1955. D’abord chercheur en mathématiques, puis psychanalyste, membre de l’École freudienne, fondateur de la revue Analytiques.

« Ecouter l’écriture : est-ce vraiment possible ? Je dis bien « écouter » et non pas lire.
En tout cas, il est des écritures qui ne sont faites que pour être entendues, jouées, transmises ; traversées de résonances à la parole, d’écrits-paroles, de parlécrits ; écrits que meuvent des flots de transmissions internes, par quoi ils « passent » dans le mouvement même qui les produit et les disperse : il s’agit ici de la lettre-germe, qui s’écrit du geste qui la transmet, et du sciage d’espace dont elle est chue.
Entendre une telle écriture, surtout pour un psychanalyste, ça ne peut pas être « fixer » le symptôme, mais au contraire l’ouvrir, le dérouter : car l’écriture ne réussit qu’à la mesure des « ratés » de son symptôme, de sa folie déjouée, de ses perversions éludées (et que serait-ce que lever un symptôme, quand il est d’écriture ?).
Si vous faites un bout de chemin dans cette voie, à travers la Bible, et Shakespeare, et Kafka – un petit crochet aussi par la frontière entre « écriture » et « folie » – vous entendrez gronder ce que j’appelle l’Autre incastrable : figure de l’Autre-inconscient, où l’écriture s’est puisée, qu’elle entame et dérobe à tout autre effet que d’écriture ; lieu fictif où la castration ne « prend » pas. Alors, pas de choix entre le thème et le texte, le contenu et la forme, le sens et le non-sens (et quelle forte écriture a jamais craint le sens ? Il suffit qu’elle passe pour qu’il tourne court). L’enjeu est autre : l’inconscient est une réserve de temps, dont l’écriture extrait quelques cycles et constellations, quand elle s’est mis en tête la folie de les transmettre. »

Daniel SIBONY

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