Éditeur : Gallimard (8 décembre 1971)
Collection : oeuvres de Nietzsche
Présentation de l’éditeur
« Il existe plusieurs traductions de Zarathoustra. Mais deux d’entre elles, parmi les plus diffusées, sont déjà très anciennes : celle d’Henri Albert et celle de Geneviève Bianquis. Elles sont, aujourd’hui encore, souvent reprises, moyennant quelques rectifications (Henri Albert est en Bouquins, Geneviève Bianquis en GF et chez Aubier). Maurice de Gandillac a donné, dans les années 60, une traduction pour Gallimard, toujours diffusée chez Folio. C’est la plus singulière de toutes, car elle se signale par un parti pris d’archaïsme et de préciosité, visant à souligner, dans ce texte, l’originalité du ton de Nietzsche ; mais justement il me semble que cette ambition est manquée, car Zarathoustra est abrupt et fulgurant bien plus qu’archaïsant ou précieux. Gandillac fait de Nietzsche un contemporain de ce qu’il y a de moins bon dans le symbolisme ; j’aimerais mieux qu’on se rappelle qu’il fut contemporain de Rimbaud. Je connais peu de gens qui apprécient vraiment cette traduction ; je crois qu’elle est au fond assez peu utilisée dans les milieux philosophiques. On trouve aussi une traduction de Marthe Robert, chez 10/18. Ou plutôt, on la trouve difficilement, bien qu’elle soit encore disponible. Elle a quelque valeur du point de vue littéraire, mais certaines incongruités philosophiques, sans doute, font qu’elle n’est jamais utilisée ou recommandée ; c’est pourquoi sa présence dans le commerce est très limitée. La plus récente de toutes ces traductions est celle de Georges-Arthur Goldschmidt au Livre de poche. Elle date de 1972 à ma connaissance. Elle a remplacé une édition plus ancienne, réalisée dans les années 40 par Maurice Betz (traducteur estimé de Thomas Mann), qui n’est plus en vente depuis longtemps. L’édition de Goldschmidt est, me semble-t-il, considérée comme la mieux réussie. Mais ce qui caractérise toutes ces traductions, y compris celle-ci, c’est, selon moi, un affaiblissement commun du texte original. J’ai voulu me tenir au plus près du texte allemand, jusque dans sa ponctuation très peu souvent respectée, et j’ai trouvé que cette fidélité était aussi, à mon goût, la meilleure manière de donner l’idée de sa beauté. J’ai recherché partout la formule la plus brève, la plus âpre, la plus proche de l’allemand. Le rapport de ce livre à la Bible est assez évident, dans la forme générale qu’il se donne, dans son style aussi ; aussi j’ai souvent voulu m’inspirer des meilleures versions françaises de celle-ci : je pense par exemple à Jean Grosjean, ou à Claudel et même Rimbaud, qui donnent, à l’opposé de tout catéchisme, l’idée de ce que peut être, en français, la beauté du style évangélique, plein d’ellipses, de fulgurances, de rugosité et de combat. A la différence de tous les autres traducteurs français, je suis tenté de choisir comme titre Ainsi parla Zarathoustra, et non Ainsi parlait Zarathoustra. C’est souligner le caractère d’événement de l’instant où Zarathoustra prend la parole, plutôt que sa résonance comme doctrine ; c’est rappeler que Ainsi parla Zarathoustra est d’abord un voyage dont les discours sont des stations singulières, plutôt qu’un corps de doctrine déjà constitué, qui ne trouverait dans les étapes du voyageur que l’occasion de se dérouler, de se répéter. Le discours de Zarathoustra s’invente dans son voyage. Le passé simple insiste sur l’événementialité de chaque discours, événement surgi en face d’un événement, mais aussi de l’ensemble de tous les discours, comme aventure qui, comme un éclair prolongé, commence et s’achève. L’imparfait laisse entendre que le voyage ne fait que dérouler une doctrine déjà toute inventée. »